Série thématique sur l'ethnicité, la langue et l'immigration
Les compétences en littératie chez les francophones du Nouveau-Brunswick. Enjeux démographiques et socioéconomiques
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par Julien Bérard-Chagnon et Jean-François Lepage
Remerciements
Les auteurs tiennent à remercier Jean-Pierre Corbeil, responsable du programme de la statistique linguistique à Statistique Canada pour son aide importante, sa détermination et ses suggestions pertinentes tout au long de la réalisation de ce projet de recherche. Cette étude a été rendue possible grâce à l'appui financier d'un consortium constitué de Patrimoine canadien, d'Immigration, réfugiés et citoyenneté Canada, de Santé Canada et du ministère de la Justice du Canada. Les premières versions de ce document ont aussi bénéficié des suggestions judicieuses de Marc Frenette de Statistique Canada, et du professeur Maurice Beaudin de l'Université de Moncton. Nos remerciements sont également adressés à Normand Lévesque, ancien directeur général du Réseau pour le développement de l'alphabétisme et des compétences (RESDAC) ainsi que Gabrielle Lopez, Directrice générale par intérim du RESDAC, pour leur appui incessant dans le cadre de ce projet. Nous tenons également à remercier Émilie Lavoie de Statistique Canada, qui a contribué à la création de cartes géographiques pour ce document, ainsi que Martin Lessard et Sébastien Labelle-Blanchet, qui ont réalisé le couplage d'enregistrements utilisé pour ce rapport. Finalement, nous voulons aussi remercier Shirley Li, Deniz Do, Denis Thériault et Julie Bertrand pour leur importante contribution à la vérification et la mise en page du document.
Faits saillants
Les francophones du Nouveau-Brunswick ont réalisé d'importants progrès en matière de scolarisation au cours des dernières décennies. Pourtant, ils continuent de performer beaucoup moins bien aux tests de compétence que leurs homologues anglophones, et que les francophones du Québec, de l'Ontario et du Manitoba. Plus de 60 % des francophones de cette province ont obtenu un score qui correspond aux échelons inférieurs des échelles de littératie et de numératie. Leur performance au test de littératie du PEICA est inférieure d'au moins 10 points à celle des autres groupes à l'étude. Ces écarts ne sont pas nouveaux. Les francophones du Nouveau-Brunswick affichent traditionnellement des taux d'alphabétisme et de scolarisation plus faibles que les anglophones, et que les autres groupes de francophones au Canada. Ils font un usage moins fréquent de leurs compétences en littératie que leurs homologues anglophones. En plus de pratiquer moins régulièrement la lecture à la maison, les francophones du Nouveau-Brunswick font également moins usage de l'écrit au travail.
Les performances plus faibles des francophones du Nouveau-Brunswick au test de littératie du PEICA résultent principalement des différences dans la composition sociodémographique et dans les comportements liés à la littératie. Les francophones du Nouveau-Brunswick, et en particulier ceux qui résident dans le Nord de la province, affichent des niveaux de compétence inférieurs en littératie parce qu'ils sont moins scolarisés et qu'ils possèdent moins de capital culturel lié à l'écrit. Il en va ainsi notamment parce que les personnes plus scolarisées et possédant davantage de capital culturel lié à l'écrit, qui affichent généralement des niveaux de compétences supérieurs en littératie, sont plus susceptibles de quitter la province.
Entre 1973-1974 et 2013-2014, le Nouveau-Brunswick a perdu plus de 32 000 personnes dans ses échanges avec le reste du Canada. Un tel niveau de pertes migratoires est clairement susceptible d'avoir un effet sur les enjeux sociaux et économiques actuels et futurs de la province, d'autant plus que les migrants interprovinciaux tendent à être de jeunes adultes très scolarisés. Une partie des départs vers le reste du pays est le fait d'étudiants qui vont poursuivre des études universitaires à l'extérieur de la province tandis qu'une autre part relève de jeunes travailleurs très scolarisés qui ont trouvé un emploi ailleurs au Canada. Bien que l'apport d'un certain nombre d'immigrants admis dans le reste du pays parvienne à atténuer l'effet des pertes migratoires du Nouveau-Brunswick, il n'est pas du tout suffisant pour compenser les départs vers le reste du pays d'une part importante des immigrants francophones dans cette province.
Les migrations effectuent un « effet de sélection » qui affecte négativement les niveaux de compétence en littératie observés chez les francophones du Nouveau-Brunswick; d'abord directement, par des soldes migratoires négatifs particulièrement chez les personnes les plus compétentes; indirectement en accentuant le vieillissement de la population, autre facteur associé à de plus faibles compétences en littératie. À cause du vieillissement de la population, les communautés francophones seront vraisemblablement confrontées à d'importants défis afin de trouver des travailleurs, et ces défis risquent d'être particulièrement importants pour les communautés du Nord. Les difficultés à recruter de la main-d'œuvre compétente peuvent constituer un frein à la création d'entreprises. Dans la mesure où la présence d'un bassin de main-d'œuvre potentielle, dont les niveaux de compétence correspondent aux besoins des entreprises, est un facteur déterminant pour la création d'emploi, le vieillissement de la population constitue un enjeu particulièrement important pour le dynamisme économique d'une région.
Les niveaux de scolarisation plus faibles des francophones du Nouveau-Brunswick de même que leur situation géographique se traduisent par le fait qu'ils occupent des emplois requérant un niveau moindre de complexité. Près de la moitié des travailleurs francophones du Nouveau-Brunswick se retrouvent en situation de concordance entre de faibles compétences en littératie et un faible niveau d'utilisation de l'écrit au travail. Une part importante des travailleurs francophones peinent à s'insérer dans le « cercle vertueux de la littératie » de sorte que leurs compétences, d'emblée plus faibles, risquent de s'éroder au fil du temps.
Les performances particulièrement faibles des travailleurs des secteurs d'industrie en déclin, tant en matière de compétences que de pratiques liées à l'écrit, retiennent l'attention. Le nombre d'emplois dans ces secteurs, où la main-d'œuvre francophone est surreprésentée, est en déclin depuis plusieurs années. Ces travailleurs, moins scolarisés, plus âgés et demeurant souvent dans le Nord, pourraient être davantage à risque de perdre leur emploi ou de devoir réorienter leur carrière. Or, les difficultés qu'ils éprouvent en matière de littératie pourraient diminuer leurs chances de réussir ces transitions dans une économie où la demande de compétences ne cesse de gagner en sophistication.
La situation des francophones du Nouveau-Brunswick sur le marché du travail apparait certes désavantageuse par rapport aux anglophones de la province, de même qu'en comparaison avec les autres groupes francophones au Canada, mais elle cache le fait qu'il existe des disparités importantes au sein même des communautés francophones du Nouveau-Brunswick. Ces disparités économiques prennent largement la forme d'un clivage Nord-Sud. La région du Nord, où sont concentrés la majorité des francophones de la province, est donc particulièrement désavantagée sur le plan économique. Les francophones du Nord du Nouveau-Brunswick demeurent souvent dans des milieux ruraux et ont donc un accès beaucoup plus restreint à des activités et des infrastructures qui pourraient contribuer à l'adoption de pratiques pouvant favoriser le maintien des compétences.
Clairement, le bilan négatif de la population francophone du Nouveau-Brunswick en matière de migration interprovinciale est essentiellement le fait de la situation du Nord de la province, ce qui illustre les difficultés particulières de cette région à retenir ses effectifs de francophones et à attirer des francophones du reste du pays. Si le tiers des francophones résident dans la région de Moncton, près des deux tiers des immigrants récents s'y sont installés. À l'inverse, le Nord compte sur plus de la moitié de la population francophone de la province, mais n'a accueilli que 20 % des immigrants admis entre 2000 et 2011. De ce fait, il convient de se demander si l'immigration pourrait contribuer à alimenter les disparités régionales déjà importantes entre les différentes communautés francophones de la province et dans quelle mesure le Nord pourrait bénéficier de l'apport de nouveaux immigrants afin de redynamiser les communautés de cette région.
Enfin, notons que l'influence de l'anglais dans la vie des francophones qui résident dans des milieux majoritairement anglophones est aussi visible dans la langue dans laquelle les francophones ont choisi de passer les tests de compétence du PEICA. Un peu plus de 45 % des Néo-Brunswickois dont le français est la première langue officielle parlée ont passé les tests de compétence du PEICA en anglais.
Introduction
L'alphabétisation constitue un élément central du développement social et économique du Canada. Tant au travail que dans leur vie quotidienne, les Canadiens doivent naviguer à travers un flot grandissant d'informations qui découle des importants changements technologiques des dernières décennies. En ce sens, de solides compétences pour comprendre et traiter l'information s'avèrent de plus en plus nécessaires non seulement en tant que tremplin vers l'acquisition de compétences plus avancées, mais également pour bien fonctionner dans une société d'une complexité croissante. Cette tendance est loin de ralentir puisque plusieurs emplois occupés par des travailleurs peu spécialisés sont graduellement automatisés ou délocalisés et que l'utilisation des technologies de l'information se répand dans toutes les sphères de la vie.
Les avantages économiques associés au fait de posséder un haut niveau de compétence sont manifestes. Le marché du travail permet de tirer profit de ses compétences, notamment en obtenant un meilleur revenu et une plus grande valorisation professionnelle. De solides compétences en traitement de l'information sont en effet associées à des revenus plus élevés et des risques moindres de se retrouver au chômage (OCDE, 2013). Le marché du travail fournit d'ailleurs de multiples occasions d'utiliser ses compétences, ce qui en favorise le maintien, voire l'amélioration. En plus des avantages individuels qui sont associés à de hauts niveaux de compétence, les avantages collectifs de l'alphabétisme sont également très importants : vectrice de prospérité économique, l'alphabétisation favorise la mise en œuvre de changements structurels et technologiques nécessaires pour hausser la productivité et assurer la compétitivité des entreprises (OCDE, 2013).
L'alphabétisme est également associé à de nombreux avantages sur le plan culturel, et revêt en cela une importance particulière pour les communautés francophones vivant en situation minoritaire. L'alphabétisme est associé à une intégration et une participation active à la société : les individus plus alphabétisés sont plus susceptibles de se déclarer en bonne santé, de penser avoir une influence sur les processus politiques, de participer à des activités bénévoles ou associatives et d'avoir confiance aux autres (OCDE, 2013). Selon Wagner (2002) : « être alphabétisé, c'est non seulement posséder la maîtrise de la langue écrite, mais aussi posséder la langue orale et surtout le bagage culturel qui la sous-tend. L'alphabétisme est un outil de maîtrise de l'univers symbolique d'une culture ». L'alphabétisme est donc un élément central de la transmission culturelle aux générations suivantes et joue à ce titre un rôle prépondérant pour la vitalité du français et des communautés francophones en milieu minoritaire.
Au Canada, les francophones ont longtemps affiché des retards en matière d'alphabétisme et de scolarisation. Les travaux de la Commission royale d'enquête sur le bilinguisme et le biculturalisme, menés dans les années 1960, ont mis en lumières d'importants écarts socioéconomiques entre les francophones et les anglophones au pays, notamment en termes de scolarisation et de revenus. Les études récentes ont toutefois démontré que ces écarts se sont largement résorbésNote 1 : dans la plupart des provinces et territoires, les écarts socioéconomiques entre francophones et anglophones sont aujourd'hui pratiquement inexistants. Dans certains cas, les écarts se sont même renversés, et la situation socioéconomique des francophones se compare avantageusement à celle des anglophones. Cela est particulièrement vrai quand on observe plus spécifiquement les tranches d'âge les plus jeunes.
On observe les mêmes tendances en ce qui a trait à l'alphabétisme. Les résultats de l'Enquête sur les capacités de lecture et d'écriture utilisées au quotidien (1989), de l'Enquête internationale sur l'alphabétisation des adultes (1994), de l'Enquête internationale sur l'alphabétisation et les compétences des adultes (2003) et du Programme pour l'évaluation internationale des compétences des adultes (2012) démontrent que les écarts initialement observés entre francophones et anglophones se sont résorbés dans la grande majorité des cas, particulièrement chez les jeunes. L'exception notable se trouve dans la province du Nouveau-Brunswick.
Le Nouveau-Brunswick est la province de résidence de près d'un quart de million de francophonesNote 2, soit le quart de la francophonie canadienne hors du Québec, et possède une riche tradition francophone qui remonte aux débuts de la colonisation française de l'Acadie. Or, en raison de leur niveau de scolarisation historiquement plus faible, l'alphabétisation constitue une problématique particulièrement importante pour les communautés francophones du Nouveau-Brunswick. Les enquêtes mentionnées précédemment ont mis en lumière le retard des francophones de cette province non seulement en matière de compétences, mais aussi au sujet de plusieurs facteurs susceptibles d'influer sur les niveaux de compétence.
Pourquoi ces écarts entre francophones et anglophones persistent-ils au Nouveau-Brunswick alors qu'ils se sont résorbés ailleurs au Canada? Les compétences de la population sont au cœur des politiques sociales et économiques au Nouveau-Brunswick. Les investissements en éducation et pour la formation continue témoignent de la volonté des différents paliers gouvernementaux à hausser les niveaux de compétence de leur population. Le discours du Trône du Nouveau-Brunswick de 2012 a fait écho des préoccupations du gouvernement provincial au chapitre des compétences :
Combler les déficits de compétences et faire en sorte que la main-d'œuvre du Nouveau-Brunswick possède les compétences voulues pour le marché du travail continuent d'être une priorité fondamentale de votre gouvernement. Pour rebâtir le Nouveau-Brunswick, la capacité de nos ressources humaines et la présence d'une population active compétente et compétitive à l'échelle mondiale joueront un rôle essentiel. […] Votre gouvernement, malgré l'austérité budgétaire dont il fait preuve depuis son arrivée au pouvoir, continue d'investir dans notre ressource la plus importante : notre population. Le renforcement et la diversification de notre économie reposent sur l'accès à une main-d'œuvre hautement qualifiée.
Cependant, pour être un vecteur de prospérité, la question du développement des compétences ne peut faire abstraction du contexte économique et social dans lequel évolue la population néo-brunswickoise. La population francophone du Nouveau-Brunswick fait également face à d'importants défis relativement à sa situation socioéconomique et démographique. La dernière récession a exacerbé les mutations en cours dans plusieurs secteurs économiques importants de la province de sorte qu'un clivage grandissant se développe entre le Nord, plus rural et francophone, et le Sud, qui est à la fois davantage urbain et anglophone. En outre, les communautés francophones du Nouveau-Brunswick affichent non seulement un vieillissement marqué, mais aussi des dynamiques migratoires qui leur sont généralement défavorables, notamment au chapitre de l'attraction d'immigrants francophones et de la rétention des jeunes adultes très scolarisés. Ces dynamiques contribuent à freiner la croissance démographique de la population francophone de sorte que certaines régions connaissent une baisse de leurs effectifs francophones.
Au cours des dernières années, le gouvernement du Nouveau-Brunswick s'est d'ailleurs doté de différentes stratégies afin de favoriser l'essor économique et social de ses communautés sous les angles du développement économique, du perfectionnement des compétences et de la croissance démographique. Si ces stratégies suggèrent implicitement que ces enjeux sont étroitement liés, les liens qui les unissent demeurent complexes et méconnus. Quels facteurs démographiques et socioéconomiques expliquent les niveaux de compétence relativement faibles en littératie observés chez les francophones du Nouveau-Brunswick, et la persistance de ce retard? Les enjeux liés à l'alphabétisation ne peuvent pas être étudiés en faisant l'économie des autres défis auxquels sont confrontées la société et l'économie néo-brunswickoises. Les dynamiques économiques et démographiques exercent une influence certaine sur le niveau de compétence des populations. Les migrations permettent à des individus très compétents de maximiser les bénéfices de leurs compétences en migrant vers des endroits offrant de meilleures conditions socioéconomiques ou des opportunités d'accroître leurs compétences. Les régions où l'économie est florissante sont susceptibles d'attirer ces migrants, au détriment d'autres régions moins dynamiques. Pour ces dernières, les migrations sont susceptibles d'accroître le vieillissement démographique, qui s'accompagne généralement d'une érosion des compétences.
L'objectif du présent rapport d'analyse est d'établir des liens entre les tendances démographiques, les dynamiques économiques et les compétences en littératie chez les francophones du Nouveau-Brunswick. Au-delà des constats généraux sur les retards et les défis particuliers qui caractérisent cette population, largement documentés par ailleurs, que peut-on faire pour améliorer la situation des francophones de la province? L'objectif de Statistique Canada, en appui aux communautés de langue officielle en situation minoritaire, est de mettre à la disposition des communautés et des décideurs les informations statistiques pertinentes susceptibles de leur permettre de favoriser la vitalité des minorités de langue officielle.
La première partie du rapport présente le plus récent portrait des compétences en littératie, en numératie et en résolution de problèmes dans un environnement technologique des francophones du Nouveau-Brunswick, à partir des données du Programme pour l'évaluation internationale des compétences des adultes (PEICA). Il s'agit d'abord d'évaluer les niveaux de compétence des francophones du Nouveau-Brunswick et les comparer à ceux de leurs homologues anglophones et ceux de certains autres groupes francophones au Canada. La première partie vise également à illustrer les grandes tendances et certains facteurs qui expliquent les retards observés chez les francophones du Nouveau-Brunswick.
La deuxième partie du rapport porte sur les grandes tendances démographiques qui caractérisent la population francophone du Nouveau-Brunswick, en mettant l'accent principalement sur le vieillissement de la population, les tendances migratoires intra et interprovinciales et l'apport de l'immigration internationale. Il s'agit de détailler ces grandes tendances, mais surtout de démontrer les interactions entre celles-ci et les niveaux de compétence en littératie et en numératie de la population francophone. Il en va de même dans la troisième partie, qui s'attarde d'abord à décrire le marché du travail du Nouveau-Brunswick et la place qu'y occupent les francophones. Les influences réciproques entre les compétences, les phénomènes démographiques et la structure du marché du travail qui y sont documentées permettent de mieux comprendre le cercle vicieux dans lequel sont pris les francophones du Nouveau-Brunswick.
1. La compétence en littératie chez les francophones du Nouveau-Brunswick
Le concept d'alphabétisme a considérablement évolué au cours des cinquante dernières années. Dans le passé, l'alphabétisme était simplement mesuré à partir du niveau de scolarité du répondant. Bien que la scolarisation constitue le principal vecteur des compétences en alphabétisme, des enquêtes portant sur l'alphabétisme et la littératieNote 3 ont démontré que plusieurs autres facteurs sont aussi associés à ces compétences. Effectivement, l'utilisation régulière des compétences, au travail ou dans la vie de tous les jours, devient de plus en plus importante alors que l'individu « s'éloigne » de sa scolarisation initiale. En outre, ces enquêtes ont mis en lumière les écarts parfois importants dans les niveaux d'alphabétisme des individus d'un même niveau de scolarité, ce qui renforce l'idée que d'autres facteurs entrent en jeu dans le développement et le maintien des compétences à l'écrit.
Pour ces raisons, le concept d'alphabétisme a graduellement évolué vers celui de littératie (Wagner, 2002). L'utilisation de plus en plus régulière d'informations écrites d'une complexité grandissante a mené à l'établissement du concept de littératie, lequel dépasse largement le fait de savoir lire et écrire. Il met l'accent sur l'application de ces compétences à un vaste éventail de situations réelles de la vie pour l'atteinte d'objectifs précis. Ensuite, dans les années 1990, les concepts de numératie et de résolution de problèmes sont apparus afin de mesurer les compétences des individus dans le traitement d'informations de nature mathématique et pour évaluer leur capacité à solutionner des problèmes concrets. Les problèmes en question nécessitent l'utilisation de différents processus cognitifs tels que le raisonnement situationnel et la recherche d'informations.
L'utilisation de plus en plus fréquente d'outils électroniques au travail et dans la vie de tous les jours pour traiter l'information qui découle des récentes avancées technologiques a mis en lumière l'importance de l'intégration de ces capacités à l'évaluation des compétences en littératie, en numératie et en résolution de problèmes. En conséquence, le Programme pour l'évaluation internationale des compétences des adultes (PEICA)Note 4 a intégré ces outils technologiques pour l'évaluation des compétences en résolution de problèmes, non pas pour mesurer la capacité des individus à utiliser ces outils en soi, mais plutôt dans le but de mesurer leur capacité à se servir de ces outils pour accomplir des tâches concrètes.
Les résultats aux tests du PEICA témoignent d'écarts importants entre les francophones et les anglophones au Nouveau-Brunswick. Ils témoignent également de certains écarts entre les francophones du Nouveau-Brunswick et les francophones d'ailleurs au Canada. Les francophones du Nouveau-BrunswickNote 5 ont, en moyenne, des niveaux de compétence en littératie et en numératie plus faibles que ceux des autres Canadiens. Ces écarts ne sont pas nouveaux. Les francophones du Nouveau-Brunswick affichent traditionnellement des taux d'alphabétisme et de scolarisation plus faibles que les anglophones, et que les autres groupes de francophones au Canada.
En ce sens, les résultats du PEICA sont cohérents avec ce qu'on observe par ailleurs : les écarts socioéconomiques entre francophones et anglophones persistent au Nouveau-Brunswick, alors qu'ils se sont largement résorbés ailleurs au CanadaNote 6. L'objectif du présent rapport est de comprendre pourquoi il en est ainsi. Les données du PEICA permettent, dans un premier temps, la mise à jour des comparaisons en matière de littératie, de numératie et de résolution de problèmes dans un environnement technologique. Cette enquête d'envergure a été menée en 2011 et 2012 par Statistique Canada, en collaboration avec l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) et plus d'une vingtaine de pays. Le PEICA a permis de mesurer directement les compétences en littératie, en numératie et en résolution de problèmes d'un échantillon représentatif de plus de 27 000 Canadiens âgés de 16 à 65 ans afin de mieux comprendre comment ces compétences en traitement de l'information permettent de participer avec succès au marché du travail et à la société. Grâce au soutien financier de plusieurs acteurs gouvernementaux fédéraux et provinciaux, le volet canadien du PEICA comprend un nombre suffisant d'observations pour produire des estimations fiables pour certaines sous-populations d'intérêt comme les minorités de langue officielle du Nouveau-Brunswick, du Québec, de l'Ontario et du ManitobaNote 7.
Le premier objectif de ce chapitre est de présenter le PEICA et les résultats des francophones du Nouveau-Brunswick aux tests de compétence en littératie, en numératie et en résolution de problèmes dans un environnement technologique. Il s'agit principalement de les comparer à ceux de leurs homologues anglophones, des francophones du Québec, de l'Ontario et du Manitoba ainsi que de l'ensemble des Canadiens. Le second objectif est d'explorer quelques facteurs explicatifs des niveaux de compétence en littératie relativement faibles observés chez les francophones du Nouveau-Brunswick, en l'occurrence la scolarité et les habitudes de lecture.
1.1 Le Programme pour l'évaluation internationale des compétences des adultes
Plusieurs études font état des liens entre un haut niveau de compétence et une série de conditions sociales et économiques avantageuses comme des revenus plus élevés et une participation sociale plus active. De solides capacités à comprendre et à traiter l'information sont d'une importance capitale pour fonctionner dans une société axée sur le savoir comme le Canada. Le gouvernement du Nouveau-Brunswick souligne justement l'importance primordiale des compétences dans sa Stratégie de perfectionnement des compétences de la main-d'œuvre du Nouveau-Brunswick : 2013-2016 (Gouvernement du Nouveau-Brunswick, 2013) :
Notre succès économique dépend d'une main-d'œuvre solide, réceptive et instruite, puisque la plupart des emplois aujourd'hui exigent d'avoir fait des études postsecondaires. […] Nous devons maximiser les ensembles de compétences et assurer la pleine participation au marché du travail de tous ceux qui peuvent jouer un rôle encore plus grand dans notre développement économique.
Or, les études antérieures portant sur la littératie font état du retard important des francophones du Nouveau-Brunswick en matière de compétences. L'Enquête sur les capacités de lecture et d'écriture utilisées au quotidien (ECLEUQ), menée par Statistique Canada en 1989, a mis en lumière pour la première fois l'écart entre les francophones et les anglophones du Nouveau-Brunswick au chapitre des compétences. Alors que 63 % des anglophones de cette province avaient obtenu un score correspondant à l'échelon supérieur de l'échelle de lectureNote 8, ce n'était le cas que pour 57 % des francophones (Corbeil, 2000). Du même coup, 59 % des anglophones se situaient à l'échelon supérieur de l'échelle de calcul comparativement à seulement 44 % des francophones.
En 1994, l'Enquête internationale sur l'alphabétisation des adultes (EIAA) a permis de réaffirmer les résultats de l'ECLEUQ. Les francophones continuaient effectivement de moins bien performer que leurs homologues anglophones; la proportion de francophones qui se situaient aux échelons supérieurs des trois échelles de compétence était inférieure d'au moins onze points de pourcentage à celle des anglophones. Grâce à un suréchantillonnage de francophones pour le Nouveau-Brunswick, l'EIAA a également montré que des facteurs tels que la scolarisation, l'âge et les habitudes et les comportements liés à la lectureNote 9 sont des éléments importants pouvant expliquer les disparités entre les francophones et les anglophones de cette province, bien qu'ils ne parvenaient pas à expliquer la totalité de ces écarts (Corbeil, 2000).
Au tournant du millénaire, l'Enquête internationale sur l'alphabétisation et les compétences des adultes (EIACA) a révélé une relative stagnation des niveaux de compétence des francophones du Nouveau-Brunswick. En effet, les deux tiers des francophones de cette province n'avaient pas atteint le niveau 3 sur l'échelle des textes suivis. Ils continuaient aussi de pratiquer moins régulièrement certaines activités liées à l'écrit telles que la fréquentation d'une bibliothèque, la lecture de divers documents et la possession de livres à la maison. L'EIACA de 2003 a aussi permis de montrer que les performances plus faibles des francophones du Nouveau-Brunswick par rapport à celles de leurs homologues anglophones résultaient en large part d'une scolarisation moindre et d'habitudes de lecture et d'écriture moins régulières (Corbeil, 2006).
Ces enquêtes révèlent donc la persistance des performances plus faibles des francophones du Nouveau-Brunswick aux tests de compétence, au moins jusqu'au début des années 2000. Les données du PEICA permettent de constater que les performances des francophones du Nouveau-Brunswick sont, en 2012, toujours très inférieures à celles de leurs homologues anglophones, plus faibles que celles des francophones pour lesquels un suréchantillonnage a été effectué dans le PEICA, ainsi que celles de l'ensemble de la population canadienne.
Le Programme pour l'évaluation internationale des compétences des adultes (PEICA) est une enquête d'envergure menée par Statistique Canada en 2012 qui est le résultat d'un partenariat entre le Canada, l'OCDE et plus d'une vingtaine d'autres pays. Cette enquête visait à produire des données comparables pour mieux comprendre comment les compétences des adultes en traitement de l'information permettent de participer avec succès au marché du travail et à la société du 21e siècle. À cette fin, plus de 27 000 CanadiensNote 10 âgés de 16 à 65 ans ont répondu à l'enquête entre novembre 2011 et juin 2012. Grâce à la contribution de plusieurs ministères fédéraux et gouvernements provinciaux, la taille de l'échantillon du PEICA permet aussi la production d'estimations fiables pour toutes les provinces et les territoires ainsi que pour certaines sous-populations d'intérêt telles que les Autochtones et les minorités de langue officielle.
Le PEICA est divisé en trois parties. Tout d'abord, les répondants ont rempli un questionnaire contextuel qui visait à obtenir leurs caractéristiques sociodémographiques comme leur niveau de scolarité et leur pays de naissance. Par la suite, des tests psychométriques basés sur la théorie des réponses aux items étaient administrés aux répondants afin d'obtenir une mesure directe de leurs compétences pour trois facettes du traitement de l'information : la littératie, la numératie et la résolution de problèmes dans des environnements technologiquesNote 11. Ces compétences sont très importantes, car en plus d'être nécessaires à l'intégration complète au marché du travail, elles sont hautement transférables à diverses situations sociales et professionnelles. Finalement, le dernier module de l'enquête portait sur l'utilisation des compétences au travail et dans la vie quotidienne.
1.1.1 Mesure des compétences dans le PEICA
Dans son cadre conceptuel, le PEICA définit la littératie comme étant : « la capacité de comprendre, d'évaluer, d'utiliser et de s'engager dans des textes écrits pour participer à la société, pour accomplir ses objectifs et pour développer ses connaissances et son potentiel ». La numératie est quant à elle définie comme étant : « la capacité de localiser, d'utiliser, d'interpréter et de communiquer de l'information et des concepts mathématiques afin de s'engager et de gérer les demandes mathématiques de tout un éventail de situations de la vie adulte ». Enfin, la résolution de problèmes dans des environnements technologiques est définie comme : « la capacité d'utiliser les technologies numériques, les outils de communication et les réseaux pour acquérir et évaluer de l'information, communiquer avec autrui et accomplir des tâches pratiques ».
Les compétences des répondants en traitement de l'information ont été mesurées à l'aide de tests psychométriques conçus par l'Educational Testing Service des États-Unis. Ces tests permettent de situer les répondants sur une échelle continue allant de 0 à 500. Les individus qui se situent à l'extrémité inférieure de l'échelle possèdent des compétences rudimentaires leur permettant de comprendre des tâches d'une complexité limitée tandis que ceux à l'autre extrémité peuvent réaliser des tâches comme l'intégration d'éléments extraits de plusieurs textes denses ou le raisonnement par inférence. Afin d'en faciliter l'interprétation, les échelles de mesure de la littératie et de la numératie peuvent être divisées en cinq niveaux de compétenceNote 12, lesquels correspondent aux aptitudes concrètes reliées à différents scores (tableau 1.1)Note 13. En ce qui a trait à la résolution de problèmes, l'échelle est divisée en trois niveaux de compétence auxquels s'ajoute un niveau pour les personnes qui ont peu ou pas d'expérience en informatique ou qui ont échoué à un test de base en la matière. Notons que les tests sont passés en français ou en anglais, de sorte que l'aisance des répondants dans la langue qu'ils ont choisie exerce une influence certaine sur les résultats.
Une des limites du PEICA à l'égard de l'analyse des compétences selon les groupes linguistiques est l'impossibilité de dériver la première langue officielle parlée selon la définition habituelle. Effectivement, les informations relatives à la langue maternelle et à la langue le plus souvent parlée à la maison ne sont pas recueillies de la même manière qu'au recensement tandis que celle portant sur la connaissance des langues officielles n'est tout simplement pas directement disponible. Un couplage d'enregistrements a donc été réalisé entre le PEICA et le recensement de 2011, ce qui a notamment permis d'extraire les renseignements sur la première langue officielle parlée du recensement pour définir les groupes linguistiques à l'étude.
Cette stratégie novatrice a permis de coupler les renseignements de plus de 26 000 répondants du PEICA aux données du recensement, ce qui correspond à un taux global de couplage de 95,5 %. Grâce au suréchantillonnage des minorités de langue officielle, l'échantillon couplé du PEICA comprend 845 répondants du Nouveau-Brunswick dont le français est la première langue officielle parlée. Il s'agit d'effectifs suffisants pour étudier les niveaux de compétence de cette population.
Si la taille de l'échantillon du PEICA permet de réaliser plusieurs analyses probantes de la situation des francophones du Nouveau-Brunswick à l'égard des compétences, elle peut devenir une limite pour certaines analyses plus fines. Afin de contourner cette contrainte, les données du PEICA ont été utilisées de concert à celles de l'ENM pour calculer des scores « estimés » de littératie, lesquels peuvent être utilisés pour produire des cartes à des niveaux géographiques fins et estimer le niveau de compétence en littératie de sous-populations particulières.
Dans les deux cas, ces estimations ont été calculées en construisant des modèles de régression à partir du PEICA qui ne comprennent que les variables communes au PEICA et à l'ENM (par exemple, le niveau de scolarité et l'âge). Par la suite, les coefficients obtenus par ces modèles ont été appliqués aux données de l'ENM. Les coefficients des francophones de la province ou du territoire de naissance ont été utilisés pour estimer les scores de littératie des migrants interprovinciaux. En raison de la taille de l'échantillon du PEICA, les coefficients utilisés pour les immigrants et les résidents non permanents ont été estimés à partir de la totalité des immigrants et des résidents non permanents des quatre provinces de l'Atlantique.
Cet exercice permet donc de tirer profit à la fois de la richesse des informations du PEICA à l'égard de l'étude des compétences et la taille de l'échantillon très grande de l'ENM.
1.1.2 Les résultats aux tests de compétence
Les répondants du Nouveau-Brunswick dont le français est la première langue officielle parlée ont obtenu un score moyen de 259 au test de littératie du PEICA, soit près de 14 points de moins que celui de leurs homologues anglophones. C'est ce que montre le graphique 1.1, où sont comparés les niveaux de littératie des francophones du Nouveau-Brunswick à leurs homologues anglophones, mais également à trois autres groupes francophones du pays et à l'ensemble des Canadiens. On constate également que leur performance est inférieure d'au moins 10 points à celle des trois autres groupes francophones à l'étude (soit les francophones du Québec et les autres groupes pour lesquels un suréchantillonnage a été effectué, c'est-à-dire les francophones de l'Ontario et du Manitoba) et à celle de l'ensemble des Canadiens. De plus, le Nouveau-Brunswick est la seule province où l'écart entre les francophones et les anglophones en matière de niveau de compétence en littératie est statistiquement significatif. Cependant, comparativement aux résultats de 2003, l'écart entre anglophones et francophones a un peu diminué, passant de 7,4 % à l'EIACA à 5,6 % dans le PEICA, toujours en faveur des anglophonesNote 14.
Les écarts entre les francophones du Nouveau-Brunswick et leurs homologues anglophones proviennent en partie des différences dans les effectifs qui se situent dans les niveaux supérieurs de l'échelle. En effet, 6,9 % des francophones ont obtenu un score correspondant aux niveaux 4 ou 5 de l'échelle de littératie du PEICANote 15, une proportion presque deux fois plus faible que celle des anglophones (12,1 %). Un peu plus de 60 % des francophones du Nouveau-Brunswick n'ont pas atteint le troisième échelon de l'échelle de littératie, soit plus de dix points de pourcentage de plus que celle des anglophones de la province (49,8 %) et de l'ensemble des Canadiens (48,5 %). Ce niveau est généralement utilisé comme point de repère minimum afin qu'un individu puisse bien fonctionner dans une société axée sur le savoir comme le Canada, puisque le fait de se situer au moins à ce niveau est associé à nombre de rendements sociaux et économiques positifs (Corbeil, 2006).
Les résultats du PEICA montrent un portrait similaire en ce qui a trait à la numératie. Les francophones du Nouveau-Brunswick ont obtenu un score moyen de 249 au test de numératie du PEICA, soit un score inférieur de 10 points à celui de leurs homologues anglophones (graphique 1.2). Cependant, l'écart entre les deux groupes s'est quelque peu réduit depuis l'EIACA, passant de 5,2 % en 2003 à 3,9 % en 2012, toujours en faveur des anglophonesNote 16. Les performances des francophones du Nouveau-Brunswick sont également inférieures par une marge de plus de 15 points à celles obtenues par les trois autres groupes francophones ainsi que par l'ensemble des Canadiens.
À nouveau, les moins bonnes performances des francophones du Nouveau-Brunswick par rapport aux autres groupes linguistiques proviennent notamment des effectifs se situant aux échelons supérieurs de l'échelle du PEICA. Effectivement, 5,3 % des francophones du Nouveau-Brunswick ont obtenu un score de numératie qui correspond aux niveaux supérieurs de l'échelle, une proportion nettement plus faible que celle des francophones du Québec (10,5 %), et du Manitoba (15,1 %) ainsi que de celle de l'ensemble des Canadiens (12,7 %). Presque 7 francophones du Nouveau-Brunswick sur 10 n'ont pas atteint le troisième échelon de l'échelle de numératie du PEICA et seraient donc susceptibles d'éprouver des difficultés à manipuler de l'information mathématique.
Comme pour la littératie et la numératie, les performances des francophones du Nouveau-Brunswick sont plus faibles que celles des anglophones (269 contre 282) et de l'ensemble des Canadiens (282) lors de l'évaluation de leurs compétences en résolution de problèmesNote 17 (graphique 1.3). Par contre, bien qu'ils tendent à être inférieurs, la taille d'échantillon du PEICA ne permet pas de déceler des différences statistiquement significatives entre les scores des francophones du Nouveau-Brunswick et ceux des autres groupes francophones.
Un peu plus du quart des francophones du Nouveau-Brunswick n'ont pas répondu au test de résolution de problèmes du PEICA. Bien que l'informatique soit de plus en plus omniprésente dans la vie personnelle et professionnelle des répondants, ces résultats suggèrent qu'une part appréciable de la population francophone du Nouveau-Brunswick âgée de 16 à 65 ans possède des compétences rudimentaires en la matière. Cette situation peut constituer un obstacle important en matière d'adaptation aux exigences du marché du travail.
Cette rapide comparaison des niveaux de compétence en littératie, en numératie et en résolution de problèmes des francophones du Nouveau-Brunswick à ceux de leurs homologues anglophones, des principaux autres groupes francophones du pays et de l'ensemble des Canadiens démontre que les difficultés qu'éprouve la population francophone du Nouveau-Brunswick en matière de compétences sont importantes. Les francophones de cette province ont moins bien performé que la plupart des autres groupes à l'étude dans les trois volets des compétences en traitement de l'information mesurés par le PEICA.
Pourquoi en est-il ainsi? Pourquoi les francophones du Nouveau-Brunswick affichent-ils encore des niveaux de littératie, de numératie et de résolution de problème dans un environnement technologique inférieurs aux autres Canadiens? La section suivante s'attarde à deux des facteurs les plus immédiats, à savoir le niveau de scolarité et les habitudes de lecture.
1.2 L'effet de la scolarité et des pratiques liées à l'écrit
Comme il a été observé dans l'EIACA de 2003, les performances plus faibles des francophones du Nouveau-Brunswick âgés de 16 à 65 ans au test de littératie du PEICA résultent encore une fois principalement des différences dans la composition sociodémographique et dans les comportements liés à la littératie entre les deux groupes linguistiques. En ne considérant que les groupes linguistiques, les francophones obtiennent un score moyen de littératie inférieur de près de 14 points à celui des anglophones, ce qui correspond naturellement à l'écart qui avait été observé au graphique 1.1. Cette différence diminue à un peu plus de 8 points, soit une baisse de près de 40 %, en tenant compte de l'effet des niveaux de scolarisation supérieurs des anglophones (graphique 1.4). Pour un même niveau de scolarité, les francophones du Nouveau-Brunswick performent quand même moins bien au test de littératie du PEICA que leurs homologues anglophones, bien que cet écart soit partiellement réduit.
Le graphique 1.4 présente l'évolution des différences entre les scores de littératie des anglophones et des francophones du Nouveau-Brunswick après la prise en compte graduelle des caractéristiques différentielles des deux groupesNote 18.
Début de l'encadré 1
La régression linéaire
La régression linéaire est une technique statistique qui permet de mettre simultanément en relation une variable d'intérêt continue (comme le revenu annuel ou le nombre d'années de scolarisation), dite dépendante, avec plusieurs variables indépendantes. Cette modélisation permet notamment d'isoler l'effet de différentes variables dans le but d'obtenir l'effet « net » de chacune des variables indépendantes.
L'effet de chaque variable est obtenu à partir du coefficient de régression, lequel représente la hausse ou la baisse de la valeur de la variable dépendante qui découle d'une augmentation d'une unité de la variable indépendante. Par exemple, un coefficient dont la valeur est 5 signifie que pour une augmentation d'une unité de la variable indépendante, la variable dépendante augmente de cinq unités. Conséquemment, un coefficient positif signifie que la variable indépendante est positivement corrélée à la variable dépendante alors qu'un coefficient négatif signifie le contraire. Finalement, un coefficient égal à zéro signifie que la variable indépendante n'est pas associée à la variable dépendante.
Fin de l'encadré 1
La réduction importante, mais partielle des écarts en matière de littératie ne surprend guère en raison, d'une part, des différences dans les niveaux de scolarisation entre les deux groupes et d'autre part, du fait que bien que la scolarisation soit le principal vecteur des compétences en littératie, d'autres facteurs sont aussi susceptibles d'influer sur ces compétences. Toutefois, l'écart entre les francophones et les anglophones demeure environ le même malgré la prise en compte de l'effet des caractéristiques démographiques telles que l'âge et la région de résidence. Par contre, les différences entre les anglophones et les francophones tendent à s'estomper lorsque nous considérons également l'effet de la pratique de la lecture dans la vie quotidienne et de la participation à des activités de formation, deux facteurs qui représentent les habitudes des répondants à l'égard de l'écrit. C'est donc dire que lorsque nous tenons compte de l'effet de tous ces facteurs, les francophones obtiennent un score de littératie qui n'est plus statistiquement inférieur à celui des anglophones.
1.2.1 Compétences en littératie selon la scolarité
La littérature fait amplement état des variations parfois très importantes dans les performances aux tests de compétence selon les caractéristiques sociodémographiques des répondants. En effet, des caractéristiques telles que le niveau de scolarité, l'âge et le statut d'immigrant sont depuis longtemps associées aux variations observées en matière de compétences en littératie (Statistique Canada, 1996; Statistique Canada, 2013). Nous nous pencherons attentivement sur les facteurs socioéconomiques dans les chapitres 2 et 3, afin de faire état de la situation particulière de la population francophone du Nouveau-Brunswick à l'égard de ces facteurs, et d'établir des liens entre ceux-ci et la question des compétences. Attardons-nous tout d'abord aux facteurs de la scolarité, de la formation et des habitudes liées à la pratique de la lecture. Le tableau 1.2 rend compte du niveau de compétence en littératie des francophones du Nouveau-Brunswick selon le plus haut niveau de scolarité atteint.
La scolarisation constitue le principal vecteur du niveau de compétence en littératie. L'école permet aux enfants de développer les outils nécessaires à la compréhension et à l'exécution des tâches qui exigent un niveau élevé de littératie. La scolarisation facilite également l'entrée dans le « cercle vertueux de la littératie », c'est-à-dire qu'elle favorise le développement de comportements positifs liés à l'écrit dans la vie de tous les jours et qu'elle donne accès à des emplois où l'utilisation de l'écrit est plus fréquente et les possibilités de formation plus grandes. En conséquence, il n'est pas surprenant de retrouver une très forte association entre le niveau de scolarité et le niveau de compétence en littératie.
Les francophones du Nouveau-Brunswick qui détiennent au moins un baccalauréat ont obtenu un score moyen légèrement plus élevé que 300 au test de littératie du PEICA. Cette performance est nettement supérieure à celle des francophones moins scolarisés, dont le score moyen passe de 268 chez ceux qui détiennent un diplôme postsecondaire inférieur au baccalauréat à moins de 220 chez ceux qui n'ont pas terminé leurs études secondaires. En outre, près de 90 % des francophones qui n'ont obtenu aucun diplôme se situaient dans les échelons inférieurs de l'échelle de littératie comparativement à 1 francophone sur 5 qui détient un diplôme universitaire de premier cycle.
Bien qu'elle soit relativement faible, cette proportion témoigne tout de même du fait que plusieurs francophones du Nouveau-Brunswick éprouvent des difficultés majeures en littératie malgré le fait qu'ils aient obtenu au moins un baccalauréat. Hango (2014) s'est intéressé à la problématique des diplômés universitaires qui affichent un niveau de compétence moindre et a montré que des facteurs tels que l'âge, le fait d'être né à l'étranger, le domaine d'études et le capital culturel lié à l'écrit acquis durant l'enfance sont associés aux performances en littératie des diplômés universitaires. Finalement, le fait qu'un certain nombre d'individus très scolarisés éprouvent malgré tout des difficultés en littératie rappelle très bien que les enjeux en matière de développement et maintien des compétences dépassent largement le cadre de la scolarisation initiale.
L'association entre scolarité et compétence en littératie n'est donc pas parfaite, mais elle reste néanmoins forte. Or, la population francophone du Nouveau-Brunswick montre des taux de scolarisation plus faibles que ceux des autres groupes linguistiques. Un peu plus de 3 francophones du Nouveau-Brunswick sur 10 âgés de 25 ans ou plus n'ont pas terminé leurs études secondaires, soit au moins huit points de pourcentage de plus que les autres groupes à l'étude (tableau 1.3). À l'autre bout du spectre, 15,0 % des francophones du Nouveau-Brunswick détiennent au moins un baccalauréat, une proportion inférieure à celle de leurs homologues anglophones (17,5 %) ainsi qu'à celles des autres groupes francophones de l'étude et de l'ensemble des Canadiens.
Le tableau 1.3 fait également état d'importantes disparités régionales au sein de la province du Nouveau-BrunswickNote 19. Les francophones du Nord de la province se distinguent des autres francophones de la province par leurs niveaux de scolarisation nettement plus faibles. Effectivement, plus du tiers des francophones âgés de 25 ans ou plus et résidant dans le Nord n'ont pas terminé leurs études secondaires, soit presque dix points de pourcentage de plus que ceux du Sud-Est (tableau 1.3). À l'autre bout du spectre, 11,8 % des francophones du Nord détiennent au moins un baccalauréat comparativement à près d'un francophone sur cinq qui demeure dans la région du Sud-Est. Ce clivage n'est pas le seul fait des générations plus âgées, car, bien que les niveaux de scolarisation du Nord soient considérablement plus élevés chez les jeunes, ils accusent toujours un retard important à ce sujet par rapport à leurs homologues du Sud-Est et du reste de la province. La carte 1.1, qui présente la proportion de francophones qui détiennent au moins un baccalauréat pour chaque subdivision de recensement où il y a au moins 100 francophones, permet d'illustrer ce clivage.
Les francophones du Nouveau-Brunswick ont réalisé d'importants progrès en matière de scolarisation au cours des dernières décennies. Le retard de la population francophone du Nouveau-Brunswick en la matière est surtout le fait des faibles taux de scolarisation des générations plus âgées. Le fossé qui les séparait historiquement des anglophones à ce chapitre s'est considérablement réduit chez les plus jeunes générations de sorte que chez les individus âgés de 25 à 34 ans, les francophones présentent maintenant des niveaux de scolarisation très similaires à ceux de leurs homologues anglophones (tableau 1.4). Le quart des francophones du Nouveau-Brunswick âgés de 25 à 34 ans détiennent au moins un baccalauréat, ce qui se rapproche du taux de leurs homologues anglophones (25,7 %).
Les francophones du Nouveau-Brunswick âgés de 25 à 34 ans sont toutefois moins scolarisés que leurs homologues du reste du pays. Bien que le quart des francophones du Nouveau-Brunswick âgés de 25 à 34 ans détiennent au moins un baccalauréat, cette proportion grimpe notamment à plus de 27 % pour les francophones du Québec et surpasse même 35 % pour les Franco-OntariensNote 20. En conséquence, il est possible que l'écart entre les francophones du Nouveau-Brunswick et les autres groupes francophones en matière de compétences subsiste encore pour plusieurs années. Ainsi, le rattrapage observé en matière de scolarité chez les jeunes francophones du Nouveau-Brunswick par rapport aux anglophones de la province ne doit pas passer sous silence le fait qu'ils demeurent le groupe francophone le moins scolarisé au pays, et ce même chez les générations plus jeunes.
1.2.2 Compétences en littératie selon la pratique d'activités liées à l'écrit
L'utilisation régulière des compétences en littératie est essentielle pour leur développement et leur maintien au fil du temps. Effectivement, de bonnes habitudes de vie à l'égard de la lecture peuvent freiner le déclin des compétences qui survient en vieillissant (Willms et Murray, 2007). Si la scolarisation favorise l'insertion dans le « cercle vertueux de la littératie », l'usage fréquent de ces compétences tout au long de la vie en constitue l'aboutissement. Or, les enquêtes précédentes ont révélé le retard qu'accusaient les francophones du Nouveau-Brunswick par rapport à leurs homologues anglophones relativement à la pratique de plusieurs activités liées à l'écrit telles que la fréquentation d'une bibliothèque ou d'une librairie (Corbeil, 2006).
Les francophones du Nouveau-Brunswick font un usage moins fréquent de leurs compétences en littératie que leurs homologues anglophones. Le tableau 1.5 témoigne de ce fait. On y constate que les francophones du Nouveau-Brunswick ont obtenu un indice composite de pratique de la lecture à la maisonNote 21 de 43,1. Cette valeur est considérablement inférieure non seulement à celle des anglophones de la province (50,9), mais aussi à celles des autres groupes francophones du PEICA et de l'ensemble des Canadiens (53,1). L'écart entre les francophones du Nouveau-Brunswick et leurs homologues anglophones s'explique essentiellement par leurs caractéristiques différentielles. Nous avons vu précédemment que la population francophone de cette province est moins scolarisée, et nous verrons dans le prochain chapitre qu'elle est aussi un peu plus âgée, deux facteurs corrélés à une pratique moins fréquente de la lecture dans la vie quotidienne.
De plus, les francophones de cette province possédaient aussi moins de livres à la maison à l'âge de 16 ans que leurs homologues anglophones. En effet, un peu moins de 60 % des francophones ont déclaré avoir moins de 25 livres à leur domicile lorsqu'ils avaient 16 ans, une proportion deux fois plus élevée que celle des anglophones. Ce facteur représente un type de capital culturel lié à l'écrit que le répondant a acquis durant son enfanceNote 22. Lorsque nous considérons l'effet de ces facteurs en plus des autres caractéristiques sociodémographiques de base comme la région de résidence, les différences qui séparent les francophones des anglophones dans la pratique de la lecture à la maison tendent à s'estomper. Autrement dit, si les francophones avaient le même profil que les anglophones en ce qui a trait à ces caractéristiques – ce qui n'est pas le cas –, il n'y aurait pas de différence statistiquement significative en ce qui a trait à la pratique de la lecture. Ainsi, l'écart résulte des différences dans la composition sociodémographique des deux groupes linguistiques du Nouveau-Brunswick.
En plus de pratiquer moins régulièrement la lecture à la maison, les francophones du Nouveau-Brunswick font également moins usage de l'écrit au travail. Effectivement, leur indice composite de lecture au travail (38,2) est très inférieur à celui de leurs homologues anglophones (43,2), de l'ensemble des Canadiens (45,8) et des autres groupes francophones, sauf dans le cas du Québec. Encore une fois, ce résultat s'explique surtout par les caractéristiques différentielles entre les deux groupes linguistiques du Nouveau-Brunswick; les écarts dans la fréquence de l'usage de la lecture tendent à disparaître lorsque nous tenons compte de facteurs tels que le secteur d'emploi et le niveau de scolarité. Comme les travailleurs francophones sont moins scolarisés et occupent des postes moins complexes eu égard à l'économie du savoir, ils font un usage moins fréquent de la lecture au travailNote 23.
La participation à des activités de formation revêt également une grande importance pour le maintien des compétences tout au long de la vie. En effet, l'apprentissage dans le cadre scolaire n'est qu'une des multiples facettes que peut prendre la formation des individus. La formation continue permet non seulement aux individus d'appliquer leurs compétences, de les mettre à jour et d'en développer de nouvelles. Ce processus d'apprentissage continu est capital dans un contexte d'érosion des compétences en raison du vieillissement démographique et de la nécessité d'avoir une main-d'œuvre de plus en plus compétente.
Les données du PEICA révèlent qu'un peu plus de 40 % des francophones du Nouveau-Brunswick ont participé à des activités de formation au cours de l'année qui précédait le PEICA. Bien que l'échantillon du PEICA ne permette pas de conclure que l'écart de près de 5 points de pourcentage entre les anglophones et les francophones est significatif sur le plan statistique, les francophones du Nouveau-Brunswick participent moins souvent à des activités de formation que leurs homologues de l'Ontario et du Manitoba de même que de l'ensemble des Canadiens. Les différences entre les francophones du Nouveau-Brunswick et ces groupes proviennent surtout de la formation en emploi. La participation à cette forme de formation est notamment beaucoup plus populaire chez les francophones de l'Ontario (43,1 %) et du Manitoba (47,7 %) que chez ceux du Nouveau-Brunswick (28,0 %).
Bien que l'échantillon du PEICA ne permette pas de le confirmer, les résultats d'études portant sur la formation (Bérard-Chagnon, 2015, Knighton et coll., 2009) suggèrent qu'en raison de leurs taux de scolarisation plus faibles, les francophones du Nord pourraient être moins susceptibles d'avoir suivi des activités de formation que ceux des autres régions de la province. Ces résultats impliquent notamment que malgré l'importance grandissante de la formation continue dans les politiques sociales et économiques des gouvernements, une part appréciable de la population francophone du Nouveau-Brunswick est moins susceptible d'avoir accès à de la formation.
L'usage de l'écrit à la maison et au travail ainsi que la participation à des activités de formation sont des éléments clés du « cercle vertueux de la littératie » et sont, par le fait même, positivement associés à un niveau élevé de compétence en littératie. Le tableau 1.6 présente les scores moyens au test de littératie des francophones du Nouveau-Brunswick selon la pratique de certaines activités liées à l'écrit. Les données qui y sont présentées confirment l'association entre la pratique de différentes activités liées à la lecture, tant à la maison qu'au travail, et les compétences en littératie. Tout d'abord, l'usage régulier de la lecture dans la vie de tous les jours est lié à de meilleures performances au test de littératie du PEICA. Les francophones du Nouveau-Brunswick qui affichent un indice de lecture à la maison de 70 ou plus ont obtenu un score moyen légèrement supérieur à 280. À l'inverse, ceux qui ont obtenu un indice de pratique de la lecture inférieur à 40 ont nettement moins bien performé; leur score moyen étant inférieur à 240, et 78,0 % d'entre eux n'ont pas atteint le niveau 3 de l'échelle de littératie. L'effet de l'usage de la lecture dans la vie de tous les jours sur le niveau de compétence en littératie de la population francophone du Nouveau-Brunswick demeure statistiquement significatif malgré la prise en compte des autres facteurs associés aux performances en littératie, ce qui témoigne de la grande importance des habitudes à l'égard de l'écrit pour le développement et le maintien des compétences tout au long de la vie.
La pratique régulière de la lecture au travail est aussi positivement associée à des niveaux de compétence en littératie plus élevés. Les francophones qui font très peu usage de la lecture au travail ont obtenu un score moyen de littératie inférieur par plus de 35 points à ceux qui pratiquent très souvent la lecture dans le cadre de leur emploi. Fait notable, près des trois quarts des travailleurs francophones qui font peu usage de la lecture dans le cadre de leurs fonctions ont obtenu un score correspondant aux niveaux inférieurs de l'échelle de littératie comparativement à un peu moins de 60 % de leurs homologues anglophones.
Finalement, la participation à des activités de formation est aussi associée à un niveau plus élevé de compétence en littératie. Les francophones qui ont pris part à plusieurs activités de formation au cours de la dernière année ont obtenu un score moyen de littératie supérieur par presque 40 points à ceux qui n'ont participé à aucune activité de formation. L'analyse de régression confirme les liens qui unissent la participation à des activités de formation et les performances en littératie, car même en tenant compte des effets des caractéristiques des francophones et de leurs habitudes de lecture, la participation à des activités de formation demeure associée à une hausse de près de 13 points du score de littératie.
1.3 Conclusion
Comme c'était le cas lors des enquêtes antérieures, les résultats du PEICA permettent de constater que les francophones du Nouveau-Brunswick affichent des résultats inférieurs aux anglophones de la province, de même qu'aux autres groupes francophones étudiés, tant en matière de littératie qu'en matière de numératie et de résolution de problème dans un environnement technologique. Les scores plus faibles pour les francophones du Nouveau-Brunswick s'expliquent à la fois par un niveau de scolarité inférieur et par des habitudes différentes à l'égard de l'écrit. La scolarité, qui permet le développement initial des compétences, et les habitudes à l'égard de l'écrit, qui permettent de les maintenir tout au long de la vie, sont des composantes essentielles du « cercle vertueux de la littératie ».
Toutefois, l'analyse de facteurs tels le capital culturel lié à l'écrit, la pratique de la lecture à la maison et au travail permet de comprendre que les différences entre les francophones et les anglophones en matière de littératie disparaissent si l'on tient compte de leur influence. Autrement dit, si les francophones avaient des caractéristiques semblables à celles des anglophones en ce qui a trait à ces facteurs, on n'observerait pas de différence dans les scores de littératie. Cela laisse la question ouverte : pourquoi les francophones du Nouveau-Brunswick ont-ils des caractéristiques différentes en ce qui a trait à la scolarité, le capital culturel lié à l'écrit et la pratique de la lecture? Dans le prochain chapitre, nous verrons que la composition et les dynamiques démographiques de la population francophone jouent un rôle important dans ces écarts.
2. Les facteurs démographiques : vieillissement de la population, migrations et immigration
Depuis plusieurs décennies, la population du Nouveau-Brunswick croît à un rythme moins soutenu que celui de l'ensemble du pays. Dans sa Stratégie de croissance démographique du Nouveau-Brunswick : 2014-2017, le gouvernement du Nouveau-Brunswick reconnaît que la réalité démographique de la province constitue un obstacle majeur à son développement économique et social. Cette stratégie repose sur quatre axes d'intervention qui correspondent aux grands enjeux démographiques auxquels la province fait face : attirer des expatriés du Nouveau-Brunswick, retenir les jeunes et les étudiants étrangers, accroître l'immigration et préconiser des collectivités diversifiées et inclusives (Gouvernement du Nouveau-Brunswick, 2014a).
Or, la réalité démographique des communautés francophones de la province diffère parfois substantiellement de celle des communautés de la langue majoritaire. Dans son mémoire présenté au gouvernement, la Société de l'Acadie du Nouveau-Brunswick (2013) fait d'ailleurs écho aux préoccupations particulières des communautés francophones, notamment au sujet du vieillissement démographique très soutenu des milieux ruraux et de la faiblesse de l'immigration francophone. Une frange substantielle de la population francophone réside dans les milieux ruraux du Nord et, par le fait même, loin des centres urbains névralgiques de la province. Si les francophones représentent près du tiers de la population du Nouveau-Brunswick, ils représentent moins de 20 % de la population combinée des trois plus grands centres urbains de la province, à savoir Moncton (où ils forment environ le tiers de la population), Saint John et Fredericton.
L'immigration est de plus en plus perçue comme un levier important pour l'épanouissement des communautés francophones en situation minoritaire. Dans sa Feuille de route pour les langues officielles du Canada, 2013-2018 (Patrimoine canadien, 2013), le gouvernement canadien souligne non seulement l'importance de l'immigration pour ces communautés en faisant de cette thématique l'un des trois piliers de sa stratégie, mais affirme aussi sa volonté d'intensifier les efforts de recrutement d'immigrants francophones dans les communautés en situation minoritaire. Le gouvernement du Nouveau-Brunswick a emboîté le pas du gouvernement fédéral en élaborant le Plan d'action pour favoriser l'immigration francophone au Nouveau-Brunswick. Ce plan vise à : « mener la province vers son objectif d'attirer au Nouveau-Brunswick 33 % de nouveaux arrivants francophones ou francophiles d'ici la fin de 2020 » (Gouvernement du Nouveau-Brunswick, 2014b). Le cas échéant, ces nouveaux arrivants seront certainement susceptibles de contribuer à la vitalité de la population francophone de la province. Toutefois, leur concentration dans la région de Moncton pourrait poser un nombre de défis à la fois pour cette région, notamment en ce qui a trait à leur intégration à la communauté francophone locale et au marché du travail, mais aussi pour les autres régions de la province, qui conjuguent toujours un déclin démographique et des difficultés importantes à attirer des immigrants francophones.
L'objectif de ce chapitre est d'établir des liens entre les caractéristiques démographiques de la population francophone du Nouveau-Brunswick et les niveaux de compétence en littératie observés au chapitre précédent. Celui-ci faisait état des résultats relativement faibles des francophones du Nouveau-Brunswick aux tests de compétence du Programme pour l'évaluation internationale des compétences des adultes (PEICA) en comparaison à ceux des anglophones de la province, des francophones d'autres provinces et de l'ensemble des Canadiens. Ces différences disparaissent lorsqu'on isole l'influence de certains facteurs liés à la scolarisation et aux pratiques de lecture, de même que certains facteurs démographiques et socioéconomiques, sur le niveau de littératie. Cela signifie que la raison pour laquelle on observe des écarts en matière de compétence en littératie est que la population francophone du Nouveau-Brunswick est différente des autres populations à l'étude sur plusieurs dimensions, notamment sur les plans démographique et socioéconomique.
L'objectif de ce chapitre et du suivant est de documenter ces différences, et de comprendre comment elles influent sur les compétences en littératie. Ce sont d'abord les facteurs démographiques qui seront pris en compte dans le présent chapitre. Ce chapitre est divisé en deux grandes parties. La première partie porte sur la situation des francophones du Nouveau-Brunswick à l'égard du vieillissement démographique tandis que la seconde partie traite de l'effet des migrations interprovinciales, intraprovinciales et internationales.
2.1 Évolution démographique et vieillissement de la population
Si la population du Canada a augmenté de plus de 50 % entre 1974 et 2014, celle du Nouveau-Brunswick ne s'est accrue que de 13,4 % au cours de cette périodeNote 24. Cet accroissement moindre a notamment eu comme effet d'exacerber le vieillissement démographique de cette province de sorte que 18,3 % de la population du Nouveau-Brunswick était âgée de 65 ans ou plus au 1er juillet 2014, comparativement à 15,7 % de la population canadienne.
L'évolution des effectifs du Nouveau-Brunswick selon le groupe linguistique est marquée par de profondes différences qui résultent de dynamiques démographiques et linguistiques divergentes. Le tableau 2.1 rend compte de cette évolution ainsi que de l'accroissement démographique et la répartition de la population pour les deux principaux groupes linguistiques du Nouveau-Brunswick.
Le recensement de 2011 dénombrait 235 700 personnes dont la première langue officielle parlée est le français. Il s'agit d'un accroissement de 0,2 % par rapport à 2006 qui, même s'il met fin à plusieurs années de déclin, est considérablement inférieur à la croissance de la population anglophone (4,0 %). En conséquence, la population francophone croît à un rythme beaucoup moins rapide que celui de la population anglophone du Nouveau-Brunswick, si bien que le poids démographique des francophones tend à diminuer depuis les quarante dernières années. En 2011, la population dont le français était la première langue officielle parlée formait 31,9 % de la population de la province, soit une baisse de deux points de pourcentage par rapport à 1971. Par ailleurs, la population francophone du Nouveau-Brunswick représentait un peu moins du quart de la francophonie hors Québec, soit 23,4 % en 2011.
En plus d'avoir contribué aux différences dans l'évolution des effectifs, les dynamiques démographiques différentielles des deux groupes linguistiques ont aussi généré des écarts importants dans la structure par âge de la population. La pyramide des âges suivante illustre ces différences (graphique 2.1). Elle témoigne principalement du vieillissement beaucoup plus important de la population francophone. En 2011, 18,0 % des francophones étaient âgés de 65 ans ou plus comparativement à 15,7 % des anglophones et à 14,8 % de l'ensemble de la population canadienne. De plus, 26,3 % des francophones étaient âgés de 50 à 64 ans de sorte qu'on peut s'attendre à une hausse marquée de la proportion de francophones qui seront âgés de 65 ans ou plus au cours des prochaines années.
Le vieillissement plus rapide de la population francophone est surtout attribuable à deux facteurs, soit la baisse particulièrement marquée de la fécondité et la transmission incomplète du français aux enfants. En premier lieu, les femmes francophones ont affiché historiquement une fécondité beaucoup plus élevée que les femmes anglophones. Entre 1956 et 1961, par exemple, la fécondité des femmes francophones atteignait 5,9 enfants par femme tandis que celle des anglophones était d'environ 4,3 enfants par femme (Lepage et coll., 2011). Au cours des décennies suivantes, la fécondité des francophones a considérablement diminué de sorte que depuis les années 1980, les francophones affichent une fécondité inférieure à celle des anglophones (Lepage et coll., 2011). La fécondité des femmes francophones était de 1,5 enfant par femme entre 2006 et 2011, comparativement à 1,7 enfant par femme chez les anglophones.
En second lieu, le français, comme langue maternelle, n'est pas toujours transmis aux enfants. Si le français est pratiquement toujours transmis lorsque les deux parents sont francophones, cette proportion diminue considérablement si l'un des deux parents n'a pas le français comme langue maternelle. En 2011, 32 % des enfants dont l'un des parents est de langue maternelle française et l'autre de langue maternelle anglaise s'étaient vu transmettre le français comme langue maternelleNote 25. Or, l'exogamie des couples francophones est un phénomène de plus en plus commun au Nouveau-Brunswick. En 1971, un peu plus de 15 % des enfants dont au moins un parent est francophone vivaient dans une famille formée d'un couple exogame, comparativement à 33 % en 2011. Ces deux éléments exercent donc une certaine incidence sur la transmission du français des parents aux enfants et, du même coup, sur le rythme du vieillissement démographique de la population francophone.
Les conséquences du vieillissement démographique sur le développement économique et social du Canada sont nombreuses. L'augmentation des départs à la retraite qui se produira vraisemblablement au cours des prochaines années pose par exemple plusieurs défis non seulement en matière de renouvellement des effectifs de la population active, mais aussi à l'égard de la sécurité financière des retraités – et par le fait même des caisses de retraite - et pour la gestion du système de santé. Or, en raison des dynamiques démographiques récentes, la population francophone du Nouveau-Brunswick continuera vraisemblablement de vieillir plus rapidement que la population anglophone et celle de l'ensemble du Canada.
2.1.1 Vieillissement et littératie
L'âge est un important corrélat des compétences en littératie. Les niveaux de compétence tendent à atteindre leur apogée aux alentours de trente ans et diminuent graduellement par la suite (Statistique Canada, 2013). En plus des effets biologiques du vieillissement, qui ne peuvent pas être négligés, d'autres facteurs entrent également en jeu pour expliquer cette décroissance. En vieillissant, les individus « s'éloignent » du moment de leur scolarisation initiale et dépendent de plus en plus de l'utilisation de leurs compétences afin de les préserver au fil du temps. C'est pourquoi la pratique régulière d'activités liées à l'écrit gagne en importance en vieillissant.
Les données du PEICA (tableau 2.2) révèlent que le niveau de compétence des francophones du Nouveau-Brunswick culmine à un peu moins de 280 chez les gens âgés de 25 à 34 ans. Dans les autres groupes d'âge, ces compétences s'érodent graduellement pour atteindre près de 240 chez les personnes âgées de 55 à 65 ans, soit une différence statistiquement significative d'environ 40 points. De plus, près de 3 francophones âgés de 55 à 65 ans sur 4 ont obtenu un score correspondant aux niveaux inférieurs de l'échelle du PEICA. Les francophones de ce groupe d'âge ont également obtenu un score moyen inférieur à celui de leurs homologues anglophones par plus de 25 points.
Si ces écarts témoignent des niveaux de scolarisation considérablement plus faibles des générations plus âgées de francophones qui découlent du contexte social, politique et historique dans lequel ont évolué ces générations, l'âge demeure tout de même corrélé au niveau de compétence malgré la prise en compte du niveau de scolarité. Fait notable, malgré la hausse des niveaux de scolarisation, près des deux tiers des francophones âgés de 16 à 24 ans se situent dans les échelons inférieurs de l'échelle de littératie, comparativement à 57,8 % pour les anglophones du même groupe d'âge. Ces francophones ont obtenu un score inférieur de plus de 15 points à celui de l'ensemble des Canadiens de ce groupe d'âge, ce qui laisse croire que ces générations plus jeunes pourraient continuer d'éprouver des difficultés importantes en littératie durant leur vie.
Le vieillissement de la population est donc plus important chez les francophones du Nouveau-Brunswick que pour la population anglophone de la province et l'ensemble de la population canadienne. Ce vieillissement plus marqué se reflète dans l'évaluation des compétences en littératie dans la mesure où il y a effectivement un lien entre l'âge et le niveau de compétence en littératie. Au-delà de la fécondité et de la transmission du français aux enfants, les migrations et l'immigration sont deux facteurs qui peuvent atténuer ou exacerber le vieillissement de la population, et qui ont également une influence sur les compétences en littératie. Les sections suivantes rendent compte de la façon dont ces facteurs agissent sur la population francophone du Nouveau-Brunswick et sur le niveau de littératie moyen de ses membres.
2.2 Migrations interprovinciales
Parallèlement au vieillissement démographique, les dynamiques migratoires posent plusieurs défis pour l'épanouissement des communautés francophones du Nouveau-Brunswick. Plusieurs études ont montré les difficultés qu'ont certaines communautés francophones du Nouveau-Brunswick à attirer et retenir des immigrants et des migrants interprovinciaux depuis plusieurs décennies (Lepage et coll., 2011; Pépin-Filion et coll., 2015). Le clivage qui sépare le Nouveau-Brunswick et le Canada au sujet de la croissance démographique résulte en partie de la persistance des dynamiques migratoires particulièrement défavorables à cette province. Entre 1973-1974 et 2013-2014, le Nouveau-Brunswick a perdu plus de 32 000 personnes dans ses échanges avec le reste du Canada. Un tel niveau de pertes migratoires est clairement susceptible d'avoir un effet sur les enjeux sociaux et économiques actuels et futurs de la province, d'autant plus que les migrants interprovinciaux tendent à être de jeunes adultes très scolarisés.
La communauté francophone du Nouveau-Brunswick s'est néanmoins enrichie au fil du temps grâce à l'apport de francophones issus du reste du pays et du monde qui se sont installés dans cette province. Cet apport sera d'autant plus important à l'avenir, car, en raison d'une fécondité sous le seuil de renouvellement des générations depuis plusieurs années, la croissance démographique de la population francophone reposera principalement sur les mouvements migratoiresNote 26.
Les migrations sont des phénomènes très complexes qui résultent de dynamiques démographiques, sociales et économiques qui sont inextricablement liées. Le graphique 2.2 illustre l'effet des dynamiques migratoires sur les effectifs des groupes linguistiques à l'étude en 2011. Ces données témoignent clairement de mouvements migratoires défavorables aux francophones du Nouveau-Brunswick qui sont le fait de pertes migratoires interprovinciales qui ne sont que très partiellement compensées par un niveau relativement faible d'entrées internationales.
Pour chaque tranche de 100 francophones résidants au Nouveau-Brunswick en 2011, la province a perdu 17 personnes au profit des autres provinces. Ces pertes nettes n'ont été compensées que par l'arrivée de 2 francophones par les voies de l'immigration ou de la résidence temporaire ce qui équivaut à un effet total de -15 %. En guise de comparaison, si les anglophones du Nouveau-Brunswick ont également subi d'importantes pertes migratoires au profit du reste du pays, celles-ci ont été davantage mitigées par un apport accru venant de la migration internationale. Les dynamiques migratoires de la population francophone du Nouveau-Brunswick sont aussi plus désavantageuses que celles des autres groupes francophones présentés dans notre étude, qui profitent notamment tous d'une contribution beaucoup plus grande de la migration internationale.
Trois phénomènes caractérisent les dynamiques de migration interprovinciale des francophones du Nouveau-Brunswick : l'ampleur des pertes chez les jeunes adultes, l'importance de la migration de retour et les bilans différentiels selon les régions de la province. Attardons-nous tout d'abord sur les deux premiersNote 27.
Entre 1981 et 2011, la population francophone du Nouveau-Brunswick a cumulé des pertes nettes de plus de 5 000 personnes. Plus récemment, entre 2001 et 2011, les communautés francophones du Nouveau-Brunswick ont perdu plus de 1 000 francophones au profit du reste du pays (graphique 2.3). La période allant de 2006 à 2011 a été marquée par un certain redressement de la situation au cours duquel les francophones ont enregistré un solde positif d'environ 850 personnes. Il s'agit du premier lustre censitaire au cours duquel les francophones ont réalisé des gains nets dans leurs échanges migratoires avec le reste du pays depuis le lustre de 1981-1986. La situation des francophones à ce chapitre diffère d'ailleurs de celle des anglophones puisque ces derniers ont cumulé des pertes de migration interprovinciale de près de 1 000 personnes au cours de la période 2006-2011. Cependant, les estimations démographiques de Statistique Canada indiquent que les pertes migratoires interprovinciales du Nouveau-Brunswick se seraient accentuées depuis 2011 si bien qu'il sera intéressant de voir dans quelle mesure cette augmentation a affecté le bilan migratoire des francophones.
Le bilan migratoire de la population francophone du Nouveau-Brunswick est surtout le fait des comportements migratoires des jeunes adultes. Entre 2001 et 2011, alors que le Nouveau-Brunswick a perdu environ 1 200 francophones au profit du reste du pays, les pertes migratoires chez les francophones âgés de 20 à 29 ans se chiffraient à plus de 2 500. Comme le tiers des migrants interprovinciaux de ce groupe d'âge détiennent au moins un baccalauréat, le solde négatif de la population francophone du Nouveau-Brunswick entre 2001 et 2011 s'est traduit par des pertes nettes de plus de 800 jeunes francophones très scolarisésNote 28. Fait notable, les anglophones du Nouveau-Brunswick ont aussi subi des pertes de migration interprovinciales entre 2001 et 2011. Ces pertes ont surtout été réalisées au profit de l'Alberta alors que du côté des francophones, le Québec a été le principal bénéficiaire des pertes du Nouveau-Brunswick.
Ces données révèlent aussi une double dynamique où une partie des départs vers le reste du pays est le fait d'étudiants qui vont poursuivre des études universitaires à l'extérieur de la province tandis qu'une autre part relève de jeunes travailleurs très scolarisés qui ont trouvé un emploi ailleurs au Canada. En 2011, près des deux tiers des francophones âgés de 30 à 39 ans qui sont nés au Nouveau-Brunswick et qui résidaient ailleurs au pays avaient obtenu leur plus haut diplôme postsecondaire à l'extérieur du Nouveau-Brunswick. D'un autre côté, Calhoun (2013) a montré qu'environ 40 % des diplômés universitaires du Nouveau-Brunswick, tous groupes linguistiques confondus, ont quitté la province dans les deux années qui ont suivi l'obtention de leur diplôme. Cette proportion est de 23,6 % pour les diplômés originaires du Nouveau-Brunswick et atteint presque 80 % chez les migrants internationaux. Ceci témoigne de l'ampleur du défi que constitue la rétention des étudiants et des diplômés universitaires récents au Nouveau-Brunswick.
Un corolaire des pertes migratoires appréciables observées chez les francophones âgés de 20 à 29 ans est que si l'on fait abstraction de ce groupe d'âge, la population francophone du Nouveau-Brunswick a présenté un solde de migration interprovinciale positif de presque 1 400 personnes entre 2001 et 2011. Ces gains témoignent en bonne partie de l'ampleur de la migration de retour. Au cours de cette période, un peu plus de la moitié des francophones ayant migré au Nouveau-Brunswick depuis le reste du pays étaient nés dans cette province. Cette proportion atteignait son apogée à plus de 60 % chez les entrants plus âgés, c'est-à-dire ceux âgés de 55 à 74 ans.
Cette tendance, qui n'est pas récente, permet notamment d'atténuer les pertes migratoires des provinces déficitaires (Hou et Beaujot, 1995). Les migrants de retour francophones se caractérisent notamment par une structure par âge un peu plus vieille et des niveaux de scolarisation moindres. Ainsi, entre 2006 et 2011, alors que le tiers des entrants interprovinciaux au Nouveau-Brunswick qui étaient nés dans le reste du pays détenaient au moins un baccalauréat, c'était le cas de moins de 20 % de ceux qui retournaient dans leur province de naissance. En outre, le Nord tend à se démarquer des autres régions de la province par l'importance de ce phénomène alors que plus de 6 entrants interprovinciaux sur 10 étaient des migrants de retour.
Ces différences font en sorte que les migrants de retour ne contribuent pas de la même façon au développement social et économique des communautés francophones du Nouveau-Brunswick. Bien que plusieurs migrants de retour reviennent dans leur province natale pour prendre leur retraite, les travailleurs emportent un bagage d'expériences professionnelles acquises au fil du temps ou de compétences obtenues dans une institution scolaire susceptibles de contribuer à l'épanouissement et à la vitalité des communautés francophones du Nouveau-Brunswick.
Fait notable, la migration de retour est beaucoup plus fréquente chez les francophones du Nouveau-Brunswick que chez les anglophones de cette province, où elle est le fait du tiers des entrants interprovinciauxNote 29. En plus de contribuer à mitiger les pertes migratoires de la population francophone, l'ampleur de la migration de retour pourrait témoigner non seulement d'un sentiment d'appartenance plus grand de la part des francophones envers leur province de naissance, mais aussi des difficultés majeures de la province à attirer des francophones nés dans le reste du pays.
Autre conséquence des dynamiques migratoires des francophones du Nouveau-Brunswick, la part que représentent les personnes nées à l'extérieur de la province est relativement faible dans la population francophone du Nouveau-Brunswick. En effet, en 2011, près de 9 francophones sur 10 étaient nés au Nouveau-Brunswick, comparativement à un peu moins de 8 anglophones sur 10. Les francophones du Nouveau-Brunswick se distinguent également de leurs homologues des autres provinces et territoires à l'extérieur du Québec. À titre d'exemple, 4 Franco-Ontariens sur 10 étaient nés à l'extérieur de l'Ontario, soit une proportion presque quatre fois plus élevée de francophones nés à l'extérieur de la province qu'au Nouveau-Brunswick. En Colombie-Britannique et dans les territoires, à l'inverse du Nouveau-Brunswick, ce sont près de 9 francophones sur 10 qui sont nés à l'extérieur de la province ou du territoire.
En détaillant le lieu de naissance, on constate que 6,5 % des francophones résidant au Nouveau-Brunswick en 2011 sont nés au Québec, 2,8 % sont nés dans le reste du Canada et 1,7 % sont nés dans le reste du monde. Cette répartition selon le lieu de naissance diffère sensiblement de celle des anglophones : 18,3 % des effectifs totaux d'anglophones provenaient du reste du pays comparativement à 9,3 % pour les francophones. De même, les personnes nées à l'étranger constituaient aussi une part beaucoup plus importante de la population anglophone (5,7 %).
2.2.1 Effet à long terme de la migration interprovinciale
Sur une période de temps relativement courte tel un lustre censitaire, les migrants interprovinciaux constituent une faible part de l'ensemble de l'effectif d'une population. Par contre, sur le long terme, ils peuvent former un effectif appréciable qui peut non seulement témoigner des écarts socioéconomiques entre les différentes régions du pays, mais aussi les exacerber. En conséquence, à long terme, la migration interprovinciale peut exercer une influence considérable sur le développement des communautés.
Il est possible d'obtenir une résultante des dynamiques migratoires interprovinciales à long terme sur la composition sociodémographique des communautés francophones du Nouveau-Brunswick en comparant la province ou le territoire de résidence en 2011 à la province ou au territoire de naissance. Cet indicateur, qui sera appelé ici « migration interprovinciale cumulative », représente donc la totalité des migrations effectuées par les francophones depuis leur naissance jusqu'en 2011Note 30. Le tableau 2.3 compare les effectifs de la migration cumulative chez les francophones selon quelques caractéristiques sociodémographiquesNote 31.
Les données de ce tableau témoignent non seulement de l'ampleur des pertes migratoires interprovinciales de la population francophone, mais aussi des divergences parfois profondes entre les caractéristiques des entrants et des sortants.
Un peu plus de 60 000 francophones nés au Nouveau-Brunswick demeuraient ailleurs au pays en 2011 tandis que près de 21 000 francophones nés dans le reste du Canada s'étaient établis au Nouveau-Brunswick, ce qui entraine un solde négatif d'environ 39 000 personnes. Ces pertes représentent un effectif appréciable qui correspond environ à 17 % des 235 000 francophones demeurant au Nouveau-Brunswick en 2011. Ce niveau de pertes cumulatives est supérieur à celui des anglophones de cette province (13 %), en bonne partie en raison de la capacité accrue de la communauté anglophone à attirer des migrants nés ailleurs au pays. Les entrants interprovinciaux (cumulés) représentent effectivement 18,3 % de la population anglophone du Nouveau-Brunswick en 2011 comparativement à un peu moins de 10 % pour les francophones (graphique 2.2).
Comme les deux groupes de migrants (entrants et sortants) sont beaucoup plus scolarisés que l'ensemble de la population francophone du Nouveau-Brunswick, ces données font également état d'une dynamique migratoire qui contribue à diminuer les niveaux de scolarisation de la population francophone du Nouveau-Brunswick. En effet, au fil du temps, le Nouveau-Brunswick a enregistré des pertes nettes de plus de 6 000 francophones qui détenaient au moins un baccalauréat et de plus de 12 000 francophones dont le plus haut diplôme obtenu est un diplôme postsecondaire inférieur au baccalauréat. Si le Nouveau-Brunswick n'avait pas subi de telles pertes au fil des années, l'effectif de francophones détenant au moins un baccalauréat serait plus élevé de 23,4 % tandis que celui dont le plus haut diplôme est un diplôme postsecondaire inférieur au baccalauréat serait plus grand de 20,6 %.
L'effet des pertes migratoires cumulatives est un peu plus marqué chez les jeunes adultes. Sans ces pertes migratoires, les effectifs de francophones âgés de 25 à 34 ans qui détiennent au moins un baccalauréat seraient plus élevés de 24,7 %, ce qui hausserait la proportion de francophones de ce niveau de scolarité âgés de 25 à 34 ans d'un point de pourcentage. Notons que près des deux tiers des sortants cumulés francophones ont obtenu leur plus haut diplôme dans un établissement d'enseignement postsecondaire à l'extérieur du Nouveau-Brunswick. Ce résultat donne à penser que des effectifs importants de francophones pourraient quitter le Nouveau-Brunswick pour poursuivre des études postsecondaires ailleurs au Canada, en particulier au Québec. Comme nous le verrons plus loin, un tel niveau de pertes migratoires est susceptible d'exercer une certaine influence sur les niveaux de compétence de la population francophone.
La distribution géographique des entrants cumulés diffère de celle de la totalité de la population francophone du Nouveau-Brunswick. Bien que le Nord soit la région de résidence de plus de la moitié des francophones non migrants, 46,9 % des entrants interprovinciaux cumulés y résidaient en 2011 (tableau 2.3). Bien que ce résultat témoigne de l'attrait des communautés francophones de la province auprès des migrants francophones, il reflète aussi dans une certaine mesure l'attrait moindre du Nord aux yeux des francophones du reste du pays. En outre, les entrants qui résident au Nord tendent à être un peu plus âgés et moins scolarisés que ceux des autres régions de la province.
2.3 Disparités régionales et migration intraprovinciale
Les communautés rurales sont particulièrement touchées par le départ de plusieurs jeunes adultes vers les centres urbains du Sud, Moncton en particulier. Ainsi, plusieurs de ces communautés vivent non seulement un vieillissement démographique plus marqué, mais aussi une stagnation des effectifs de la population, voire un déclin. En revanche, si les communautés francophones plus urbaines sont moins touchées par la diminution de leurs effectifs, elles doivent faire face aux enjeux culturels et linguistiques associés à la vie dans des communautés majoritairement anglophones.
En raison du contexte historique dans lequel a évolué le Nouveau-Brunswick et des nouvelles réalités démographiques, la répartition géographiqueNote 32 de la population francophone diffère beaucoup de celle de la population anglophone. En effet, alors que le Nord abrite plus de la moitié de la population francophone de la province, moins d'un anglophone sur dix y demeure (tableau 2.4). À l'inverse, trois anglophones sur quatre habitent ailleurs que dans le Nord ou dans le Sud-Est alors que ce n'est le cas que pour un peu plus de 10 % des francophones. Le tableau qui suit met en lumière ces différences régionales.
Une des conséquences de la répartition géographique différentielle des deux groupes linguistiques est que les francophones du Nouveau-Brunswick vivent dans des milieux hétérogènes du point de vue de la composition linguistique de la population. Effectivement, alors que près de 80 % de la population du Nord était francophone en 2011, leur proportion était légèrement inférieure à 50 % dans le Sud-Est, et moins de 10 % de la population du « reste du Nouveau-Brunswick » avait le français comme première langue officielle parlée.
Les communautés francophones du Nouveau-Brunswick se caractérisent également par de profondes différences à l'égard de leur situation démographique. Ce clivage résulte des dynamiques démographiques différentielles, essentiellement au chapitre des migrations, qui peuvent être liées de différentes façons au dynamisme économique et social de chaque régionNote 33. Le tableau 2.5 présente certains indicateurs démographiques pour chacune des trois régions de la province.
Entre 2001 et 2011, l'évolution démographique de la population francophone a été très différente d'une région à l'autre. Alors que les communautés francophones du Nord ont vu leurs effectifs décliner de 6,8 %, celles du Sud-Est ont connu une croissance de plus de 9,0 %.
De plus, la population du Nord était un peu plus âgée que celle du Sud-Est et du reste de la province : la proportion de personnes âgées de 65 ans ou plus était légèrement supérieure dans le Nord de la province (18,3 %) que dans les autres régions (17,8 % dans le Sud-Est et 17,3 % dans le reste de la province). Les personnes âgées de 50 à 64 ans étaient également proportionnellement plus nombreuses dans la région du Nord (27,6 %, comparativement à 26,4 % dans le Sud-Est et 24,2 % dans le reste de la province). Cela permet de croire que le vieillissement de la population du Nord puisse être plus rapide que dans les autres régions au cours des prochaines années, ce qui pourrait exacerber les différences régionales en matière de structure par âge.
Conséquence des différences régionales dans la composition sociodémographique de la population, les francophones qui demeurent dans le Nord de la province ont beaucoup moins bien performé au test de littératie du PEICA que ceux qui résident dans le Sud-Est (252 contre 265) (tableau 2.6). Nous avons déjà souligné les importantes différences en matière de scolarisation et de structure par âge entre la population francophone du Nord, plus vieille et beaucoup moins scolarisée, et celle du Sud-Est. Par contre, les différences dans les caractéristiques sociodémographiques et les comportements à l'égard de l'écrit n'expliquent pas la totalité des écarts observés entre les groupes francophones du Nord et du Sud-Est. Même en tenant compte de ces effets, les francophones du Nord obtiennent quand même un score moyen inférieur de 8 points à ceux du Sud-Est.
Ce constat laisse à penser que d'autres mécanismes pourraient être à l'œuvre pour expliquer ces écarts. Les francophones du Nord du Nouveau-Brunswick demeurent souvent dans des milieux ruraux et ont donc un accès beaucoup plus restreint à des activités et des infrastructures qui pourraient contribuer à l'adoption de pratiques pouvant favoriser le maintien des compétences. À ce sujet, Corbeil (2006) a montré que le milieu de résidence explique en partie les écarts observés en matière de fréquentation d'une bibliothèque entre les francophones du Nouveau-Brunswick et leurs homologues des autres provinces.
2.3.1 Migrations intraprovinciales
Il existe d'importantes disparités régionales entre les différentes communautés francophones du Nouveau-Brunswick au chapitre de la migration intraprovinciale. Entre 2001 et 2011, alors que la région du Sud-Est a réalisé des gains nets supérieurs à 3 100 francophones, le Nord a perdu un effectif similaire de francophones, essentiellement au profit du Sud-Est. Au cours de la même période, le reste du Nouveau-Brunswick a obtenu un solde de -150 en raison de pertes par rapport au Sud-Est qui ont presque toutes été compensées par des gains au détriment du Nord. Le tableau 2.7 présente les soldes de migration intraprovinciale des trois régions de la province pour quelques caractéristiques sociodémographiques.
À l'instar des migrants interprovinciaux, les migrants intraprovinciaux francophones sont aussi proportionnellement plus nombreux à détenir un grade universitaire que les non-migrants (Forgues et coll., 2009). En conséquence, la migration intraprovinciale peut aussi influer sur les niveaux de compétence de la population et contribuer à exacerber les disparités régionales en matière de développement économique et social.
L'examen des soldes de migration intraprovinciale de la période 2001-2011 selon le groupe d'âge révèle que les profondes disparités notées précédemment tirent surtout leur source de la migration des jeunes adultes. Effectivement, les soldes des migrants âgés de 15 à 24 ans expliquent presque la totalité des pertes migratoires intraprovinciales du Nord et des gains du Sud-Est. Si l'on exclut ce groupe d'âge, le solde de migration intraprovinciale du Nord passe de −2 980 à −1 150 tandis que celui du Sud-Est chute de 3 130 à 1 315.
En plus de la recherche d'emploi, la poursuite d'études postsecondaires est fort probablement l'une des principales motivations des migrants de ce groupe d'âge. Plus de la moitié des entrants au Sud-Est âgés de 15 à 24 ans avaient fréquenté un établissement d'éducation postsecondaire, généralement une université, dans les neuf mois qui précèdent l'ENM. Comme l'Université de Moncton est la seule université francophone de la province, il n'est pas surprenant, malgré la présence de campus ailleurs dans la province, que la région du Sud-Est soit la principale bénéficiaire des échanges migratoires intraprovinciaux pour les personnes de 15 à 24 ans. Les données des groupes d'âge suivants semblent toutefois indiquer que le Nord ne parvient pas à « récupérer » la majorité de ces migrants, si bien que le Sud-Est est susceptible de profiter davantage de cette main-d'œuvre francophone jeune et très scolarisée.
Quelles sont les conséquences probables de la migration intraprovinciale sur les niveaux de compétence en littératie? Le tableau 2.8 rend compte des niveaux estimés de compétence en littératie des francophones selon la région et leur statut de migrant intraprovincial.
À l'instar de ce qui a été observé dans la section précédente, les migrants intraprovinciaux semblent avoir un niveau de compétence en littératie très supérieur à celui des non-migrants. Encore une fois, ceci s'explique surtout par les caractéristiques des migrants, qui sont plus jeunes et plus scolarisés que les non-migrants, deux facteurs étroitement associés aux compétences en littératie.
La situation du Nord retient l'attention puisque les dynamiques démographiques particulièrement défavorables à cette région contribuaient à diminuer les niveaux de compétence de l'ensemble de la population francophone, alors qu'elles tendent à favoriser celle des autres régions de la province, en particulier le Sud-Est. Fait notable, les entrants du Nord affichent un score estimé de littératie supérieur à celui des sortants alors que le Sud-Est présente la situation inverse. Ces résultats témoigneraient de l'effet des migrations motivées par la poursuite des études postsecondaires et des migrations de retour qui s'en suivent. Une part importante des sortants du Nord se dirigent fort probablement vers Moncton pour poursuivre leurs études universitaires, ce qui leur permet de continuer à développer leurs compétences en littératie. Par la suite, certains diplômés retournent dans le Nord avec leurs nouvelles compétences acquises durant leurs études. Cependant, comme cette migration de retour ne concerne qu'une partie des migrants qui ont déménagé dans le Sud-Est, la migration intraprovinciale tendrait quand même à influer négativement sur les niveaux de compétence en littératie des francophones du Nord.
2.3.2 L'effet cumulé des migrations
Les dynamiques de la migration intraprovinciale s'ajoutent à celles de la migration interprovinciale, qui diffèrent sensiblement d'une région à l'autre pour les francophones du Nouveau-Brunswick. Entre 2001 et 2011, le Nord de la province accuse des pertes de plus de 1 500 francophones tandis que le Sud-Est a réalisé des gains de près de 375 francophones via les migrations interprovinciales (tableau 2.9). Clairement, le bilan négatif de la population francophone du Nouveau-Brunswick en matière de migration interprovinciale est essentiellement le fait de la situation du Nord de la province, ce qui illustre les difficultés particulières de cette région à retenir ses effectifs de francophones et à attirer des francophones du reste du pays. Nous verrons d'ailleurs un peu plus loin que cette région fait face à des obstacles similaires au niveau de l'immigration.
2.4 Migration internationale
Comme en fait état le Plan d'action pour favoriser l'immigration francophone au Nouveau-Brunswick, la migration internationale est au cœur des défis démographiques auxquels font face les communautés francophones du Nouveau-Brunswick. En effet, l'immigration est désormais perçue comme une mesure incontournable qui permet de dynamiser les communautés et de freiner la baisse du poids démographique des francophones. Or, malgré une diversification de la répartition provinciale des nouveaux immigrants depuis le début des années 2000 (Bonikowska et coll., 2015), les communautés francophones de cette province éprouvent toujours de nombreuses difficultés à attirer et à retenir des immigrants. Entre 2004 et 2013, non seulement le Nouveau-Brunswick a-t-il accueilli proportionnellement moins d'immigrants que le reste du paysNote 34, mais seulement près de 12 % des immigrants qui se sont établis dans cette province connaissaient le français à leur arrivée au pays (Citoyenneté et Immigration Canada, 2014).
Le Nouveau-Brunswick peine aussi à attirer des résidents non permanentsNote 35 francophones. En 2014, le Nouveau-Brunswick était la province de résidence de moins de 1 % des résidents non permanents au paysNote 36. Aussi, moins de 15 % des résidents non permanents dénombrés au Nouveau-Brunswick à l'ENM avaient le français comme première langue officielle parlée, ce qui est encore une fois nettement inférieur au poids démographique de la population francophone de cette province. Le tableau 2.10 témoigne de la représentation relativement faible de la migration internationale au sein des effectifs francophones du Nouveau-Brunswick.
En 2011, les immigrants constituaient 1,4 % de la population francophone du Nouveau-Brunswick, ce qui représente environ 3 100 personnes dont la première parlée est le françaisNote 37. Cette proportion était trois fois plus faible que celle des immigrants au sein de la population anglophone du Nouveau-Brunswick. Elle est aussi très inférieure à la proportion d'immigrants au sein des trois autres groupes francophones observés et à celle de l'ensemble des Canadiens. L'immigration francophone au Nouveau-Brunswick se caractérise notamment par la combinaison d'importantes vagues anciennes arrivées dans les années 1970 et majoritairement en provenance des États-Unis à des vagues plus récentes et d'origines plus diversifiées. Environ 45 % des francophones nés à l'extérieur du pays provenaient des États-Unis. De plus, 1 francophone sur 5 qui provenait de l'étranger était né en France (9,9 %), à Haïti (5,7 %) ou au Maroc (3,4 %).
Du côté des résidents non permanents, un peu plus de 400 résidents non permanents francophones résidaient au Nouveau-Brunswick en 2011. Ces personnes représentaient 0,2 % de l'ensemble de la population francophone de cette province, soit une proportion encore une fois beaucoup plus faible que celle des autres groupes linguistiques de l'étude. En conséquence, la population francophone du Nouveau-Brunswick était pratiquement composée en totalité de francophones nés au pays, ce qui contraste clairement avec la population des autres groupes.
Toutefois, même si l'apport de la migration internationale aux effectifs francophones du Nouveau-Brunswick demeure relativement faible, il est en hausse par rapport à la situation qui prévalait au début du siècle. En effet, en 2001, le Nouveau-Brunswick était la province de résidence d'environ 2 500 immigrants et 300 résidents non permanents dont le français était la première langue officielle parlée, ce qui représentait respectivement 1,1 % et 0,1 % de la francophonie néo-brunswickoise. Le tableau 2.11 montre la répartition des francophones selon leur statut d'immigrant et leurs caractéristiques sociographiques.
La répartition géographique des immigrants et des résidents non permanents diffère de celle du reste de la population francophone, ce qui témoigne encore une fois de l'important clivage qui sépare le Nord de la région de Moncton. Effectivement, alors que le Nord abrite plus de la moitié de la population francophone du Nouveau-Brunswick, seuls 35,4 % des immigrants et 28,4 % des résidents non permanents francophones y demeurent. À l'inverse, la région du Sud-Est est la région qui bénéficie le plus de l'apport de la migration internationale puisque bien que cette région constitue le tiers de la francophonie néo-brunswickoise, elle est le lieu de résidence de près d'un immigrant francophone sur deux et d'environ 60 % des résidents non permanents. L'attraction exercée par la région du Sud-Est sur les immigrants francophones est encore plus importante chez les immigrants récents, c'est-à-dire ceux arrivés au pays entre 2000 et 2011, puisque près des deux tiers d'entre eux se sont établis dans cette région.
La population immigrante possède également une structure par âge plus jeune que celle de la population non immigrante, particulièrement pour les immigrants arrivés au pays à partir de 2000. Près de 90 % des immigrants récents sont âgés de moins de 45 ans comparativement à un peu moins de la moitié de la population francophone non immigrante. De plus, près de 3 résidents non permanents sur 4 sont âgés de 15 à 44 ans, ce qui témoigne de l'importance des étudiants étrangers au sein de cette population. D'ailleurs, un peu plus de 45 % des résidents non permanents âgés de 15 ans ou plus avaient fréquenté l'école dans les mois qui ont précédé l'ENM.
Les immigrants et les résidents non permanents se distinguent aussi des non-immigrants par leurs niveaux de scolarisation. Effectivement, plus du tiers des immigrants francophones du Nouveau-Brunswick âgés de 25 ans ou plus et près de 30 % des résidents non permanents détiennent au moins un baccalauréat comparativement à 14,7 % pour les non-immigrants. Le contraste avec la population non immigrante est encore plus important chez les immigrants récents où plus de 45 % d'entre eux détiennent au moins un baccalauréat. À l'inverse, les immigrants et les résidents non permanents sont proportionnellement beaucoup moins nombreux que les non-immigrants à ne pas avoir terminé leurs études secondaires (12,7 % et 18,7 % comparativement à 31,5 %).
Non seulement les immigrants sont nettement plus scolarisés que les non-immigrants, mais chez ceux qui détiennent au moins un baccalauréat, leurs domaines d'études diffèrent de ceux des non immigrants. Les immigrants qui détiennent au moins un baccalauréat sont effectivement moins susceptibles d'avoir étudié en éducation (15,5 % contre 25,5 %) ou en santé (14,7 % contre 19,1 %) et plus susceptibles d'avoir obtenu un diplôme en sciences humaines (12,8 % contre 6,6 %) ou en architecture et en génie (9,9 % contre 5,1 %).
Un peu plus de la moitié des immigrants francophones du Nouveau-Brunswick qui détiennent un diplôme postsecondaire l'ont obtenu au Nouveau-Brunswick. Cette proportion est nettement plus élevée que ce qu'on observe notamment chez les immigrants anglophones au Nouveau-Brunswick (33,4 %), ainsi que chez les immigrants franco-ontariens (38,1 % d'entre eux ont obtenu leur diplôme en Ontario). Bien que ce résultat s'explique en partie par l'influence des vagues d'immigration plus anciennes, plus du tiers des immigrants arrivés entre 2001 et 2011 et qui possèdent au moins un baccalauréat ont obtenu leur grade le plus élevé au Nouveau-Brunswick. Encore une fois, cette proportion surpasse largement celles des immigrants anglophones du Nouveau-Brunswick et des immigrants franco-ontariens. Ce résultat suggère donc que les établissements d'enseignement postsecondaire seraient susceptibles de jouer un rôle majeur dans l'attraction et la rétention des immigrants et des résidents non permanents francophones.
Au-delà de l'attraction des immigrants, les communautés francophones du Nouveau-Brunswick font aussi face à des défis majeurs en ce qui a trait à la rétention des immigrants. Diverses études font effectivement état des taux de rétention plus faibles de cette province (Houle, 2007; Okonny-Myers, 2010). Le couplage des données de l'ENM et du fichier d'établissement des immigrants de Citoyenneté et Immigration Canada (CIC)Note 38 permet d'abonder en ce sens. Le tableau 2.12 rend compte de la faiblesse relative des taux de rétention du Nouveau-Brunswick à l'égard des immigrants francophones qui ont été admis entre 2000 et 2011.
Les données de ce tableau indiquent que la moitié des immigrants francophones qui ont été admis au Nouveau-Brunswick entre 2000 et 2011 et qui résidaient toujours au Canada en 2011 avaient quitté cette province, majoritairement pour aller vivre au Québec. Ce niveau de rétention est considérablement plus faible que celui des immigrants anglophones (66,7 %), de même que celui des immigrants francophones admis en Ontario (70,4 %), au Québec (96,6 %) et au Manitoba (76,0 %). Par ailleurs, si nous ne considérons que les immigrants francophones arrivés entre 2000 et 2006 et qui étaient encore au pays en 2011, le taux de rétention du Nouveau-Brunswick diminue à 35,6 %.
Alors que les taux fluctuent modérément en fonction de l'âge et du niveau de scolarité des immigrants, ils varient considérablement en fonction du pays d'origine et de la catégorie d'immigration. Si un peu moins de 45 % des immigrants dont le français est la première langue officielle parlée qui proviennent d'Afrique ou du Moyen-Orient résidaient encore au Nouveau-Brunswick, c'était le cas de près de 3 immigrants sur 4 en provenance d'Europe.
De même, les immigrants admis dans les catégories associées au regroupement familial sont beaucoup plus susceptibles de toujours se trouver au Nouveau-Brunswick que ceux des autres catégories. Près des trois quarts des immigrants de ces catégories habitaient toujours cette province en 2011 comparativement à moins de la moitié des immigrants économiques et des réfugiés. Les différences dans les taux de rétention des immigrants du Nouveau-Brunswick selon le groupe linguistique proviennent d'ailleurs en large part des immigrants économiques. Les taux de rétention des immigrants anglophones (69,6 %) sont beaucoup plus élevés que celui des immigrants francophones (44,4 %) pour cette catégorie.
Puisque les immigrants admis au Nouveau-Brunswick peuvent déménager ailleurs au pays, la situation inverse est également possible. Si nous tenons compte des immigrants admis dans une autre province ou territoire entre 2000 et 2011 et qui résidaient toujours au Canada en 2011, le taux net de rétentionNote 39 du Nouveau-Brunswick grimpe à 72,8 %. Toutefois, cette proportion demeure toujours inférieure à celle des immigrants anglophones de cette province (82,7 %) et de celles des groupes francophones du Québec, de l'Ontario et du Manitoba. Ainsi, bien que l'apport d'un certain nombre d'immigrants admis dans le reste du pays parvienne à atténuer l'effet des pertes migratoires du Nouveau-Brunswick, il n'est pas du tout suffisant pour compenser les départs vers le reste du pays d'une part importante des immigrants francophones admis dans cette province.
Enfin, il importe de souligner que les immigrants, particulièrement les immigrants récemment admis, sont également beaucoup plus susceptibles d'émigrer à l'extérieur du pays (Finnie, 2006). Ces départs viennent donc s'ajouter aux migrations des immigrants vers le reste du pays et doivent donc être considérés dans une perspective plus large de rétention de l'immigration francophone au Nouveau-Brunswick.
Bien que l'immigration soit généralement vue comme un catalyseur susceptible de contribuer à la vitalité des communautés francophones en situation minoritaire, plusieurs études font état des performances plus faibles des immigrants aux tests de compétence (Statistique Canada, 2013; Bélanger et coll., 2013). Cette situation résulterait de certains obstacles auxquels sont confrontés les immigrants en matière de compétences tels que le niveau d'aisance dans la langue des testsNote 40 (Alphabétisation Ontario, 2000) et le pays de scolarisation (McMullen, 2009).
La situation des immigrants de l'AtlantiqueNote 41 est toutefois différente : l'Atlantique est la seule région du pays où les immigrants ont mieux performé que les natifs au test de littératie. Les immigrants de l'Atlantique ont obtenu un score moyen de 280 au test de littératie du PEICA, soit 10 points de plus que les résidents de cette région qui sont nés au pays et près de 24 points de plus que les immigrants du reste du pays. Dans les deux cas, ces résultats s'expliquent en partie par les caractéristiques différentes des immigrants de l'Atlantique à l'égard des niveaux de scolarisation et de la langue maternelle, deux facteurs étroitement associés aux compétences en littératie.
Effectivement, plus de 35 % des immigrants qui demeurent en Atlantique détiennent au moins un baccalauréat comparativement à légèrement moins de 30 % pour les immigrants du reste du Canada et à près de 15 % pour les natifs de l'AtlantiqueNote 42. De même, en Atlantique, un peu plus de 3 immigrants sur 4 ont le français ou l'anglais comme langue maternelle tandis que ce n'est le cas que pour un peu plus de la moitié des immigrants du reste du pays. Ceci découle d'une immigration plus souvent issue des États-Unis ou du Royaume-Uni; ces deux pays étant le lieu de naissance de 40,4 % des immigrants de cette région, comparativement à 11,4 % des immigrants établis dans le reste du pays.
En tenant compte de l'effet des caractéristiques sociodémographiques, les immigrants de l'Atlantique affichent un score moyen de littératie inférieur de près de 9 points à celui des natifs de cette région. Ce résultat permet de croire que les meilleures performances des immigrants résultent surtout d'une composition sociodémographique favorable à des niveaux élevés de compétence. L'examen des scores de littératie selon la période d'arrivée révèle que les performances supérieures des immigrants de l'Atlantique sont surtout le fait des immigrants de longue date (tableau 2.13). Ces immigrants ont obtenu un score de près de 290, soit vingt points de plus que les non-immigrants. De leur côté, les immigrants arrivés entre 2000 et 2012 tendent à avoir moins bien performé; leur score moyen se situant à un peu plus de 270. Ce clivage entre les immigrants de longue date et les immigrants récents suggère que les enjeux auxquels font face ces deux groupes en matière de compétence pourraient être très différents.
En effet, les cohortes plus récentes d'immigrants proviennent d'origines plus diverses, tant pour les immigrants de l'ensemble de l'Atlantique que pour les immigrants francophones du Nouveau-Brunswick. Si les communautés francophones du Nouveau-Brunswick parviennent à attirer et à retenir davantage d'immigrants au cours des prochaines années, ces immigrants pourraient donc démontrer un niveau de compétence en littératie similaire à celui des immigrants récents d'ailleurs au pays. Ainsi, les défis qui se posent aux immigrants récents du Nouveau-Brunswick en matière de compétence sont susceptibles d'être les mêmes que ceux des immigrants récents du reste du pays.
2.5 Conclusion
Un peu moins de 250 000 francophones résidaient au Nouveau-Brunswick en 2011, ce qui constituait approximativement le quart de la francophonie canadienne à l'extérieur du Québec. La population francophone croît à un rythme moins soutenu que celle des anglophones, principalement en raison d'une croissance démographique plus faible et d'une transmission incomplète du français. Ces dynamiques font en sorte, d'une part, que le poids démographique des francophones au sein du Nouveau-Brunswick a quelque peu diminué au cours des dernières décennies, et d'autre part, que la population francophone vieillit plus rapidement que celle des anglophones. De plus, en raison de dynamiques migratoires très différentes, les communautés francophones de la province vivent des réalités démographiques relativement contrastées. Alors que la population du Nord décline et connaît un vieillissement démographique très rapide, les communautés du Sud-Est, beaucoup plus urbaines, ont connu une hausse marquée de leurs effectifs.
Alors que les communautés francophones font face à de nombreux défis en matière de démographie, deux défis retiennent spécialement l'attention : un vieillissement démographique rapide et la faiblesse relative du bilan migratoire. Plusieurs études font d'ailleurs état de cette situation qui constitue un frein majeur au développement des communautés francophones depuis plusieurs décennies (par exemple voir : Pépin-Filion et coll., 2015; Forgues et coll., 2009; Gouvernement du Nouveau-Brunswick, 2014). La proportion relativement faible de francophones parmi les immigrants, nettement inférieure au poids relatif de la population francophone du Nouveau-Brunswick, contribue à accentuer les tendances démographiques défavorables aux francophones.
Les dynamiques démographiques ont une incidence directe sur l'évaluation des compétences en littératie chez les francophones du Nouveau-Brunswick. Les personnes plus scolarisées et qui ont des pratiques liées à l'écrit associées à des niveaux supérieurs de compétence en littératie sont plus susceptibles d'être mobiles. Les tendances migratoires, particulièrement chez les jeunes, exercent une forme de « sélection » où les sorties de personnes qui affichent des scores moyens plus élevés en littératie ne sont pas compensées par les arrivées. Cela affecte particulièrement les francophones de la région du Nord du Nouveau-Brunswick. Cette « sélection » entraine un vieillissement accru de la population, autre facteur associé à de plus faibles compétences en littératie.
En somme, les francophones du Nouveau-Brunswick, et en particulier ceux qui résident dans le Nord de la province, affichent des niveaux de compétence inférieurs en littératie parce qu'ils sont moins scolarisés et qu'ils possèdent moins de capital culturel lié à l'écrit. Il en va ainsi parce que les personnes plus scolarisées et possédant davantage de capital culturel lié à l'écrit, qui affichent généralement des niveaux de compétences supérieurs en littératie, sont plus susceptibles de quitter la province. Dans ce contexte, il reste à comprendre pourquoi ces tendances migratoires et cet effet de « sélection » affectent plus particulièrement la population francophone du Nouveau-Brunswick, ce qui est l'objet du prochain chapitre.
3. Économie et marché du travail au Nouveau-Brunswick : le cercle vertueux de la littératie
Le marché du travail est un lieu privilégié, une fois la scolarité complétée, où mettre à profit ses compétences en littératie. En retour, un environnement professionnel qui fait appel aux compétences en littératie favorise le maintien de ces compétences, voire leur développement. En ce sens, nous avons vu au premier chapitre que la formation, la lecture et l'usage de l'écrit au travail sont associés à de meilleures compétences en littératie. Nous avons également constaté, au premier chapitre, que les écarts entre les francophones et les anglophones du Nouveau-Brunswick en littératie persistent, principalement parce que les francophones sont moins scolarisés et qu'ils possèdent moins de « capital culturel lié à la lecture ».
La faiblesse relative des compétences en littératie peut avoir d'importantes conséquences économiques. Selon l'OCDE (2013) : « une forte proportion d'adultes peu compétents en compréhension de l'écrit et en numératie peut […] entraver la mise en œuvre et la diffusion de nouvelles pratiques organisationnelles et de technologies qui augmentent la productivité ». Ces conséquences peuvent être particulièrement importantes lorsque les conditions économiques sont défavorables, comme c'est le cas au Nouveau-Brunswick depuis quelques années. Selon Beaudin (2014), on y a assisté, particulièrement depuis 2004, à une contraction de la base économique de la province liée aux ressources naturelles, à une baisse importante des emplois dans les secteurs primaires et dans celui de la transformation ainsi que dans le secteur manufacturier. La sévère récession qu'ont connue les États-Unis au début de 2008 a accentué le phénomène.
Il s'en est suivi une adaptation difficile de la base économique des régions dépendantes des ressources naturelles et d'un vieillissement démographique de ces régions, accentué notamment par les migrations vers les grands centres urbains de la province ou vers d'autres régions du pays, de l'Ouest en particulier. Ces migrations ont ainsi accentué le clivage entre les régions économiques centrales et les régions urbaines périphériques et les petits centres de population. Le second chapitre nous a permis de comprendre que ces migrations effectuent un « effet de sélection » qui affecte négativement les niveaux de compétence en littératie observés chez les francophones du Nouveau-Brunswick; d'abord directement, par des soldes migratoires négatifs particulièrement chez les personnes les plus compétentes; indirectement en accentuant le vieillissement de la population. Pourquoi ces dynamiques démographiques affectent-elles particulièrement les francophones du Nouveau-Brunswick?
Le lien entre le marché du travail et les dynamiques démographiques sont largement documentés. La structure particulière du marché du travail explique en partie pourquoi les francophones du Nouveau-Brunswick cumulent ainsi les déficits migratoires dans les franges de populations plus scolarisées et compétentes, et pourquoi le vieillissement de la population y est si prononcé. Le présent chapitre explore les caractéristiques du marché de l'emploi au Nouveau-Brunswick. Dans un premier temps, nous présentons les principales caractéristiques du marché de l'emploi au Nouveau-Brunswick en général, puis pour les francophones en particulier. Nous constaterons l'importance du clivage Nord-Sud dans les dynamiques économiques au Nouveau-Brunswick, et ses effets sur les comparaisons entre les groupes linguistiques. Enfin, nous décrirons, par quelques exemples, les liens qui unissent les compétences, la démographie et le marché du travail.
3.1 Le marché du travail
Les difficultés économiques auxquelles fait face le Nouveau-Brunswick ne résultent pas tant d'une conjoncture défavorable suivant la récession américaine de la fin des années 2000 que d'une tendance lourde qui prévaut depuis plusieurs décennies. En effet, le marché du travail de cette province se caractérise depuis longtemps par un taux de chômage plus élevé, une main-d'œuvre moins scolarisée et un taux d'activité plus bas. En 2014, le taux de chômage du Nouveau-Brunswick était de 9,8 %, soit près de 3 points de pourcentage de plus que celui de l'ensemble du paysNote 43.
L'économie du Nouveau-Brunswick montre également un niveau de productivité beaucoup plus faible que celui de l'ensemble du pays. En 2014, la productivité du travailNote 44 pour l'ensemble de l'économie du Nouveau-Brunswick était de 41,2, ce qui la place sous la moyenne canadienne de 53,0Note 45. Cette productivité plus faible se traduit notamment par des salaires plus bas, et pourrait freiner les investissements dans certains secteurs, en particulier ceux de l'économie du savoir.
Plus récemment, comme elle dépend beaucoup des exportations vers les États-Unis, l'économie du Nouveau-Brunswick a aussi subi les contrecoups de la récession américaine. À titre d'exemple, l'industrie forestière a été profondément touchée par cette récession, de sorte que malgré un récent rebond, les niveaux de production demeurent inférieurs à ceux d'avant la récession (Couture et Macdonald, 2013). Du même coup, les exportations se dirigent de plus en plus vers la Chine (Carrière, 2014), ce qui est susceptible de défavoriser l'industrie forestière du Nouveau-Brunswick dont les accès au marché chinois sont plus difficiles en raison des distances.
En conséquence, on assiste à une accélération de la contraction de la base économique liée aux ressources naturelles et au secteur manufacturier, des secteurs centraux de l'économie de cette province, et à l'émergence de secteurs axés sur l'économie du savoir. Ces secteurs, dits « dynamiques », sont d'autant plus porteurs d'innovation et de progrès économique qu'ils fournissent des services de base à tous les autres secteurs (Baldwin et coll., 1998). Toutefois, pour continuer leur essor, ces secteurs tendent à requérir une main-d'œuvre hautement spécialisée et compétente. Selon des projections commanditées par le gouvernement du Nouveau-Brunswick, 27 % des emplois qui seront disponibles au cours des prochaines années exigeront un diplôme universitaire tandis que 34 % exigeront un diplôme collégial (Gouvernement du Nouveau-Brunswick, 2014c). Par ailleurs, la résolution de problèmes, la communication orale et écrite et la numératie comptent parmi les compétences les plus recherchées actuellement par les employeurs de la province (Gouvernement du Nouveau-Brunswick, 2014c).
Dans ce contexte généralement difficile, la situation des francophones de la province sur le marché du travail apparaît pire que celle de leurs homologues anglophones. Les francophones du Nouveau-Brunswick se retrouvent dans une situation désavantageuse pour trois des principaux indicateurs du marché du travail. Selon les données de l'ENM, le taux de chômage des francophones du Nouveau-Brunswick s'établit à 12,4 %, ce qui est plus élevé que celui des anglophones de deux points de pourcentage. Du même coup, le taux d'emploi et le taux d'activité des francophones du Nouveau-Brunswick sont inférieurs à ceux des autres groupes à l'étude. Dans les trois cas, les différences entre francophones et anglophones sont dues en large part à la situation particulièrement désavantageuse chez les générations plus âgées. En matière de chômage, l'écart entre francophones et anglophones au Nouveau-Brunswick est, par exemple, de 6,1 points de pourcentage chez les personnes âgées de 55 à 64 ans, comparativement à 0,7 point de pourcentage, toujours en faveur des anglophones, chez les personnes âgées de 25 à 34 ans. Toutefois, une bonne partie de l'écart entre francophones et anglophones en matière de chômage peut s'expliquer par certains facteurs comme la région de résidence et le niveau de scolarité.
En ce qui a trait au revenu, on constatait dès 2006 le rattrapage effectué par les francophones dans chacune des provinces canadiennes et dans les territoires, le Nouveau-Brunswick constituant la seule exception. En effet, la série de portraits des minorités de langue officielle au Canada publiée par Statistique CanadaNote 46 permet de constater que le revenu médian des francophones est égal ou supérieur à celui des anglophones dans chacune des provinces, de même que dans l'ensemble des territoires, tant pour les femmes que pour les hommes. Cette même année, au Nouveau-Brunswick, le revenu médian des anglophones était supérieur à celui des francophones, tant chez les femmes (respectivement de 17 948 $ pour celles dont l'anglais est la première langue officielle parlée et de 17 040 $ pour celles dont c'est le français) que chez les hommes (respectivement de 29 159 $ pour ceux dont l'anglais est la première langue officielle parlée et de 26 540 $ pour ceux dont c'est le français)Note 47.
Encore aujourd'hui, les francophones du Nouveau-Brunswick travaillent dans des secteurs d'industrie différents des anglophones de sorte que certains secteurs comptent sur une main-d'œuvre très francophone, tandis que d'autres n'emploient qu'un nombre relativement faible de travailleurs de ce groupe linguistique. Le tableau 3.1 atteste de cela en présentant la répartition du secteur d'industrie des travailleurs de cette province en fonction du groupe linguistique.
Il existe des écarts parfois importants dans la répartition des travailleurs des deux groupes linguistiques. Le secteur des soins de santé et de l'assistance sociale est celui qui emploie le plus de francophones (14,2 %), alors que le secteur du commerce est le plus grand employeur de travailleurs anglophones (15,8 %). Les francophones sont notamment beaucoup plus enclins à travailler dans les secteurs de la fabrication (10,8 % des travailleurs francophones travaillent dans ce secteur comparativement à 7,3 % des anglophones) et des ressources naturelles (7,0 % des travailleurs francophones travaillent dans ce secteur comparativement à 4,7 % des anglophones). La principale conséquence de cette répartition est que la proportion de travailleurs qui ont le français comme première langue officielle parlée fluctue considérablement d'un secteur à l'autre. Effectivement, alors que les francophones représentent plus de 40 % de la main-d'œuvre des secteurs liés aux ressources primaires et à la fabrication, soit huit points de pourcentage de plus que leur poids démographique sur le marché du travail, ils constituent moins du quart de ceux des secteurs des services publics, des services aux entreprises et des services scientifiques.
3.2 Évolution du nombre d'emplois selon le secteur d'industrie
Les mutations de l'économie du Nouveau-Brunswick font en sorte que certains secteurs d'industrie sont en émergence tandis que d'autres connaissent un déclin. Or, en large part à cause de leur situation géographique et de leurs niveaux de scolarisation, les francophones sont moins susceptibles que leurs homologues anglophones de travailler dans les secteurs en essor.
Nous pouvons diviser les secteurs d'industrie du Nouveau-Brunswick en quatre grands groupes selon leur rythme de croissance depuis les vingt dernières annéesNote 48. Le graphique 3.1 met en parallèle ces quatre catégories de secteurs d'industrie, alors que le tableau 3.2 présente la distribution de chacun des groupes linguistiques selon la catégorie de secteurs d'industrie.
Le principal constat qui ressort de l'examen de ce tableau est que les travailleurs francophones tendent à travailler dans des secteurs où la croissance du nombre d'emplois est plus faible. Effectivement, bien que les francophones constituent 31,9 % de la main-d'œuvre néo-brunswickoise, ils ne représentaient que 21,8 % de la main-d'œuvre des secteurs qui ont connu une très forte croissance du nombre d'emplois entre 1994 et 2014. En d'autres termes, les secteurs en très fortes croissance regroupaient 6,3 % des travailleurs francophones, comparativement à 10,6 % des travailleurs anglophones. En 2014, le nombre d'emplois dans ces secteurs avait plus que doublé par rapport à son niveau de 1994.
À l'inverse, plus de 40 % de la main-d'œuvre des secteurs en déclin a le français comme première langue officielle parlée. Ces 24 270 travailleurs représentent 17,7 % de la main-d'œuvre francophone, alors que les secteurs en déclin regroupent 12,0 % des travailleurs anglophones. Sauf pour quelques soubresauts ponctuels, le nombre d'emplois dans ces secteurs, qui regroupent les ressources primaires et la fabrication, est en diminution constante, si bien qu'en 2014, il avait chuté de près de 20 % par rapport à 1994.
En revanche, dans une moindre mesure, les francophones sont aussi surreprésentés dans les secteurs des soins de santé et de la construction, lesquels ont connu une forte croissance entre 1994 et 2014. La forte présence de francophones dans ces deux secteurs contribue à la surreprésentation de ce groupe linguistique dans la catégorie de secteurs d'emplois en forte croissance. Elle ne permet toutefois pas de compenser pour les déséquilibres observés dans les secteurs en très forte croissance et en déclin. Le niveau de croissance moyen, entre 1994 et 2014, du secteur dans lequel œuvre un travailleur francophone en 2011 est de 22,6 %, alors qu'il est de 28,1 % pour un travailleur anglophoneNote 49.
Le clivage entre les secteurs en déclin et ceux en très forte croissance est aussi visible dans la structure par âge des travailleurs francophones puisque les travailleurs des secteurs en déclin tendent à être plus âgés que ceux des secteurs en émergence (voir tableau 3.3). Effectivement, presque 6 francophones sur 10 qui travaillent dans les secteurs en déclin sont âgés de 45 ans ou plus comparativement à 40 % de ceux des secteurs en très forte croissance, un écart approximatif de 17 points de pourcentage.
Les travailleurs des secteurs en déclin se caractérisent également par des niveaux de scolarisation plus faibles. En effet, seulement 5 % des travailleurs de ces secteurs ont terminé des études universitaires de premier cycle alors que c'est le cas du quart des travailleurs des secteurs en très forte croissance. Inversement, les secteurs en déclin se démarquent par leur proportion très élevée de travailleurs francophones qui n'ont pas terminé leurs études secondaires (36,8 %).
Le tableau 3.3 permet également de constater la faible représentation des postes de professionnels associés à un haut niveau de complexitéNote 50 dans les secteurs en déclin. Seulement 2,5 % des postes correspondent à ce niveau de complexité dans les secteurs en déclin, alors que cette proportion est supérieure à 15 % dans toutes les autres catégories de secteur d'industrie observées.
Ainsi, plusieurs travailleurs francophones travaillent dans des secteurs d'industrie en déclin. Ces travailleurs tendent à être moins scolarisés et à occuper des postes moins complexes de sorte qu'ils montrent un niveau de compétence en littératie généralement plus faible que celui des travailleurs des autres secteurs. Le tableau 3.4 rend compte de la moins bonne performance au test de littératie du Programme pour l'évaluation internationale des compétences des adultes (PEICA) et de l'utilisation moins régulière de l'écrit au travail des travailleurs des secteurs d'industrie en déclin.
Les travailleurs des secteurs en déclin ont obtenu un score moyen de moins de 260 au test de littératie du PEICA, ce qui est inférieur de plus de 18 points aux scores des travailleurs des secteurs en très forte croissance et des secteurs dont la croissance est modérée. Ils font aussi une utilisation moins régulière de l'écrit au travail. Effectivement, l'indice composite de lecture au travail (tableau 3.4) des employés de ces secteurs est statistiquement inférieur à celui des travailleurs des secteurs en très forte croissance et des secteurs dont la croissance du nombre d'emplois est modérée. La situation désavantageuse des travailleurs des secteurs en déclin est également visible à l'égard de la participation à des activités de formation. Les travailleurs de ces secteurs participent moins à des activités de formation que ceux des secteurs dont la croissance est modérée.
La scolarisation étant le principal vecteur des compétences en littératie, ces résultats correspondent bien aux différences dans les niveaux de scolarisation des travailleurs observées précédemment; ceux dans les secteurs en déclin étant considérablement moins scolarisés que leurs homologues des autres secteurs, en particulier ceux des secteurs en très forte croissance.
3.3 Clivage Nord-Sud
La situation socioéconomique désavantageuse des francophones du Nouveau-Brunswick par rapport à celle de leurs homologues anglophones et des autres groupes francophones qui prévaut depuis plusieurs décennies a été soulignée par plusieurs auteurs (Beaudin, 1999; Lepage, 2012; Chennouf 2014). Ces études avancent que cette situation ne découlerait pas tant des niveaux de scolarisation plus bas des francophones que de leur positionnement géographique généralement en marge des grands centres urbains de la province. Dans ces derniers, on a constaté une diversification accrue dans les secteurs des services et dans le secteur manufacturier non lié aux ressources naturelles. En particulier, on observe une croissance importante des emplois dans les secteurs dits dynamiques de l'économie (par ex. les services professionnels et techniques, les services techniques aux entreprises, les communications, les services informatiques et les services financiers). Selon Gellatly et coll. (1999)Note 51, ces secteurs sont au cœur du processus d'innovation et leur contribution « dynamique » à la croissance et au progrès économique est renforcée par le fait qu'ils fournissent des services de base à tous les autres secteurs.
Les changements dans l'économie du Nouveau-Brunswick au cours des dernières décennies entrainent un clivage grandissant entre le Nord de la province, rural et francophone, et le Sud, urbain et majoritairement anglophone. Si l'économie du Nouveau-Brunswick est globalement moins dynamique que celle de la totalité du pays, les deux régions métropolitaines de recensement de la province, Moncton et Saint John, présentent une situation économique beaucoup plus favorable que dans le Nord de la province. Dans une perspective plus large, alors que le marché du travail du corridor dynamisé qui s'étend de Fredericton à Halifax se porte plutôt bien d'un point de vue économique, les zones périphériques semblent moins bien s'adapter aux mutations de l'économie de la province (Beaudin, 2014).
Les graphiques 3.2 et 3.3 montrent respectivement l'évolution du nombre d'emplois et du taux de chômage selon la région économiqueNote 52 du Nouveau-Brunswick et rendent compte de l'écart entre le Nord et le Sud de la province en termes de dynamisme économique.
Les données présentées dans ces deux graphiques font clairement état de la situation économique plus difficile des régions dans lesquelles vivent les francophones du Nouveau-Brunswick. Tandis que le nombre d'emplois a augmenté d'environ 7 % entre 2001 et 2014 pour l'ensemble de la province, les régions économiques de Campbellton-Miramichi et d'Edmundston-Woodstock ont connu une décroissance à ce chapitre (−8 % et −3 % respectivement). Ces deux régions très francophones, situées au Nord et au Nord-Ouest de la province, se caractérisent par leur ruralité et l'importance des industries traditionnelles liées aux ressources naturelles. La moitié des travailleurs de la région économique d'Edmundston-Woodstock et près des deux tiers de ceux de la région de Campbellton-Miramichi étaient francophones en 2011 (tableau 3.5). Le déclin du nombre d'emplois de la région de Campbellton-Miramichi s'accompagne aussi d'un taux de chômage constamment supérieur à 12 %, soit le taux de loin le plus élevé de toutes les régions économiques.
En contrepartie, les francophones de la région de Moncton-Richibucto, qui représentent un peu plus de 4 travailleurs sur 10, travaillent dans un marché du travail beaucoup plus favorable. En effet, entre 2001 et 2014, le nombre d'emplois dans cette région a crû de près de 20 %, tandis que le chômage oscille autour de 8 % depuis 2002, malgré le ralentissement économique qui a touché la province lors de la dernière récession.
La fracture Nord-Sud qui divise le Nouveau-Brunswick est clairement visible puisque les travailleurs des secteurs en déclin sont proportionnellement plus nombreux dans le Nord tandis que les travailleurs des secteurs en émergence tendent à habiter dans la région du Sud-Est (tableau 3.6). Bien que le Nord ne compte que la moitié des travailleurs du Nouveau-Brunswick dont le français est la première langue officielle parlée, cette région est le lieu de résidence de près de 60 % des travailleurs œuvrant dans les secteurs en déclin, dont près de 70 % des travailleurs dans les secteurs primaires de l'économie.
En effet, fait notable, un peu plus d'un travailleur francophone sur cinq qui demeure dans le Nord travaille dans un secteur d'industrie en déclin. À l'inverse, moins de 40 % des travailleurs francophones dans les secteurs en très forte croissance résident dans le Nord. Notons néanmoins que le Nord de la province compte des emplois dans certains secteurs en forte croissance, soit les secteurs de la construction et des soins de santé. La croissance soutenue du nombre d'emplois du secteur des soins de santé devrait vraisemblablement se poursuivre au cours des prochaines années en raison du vieillissement démographique.
De son côté, la région du Sud-Est est le lieu de résidence de presque la moitié des francophones qui œuvrent dans les secteurs en très forte croissance, et ce, bien qu'elle ne soit la région de résidence que de 37,3 % des travailleurs francophones. Dans le Sud-Est, 7,9 % des francophones travaillent dans un de ces secteurs alors que les secteurs en déclin n'occupent que 13,1 % des francophones.
Les niveaux de scolarisation plus faibles des francophones du Nouveau-Brunswick de même que leur situation géographique se traduisent par le fait qu'ils occupent des emplois requérant un niveau moindre de complexité. Ainsi, 16,1 % des travailleurs francophones de la province occupent des postes qui ne demandent qu'une formation en milieu de travail, comparativement à 14,3 % des travailleurs anglophones. À titre comparatif, notons que ce sont 10,2 % des travailleurs franco-ontariens qui occupent un tel poste, soit près de six points de pourcentage de moins que les travailleurs francophones du Nouveau-Brunswick (tableau 3.7).
D'un autre côté, les travailleurs francophones du Nouveau-Brunswick sont sous-représentés dans les emplois qui demandent un niveau de complexité très élevé. Ils le sont surtout par rapport aux autres groupes de travailleurs francophones observés : 14,0 % des travailleurs francophones du Nouveau-Brunswick occupent un emploi qui demande un tel niveau de complexité, soit 0,5 point de pourcentage de moins que chez les anglophones du Nouveau-Brunswick, et 7 points de pourcentage de moins que chez les travailleurs franco-ontariensNote 53.
Ici également, le clivage Nord-Sud est présent : puisque l'économie du Nord s'appuie largement sur l'exploitation des ressources naturelles et que cette région abrite une population francophone moins scolarisée, les francophones du Nord tendent à occuper des postes dont le niveau de complexité est moindre que ceux de leurs homologues des autres régions de la province. En effet, un peu moins de 20 % des travailleurs francophones du Nord occupent des postes qui ne requièrent qu'une formation en milieu de travail comparativement à moins de 15 % pour ceux du Sud-Est et du reste de la province.
En somme, la situation des francophones du Nouveau-Brunswick sur le marché du travail apparait certes désavantageuse par rapport aux anglophones de la province, de même qu'en comparaison avec les autres groupes francophones au Canada, mais elle cache le fait qu'il existe des disparités importantes au sein même des communautés francophones du Nouveau-Brunswick. Ces disparités économiques prennent largement la forme d'un clivage Nord-Sud. La région du Nord, où sont concentrés la majorité des francophones de la province, est donc particulièrement désavantagée sur le plan économique.
Ces disparités économiques font écho aux différences en termes de compétences et de scolarité qui ont été documentées au premier chapitre, de même qu'à celles qui concernent les tendances démographiques dont il a été question au deuxième chapitre. Ces convergences renforcent l'idée d'un lien important entre ces trois grandes dimensions, que nous explorerons dans la prochaine section.
3.4 Le cercle vertueux de la littératie
Les liens qui unissent les compétences en littératie, les dynamiques démographiques et les grandes tendances liées au marché du travail se renforcent en un cercle « autocatalyseur » qui peut être vicieux ou vertueux. Les concordances des compétences, le vieillissement de la population, les effets de la migration et les caractéristiques socioéconomiques de l'immigration sont quatre exemples des liens qui renforcent ces dynamiques, de façon positive ou négative.
3.4.1 La concordance des compétences
Nous avons vu précédemment que les travailleurs francophones sont surreprésentés dans plusieurs secteurs d'industrie. Or, les emplois dans certains secteurs peuvent offrir plus d'opportunités de pratiquer la lecture, ce qui peut favoriser le maintien, voire l'amélioration, des compétences en littératie des travailleursNote 54. Les travailleurs francophones des secteurs d'emploi de l'enseignement, du droit et des services sociaux, communautaires et gouvernementaux sont ceux qui ont le mieux performé au test de littératie du PEICA grâce à un score moyen de près de 300 (tableau 3.8). Fait notable, la moitié des travailleurs de ces secteurs d'emploi détiennent au moins un baccalauréat, soit de loin la plus forte proportion parmi les dix grands groupes d'emploi. De plus, les travailleurs de ces secteurs comptent parmi ceux qui utilisent le plus fréquemment la lecture au travail.
À l'inverse, les travailleurs qui œuvrent dans les secteurs de la vente et des services, des métiers et du transport, des ressources naturelles et de la fabrication ont obtenu des scores moyens inférieurs à 260. Les travailleurs de ces secteurs sont de loin les travailleurs les moins scolarisés; moins de 6 % détenaient au moins un baccalauréat tandis que plus de 20 % d'entre eux - plus de 40 % dans le cas des secteurs des ressources naturelles et de la fabrication - n'avaient pas terminé leurs études secondaires. Ces travailleurs sont également ceux qui font le moins usage de la lecture au travail.
Les liens entre le niveau de compétence en littératie et une position avantageuse sur le marché du travail sont manifestes. Le marché du travail permet non seulement aux travailleurs de profiter de leurs compétences, entre autres par des revenus plus élevés et une plus grande valorisation professionnelle, mais il leur fournit aussi plusieurs occasions d'utiliser leurs compétences en vue de les maintenir, voire de les améliorer. En ce sens, le marché du travail occupe une place capitale au sein du « cercle vertueux de la littératie » et en constitue l'aboutissement. Cependant, pour profiter pleinement des bénéfices de leurs compétences en littératie, les travailleurs doivent pouvoir occuper un emploi qui leur permet d'utiliser toute l'étendue de leurs compétences. Dans le cas contraire, ces travailleurs dits « surcompétents » sont moins susceptibles de retirer les bénéfices associés à leurs compétences et plus à risque de voir leurs compétences diminuer en raison de leur utilisation moins fréquente. De même, les travailleurs moins compétents qui font un usage relativement peu régulier de leurs compétences au travail risquent d'une part de moins bien performer sur le marché du travail, et d'autre part, d'avoir moins d'occasions pour développer leurs compétences.
Cet enjeu, qui associe les compétences à leur utilisation au travail, constitue un élément capital de la vitalité socioéconomique des communautés. L'OCDE (2013) fait d'ailleurs état de cela : « S'il fallait ne retenir qu'un message de cette nouvelle Évaluation des compétences des adultes, ce serait que les compétences des individus et la façon dont ils en tirent parti influencent sensiblement leurs chances de réussite dans la vie ». Le PEICA permet d'examiner directement la concordance entre les compétences et les pratiques de lecture au travailNote 55 en juxtaposant le niveau de compétence des répondants à l'usage qu'ils font de la lecture dans le cadre de leur emploi. Le graphique 3.4 présente la concordance des compétences selon la province et le groupe linguistique à partir du critère élaboré par Desjardins et Rubenson (2011)Note 56.
Un constat important émerge de l'examen de ce graphique : près de la moitié des travailleurs francophones du Nouveau-Brunswick se retrouvent en situation de concordance entre de faibles compétences en littératie et un faible niveau d'utilisation de l'écrit au travail. Ils sont proportionnellement beaucoup plus nombreux dans cette situation que leurs homologues anglophones (34,6 %) et que les francophones des autres provinces. Cette situation témoigne clairement des compétences plus faibles des francophones du Nouveau-Brunswick et du fait qu'ils occupent des postes qui demandent moins de compétence en littératie. De plus, bien que ce constat suggère à première vue que ces francophones occupent un poste qui correspond à leur niveau de compétence, il réaffirme malgré tout qu'une part importante des travailleurs francophones peinent à s'insérer dans le « cercle vertueux de la littératie » de sorte que leurs compétences, d'emblée plus faibles, risquent de s'éroder au fil du temps.
Conséquence directe des différences dans les niveaux de compétence des travailleurs et de leur utilisation de l'écrit au travail, les niveaux de concordance des compétences des travailleurs fluctuent parfois considérablement selon le secteur d'industrie (tableau 3.9). Effectivement, les travailleurs des secteurs en déclin sont beaucoup plus susceptibles de combiner un faible niveau de compétence en littératie à une utilisation moins régulière de l'écrit dans le cadre de leur emploi. À l'inverse, les travailleurs de ces secteurs sont moins susceptibles d'être dans une situation de concordance entre un haut niveau de compétence et une utilisation régulière de l'écrit au travail que ceux des secteurs dont la croissance est modérée.
Les données présentées dans ce tableau renvoient à l'affirmation selon laquelle une forte proportion de travailleurs dont le niveau de compétence en littératie est faible est susceptible de constituer un frein à l'augmentation de la productivité (OCDE, 2013). Les données ne permettent pas d'établir de relation de cause à effet, mais il est possible que la forte proportion de travailleurs en situation de concordance entre de faibles compétences en littératie et une faible utilisation de l'écrit au travail dans les secteurs en déclin ait joué un certain rôle dans le fait que ces secteurs n'aient pu connaître davantage de croissance. Par ailleurs, comme les tendances récentes de l'économie néo-brunswickoise favorisent la création d'emplois plus spécialisés requérant à la fois un niveau élevé de compétence en littératie et une utilisation fréquente de l'écrit, les travailleurs des secteurs en déclin pourraient être spécialement à risque de perdre leur emploi ou simplement de moins pouvoir profiter des nouvelles opportunités professionnelles qui se présenteront dans l'avenir.
3.4.2 Le vieillissement de la population
Nous avons vu au chapitre précédent que le vieillissement démographique est particulièrement important chez les francophones du Nouveau-Brunswick. Ce phénomène aura certainement des répercussions sur les besoins en main-d'œuvre : les populations vieillissantes pourraient avoir de la difficulté à remplacer les travailleurs qui partent à la retraite, ce qui pourrait freiner la croissance économique d'une région.
Entre 2001 et 2011, l'effectif des francophones du Nouveau-Brunswick en âge de travailler, soit les personnes âgées de 15 à 64 ans, a diminué de 2,2 % alors qu'il a augmenté de 6,3 % pour les anglophones. Encore une fois, il existe d'importantes disparités régionales puisque la population francophone en âge de travailler du Nord a diminué de 7,9 % entre 2001 et 2011 tandis que celle du Sud-Est a augmenté de 8,4 %. Au cours de la même période, la population francophone en âge de travailler du reste de la province a diminué de 3,6 %.
Une autre façon d'illustrer l'effet du vieillissement démographique sur la population en âge de travailler consiste à calculer des indices de remplacement de la main-d'œuvre. Cet indicateur statistique est obtenu en prenant le ratio des effectifs plus jeunes qui entrent sur le marché du travail (20-29 ans) et de ceux qui approchent de l'âge de la retraite (55-64 ans). Ainsi, un indice de remplacement de 1 signifie que chaque personne qui s'apprête à se retirer du marché du travail est remplacée par une personne plus jeune. Si l'indice chute sous l'unité, ceci veut dire que les effectifs qui se rapprochent de l'âge de la retraite sont supérieurs à ceux qui font leur entrée sur le marché du travailNote 57. Le graphique 3.5 présente cet indicateur pour différents groupes linguistiques.
Le principal constat qui ressort de l'examen de ces résultats est la situation généralement désavantageuse non seulement des francophones du Nouveau-Brunswick, mais aussi des autres groupes francophones relativement au renouvellement de leurs effectifs en âge de travailler. Ainsi, pour 10 francophones âgés de 55 à 64 ans et demeurant au Nouveau-Brunswick, seulement 6 francophones sont âgés de 20 à 29 ans. Cet indice prend des valeurs légèrement supérieures à 0,8 chez les anglophones du Nouveau-Brunswick et chez les francophones du Québec alors que pour l'ensemble du pays, les effectifs âgés de 20 à 29 ans sont presque aussi nombreux que ceux âgés de 55 à 64 ans.
Ce phénomène risque de se poursuivre, voire de s'exacerber, au cours des prochaines années en raison du passage à la retraite graduel de la population nombreuse des cohortes issues du baby-boom, lesquelles sont remplacées par des cohortes moins nombreuses, de sorte qu'au Nouveau-Brunswick, le remplacement de la main-d'œuvre pourrait devenir un défi encore plus important chez les francophones.
Étant tributaire des tendances régionales différentielles en matière de comportements démographiques, l'indice de remplacement de la main-d'œuvre de la population francophone varie substantiellement d'une région à l'autre. Alors qu'il atteint 0,8 chez les francophones du Sud-Est, soit un niveau similaire à celui des anglophones de la province, il chute à 0,5 chez les francophones du Nord. Cela signifie que cette région ne compte que sur 5 francophones âgés de 20 à 29 ans pour chaque tranche de 10 francophones âgés de 55 à 64 ans.
À cause du vieillissement de la population, les communautés francophones seront vraisemblablement confrontées à d'importants défis afin de trouver des travailleurs, et ces défis risquent d'être particulièrement importants pour les communautés du Nord. Les difficultés à recruter de la main-d'œuvre compétente peuvent constituer un frein à la création d'entreprises. Dans la mesure où la présence d'un bassin de main-d'œuvre potentielle, dont les niveaux de compétence correspondent aux besoins des entreprises, est un facteur déterminant pour la création d'emploi, le vieillissement de la population constitue un enjeu particulièrement important pour le dynamisme économique d'une région.
3.4.3 La migration interprovinciale
Plusieurs théories démographiques et économiques avancent que la migration constitue une réponse individuelle à un déséquilibre, essentiellement économique, entre la région d'origine et la région de destination (Hou and Beaujot, 1995; Finnie, 2000). Les études empiriques réalisées sur les mouvements migratoires interprovinciaux tendent à confirmer ces théories puisque ce phénomène est notamment associé au taux de chômage provincial, à la perception de prestations d'assurance-emploi (Finnie, 2000) et aux chocs économiques régionaux (Bernard, 2011). De plus, la migration interprovinciale est aussi corrélée à une croissance supérieure des gains, particulièrement chez les migrants plus jeunes (Bernard et coll., 2008). Aux motivations de nature économique s'ajoutent également d'autres raisons telles que la poursuite des études postsecondaires et le fait de suivre un conjoint ou des amis. En ce qui a trait aux francophones en situation minoritaire, les données de l'Enquête sur la vitalité des minorités de langue officielle (EVMLO) ont révélé que si le travail est le principal motif évoqué pour envisager une éventuelle migration, l'environnement linguistique serait aussi un facteur susceptible d'influer sur l'intention de déménager (Gilbert et coll., 2014).
Or, comme il a été montré précédemment, les francophones du Nouveau-Brunswick éprouvent certaines difficultés sur le marché du travail, si bien que les taux de migration nette les plus négatifs chez les jeunes francophones sont observés en Atlantique (Pépin-Filion et coll., 2015 : 86). Les migrants interprovinciaux sont aussi plus susceptibles d'être de jeunes adultes très scolarisés (Dion et Coulombe, 2008) de sorte qu'un bilan migratoire négatif est souvent perçu comme un frein au développement d'une communauté. Bien que les entrants et les sortants interprovinciaux travaillent grosso modo dans les mêmes secteurs d'industrie, les données du tableau 3.10 réaffirment l'importance des disparités qui existent entre les migrants francophones et les non-migrants. Effectivement, 1 sortant sur 10 travaille dans les secteurs qui sont en très forte croissance au Nouveau-Brunswick tandis que c'est le cas pour 6,0 % des non-migrants. À l'inverse, presque 20 % des non-migrants travaillent dans les secteurs en déclin, ce qui est le lot d'un peu moins de 12 % des entrants et des sortants interprovinciaux. Ces disparités sont nettement moins importantes parmi les travailleurs anglophones.
Ces résultats signalent qu'une certaine offre de travailleurs est présente au sein de la population francophone née au Nouveau-Brunswick pour ces secteurs d'industrie en expansion. Bien qu'il ne soit pas possible de déterminer avec certitude s'ils ont déménagé hors du Nouveau-Brunswick pour étudier ou pour le travail, les deux tiers des sortants qui travaillent (à l'extérieur du Nouveau-Brunswick) dans les secteurs qui sont en très forte croissance au Nouveau-Brunswick ont obtenu leur plus haut diplôme postsecondaire à l'extérieur du Nouveau-Brunswick.
Nous avons vu au chapitre précédent l'importance des pertes migratoires chez les francophones du Nouveau-Brunswick, et leurs conséquences démographiques, notamment en matière de vieillissement de la population. Les différences entre les entrants et les sortants, qui défavorisent les francophones du Nouveau-Brunswick en termes de scolarisation et de compétences en littératie, posent également des défis sur le plan économique. La migration sortante prive les francophones du Nouveau-Brunswick d'une partie jeune, compétente et scolarisée de leur population. Ce faisant, elle diminue le bassin de main-d'œuvre susceptible d'attirer de nouvelles entreprises.
3.4.4 Performances économiques des immigrants
À cause de leur concentration dans la région de Moncton et de leurs taux de scolarisation plus élevés, les immigrants tendent à ne pas travailler dans les mêmes secteurs d'industrie que les non-immigrants (tableau 3.11). Effectivement, les immigrants, surtout les immigrants récents (17,3 %), sont beaucoup plus susceptibles d'œuvrer dans des secteurs en très forte croissance que les non-immigrants (6,2 %). Inversement, les immigrants sont proportionnellement moins nombreux que les non-immigrants à travailler dans les secteurs en déclin. C'est surtout le cas des immigrants récents et des résidents non permanents, dont près de 5 % œuvrent dans ces secteurs comparativement à plus de 15 % de la main-d'œuvre non immigrante.
D'autres indicateurs socioéconomiques témoignent des importantes différences entre les immigrants, les résidents non permanents et le reste de la population francophone. Les données du tableau 3.12 témoignent d'une part des bonnes performances des immigrants sur le marché du travail, et d'autre part, de l'écart entre les immigrants récents et les immigrants de longue date en la matière. Le taux de chômage des immigrants francophones est, par exemple, non seulement inférieur de cinq points de pourcentage à celui des non-immigrants, mais il est également plus bas que celui des immigrants anglophones (9,0 %). Cette performance avantageuse sur le marché du travail résulte essentiellement de la performance des immigrants de longue date dont le taux de chômage (3,6 %) est inférieur à celui des non-immigrants et des immigrants anglophones de longue date (7,7 %). Les performances des immigrants de longue date du Nouveau-Brunswick dont le français est la première langue officielle parlée contrastent avec celles des immigrants de l'ensemble du Canada puisqu'à l'échelle nationale, les immigrants établis affichent des taux d'emploi plus faibles et des taux de chômage plus élevés que les personnes nées au pays (Yssaad, 2012).
Toutefois, les cohortes plus récentes d'immigrants francophones éprouvent davantage de difficulté à bien intégrer le marché du travail du Nouveau-Brunswick. Effectivement, à titre d'exemple, le taux de chômage des immigrants récents (13,6 %) surpasse celui des non-immigrants francophones et celui des immigrants récents dont la première langue officielle parlée est l'anglais (11,4 %) en dépit de leurs taux de scolarisation très élevés et du fait qu'ils résident en majorité dans la région de Moncton, l'une des plus dynamiques de la province. Ces statistiques donnent à penser que si les immigrants de longue date ont bien intégré le marché du travail du Nouveau-Brunswick, les immigrants francophones plus récents pourraient éprouver des difficultés similaires à celles de leurs homologues du reste du pays à ce chapitre (reconnaissance des titres et diplômes, surqualification professionnelle, barrières linguistiques, etc.).
Les données présentées au tableau 3.12 témoignent également du fait que les immigrants occupent davantage des postes de professionnels, dont les niveaux de complexité sont plus élevés. Pour une intégration durable, le marché du travail doit offrir les opportunités d'emploi qui sont susceptibles d'attirer et de retenir les immigrants. On observe plutôt qu'une proportion importante des immigrants francophones admis au Nouveau-Brunswick quittent cette province après leur arrivée. Comme nous l'avons vu au chapitre 2, près de la moitié des immigrants francophones admis au Nouveau-Brunswick entre 2000 et 2011 qui étaient toujours au Canada en 2011 résidaient ailleurs au pays. Cette proportion surpasse celle des immigrants anglophones de sorte que le Nouveau-Brunswick semble donc éprouver des difficultés particulières non seulement dans l'attraction, mais aussi dans la rétention des immigrants francophones. Les immigrants économiques semblent particulièrement susceptibles de quitter la province. Comme il est attendu que les immigrants de cette catégorie contribuent à l'essor économique de leur communauté, le départ d'une part substantielle de ces immigrants représente une perte de taille pour le Nouveau-Brunswick.
En raison de leurs taux de scolarisation très élevés, les immigrants performent mieux que les résidents de l'Atlantique nés au pays au test de littératie du PEICA. Si leurs résultats sont inférieurs à ceux des immigrants de longue date, les immigrants admis entre 2000 et 2011 ont tout de même obtenu des scores similaires à ceux des non-immigrants de l'Atlantique. En ce sens, les immigrants de l'Atlantique semblent moins affectés par les obstacles auxquels sont généralement confrontés les immigrants canadiens en matière de compétence en littératie, notamment en ce qui a trait au niveau de maîtrise des langues officielles.
Cependant, en dépit d'un niveau relativement élevé de compétence en littératie, les immigrants font néanmoins face à certains obstacles en matière d'intégration économique et sociale. Si les immigrants francophones de longue date performent très bien sur le marché du travail, les immigrants récemment arrivés au pays sont plus souvent au chômage et ont des revenus d'emplois inférieurs à ceux des non-immigrants. Comme ils s'installent en majorité dans la région de Moncton, le défi des immigrants est double, car ils doivent maîtriser suffisamment bien l'anglais pour s'intégrer à un marché du travail majoritairement anglophone tout en s'intégrant à la communauté francophone locale. À ce sujet, les données de l'ENM indiquent que seulement 6 immigrants francophones sur 10 admis au pays entre 2000 et 2011 étaient capables de soutenir une conversation en anglais. Une hausse importante des effectifs d'immigrants francophones au cours des prochaines années pourrait dès lors accroître l'importance des enjeux d'intégration auxquels sont confrontés les immigrants.
Si le tiers des francophones résident dans la région de Moncton, près des deux tiers des immigrants récents s'y sont installés. À l'inverse, le Nord compte sur plus de la moitié de la population francophone de la province, mais n'a accueilli que 20 % des immigrants admis entre 2000 et 2011. De ce fait, il convient de se demander si l'immigration pourrait contribuer à alimenter les disparités régionales déjà importantes entre les différentes communautés francophones de la province et dans quelle mesure le Nord pourrait bénéficier de l'apport de nouveaux immigrants afin de redynamiser les communautés de cette région.
3.5 Conclusion
Les difficultés rencontrées par les francophones du Nouveau-Brunswick en matière de compétences s'accompagnent tout d'abord d'une situation généralement désavantageuse sur le marché du travail. Ces difficultés ne résultent pas tant de leurs niveaux plus faibles de scolarisation que de leur concentration géographique dans les milieux plus ruraux du Nord de la province. En raison de ces deux facteurs, une part importante de la main-d'œuvre francophone travaille dans des secteurs d'industrie en déclin comme la foresterie et le secteur manufacturier, surtout dans le Nord. À l'inverse, les francophones tendent à être sous-représentés dans plusieurs secteurs en émergence où le nombre d'emplois a considérablement augmenté au cours des deux dernières décennies tels que les services aux entreprises. Étant donné que ces secteurs requièrent généralement une main-d'œuvre hautement spécialisée, les francophones pourraient éprouver des difficultés à occuper les nouveaux emplois qui seront créés dans ces secteurs.
Les performances particulièrement faibles des travailleurs des secteurs d'industrie en déclin, tant en matière de compétences que de pratiques liées à l'écrit, retiennent l'attention. Le nombre d'emplois dans ces secteurs, où la main-d'œuvre francophone est surreprésentée, est en déclin depuis plusieurs années. Ces travailleurs, moins scolarisés, plus âgés et demeurant souvent dans le Nord, pourraient être davantage à risque de perdre leur emploi ou de devoir réorienter leur carrière. Or, les difficultés qu'ils éprouvent en matière de littératie pourraient diminuer leurs chances de réussir ces transitions dans une économie où la demande de compétences ne cesse de gagner en sophistication. Alors que les mutations dans l'économie du Nouveau-Brunswick contribuent au ralentissement de certains secteurs, elles ont créé plusieurs opportunités professionnelles dans un vaste éventail de secteurs d'industrie. Les travailleurs des secteurs en très forte croissance se démarquent par un niveau de compétence en littératie élevé.
Les liens entre compétences en littératie, démographie et marché du travail sont complexes, mais ils sont importants. Les exemples de la concordance des compétences, du vieillissement de la population, des migrations interprovinciales et de l'immigration démontrent qu'il est important de bien prendre en compte l'ensemble de ces dimensions pour favoriser le développement économique des communautés francophones du Nouveau-Brunswick. Toutefois, à bien des égards, la vitalité des communautés francophones du Nouveau-Brunswick englobe aussi la vitalité culturelle et linguistique. À ce sujet, les dynamiques démographiques de la population francophone, tant au chapitre de la mobilité interne que de la migration internationale, tendent à défavoriser les endroits où les francophones sont majoritaires pour favoriser ceux où ils sont minoritaires. Conséquemment, le déclin démographique du Nord combiné à la croissance relativement soutenue du Sud-Est signale un déplacement graduel des pôles francophones d'une région où ils sont majoritaires à une région où ils sont minoritaires.
Si ces dynamiques démographiques se poursuivent à l'avenir, elles pourraient soulever certains enjeux en matière de vitalité du français. Effectivement, l'usage du français au travail tend à être moins prédominant chez les francophones du Sud-Est que chez ceux du Nord. À titre d'exemple, 9 travailleurs francophones sur 10 du Nord utilisent le français le plus souvent au travail, seul ou de concert avec une autre langue, tandis que ce n'est le cas que des deux tiers des travailleurs francophones de la région du Sud-EstNote 58.
L'influence de l'anglais dans la vie des francophones qui résident dans des milieux majoritairement anglophones est aussi visible dans la langue dans laquelle les francophones ont choisi de passer les tests de compétence du PEICA. Un peu plus de 45 % des Néo-Brunswickois dont le français est la première langue officielle parlée ont passé les tests de compétence du PEICA en anglaisNote 59. Cette proportion fluctue de 17,1 % dans le Nord à plus de 70 % dans les autres régions de la province. Ces importantes différences régionales constituent un autre indicateur de la complexité des rapports que les francophones entretiennent avec l'anglais, du moins à l'écrit.
Pourtant, les francophones possèdent un atout de taille pour le marché du travail : le bilinguisme. En effet, le bilinguisme anglais-français est l'une des compétences les plus recherchées de la part des employeurs de la province (Gouvernement du Nouveau-Brunswick, 2014c). Les trois quarts des Néo-Brunswickois âgés de 15 à 64 ans dont le français est la première langue officielle parlée sont bilingues comparativement à moins de 20 % de ceux dont l'anglais est la première langue officielle parlée. Il s'agit donc d'un avantage sur lequel les communautés francophones pourraient miser pour attirer certaines entreprises.
Conclusion
De solides compétences en littératie, en numératie et en résolution de problèmes sont jugées de plus en plus cruciales pour pleinement intégrer le marché du travail et participer activement à la société. Elles sont en effet associées à nombre de conditions sociales et économiques avantageuses telles que des revenus plus élevés ou une confiance sociale plus grande. En outre, ces compétences revêtent une importante particulière pour la vitalité culturelle et linguistique des communautés francophones en situation minoritaire.
Bien que la situation des francophones du Nouveau-Brunswick ait évolué depuis les travaux de la Commission Laurendeau-Dunton dans les années 1960, les données du Programme pour l'évaluation internationale des compétences des adultes (PEICA) révèlent que les francophones du Nouveau-Brunswick continuent de performer beaucoup moins bien aux tests de compétence que leurs homologues anglophones et que les trois autres groupes francophones observés. Plus de 60 % des francophones de cette province ont obtenu un score qui correspond aux échelons inférieurs des échelles de littératie et de numératie, ce qui témoigne bien des difficultés qu'éprouve une frange importante de cette population en matière de compétence.
Ces difficultés s'inscrivent dans une dynamique plus large qui comprend également une condition socioéconomique et des dynamiques démographiques désavantageuses qui freinent le développement économique et social de la population francophone du Nouveau-Brunswick. Ce rapport visait à mettre en relation les enjeux propres aux francophones de cette province en matière de compétences à ceux reliés à la conjoncture démographique et au marché du travail.
Le développement et le maintien de solides compétences en littératie demandent, d'une part un niveau élevé de scolarisation et, d'autre part, la pratique régulière d'activités reliées à l'écrit tout au long de la vie. Dans les deux cas, les francophones du Nouveau-Brunswick se retrouvent toujours défavorisés par rapport à leurs homologues anglophones. La scolarisation représente la pierre angulaire du développement des compétences, comme en témoigne le gradient très clair du niveau de compétence en littératie selon le niveau de scolarisation. Or, malgré d'importants progrès en matière de scolarisation, les francophones du Nouveau-Brunswick demeurent moins scolarisés non seulement que leurs homologues anglophones, mais aussi que les francophones des autres provinces, et ce notamment à cause des pertes migratoires. Ce clivage est d'ailleurs encore présent chez les plus jeunes générations, qui sont plus susceptibles de migrer. Ces faibles taux de scolarisation expliquent une large part des performances plus faibles des francophones aux tests de compétence du PEICA.
En plus de ces bénéfices directs sur le niveau de compétence en littératie des francophones, la scolarisation est aussi étroitement associée au développement de comportements et d'attitudes qui favorisent le maintien des compétences tout au long de la vie. Or, les francophones du Nouveau-Brunswick se retrouvent dans une position désavantageuse tant au niveau de la scolarisation que des comportements à l'égard de l'écrit. Ce résultat suggère qu'un nombre important de francophones du Nouveau-Brunswick éprouvent toujours des difficultés à s'insérer dans le « cercle vertueux de la littératie » si bien qu'ils seraient particulièrement susceptibles de voir leurs compétences, d'emblée plus faibles, s'étioler au fil du temps.
Si l'expérience des francophones du Nouveau-Brunswick en matière de scolarisation dans la langue minoritaire diffère substantiellement de celle des autres communautés francophones en situation minoritaire, l'éducation postsecondaire en français demeure un enjeu incontournable au Nouveau-Brunswick. Cela contribue certainement à alimenter les pertes migratoires du Nouveau-Brunswick, particulièrement dans le Nord de la province. Dans cette perspective, il devient donc capital pour les communautés de cette région de parvenir à ramener ces diplômés postsecondaires dans leur région natale, ou à tout le moins à en attirer d'autres pour compenser les pertes migratoires chez les personnes plus scolarisées.
Comme elle est surtout le fait de jeunes adultes très scolarisés, les pertes de migration interprovinciale contribuent non seulement à ralentir la croissance démographique de la population francophone, mais aussi à la priver d'une partie de ses éléments plus productifs. Les dynamiques migratoires tendent à exacerber le vieillissement de la population francophone du Nouveau-Brunswick. Le vieillissement démographique influe également sur la main-d'œuvre francophone. Non seulement les travailleurs francophones sont de plus en plus âgés, mais leur nombre est en diminution. Le déclin dans les effectifs de francophones en âge de travailler, qui est particulièrement important dans le Nord, est susceptible de freiner le développement de ces communautés.
Les niveaux moindres de scolarisation jouent également sur les performances des travailleurs francophones sur le marché du travail, lesquelles tendent à être inférieures à celles de leurs homologues anglophones. Le nombre important de travailleurs francophones qui occupent des postes dont le niveau de complexité et le salaire sont plus faibles et qui font moins usage de leurs compétences en littératie résulte de cette sous-scolarisation. Or, les mutations de l'économie néo-brunswickoise font en sorte que les opportunités d'emploi qui s'offriront aux francophones au cours des prochaines années requerront généralement un haut niveau de compétence.
Aux enjeux de formation de la main-d'œuvre s'ajoutent donc des enjeux de rétention. Le fait que près du quart des diplômés universitaires nés au Nouveau-Brunswick avaient quitté la province quelques années après l'obtention de leur diplôme (Calhoun, 2013) témoigne bien de l'ampleur du défi que représente la rétention de la main-d'œuvre très scolarisée. Au fil du temps, c'est une part appréciable de la population francophone née au Nouveau-Brunswick qui a déménagé dans le reste du Canada, majoritairement au Québec. Ces mouvements tendent à contribuer modérément aux performances plus faibles de cette population aux tests du PEICA et réduisent le bassin de travailleurs spécialisés de plusieurs communautés, ce qui est à son tour susceptible de décourager certaines entreprises à s'installer à ces endroits. D'un autre côté, ces dynamiques migratoires témoignent implicitement du fait que plusieurs francophones nés au Nouveau-Brunswick affichent un niveau de compétence en littératie élevé. Cependant, compte tenu de ses niveaux de scolarisation relativement bas et de son vieillissement démographique, la population francophone du Nouveau-Brunswick est particulièrement vulnérable devant la perte d'une partie de ses jeunes scolarisés.
Enfin, les résultats présentés tout au long de ce rapport témoignent de l'ampleur du fossé qui sépare le Nord du reste de la province en matière de développement économique et social pour les trois thèmes de cette analyse. L'économie de cette région peine à sortir de sa dépendance envers le secteur primaire et, en conséquence, offre non seulement moins d'opportunités professionnelles, mais aussi des emplois généralement moins bien rémunérés, qui demandent un niveau de scolarisation moindre et qui se situent souvent dans des secteurs en déclin. Parallèlement à cela, le Nord perd un effectif marqué de francophones au profit des autres régions de la province et du reste du pays, vraisemblablement attirés non seulement par de meilleures perspectives économiques, mais aussi par la présence d'institutions d'enseignement postsecondaire. Or, ces francophones tendent à afficher des niveaux de scolarisation et de compétence en littératie plus élevés si bien que le Nord est drainé d'une partie de ses éléments les plus productifs. Ces communautés peinent également à attirer des francophones du reste du pays et des immigrants afin de mitiger l'effet des départs. Cette situation contribue à réduire le bassin et la diversité des compétences du Nord, ce qui en diminue certainement l'attrait pour les employeurs. En conséquence, la population francophone du Nord est vieillissante, moins scolarisée et performe moins bien au test de littératie du PEICA. Le retard qu'accusent les francophones du Nord en matière de scolarisation universitaire est aussi perceptible chez les générations plus jeunes, ce qui témoigne du fait que cette situation désavantageuse pourrait perdurer pour plusieurs années.
Renverser les tendances
Les liens entre les enjeux auxquels sont confrontés les francophones du Nouveau-Brunswick en matière de marché du travail, de conjoncture démographique et de compétences, bien qu'inextricables, sont manifestes. Si une population hautement compétente constitue l'une des clés du développement social et économique des communautés francophones, des conditions favorables doivent être mises en place afin que les francophones puissent mettre à profit leurs compétences.
La migration internationale apparaît comme une des solutions préconisées par plusieurs acteurs gouvernementaux et communautaires pour répondre aux enjeux démographiques auxquels sont confrontés les francophones du Nouveau-Brunswick. La province offre en ce sens un environnement linguistique favorable pour les nouveaux arrivants qui souhaitent étudier, travailler et vivre en français. Les indicateurs de la vitalité linguistique démontrent que les francophones du Nouveau-Brunswick, et plus particulièrement du Nord de la province, se démarquent favorablement des autres communautés francophones en situation minoritaire au Canada. Une hausse soutenue de l'immigration francophone pourrait par exemple infléchir le déclin du poids démographique de la population francophone au sein de la province et augmenter le bassin de travailleurs francophones très scolarisés. Cependant, l'attraction et la rétention des immigrants constituent également des enjeux de taille.
L'établissement d'un climat économique susceptible de créer des opportunités professionnelles intéressantes pourrait vraisemblablement attirer et retenir une main-d'œuvre jeune et scolarisée. Si les grands centres urbains de la province comptent sur une économie locale plus dynamique, les zones périphériques et rurales éprouvent davantage de difficultés à s'adapter aux mutations de l'économie de la province. La situation des communautés du Nord retient donc particulièrement l'attention à ce sujet, car les pertes interprovinciales sont essentiellement le fait de cette région. En ce sens, il importe de briser ce cercle vicieux où le manque d'opportunités économiques se traduit par le départ de travailleurs spécialisés, ce qui décourage certains employeurs à s'établir dans ces régions et exacerbe alors le manque d'opportunités.
La scolarisation est réellement un vecteur majeur de développement économique et social. Landry (2005) place d'ailleurs l'éducation au cœur de la vitalité des communautés francophones du Nouveau-Brunswick : « l'éducation "tout au long de la vie", de la petite enfance au troisième âge, peut être la pierre angulaire de cette revitalisation [des communautés francophones et acadiennes], mais elle a besoin de faire partie d'un tout, d'un plan global et concerté qui unirait les acteurs gouvernementaux et communautaires. »
Conséquemment, le développement des compétences constitue un tremplin incontournable, d'une part pour favoriser l'accès des travailleurs francophones à ces emplois, et d'autre part, pour créer un bassin de travailleurs spécialisés susceptible d'inciter les employeurs à s'établir dans les régions où résident les francophones. Dans une perspective plus large, le développement des compétences constitue également un levier crucial pour l'augmentation de la productivité de la main-d'œuvre, qui constitue elle-même un outil important de développement économique pour la province. En ce sens, une économie solide et diversifiée permet à une main-d'œuvre qualifiée de tirer profit de ses compétences et ainsi, éviter qu'elle quitte le Nouveau-Brunswick.
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Annexe 1
Définition des groupes linguistiques
L'établissement d'un critère pour définir un groupe linguistique n'est pas un exercice trivial puisque la langue et les pratiques linguistiques sont le fruit de dynamiques culturelles, historiques, politiques et sociales très complexes. Pour cette raison, il n'existe pas de critère canonique pour définir les groupes linguistiquesNote 60.
La langue maternelle a souvent été utilisée comme critère pour définir les groupes linguistiques en raison de sa disponibilité dans les recensements depuis plus de cinquante ans et dans de nombreuses enquêtes sociales. Toutefois, cette définition comporte plusieurs limites, lesquelles deviennent de plus en plus importantes en raison de la diversification du paysage linguistique canadien qui découle de l'immigration. Elle ne rend notamment pas compte de la langue officielle parlée par les immigrants dont la langue maternelle n'est ni l'anglais ni le français, ni des personnes qui ne sont plus capables de soutenir une conversation dans leur langue maternelle.
Dans le but d'être cohérent avec la définition utilisée dans le cadre de la Loi sur les langues officielles pour évaluer la demande potentielle de services dans l'une ou l'autre des deux langues officielles et dans de nombreux travaux de recherche portant sur la situation linguistique au pays, les groupes linguistiques sont définis à partir du critère de la première langue officielle parlée. Ce critère permet de répartir plus de 99 % de la population du Nouveau-Brunswick entre les deux principaux groupes linguistiques du pays. Cette définition se fonde principalement sur la connaissance des langues officielles de sorte qu'une personne qui n'est capable de converser que dans une seule des deux langues officielles se voit automatiquement attribuer cette langue comme première langue officielle parlée. Pour les personnes capables de soutenir une conversation en français et en anglais ou dans aucune des deux langues, la première langue officielle parlée est déterminée à partir des renseignements sur la langue maternelle et, en dernier recours, sur la langue parlée le plus souvent à la maison. Enfin, malgré l'utilisation de ces informations, il n'est pas possible d'assigner une première langue officielle parlée à certaines personnes, si bien qu'elles sont alors classées dans « anglais et français » ou « ni anglais ni français »Note 61 selon le cas (Statistique Canada, 1989).
Annexe 2
Annexe 3
Une limite importante du PEICA à l'égard de l'étude des compétences selon les groupes linguistiques est l'impossibilité de dériver la première langue officielle parlée de manière analogue à ce qui est réalisé au recensementNote 62. Afin de contourner cette limite, un couplage d'enregistrements a été réalisé entre le PEICA et le recensement de 2011. Cette stratégie novatrice permet de combiner l'information des deux sources de sorte que le concept de première langue officielle parlée tiré du recensement peut être directement utilisé pour définir les groupes linguistiques à l'étude.
Dans l'ensemble, le taux de couplage est de 95,5 %, c'est donc dire que les informations de plus de 26 000 répondants du PEICA ont été couplées avec succès aux données censitaires. Les répondants plus jeunes, de même que ceux demeurant dans les territoires et ceux dont la langue maternelle n'est pas l'anglais ou le français présentent des taux de couplage un peu plus faibles, bien qu'ils avoisinent malgré tout 90 %.
L'équipe du PEICA a procédé à un suréchantillonnage des minorités de langue officielle. Cette approche permet de pouvoir réaliser des analyses plus détaillées pour ces groupes. Par contre, malgré ce suréchantillonage, et comme l'atteste le tableau A3.1, le nombre de répondants faisant partie d'un groupe minoritaire sur le plan linguistique demeure relativement limité.
L'échantillon du PEICA comprend 845 personnes habitant au Nouveau-Brunswick dont la première langue officielle parlée est le français. Ces effectifs sont suffisants pour examiner plusieurs facettes de la littératie, mais limitent cependant la réalisation d'analyses plus fines telles que le croisement simultané de plusieurs variables.
Annexe 4
Annexe 5
Classification des secteurs d'industrie selon la croissance du nombre d'emplois au Nouveau-Brunswick entre 1994 et 2014.
Secteurs en très forte croissance : Le nombre d'emplois a plus que doublé dans la province entre 1994 et 2014.
- Services professionnels, scientifiques et techniques
- Services aux entreprises, services relatifs aux bâtiments et autres services de soutien
Secteurs en forte croissance : Le nombre d'emplois a augmenté de plus de 50 % à 100 % dans la province entre 1994 et 2014.
- Construction
- Soins de santé et assistance sociale
Secteurs en croissance modérée : Le nombre d'emplois en 2014 était à un niveau correspondant à plus de 90 % à 150 % du niveau de 1994.
- Services publics
- Commerce
- Transport et entreposage
- Finance, assurances, immobilier et location
- Services d'enseignement
- Information, culture et loisirs
- Hébergement et services de restauration
- Autres services
- Administrations publiques
Secteurs en déclin : Le nombre d'emplois a diminué d'au moins 10 % dans la province entre 1994 et 2014.
- Agriculture, foresterie, pêche, mines, exploitation en carrière et extraction de pétrole et de gaz
- Fabrication
Annexe 6
Annexe 7
Adéquation des compétences
Il existe plusieurs façons de mesurer l'adéquation des compétences. Dans le cadre de ce rapport, nous avons opté pour un indicateur basé sur les travaux de Desjardins et Rubenson (2011). Cette approche, qui repose également sur les données du PEICA, divise les travailleurs en quatre groupes suivant deux axes. Tout d'abord, le premier axe réfère à la complexité de l'emploi et est mesuré par la fréquence d'utilisation de la lecture au travail. Les répondants qui pratiquent la lecture au travail plus régulièrement que la fréquence canadienne médiane sont classés comme faisant une utilisation fréquente de la lecture dans leur milieu de travail; les autres étant classés comme pratiquant peu fréquemment la lecture au travail. L'hypothèse centrale de cette approche est qu'il existe une forte corrélation entre la pratique de la lecture au travail et le niveau de compétence requis pour ce faire. Ensuite, le second axe concerne le niveau de compétence en littératie des travailleurs, lesquels peuvent afficher de faibles compétences, ce qui correspond aux échelons inférieurs de l'échelle de littératie, ou de fortes compétences, représenté par les échelons supérieurs de cette échelle. En combinant ces deux axes, chaque travailleur peut être classé selon qu'il se trouve en situation de concordance ou non et selon son niveau de compétence. Le tableau suivant présente les quatre scénarios qui résultent de cette approche.
Annexe 8
Annexe 9
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