Section 3 : Les écosystèmes et les biens et services qu’ils produisent à l’échelle nationale

Au Canada, les principaux types d’écosystèmes sont les forêts, les milieux humides, les prairies, les toundras, les lacs, les rivières et les zones côtières et marines. À une échelle aussi grande, les changements dans la qualité des écosystèmes terrestres et aquatiques se constatent par la mesure des changements de variables comme la couverture terrestre ou la productivité des écosystèmes au fil du temps.

La section qui suit présente un aperçu des mesures de la qualité et de la productivité des écosystèmes au moyen d’un ensemble d’indicateurs expérimentaux à l’échelle nationale élaboré dans le contexte du projet MBSE. Ces indicateurs ont été conçus et élaborés pour mesurer l’évolution de la couverture terrestre, la modification du paysage, le potentiel en matière de services écosystémiques et l’extraction de la biomasse. De plus, des mesures des prises de poissons – un service d’approvisionnement important offert par les zones marines – et des mesures des biens et services écosystémiques (BSE) fournis par les milieux humides sont aussi présentées.

Évolution de la couverture terrestre au Canada

Il est utile de faire le suivi de l’évolution de la couverture terrestre et de l’utilisation des terres pour étudier l’état des écosystèmes terrestres. Les changements de la couverture terrestre résultant de pressions d’urbanisation comme l’expansion du réseau routier et des zones habitées peut influer sur la qualité des écosystèmes et sur leur capacité à produire des BSE. Toutefois, la couverture terrestre ne peut à elle seule expliquer entièrement la capacité des terres à soutenir et à maintenir les processus et fonctions écologiques. Par exemple, les corridors qui relient les parcelles de terre naturelles constituent des facteurs importants pour déterminer la capacité des terres à soutenir des habitats et la faune.

Une analyse à grande échelle de la couverture terrestre, fondée sur la base de données géospatiale MBSE, montre que les forêts et le couvert arbustif dominent dans les écozones de la taïga et du bouclier boréal 1 , que la majeure partie des Prairies sont des terres cultivées et que le Canada arctique est principalement constitué de terres stériles (carte 3.1).

De 2001 à 2011, la superficie totale des forêts de conifères, de feuillus et mixtes du pays est passée de 3,1 millions km2 à 3,0 millions km2 (une baisse de 4 %), alors que le couvert arbustif est passé de 2,4 millions km2 à 2,5 millions km2 (une hausse 4 %). Les zones bâties à l’intérieur et autour des villes et villages du Canada ont augmenté de 8 %, passant de 8 996 km2 à 9 680 km2 durant la même période (tableau 3.1), ce qui correspond à une superficie à peu près équivalente à celle de la ville de Toronto.

Beaucoup de ces changements résultent de la transformation des terres agricoles et des forêts entourant les villes et villages (tableau 3.2). Par exemple, entre 2000 et 2011, une superficie totale de 3 361 km2 a été convertie en zones bâties dans le sud du Canada 2 .

La perte d’une partie des meilleures terres agricoles du Canada, converties à d’autres fins, est préoccupante, compte tenu de la quantité limitée de cette ressource non renouvelable. Environ 5 % seulement des terres au Canada sont exemptes de contraintes importantes pour la production agricole 3 . De 2000 à 2011, les zones habitées occupant ces terres agricoles cultivables ont affiché une augmentation de 19 %, tandis qu’il y a eu une augmentation de 29 % sur les terres agricoles de classe 1, soit les meilleures terres agricoles du Canada 4 , 5 .

Certaines terres cultivées reviennent aussi à un état plus naturel, une superficie totale de 9 118 km2 s’étant transformée en arbustaie entre 2000 et 2011 (tableau 3.2).

Secteur d’intérêt : Grand Golden Horseshoe

Les analyses de la couverture terrestre peuvent aussi être axées sur les changements à l’échelle régionale ou locale 6 . Dans le sud de l’Ontario, la région du Grand Golden Horseshoe couvre près de 33 200 km2. Située à l’ouest du lac Ontario, cette région comprend certaines des plus grandes villes du Canada (carte 3.2). La région, nommée pour sa richesse économique et pour sa forme en fer à cheval, est un grand centre d’activité économique et comporte certaines des meilleures terres agricoles du Canada. En 2011, 26 % de la population canadienne vivait dans la région du Grand Golden Horseshoe.

L’urbanisation croissante du Grand Golden Horseshoe exerce des pressions sur le paysage. À l’intérieur du Grand Golden Horseshoe, la population est passée de 4,5 millions en 1971 à 8,7 millions en 2011 (tableau 3.3). En 1971, les deux tiers de la population de la région vivaient dans les zones habitées centrales autour de Toronto, d’Oshawa et de Hamilton à l’intérieur de la ceinture de verdure. Avec la croissance de la population, le nombre d’habitants de cette zone a augmenté de 36 %. La croissance de la population a toutefois été beaucoup plus marquée dans la zone adjacente, qui est passée de 39 148 habitants en 1971 à 1,8 million d’habitants en 2011. Dans l’ensemble, la proportion de la population vivant à l’intérieur de la ceinture de verdure, dans la ceinture de verdure et à l’extérieur de la ceinture de verdure est demeurée essentiellement inchangée au cours de la même période.

En reconnaissance des pressions d’urbanisation associées à la croissance de la population, le gouvernement a établi en 2005 une « ceinture de verdure » couvrant 22 % de la région du Grand Golden Horseshoe, afin de protéger de l’urbanisation les terres agricoles, les milieux humides, les forêts et les autres espaces verts 7 . Quand la ceinture de verdure a été établie, la zone se trouvant entre la ceinture et les zones habitées existantes, connue sous le nom de « ceinture blanche », a été désignée pour accueillir l’expansion urbaine future. Composée de terres rurales et agricoles, cette zone subit les pressions de la croissance de la population et des utilisations concurrentes des terres.

Entre 2000 et 2011, la zone habitée de la région du Grand Golden Horseshoe s’est accrue de 28 %, passant de 2 972 km2 à 3 807 km2 (tableau 3.4). Dans la région située à l’extérieur de la ceinture de verdure, la plus grande part de ce changement est attribuable à la conversion de terres naturelles 8  en zones habitées. À l’intérieur de la ceinture de verdure, près de 300 km2 ont été convertis en zones habitées, dont plus des deux tiers à partir de terres agricoles. Compte tenu de la disponibilité limitée de terres agricoles de bonne qualité au Canada, la perte de ces ressources non renouvelables pourrait avoir des incidences sur la durabilité de l’agriculture à long terme.

Mesure de la qualité des écosystèmes : Modification du paysage par l’humain

Les paysages qui sont le moins perturbés par l’activité humaine sont généralement mieux en mesure que les paysages modifiés de maintenir les fonctions écologiques complexes qui permettent la production de BSE. La couverture terrestre, les mesures du paysage et les pressions exercées par l’activité humaine ont été analysées par sous-aire de drainage (SAD) 9  afin de mieux comprendre la situation des paysages terrestres.

Cette évaluation est axée sur cinq mesures de la qualité des écosystèmes : le type de paysage, la superficie des parcelles de terre naturelles 10 , la distance à parcourir pour atteindre une parcelle de terre naturelle 11 , la densité des barrières 12  et la densité de la population (tableaux 1, 2 et 3, appendice C). Ces mesures fournissent des renseignements sur l’intégrité globale des zones naturelles et présentent les changements de la couverture terrestre et de la population, qui sont des indicateurs de la qualité des écosystèmes terrestres. Ensemble, ces cinq mesures de la modification du paysage par l’humain fournissent des renseignements sur la façon dont l’activité humaine a modifié les terres naturelles du Canada.

Type de paysage

Le type de paysage ainsi que les changements de la couverture terrestre au fil du temps peuvent fournir des renseignements sur l’importance des modifications apportées par l’humain au paysage et des changements dans la prestation ou le flux des BSE. Aux fins du présent rapport, les paysages terrestres 13  sont regroupés en trois grandes catégories : les terres naturelles ou en voie de retour à l’état naturel 14 , les terres agricoles et les zones habitées 15 .

Les paysages naturels, qui comprennent les forêts, les milieux humides, les terres stériles, les prairies et les arbustaies, sont parmi les zones les moins modifiées. Les terres agricoles peuvent avoir été moyennement ou fortement modifiées par rapport au paysage naturel, alors que les zones habitées sont fortement modifiées par rapport à leur état naturel. La conversion de terres vers un état de modification plus élevé peut avoir une incidence sur la productivité des écosystèmes. Par exemple, la conversion de terres naturelles en zones habitées peut avoir des répercussions sur les habitats disponibles et la biodiversité. Toutefois, le qualificatif « naturel » ne signifie pas que ces zones sont toujours hautement productives – certains paysages naturels peuvent ne pas être des fournisseurs importants de BSE.

Les paysages naturels sont le type de couverture terrestre dominant dans la plupart des régions du pays, mais on trouve dans certains secteurs des Prairies, du sud de l’Ontario et de la vallée du Saint-Laurent au Québec, ainsi qu’à l’Île-du-Prince-Édouard, une proportion beaucoup plus grande de paysages modifiés comparée aux autres SAD (tableau 2, appendice C).

En 2011, c’est dans les Prairies qu’on trouvait les SAD ayant la moins grande proportion de paysages naturels, soit celles du cours inférieur de la Saskatchewan Sud – 05H (8,5 %) et de la Battle – 05F (8,9 %). Ces SAD avaient aussi la proportion la plus élevée de paysages agricoles.

Les SAD ayant la proportion la plus élevée de terres habitées se trouvaient dans les zones hautement peuplées du corridor Windsor-Québec, dans le sud de l’Ontario et du Québec. Elles comprennent les SAD suivantes : lac Ontario et péninsule de Niagara – 02H (où les zones habitées couvrent 11,4 % du paysage), cours moyen du Saint-Laurent – 02O (7,7 %) et nord du lac Érié – 02G (6,6 %).

Conversion entre terres agricoles et terres naturelles ou en voie de retour à l’état naturel

De 2001 à 2011, les changements les plus importants dans la couverture terrestre correspondent au retour à l’état naturel de paysages agricoles 16 . Ces changements ont principalement eu lieu dans le sud des Prairies, notamment dans les SAD de la Qu’Appelle – 05J, de l’Assiniboine – 05M, du cours inférieur de la Saskatchewan Sud – 05H et du cours inférieur de la Saskatchewan Nord – 05G, où une superficie totale de 10 475 km2 de terres agricoles est revenue à l’état naturel ou est en voie de le faire. Pour mettre ce chiffre en contexte, précisons que ce changement représente une superficie trois fois plus grande que celle de la région métropolitaine de recensement (RMR) de Regina. D’autres changements importants ont eu lieu dans la SAD du cours supérieur de la rivière de la Paix – 07F, où une superficie totale de 1 258 km2 est revenue à l’état naturel ou est en voie de le faire.

Les plus importantes conversions en terres agricoles ont été faites à partir de paysages naturels et ont eu lieu dans les SAD du cours supérieur de la Saskatchewan Sud – 05A (1 468 km2) et Thompson – 08L (973 km2).

Conversion en paysages habités

De 2000 à 2011, une superficie de 3 158 km2 de terres agricoles et de terres naturelles a été convertie en zones habitées. Les augmentations les plus importantes des paysages habités de 2000 à 2011 ont eu lieu en Ontario et au Québec. La SAD ayant connu la plus grande augmentation est celle du lac Ontario et péninsule de Niagara – 02H, qui comprend Toronto; la zone habitée s’est accrue d’environ 627 km2, principalement au détriment de l’agriculture (carte 3.3).

D’autres augmentations importantes des zones habitées ont eu lieu dans les SAD du cours moyen du Saint-Laurent – 02O (311 km2), du nord du lac Érié – 02G (310 km2), de la Bow – 05B (201 km2) et du cours moyen de la Saskatchewan Nord – 05E (198 km2). La plupart de ces augmentations ont eu lieu au détriment de terres agricoles.

Nulle part au Canada on ne constate une diminution importante des paysages habités.

Superficie des parcelles de terre naturelles

La superficie des parcelles de terre naturelles peut donner une idée de la fragmentation du paysage et de sa capacité à maintenir les fonctions des écosystèmes. Par exemple, les zones naturelles d’une plus grande superficie offrent généralement de meilleurs habitats pour la faune 17 . Une zone plus petite peut offrir des ressources en quantité moindre et peut contribuer à accroître la compétition entre les espèces, ce qui peut avoir pour effet de réduire la richesse en espèces.

C’est dans les SAD ayant les populations humaines et les activités agricoles les plus importantes au pays, dont les Prairies et le sud de l’Ontario, qu’on trouve les parcelles de terre naturelles ayant la plus petite superficie. Les deux SAD du sud de l’Ontario, soit l’est du lac Huron – 02F et le nord du lac Érié – 02G, avaient en 2011 des parcelles de terre naturelles d’une superficie moyenne de 0,8 km2 et de 0,3 km2, respectivement. La superficie moyenne des parcelles dans huit des SAD ayant subi le plus de modifications dans les Prairies (O5E à 05J et O5M à 05O) s’établissait entre 0,3 km2 et 0,8 km2; il s’agit des parcelles parmi les plus petites au Canada.

La superficie des parcelles de terre naturelles est généralement plus grande dans les Maritimes que dans les paysages largement modifiés des Prairies, du sud de l’Ontario et de la vallée du Saint-Laurent au Québec. Dans les Maritimes, c’est dans la SAD de l’Île-du-Prince-Édouard – 01C qu’on trouve la superficie moyenne des parcelles de terre naturelles la moins élevée (2,3 km2).

En comparaison, la superficie moyenne des parcelles de terre naturelles dans la SAD du cours inférieur du Fraser – 08M en Colombie-Britannique s’établit à 80,6 km2.

Distance à parcourir pour atteindre une parcelle de terre naturelle

La distance moyenne à parcourir pour atteindre une parcelle de terre naturelle constitue un autre indicateur de l’ampleur de la modification du paysage. Par exemple, la distance à parcourir pour atteindre une parcelle de terre naturelle peut influer sur la capacité des pollinisateurs à répandre le pollen d’une zone naturelle à l’autre. Plus la distance augmente, plus il devient difficile pour les espèces de passer d’une zone à l’autre, ce qui peut réduire la diversité génétique.

La plus grande distance moyenne à parcourir pour atteindre une parcelle de terre naturelle se trouve dans les Prairies, dans la SAD de la Qu’Appelle – 05J, où elle s’établissait à environ 1 295 m en 2011. On trouve aussi dans les SAD de la Souris – 05N et du cours inférieur de la Saskatchewan Sud – 05H une distance moyenne à parcourir pour atteindre une parcelle de terre naturelle supérieure à un kilomètre (tableau 3, appendice C).

Dans les autres paysages hautement modifiés du sud de l’Ontario et de la vallée du Saint-Laurent au Québec, trois SAD (O2F, O2G et O2M) ont une distance moyenne à parcourir pour atteindre un paysage naturel de plus de 250 m. La SAD de l’Île-du-Prince-Edouard – 01C, avec une distance moyenne d’environ 230 m, est celle qui a la plus grande distance moyenne à parcourir dans les Maritimes. En contraste, plusieurs SAD avaient de courtes distances moyennes aux parcelles de terre naturels, par exemple, la SAD Abitibi – 04M au Québec avait une distance moyenne de 9 m.

Densité des barrières et de la population

Les routes et les infrastructures comme les lignes de chemin de fer et les lignes de transport d’énergie constituent un autre type de fragmentation du paysage. Ces installations linéaires découpent le paysage en parcelles plus petites. Ces barrières dégradent généralement les habitats, mais augmentent aussi le périmètre des zones naturelles, ce qui peut être bénéfique pour certaines espèces. Les routes accroissent aussi l’accès aux paysages naturels, ce qui facilite la prestation de services récréatifs et éducatifs 18 .

La densité des barrières et de la population et l’importance des zones habitées sont des paramètres liés les uns aux autres. Une densité de barrières plus élevée coïncide généralement avec une densité de population élevée, comme on peut le constater dans les quatre SAD du sud de l’Ontario (02E à 02H) et dans les SAD du cours supérieur et du cours moyen du Saint-Laurent au Québec (02M et 02O), de la Rouge – 05O dans les Prairies et de l’Île-du-Prince-Édouard – 01C (tableaux 1 et 3, appendice C).

De 2001 à 2011, les SAD ayant les densités de population les plus fortes se trouvaient dans le sud de l’Ontario et le long de la vallée du Saint-Laurent au Québec. Les densités les plus élevées se trouvent dans les SAD du lac Ontario et péninsule de Niagara – 02H (272 personnes/km2) et du cours moyen du Saint-Laurent – 02O (148 personnes/km2). On trouve aussi dans ces deux SAD, qui comprennent les villes de Toronto et de Montréal, des densités de barrières élevées, les moyennes s’établissant à 2,2 km/km2 et à 1,8 km/km2, respectivement.

Dans les Maritimes, c’est dans la SAD de l’Île-du-Prince-Édouard – 01C que l’on trouve la densité de population la plus élevée, soit 25 personnes/km2, ainsi que la densité des barrières la plus élevée (1,4 km/km2). Dans les Prairies, c’est dans la SAD de la Bow – 05B que l’on trouve la densité de population la plus élevée (52 personnes/km2), alors que sur la côte ouest, la densité de population la plus élevée se trouve dans la SAD du cours inférieur du Fraser – 08M (33 personnes/km2).

Certaines des augmentations les plus importantes de la densité de la population ont eu lieu dans les Prairies et dans le sud de l’Ontario – la densité de la population a augmenté dans les SAD du cours supérieur de la Saskatchewan Nord – 05D (27 %), de la Bow-05B (28 %), de la Red Deer – 05C (19 %), du cours moyen de la Saskatchewan Nord – 05E (19 %) et du lac Ontario et péninsule de Niagara – 02H (16 %).

Ces cinq indicateurs – le type de paysage, la superficie des parcelles de terre naturelles, la distance à parcourir pour atteindre une parcelle de terre naturelle, la densité des barrières et la densité des populations – peuvent être mis en relation les uns avec les autres et, lorsqu’ils sont examinés ensemble, peuvent contribuer à donner une représentation utile de la qualité globale d’un écosystème.

Potentiel en matière de services écosystémiques : Étude de cas de la forêt boréale

Le potentiel en matière de services écosystémiques s’entend de la capacité des paysages à offrir des biens et services sans nuire à l’intégrité des écosystèmes 19 , 20 . Cette capacité dépend des structures et des processus biophysiques des écosystèmes comme le climat, les sols, la couverture terrestre et la productivité, qui interagissent pour générer les fonctions des écosystèmes 21 . Bien que les services écosystémiques doivent bénéficier à l’humain pour être considérés comme tels, le potentiel à offrir un service existe indépendamment de l’utilisation qui en est faite.

Un cadre de quantification du potentiel des paysages à produire des BSE a été élaboré dans le contexte du projet de la MSBE. L’étude de cas de la forêt boréale 22  a servi pour mettre à l’essai et démontrer la valeur de cette approche (appendice D). Les services écosystémiques visés par l’étude de cas sont la prestation d’habitats, la séquestration du carbone, la résilience aux épidémies d’insectes, les possibilités de vivre des expériences en solitaire dans la nature sauvage, les proies pour la chasse, les stocks de bois, la beauté des paysages, la présence d’habitats favorables à des espèces phares ou emblématiques, la purification de l’air, la fertilité des sols et la purification de l’eau.

Dans le cadre de l’étude de cas, on a également appliqué une mesure agrégée permettant à la fois d’évaluer le potentiel total des écosystèmes– c’est-à-dire la capacité globale relative d’un écosystème à offrir un certain nombre de services écosystémiques différents – et de représenter les contributions individuelles de chaque BSE.

De l’information à propos d’un service de régulation, soit la purification de l’eau, est présentée ci-dessous à titre d’illustration.

La purification de l’eau, un service de régulation

Les écosystèmes forestiers peuvent influer sur la qualité de l’eau de nombreuses façons. Les forêts riveraines fournissent de l’ombre, ce qui modère la température de l’eau, et constituent aussi une source de débris organiques et d’éléments nutritifs qui sont utilisés par les organismes aquatiques. Les processus naturels dans les zones boisées, comme les glissements de terrain, l’érosion des cours d’eau, les chablis et les feux de forêt, peuvent influer sur la qualité de l’eau en augmentant les concentrations des sédiments et des éléments nutritifs, ainsi que la température des petits cours d’eau. Les forêts modifient aussi la chimie des précipitations reçues, en raison des interactions entre végétaux et sol. Les perturbations naturelles et les activités de gestion peuvent modifier les concentrations des matières dissoutes et des particules chimiques dans les plans d’eau 23 .

La purification de l’eau s’entend de la filtration et de la décomposition des déchets et des polluants qui se trouvent dans l’eau, ainsi que de l’assimilation et de la détoxication des composés dans le sol et le sous-sol. Les résultats préliminaires de l’étude révèlent que le potentiel des bassins hydrographiques boréaux en matière de purification de l’eau est sensiblement intact, 71 % des bassins hydrographiques évalués n’ayant connu aucun changement défavorable de leur potentiel de purification de l’eau entre 2000 et 2010 (cartes 3.4, 3.5 et 3.624 .

Bien qu’il soit encore relativement élevé, l’indice du potentiel de purification de l’eau des bassins hydrographiques a diminué dans certaines régions de la forêt boréale de 2000 à 2010, notamment dans le sud-ouest et dans l’est. Parmi les causes sous-jacentes, citons une augmentation des zones touchées par des feux de forêt, une réduction de la couverture forestière et des zones forestières riveraines tampons, et une augmentation des zones habitées et autres installations humaines (par exemple, les routes, les lignes de transport d’électricité).

Mesure de la productivité de l’écosystème : Extraction de la biomasse nationale

Les écosystèmes ont la capacité de produire ou de contribuer à la production de nombreux biens qu’utilise l’humain, y compris des matières organiques comme des produits agricoles, du poisson et du bois, que l’on désigne collectivement par le terme « biomasse ». L’extraction de ces biens peut exercer des pressions sur les écosystèmes en réduisant leur capacité à produire des BSE dans le futur. Par exemple, la surpêche peut épuiser les stocks de poissons sur lesquels l’humain compte comme ressource naturelle, les pratiques d’exploitation agricole et forestière peuvent entraîner l’érosion des sols, et le surpâturage découlant de l’élevage de bétail peut dégrader la productivité des pâturages et des parcours. La mesure de l’extraction de la biomasse constitue une étape vers l’élaboration d’indicateurs qui permettront de déterminer si l’utilisation que fait l’humain des biens écosystémiques est durable 25 , 26 . Pour obtenir plus de renseignements, voir l’appendice E.

Le tableau 3.5 présente l’extraction de la biomasse pour usage humain dans les catégories suivantes : cultures agricoles, bétail et volaille, lait, produits de l’érable et miel, exploitation forestière et pêcheries. On estime à 285,8 millions de tonnes la biomasse extraite pour l’utilisation par l’être humain à partir des écosystèmes terrestres et aquatiques du Canada en 2010. L’extraction de la biomasse liée aux cultures agricoles était la plus élevée en Alberta, en Saskatchewan et en Ontario. Les trois principales provinces produisant du bétail et de la volaille étaient le Québec, l’Alberta et l’Ontario. Le Québec et l’Ontario représentaient la plus grande part de l’extraction de la biomasse sous forme de lait, de produits de l’érable et de miel.

La moitié de l’extraction de la biomasse issue de l’exploitation forestière au Canada s'est fait en Colombie-Britannique, suivie de l’Alberta (15 %) et du Québec (13 %). Les pêches côtières représentaient la plus grande part de l’extraction totale de la biomasse provenant des pêches commerciales au Canada, la grande majorité provenant des provinces de l’Atlantique.

La majeure partie de l’extraction de la biomasse s'est fait en Colombie-Britannique, en raison de l’importance de l’exploitation forestière (carte 3.7). L’extraction de la biomasse est, en proportion, moins soutenue dans les zones marines et côtières, la contribution relative des pêches à l’extraction totale de la biomasse étant moins élevée que celle de l’exploitation agricole et de l’exploitation forestière. Par comparaison, très peu de la biomasse est extraite dans le Nord du Canada.

Biens et services produits par les écosystèmes marins et côtiers

On estime que les océans et les côtes pourraient produire les deux tiers des biens et services écosystémiques à l’échelle planétaire 27 . Toutefois, les écosystèmes marins et côtiers de partout dans le monde sont menacés de toutes parts : surpêche, aménagement du littoral et incidences du changement climatique et de l’acidification des océans 28 . Compte tenu des nombreuses lacunes des connaissances en matière d’écosystèmes marins, les effets cumulatifs de ces facteurs et leurs répercussions sur les composantes et les fonctions des écosystèmes et sur la prestation de BSE suscitent d’importantes préoccupations.

Encadré 2 : Zones marines et côtières

Les eaux marines et côtières du Canada ont une superficie de quelque 5,6 millions de kilomètres carrés 29 , ce qui équivaut à environ 56 % des terres émergées du pays. Ces eaux ont été classifiées en 12 écorégions, selon leurs caractéristiques océanographiques, leur profondeur et leurs fonctions écologiques générales (voir l’appendice H). À plus petite échelle, on trouve une grande diversité d’écosystèmes, allant des estuaires, baies, fjords et autres zones côtières à la pleine mer, en passant par les pentes et plateaux continentaux.

Chaque zone de l’océan, depuis le sous-sol marin jusqu’au-dessus de la surface, présente une grande diversité. Les zones marines ont des profils caractéristiques en matière de température et de chimie, ainsi que des courants et marées prévisibles. Ces caractéristiques influencent les types d’organismes qui vivent dans chaque zone, y compris la végétation des herbiers et les autres plantes marines, les coraux, éponges et autres invertébrés comme les oursins et les étoiles de mer qui vivent sur le fond marin ou juste au-dessus, le phytoplancton et le zooplancton, les poissons et les mammifères marins comme les phoques, les dauphins et les baleines, ainsi que les oiseaux de mer qui vivent sur terre, sur l’eau et dans l’air. Ces différentes composantes de l’écosystème interagissent les unes avec les autres et s’influencent mutuellement – elles sont proies ou prédateurs, procurent un abri à d’autres espèces ou se livrent concurrence pour occuper l’espace et se nourrir.

Les BSE marins dépendent de la santé des composantes, des processus et des fonctions des écosystèmes marins. Par exemple, les pêcheries dépendent des structures et des processus nécessaires pour soutenir des populations de poissons productives, ce qui comprend la reproduction, la croissance, la survie et la disponibilité des poissons récoltés et de leurs proies. Le cycle du carbone dans l’océan dépend de la dissolution et de la libération du dioxyde de carbone atmosphérique dans l’eau, ainsi que de l’absorption et de la libération du carbone par les plantes marines – l’équilibre entre ces facteurs détermine si les océans sont une source ou un puits de dioxyde de carbone atmosphérique. Les valeurs récréatives peuvent dépendre de la présence d’espèces de poissons appréciées des pêcheurs ou de la diversité vivante que l’on peut admirer en plongeant dans les eaux côtières.

Une caractéristique importante des écosystèmes marins et des biens et services qu’ils produisent est la mesure dans laquelle ils sont interreliés. Une pêche qui épuise les stocks d’un type de poisson en particulier risque d’avoir des effets indirects sur d’autres espèces, à cause des nombreuses relations écologiques. Certaines méthodes de pêche dégradent les habitats marins, ce qui sape leur potentiel de production et peut avoir des répercussions sur d’autres BSE. Des taux élevés de dioxyde de carbone dans l’océan augmentent l’acidité de l’eau, ce qui peut influer sur les mollusques et crustacés 30  et créer un environnement anoxique qui risque de tuer les poissons 31 .

Les poissons – qui constituent probablement le service d’approvisionnement le mieux connu – peuvent être capturés pour la consommation humaine directe et, dans une moindre mesure, pour la consommation animale. Les poissons sont en outre de plus en plus cultivés aux fins de consommation humaine.

Les écosystèmes marins et côtiers jouent aussi un rôle important dans la régulation du climat à l’échelle planétaire, à la fois à cause du rôle des océans dans l’absorption et le déplacement de la chaleur et parce qu’une bonne partie du dioxyde de carbone provenant de la combustion de combustibles fossiles et d’autres sources émis dans l’atmosphère finit par se retrouver dans les océans 32 . Les océans diluent et recueillent aussi les eaux usées et d’autres déchets, et les herbiers et la végétation du littoral protègent les côtes de l’érosion 33 .

Des services culturels associés à des avantages économiques importants, par exemple le camping, la navigation de plaisance, la pêche, la plongée et l’observation des baleines, sont aussi offerts par les écosystèmes marins et côtiers. Parmi les autres services culturels, citons la valeur patrimoniale rattachée aux océans et aux interactions de l’humain avec les océans.

Bien que les océans offrent un grand nombre d’importants BSE, il existe peu de données à ce sujet, sauf dans la cadre des prises commerciales de poissons 34 . En 2011, les débarquements commerciaux de poissons sur les côtes atlantique et pacifique du Canada atteignaient au total plus de 850 000 tonnes (tableau 3.6). Les deux tiers du poids débarqué provenaient d’un nombre relativement peu élevé de régions (cartes 3.8 et 3.9).

Il importe de caractériser les relations spatiales pour comprendre les BSE marins et côtiers. Les zones d’où l’on tire un faible poids débarqué peuvent tout de même être importantes pour le bien-être d’une espèce pêchée. Par exemple, le saumon éclot dans les rivières, parfois à des centaines de kilomètres de l’océan, mais passe la majeure partie de sa vie adulte à se nourrir et à croître dans l’océan avant de revenir frayer à sa rivière natale. D’autres espèces, comme la moule, passent presque toute leur vie au même endroit, mais leurs oeufs et leurs larves peuvent dériver sur des centaines de kilomètres avant de se poser au fond de l’océan, où la nourriture qu’ils prélèvent dans l’eau peut aussi provenir d’une source assez lointaine. Ces exemples montrent comment les facteurs qui influent sur les écosystèmes, par exemple la pollution, peuvent provenir d’une zone particulière et pourtant avoir des répercussions importantes sur des populations de poissons se trouvant ailleurs.

Il importe également de comprendre les relations spatiales pour d’autres BSE marins et côtiers. Les services récréatifs sont plus utilisés dans les zones très peuplées, où ils sont accessibles à un plus grand nombre de personnes. Toutefois, la pollution provenant de sources éloignées peut être transportée dans ces zones récréatives, ce qui réduit la jouissance de ces services dont peuvent profiter les résidents locaux et les visiteurs. D’autres services, comme la séquestration du carbone, sont fournis par des écosystèmes répartis sur une plus grande superficie, et les avantages sont également plus largement répartis.

Les données qui permettraient d’évaluer la situation des écosystèmes marins et côtiers et des BSE sont parsemées. Toutefois, il existe des données pertinentes concernant les pêches commerciales, puisque chercheurs et gestionnaires assurent le suivi et l’évaluation de l’état des stocks de poissons au regard de données de référence (p. ex, zone saine, zone de prudence et zone critique). En 2011, un sommaire de l’état de 155 stocks de poissons canadiens importants indiquait que 46 % se trouvaient dans la zone saine, 20 % dans la zone de prudence et 11 % dans la zone critique, l’état des autres 23 % des stocks de poissons demeurant inconnu 35 .

Évaluation des biens et services produits par les écosystèmes marins et côtiers

Chaque zone marine ou côtière peut fournir un large éventail et une grande quantité de BSE. Beaucoup sont des biens intermédiaires d’une chaîne de production menant à un bien ou à un service final, et il reste beaucoup de travail à faire pour démêler cet écheveau et établir des estimations réalistes des valeurs monétaires. Un certain nombre de méthodes pourraient être appliquées pour évaluer les valeurs de ces BSE (appendice B).

Les prises des pêches commerciales sont presque toujours associées à des marchés et à des transactions financières, et peuvent donc faire l’objet d’un suivi. En revanche, d’autres services fournis par les zones marines et côtières ne sont associés à aucun marché. On ne peut donc pas observer de prix explicites payés pour ces services par les bénéficiaires – en fait, les bénéficiaires ne savent même pas nécessairement qu’ils profitent des services.

En 2011, les débarquements de pêches commerciales étaient évalués à 2,1 milliards de dollars (tableau 3.6). Les cartes 3.10 et 3.11 montrent les zones des eaux canadiennes du Pacifique et de l’Atlantique où ces pêches génèrent la plus grande valeur. La valeur des pêches n’est pas répartie également sur le plan géographique, les zones de concentration spécifiques variant selon l’espèce. À cause des écarts dans la valeur marchande du poisson, du homard, du crabe et d’autres espèces, les zones offrant la valeur la plus élevée ne sont pas toujours les mêmes que celles où le poids débarqué est le plus grand. En outre, dans certaines zones côtières, même une valeur débarquée relativement faible peut être essentielle pour l’économie locale.

Les pêches récréatives constituent un autre exemple de service pour lequel il existe des estimations de la valeur monétaire – en 2010, les dépenses directes des pêcheurs à la ligne pour des voyages de pêche ont atteint au total 2,5 milliards de dollars 36 . Bien qu’une partie de ce montant concerne la pêche en eau douce, les dépenses relatives à des excursions de pêche en mer en Colombie-Britannique totalisaient à elles seules 368 millions de dollars; un montant supplémentaire de 338 millions de dollars consacrés à des achats importants et à des investissements est entièrement attribuable à la pêche récréative en mer dans la province 37 . Une partie de ces sommes correspond à la valeur des poissons eux-mêmes, mais une autre partie est imputable à d’autres aspects de l’expérience de pêche récréative, dont certains dépendent aussi en partie des BSE.

Les BSE marins et côtiers fournissent des avantages à de nombreuses échelles – ces services vont de la pêche récréative dans les eaux locales jusqu’à la séquestration essentielle du carbone accomplie par les océans à l’échelle planétaire. Certains bénéficiaires ont un intérêt plus direct dans la saine gestion des actifs des écosystèmes côtiers et marins, puisque ces actifs soutiennent directement leur subsistance par le truchement des activités de récolte et de transformation. Les cartes 3.12 et 3.13 présentent l’écoumène des pêcheries côtières maritimes du Canada. Elle est axée sur les zones côtières à l’échelle des écodistricts 38  dans lesquelles on trouve certaines activités d’emploi liées au milieu marin – pêche commerciale, aquaculture et transformation. Sur la côte est, en 2006, ces activités représentaient 14 % des emplois dans les collectivités où ces activités étaient exercées, comparativement à 4 % sur la côte ouest (tableau 3.7). Dans certaines petites collectivités, ces activités représentaient entre le tiers et près de la moitié des emplois. 39 

Biens et services écosystémiques produits par les milieux humides d’eau douce

L’eau qui circule dans l’environnement est transformée d’un état à l’autre et transférée d’un écosystème à l’autre. Les milieux humides, qui sont des zones où l’eau s’accumule durant des périodes prolongées, jouent un rôle important dans ce cycle de l’eau.

Les milieux humides sont des terres qui sont recouvertes, de façon saisonnière ou permanente, d’eau peu profonde, et comprennent les terres où la surface de la nappe se trouve au niveau du sol ou près du niveau du sol. On peut classer les milieux humides en deux grandes catégories – soit les milieux humides organiques et minéraux – qu’on peut ensuite subdiviser en cinq sous-catégories : les marais, les marécages, les tourbières hautes, les tourbières basses et les zones d’eau de surface peu profonde.

Comme ils servent d’interface entre les milieux aquatiques et terrestres, les milieux humides exercent des fonctions vitales et fournissant des BSE essentiels à l’échelle planétaire, régionale et locale. Parmi les importants services et fonctions fournis par les milieux humides, citons la régulation du débit et de la qualité de l’eau, la rétention et la formation du sol et le climat. Les milieux humides procurent aussi un habitat à de nombreuses espèces – végétales et animales, terrestres et aquatiques – et offrent des possibilités d’activités récréatives et éducatives.

Importance des milieux humides d’eau douce au Canada

Il existe des milieux humides dans divers environnements et cadres naturels partout au Canada (carte 3.14). Bien qu’il y ait de nombreux types de milieux humides, deux présentent un intérêt particulier sur le plan national et régional en raison de la superficie qu’ils occupent et de leur nombre – soit les tourbières et les milieux humides de la région des cuvettes des Prairies.

Les tourbières – milieux humides organiques – constituent le type de milieu humide le plus courant au Canada; elles couvrent environ 12 % du paysage 40  et représentent quelque 76 % de la superficie totale des milieux humides 41 . De grandes superficies de tourbières sont concentrées dans les basses-terres de la baie d’Hudson, dans le nord de l’Alberta, dans le centre des Territoires-du-Nord-Ouest et dans certaines régions du Manitoba (carte 3.15). Plus du tiers (37 %) de la superficie totale des tourbières est gelée toute l’année et est particulièrement sensible au changement climatique 42  .

La région des cuvettes des Prairies – une zone d’une superficie d’environ 390 000 km2, soit 22 % des provinces des Prairies 43  – est connue pour les centaines de milliers de petites « cuvettes » de milieux humides qui parsèment le paysage. Ces petits milieux humides ont généralement moins d’un hectare (ha); l’eau peut y être présente en permanence ou sporadiquement, et ils peuvent être isolés ou reliés aux eaux de surface des ruisseaux et rivières 44 . Bien que chacune de ces cuvettes soit relativement petite, ensemble elles jouent un rôle important dans l’hydrologie des Prairies.

Au fil des ans, les activités d’aménagement et d’autres pressions ont fait en sorte que des milieux humides de tous genres ont été convertis pour d’autres utilisations des terres à l’intérieur et autour des zones agricoles et des zones habitées, ce qui a entraîné des pertes importantes de BSE produits par les milieux humides. On estime que depuis 1800, 200 000 km2 des milieux humides ont été perdus au Canada, par suite de drainage et d’autres types d’activité humaine 45 .

Dans les Prairies, les petites cuvettes de milieux humides subissent des pressions continues en raison de l’utilisation des terres, et perdent du terrain plus rapidement que tous les autres types de milieux humides, généralement au profit de terres agricoles 46 . Depuis 1900, entre 40 % et 70 % des cuvettes des prairies de l’ouest de l’Amérique du Nord ont été drainées, principalement pour accroître la production agricole 47 , 48 , 49 .

Dans le sud de l’Ontario, la superficie couverte par les grands milieux humides – ceux de plus de 10 ha – a diminué d’environ 72 % entre l’époque d’avant la colonisation et 2002 50 . Bien que la plus grande partie de ce changement se soit produite il y a longtemps, on constate une réduction de 3,5 % entre 1982 et 2002 51 .

En Alberta, on estime que jusqu’à 64 % des milieux humides ont été perdus entre le début de la colonisation et 1996 52 . D’après le gouvernement de l’Alberta, la superficie des milieux humides a diminué de 24 % dans le marécage de Shepard, à l’est de Calgary, ce qui représente une perte de 7,7 km2 entre 1962 et 2005 53 .

L’incidence du changement climatique sur les milieux humides suscite de plus en plus d’intérêt en raison des changements dans le cycle de l’eau, y compris dans la fréquence, l’ampleur, le moment et la répartition des précipitations, ainsi que l’accroissement de la température, particulièrement dans les régions arctiques et subarctiques. Des chercheurs ont constaté qu’environ 60 % des tourbières du Canada subiront les répercussions du changement climatique, qui entraînera des changements importants dans les services écosystémiques qu’ils fournissent. Ces changements ont déjà commencé et l’on prévoit qu’ils s’accéléreront, ce qui entraînera la dégradation du pergélisol dans les régions subarctiques et boréales et un assèchement important des tourbières dans le sud de la région boréale 54 .

Vers une évaluation des biens et services produits par les milieux humides

Des études récentes menées en Ontario ont révélé que les écosystèmes des milieux humides fournissent les services ayant la plus grande valeur et sont les écosystèmes offrant la plus grande valeur par hectare 55 . La valeur des BSE produits par les milieux humides côtiers des Grands Lacs, dans le sud de l’Ontario, est estimée à près de 15 000 $/ha/année 56 . Dans le bassin hydrographique de Credit Valley, dans le sud de l’Ontario, les services fournis par les milieux humides ont été estimés à 187 millions de dollars par année 57 . Les valeurs potentielles à des fins récréatives des milieux humides du marécage de Shepard, à Calgary, ont été estimées à environ 4,4 millions de dollars par année 58 . La valeur annuelle du phosphore et de l’azote transformés par les milieux humides de la vallée du bas Fraser en Colombie-Britannique était estimée entre 452 $/ha et 1 270 $/ha 59 , respectivement.

Bien que certains organismes aient attribué des valeurs monétaires aux BSE produits par les milieux humides, l’évaluation demeure problématique d’un point de vue comptable, à cause de la difficulté de déterminer des méthodes appropriées et d’obtenir des données suffisantes. L’inventaire des milieux humides du Canada n’est pas complet, principalement à cause de la superficie du pays et du nombre de milieux humides, mais aussi à cause de la complexité de la délimitation de ces zones.

En conséquence, la présente analyse est axée sur les caractéristiques contextuelles de l’offre et de la demande régionales pour les BSE offerts par les milieux humides afin de mieux comprendre l’importance et la valeur relative de certains BSE spécifiques aux milieux humides dans différentes régions du pays 60 . L’analyse contextuelle permet d’explorer et de mieux comprendre des aspects importants de la valeur, particulièrement dans les cas où des mesures monétaires ou physiques ne sont pas possibles.

Les tableaux 1, 2 et 3, appendice F, présentent les caractéristiques de l’offre et les indicateurs de la demande pour les services fournis par les milieux humides par sous-aire de drainage (SAD), en fonction de la densité de la population, de l’utilisation des terres agricoles, du chargement en bétail, de l’aménagement des terres 61 , de l’application d’engrais et de l’azote et du phosphore provenant du fumier, comparant ces indicateurs de la demande à l’étendue ou à l’offre des milieux humides dans chaque région. Par exemple, les SAD du lac Ontario et péninsule de Niagara-02H, du Cours moyen du Saint-Laurent-02O et du Nord du Lac Érié-02G comptent les populations, ainsi que les densités de bétail et les proportions de terres agricoles, parmi les plus importantes. Ces indicateurs contribuent à représenter la pression que les êtres humains exercent sur les écosystèmes et peut aussi indiquer une demande plus forte pour les services fournis par les zones humides.

La section traite aussi plus en détail des BSE des milieux humides pour une région de drainage en particulier – celle d’Assiniboine-Rouge dans les Prairies – pour illustrer comment des études locales et régionales peuvent permettre de déterminer les avantages des BSE fournis par les milieux humides.

Services de régulation du débit d’eau

Les milieux humides modifient le débit de l’eau qui passe dans les bassins hydrographiques 62 , ce qui réduit l’importance des débits de pointe 63  et permet de compenser les débits faibles. Ce service de régulation du débit est important dans les bassins hydrographiques où le débit est très variable, où les débits de pointe peuvent entraîner de graves inondations et où les débits faibles exacerbent la sécheresse. Au Canada, la variabilité du débit 64 , les risques d’inondation et les conditions de sécheresse sont plus marqués dans les Prairies, bien que d’autres régions connaissent des préoccupations similaires à des échelles plus locales. Les inondations survenues en 2013 à Calgary et à High River mettent en lumière le problème de la variabilité du débit et l’importance des services fournis par les milieux humides.

La région des Prairies du Canada présente des caractéristiques hydrologiques très diversifiées, la partie sud-ouest accueillant des bassins semi-arides assez bien drainés et les parties relativement humides du centre-nord et de l’est étant dotées de nombreux milieux humides et lacs 65 . Les SAD de la Missouri – 11A, de la Souris – 05N et de l’ouest du lac Winnipeg – 05S, dans le sud des Prairies, ont le débit d’eau le plus variable du pays (tableau 3, appendice F). Cette variabilité du débit d’eau est un facteur parmi plusieurs qui, considérés ensemble, favoriseraient à donner une valeur élevée à certains milieux humides.

La perte totale de la capacité de rétention en eau attribuable au drainage des milieux humides du marécage de Shepard à Calgary est estimée à 9,2 millions de mètres cubes de 1965 à 2011 66 , ce qui représente une diminution de 20 % de la capacité de rétention en eau et pourrait avoir des répercussions sur la prestation des services de protection contre les inondations.

Services de régulation de la qualité de l’eau

Les milieux humides ont la capacité de capturer et de retenir les éléments nutritifs et les polluants dissous ou en suspension dans l’eau, ce qui contribue à purifier et à nettoyer l’eau. Les données sur le phosphore et l’azote contenus dans le fumier du bétail, l’application d’engrais, la population et la production agricole fournissent un contexte pour expliquer la demande pour les services de régulation de la qualité de l’eau offerts par les milieux humides et la valeur de ces services (tableau 3, appendice F).

L’eutrophisation– l’enrichissement en éléments nutritifs des plans d’eau – constitue un problème grave partout au Canada, notamment dans les régions où le paysage a été considérablement modifié par l’activité humaine, par exemple dans les Prairies, dans le sud de l’Ontario et dans le sud-ouest du Québec. C’est dans la SAD du nord du lac Érié – 02G, dans le sud de l’Ontario, que l’on trouve les taux de modification du paysage parmi les plus élevés, tel que représenté par la dimension des parcelles de terre naturelle. On y retrouve aussi parmi les plus grands pourcentages de superficie de terre fertilisée et parmi les plus fortes quantités d’azote et de phosphore provenant du fumier (tableau 3, appendice F).

Services de rétention et de formation du sol

La rétention et la formation du sol dans les milieux humides se produisent lorsque le sol érodé et les particules de sol en suspension se séparent de l’eau en passant dans les milieux humides, au lieu d’être emportés par les ruisseaux et rivières. Ce processus de rétention du sol est particulièrement important dans les zones hautement modifiées des Prairies, sur la rive sud du Saint-Laurent au Québec et dans le sud de l’Ontario, parce que l’érosion est plus susceptible de se produire là où le paysage a été modifié.

Une augmentation des solides en suspension et de la turbidité 67  peut indiquer une accélération de l’érosion. En 2011, les degrés de turbidité des eaux de surface non traitées approvisionnant les usines d’eau potable étaient les plus élevés dans les régions de drainage des Prairies et du Saint-Laurent 68 .

Services de prestation d’habitats

Les milieux humides procurent divers habitats aux organismes terrestres et aquatiques, par exemple des habitats de nidification pour les oiseaux. On trouve dans les milieux humides environ 600 espèces d’animaux, dont plus du tiers des espèces en péril du Canada 69 . Compte tenu de leur grande productivité biologique, les services d’habitat que procurent les milieux humides ont une grande valeur partout, mais particulièrement dans les zones où les milieux humides sont plus ou moins rares ou là où le paysage est fortement modifié, par exemple dans le sud de l’Ontario et dans les Prairies (tableaux 1 et 3, appendice F). Si l’on classe les SAD en fonction des superficies moyennes des parcelles de terre naturelle, on constate que les Prairies sont l’hôte de huit des dix paysages les plus modifiés, les deux autres se trouvant dans le sud de l’Ontario (tableau 3, appendice F).

Services de régulation du climat

La séquestration du carbone constitue un important service mondial fourni par les milieux humides. Par exemple, les tourbières contribuent à atténuer la libération dans l’atmosphère de gaz à effet de serre comme le méthane en séquestrant le carbone sous forme de matière organique dans le sol. Comme le pergélisol commence à dégeler en raison du changement climatique, ces tourbières pourraient commencer à libérer des gaz à effet de serre au lieu de séquestrer le carbone, ce qui renverserait les services de régulation du climat qu’elles procurent à l’heure actuelle 70 .

On trouve un grand nombre de tourbières dans les SAD entourant les basses terres de la baie d’Hudson, dans le nord de l’Alberta, dans le centre du Manitoba, dans les Territoires-du-Nord-Ouest et dans certaines régions de Terre-Neuve et de la Nouvelle-Écosse (tableau 1, appendice F). Dans les basses terres des baies d’Hudson et James, une région au sud et à l’ouest des baies d’Hudson et James, les tourbières couvrent une superficie ininterrompue d’environ 290 000 km2 à 325 000 km2 71 , 72 , 73 , 74 .

Services récréatifs et éducatifs

Les SAD le long du corridor Windsor-Québec et au sud des Prairies ont connu des modifications considérables par rapport à leur état naturel. Les zones agricoles représentent plus de 74 % de la superficie des terres dans 12 de ces SAD, tandis que 6 SAD comportent les proportions de zones habitées parmi les plus élevées au pays (tableau 3, appendice F). Par ailleurs, le nombre et la taille des zones humides ont diminué au fil du temps 75 , 76 . La prédominance des paysages modifiés, ainsi que la diminution du nombre et de la taille des zones humides, ont des répercussions sur la disponibilité de services éducatifs et récréatifs en milieu naturel.

Les autres milieux humides, comme ceux du parc national de la Pointe-Pelée et du parc provincial Rondeau, situés dans le SAD hautement peuplé du Nord du lac Érié – 02G dans le sud de l‘Ontario, acquièrent une valeur ajoutée à cause de la rareté des milieux humides et des paysages naturels dans les régions voisines. Ces deux parcs et les collectivités des environs bénéficient de l’activité économique générée par les personnes qui se déplacent pour visiter les parcs à des fins récréatives ou éducatives, par exemple pour observer les oiseaux ou faire de la randonnée.

Secteur d’intérêt : Région de drainage Assiniboine-Rouge

La région de drainage Assiniboine-Rouge est située dans la partie centrale sud et sud-est des Prairies (carte 3.16). Le paysage de cette aire de drainage a été fortement modifié par les activités agricoles. En 2011, elle accueillait une population de 1,47 million d’habitants (tableau 2, appendice F) et plus de 34 400 exploitations agricoles 77 . Elle comprend les sous-aires de drainage de l’Assiniboine – 05M, de la Souris – 05N, de la Qu’Appelle – 05J et la partie canadienne de la SAD de la Rouge – 05O, qui se drainent toutes dans le lac Winnipeg. Ces quatre SAD font partie des paysages les plus modifiés du Canada, plus de 75 % des terres étant utilisées pour l’agriculture. Les parcelles de terre naturelles sont parmi les plus petites au Canada, alors que les distances à parcourir pour atteindre un paysage naturel sont parmi les plus grandes au pays. À titre d’exemple, dans la SAD de la Qu’Appelle, il faut parcourir 1,3 km en moyenne avant d’atteindre une zone de terre naturelle de plus de 250 m2.

Les milieux humides couvrent entre 10 % et 20 % du paysage de la région de drainage Assiniboine-Rouge (tableau 1, appendice F), bien que la région comporte aussi bon nombre de petites cuvettes de milieux humides qu’il n’est pas facile de mesurer et qui sont donc généralement exclues des estimations 78 . Dans cette région, le drainage et la conversion en terres agricoles ont causé et continuent de causer beaucoup de pertes de milieux humides. Par exemple, entre 1968 et 2005, une proportion de 21 % de la superficie des milieux humides du bassin hydrographique du ruisseau Broughton au Manitoba a été détériorée ou éliminée à cause des activités de drainage 79 .

Diverses études régionales et locales ont montré que les milieux humides de la région de drainage Assiniboine-Rouge fournissent divers BSE, y compris des services de régulation du débit et de la qualité de l’eau, de rétention et de formation du sol et de prestation d’habitats. Les constatations de ces études sont présentées ci-dessous.

Services de régulation du débit d’eau

La variabilité de l’apport d’eau – une estimation de l’eau douce renouvelable – la plus élevée au Canada pour la période allant de 1971 à 2004 a été constatée dans la région de drainage Assiniboine-Rouge 80 . Les SAD des rivières Missouri, Souris, Battle et Qu’Appelle présentent un débit d’eau hautement variable et connaissent donc des inondations récurrentes (tableau 3, appendice F). Des débits extrêmes, qu’ils soient élevés ou faibles, sont préoccupants; en outre, la région a connu plusieurs grandes inondations, notamment les inondations de la rivière Assiniboine en 1995 et 2011, et les inondations de la rivière Rouge en 1997 et 2007.

De 1968 à 2005, le nombre total de milieux humides dans le bassin hydrographique du ruisseau Broughton dans la sous-sous-aire de drainage de la Little Saskatchewan a diminué de 70 % à cause du drainage et de la dégradation, ce qui a entraîné une hausse de 18 % des débits de pointe suivant la précipitation et une hausse de 30 % du débit d’eau 81 .

Services de régulation de la qualité de l’eau

La qualité de l’eau constitue une préoccupation importante dans la région de drainage Assiniboine-Rouge en raison de la concentration d’éléments nutritifs comme le phosphore et l’azote 82 . Les SAD de la partie sud des Prairies, y compris celles qui se drainent depuis les États-Unis, contribuent à la quantité d’éléments nutritifs déversés dans le lac Winnipeg. Par exemple, les SAD de cette aire de drainage sont assorties de certains des pourcentages les plus élevés de terres où des engrais sont appliqués, comparativement à d’autres aires du pays (tableau 3, appendice F). Comme la superficie des milieux humides est relativement faible dans ces SAD en comparaison de beaucoup d’autres régions du pays, la valeur de ces milieux humides rares et la demande pour les services de régulation de la qualité de l’eau qu’ils peuvent offrir devraient être relativement élevées.

Services de rétention et de formation du sol

En 2011, les mesures de la turbidité les plus élevées au Canada pour des eaux de surface approvisionnant les usines d’eau potable ont été prises dans les Prairies, notamment dans la région de drainage Assiniboine-Rouge 83 . Bien que des mesures élevées de la turbidité ne soient pas nécessairement représentatives de tous les plans d’eau de la région de drainage, les résultats montrent la valeur et la demande relatives aux services de régulation de la qualité de l’eau fournis par les milieux humides.

Services de prestation d’habitats

La demande de services de prestation d’habitats est forte dans la région de drainage Assiniboine-Rouge, parce qu’on y trouve de grandes zones agricoles et que les paysages naturels y sont fragmentés. Bien que les cuvettes des Prairies représentent seulement 10 % de l’aire de reproduction du gibier d’eau du continent, elles produisent la moitié du gibier d’eau de l’Amérique du Nord au cours d’une année moyenne 84 . Une étude portant sur les petits milieux humides du bassin hydrographique du ruisseau Tobacco a révélé qu’une remise en état peut s’avérer un moyen efficient et économique d’établir des habitats, particulièrement pour le gibier d’eau, ainsi que d’améliorer la qualité de l’eau 85 .

La comparaison de l’offre ou de l’étendue des milieux humides par rapport aux nombreuses demandes pour les services qu’ils offrent peut contribuer à démontrer la valeur des BSE produits par les milieux humides. Dans le cas de la région de drainage Assiniboine-Rouge, les nombreuses demandes pour des BSE produits par les milieux humides par rapport à la faible offre illustrent dans quelle mesure la valeur des BSE produits par les milieux humides dans cette région de drainage pourrait être considérée comme l’une des plus élevées au Canada.

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