Section 2 : Comptabilité des écosystèmes

L’activité humaine a des répercussions importantes et croissantes sur l’environnement naturel 1 . La dégradation de l’environnement a des effets sur la quantité et la qualité des biens et services fournis par les écosystèmes, en raison des répercussions sur les éléments biotiques et abiotiques des écosystèmes.

Les écosystèmes sont des communautés écologiques d’espèces vivantes qui interagissent avec leur environnement et fonctionnent comme une unité. Aux fins de comptabilité, le concept est généralisé et on définit un écosystème comme la zone où ces espèces vivantes interagissent entre elles et avec leur environnement 2 . Bien qu’il existe beaucoup d’information sur les écosystèmes et leur état, ces renseignements ne sont pas complets et les données comportent encore des lacunes.

Les biens et services que génèrent les écosystèmes ne sont pas bien compris ni mesurés, en partie parce que beaucoup sont considérés comme des cadeaux de la nature. Comme l’environnement les fournit en abondance et gratuitement, la plupart des biens et services écosystémiques (BSE) ne se transigent pas sur les marchés et n’ont donc pas de valeur marchande explicite. Par exemple, bien qu’il existe des marchés pour le bois, le blé et les autres produits cultivés, il n’y a pas de marché pour l’air que nous respirons – l’air n’est pas commercialisé, il n’a pas de valeur marchande et, par conséquent, peut être tenu pour acquis.

L’établissement de « comptes des écosystèmes » au moyen de compilations rigoureuses des données sur les écosystèmes dans un cadre normalisé permet de mesurer les biens et services écosystémiques au fil du temps et partout au pays et constitue une façon de mieux comprendre la valeur des écosystèmes et des biens et services qu’ils produisent.

Définition de la comptabilité des écosystèmes

Les comptes des écosystèmes compilent et organisent des renseignements sur les stocks des écosystèmes, par exemple les forêts et les milieux humides. Ces stocks, aussi nommés éléments de capital naturel, produisent des flux de BSE, qui constituent le principal autre élément des comptes des écosystèmes. En d’autres termes, les comptes des écosystèmes fournissent de l’information sur la quantité des actifs des écosystèmes et les BSE dont la société profite.

Il existe certaines ressemblances entre la comptabilité des écosystèmes et la comptabilité d’entreprise. Par exemple, un pays commence l’année avec un stock forestier initial. Durant l’année, ce stock forestier peut augmenter ou diminuer, selon les ajouts attribuables à la croissance et à la replantation et les retraits imputables à la coupe ou à des perturbations naturelles comme les ravageurs ou les feux de forêt. Tout au long de l’année, la forêt produit un flux de biens et de services, dont le bois, l’oxygène, l’eau douce, les habitats pour la faune, les espaces récréatifs et la séquestration du carbone. Le compte d’un écosystème comprend normalement des mesures de ces stocks et flux en termes matériels et monétaires, lorsque c’est possible. Il comprend aussi une mesure de la qualité, afin d’assurer le suivi de l’état de l’écosystème.

L’élaboration des comptes des écosystèmes exige que les stocks des écosystèmes et les flux de BSE soient systématiquement regroupés en fonction de concepts et de classifications normalisés. Toutefois, la mise en application de telles normes pose des défis de taille parce que les BSE résultent de processus complexes interdépendants qui se déroulent dans les écosystèmes et entre écosystèmes.

Classification des stocks

Les stocks des écosystèmes peuvent être mesurés en termes d’étendue et de condition ou de qualité. Les stocks des écosystèmes terrestres peuvent être classés en fonction des caractéristiques de la couverture terrestre et répartis sommairement en forêts, prairies et toundras, alors que les écosystèmes aquatiques sont divisés en zones d’eaux douces et en zones marines. Ces groupes sommaires sont ensuite subdivisés en fonction des caractéristiques biophysiques locales, comme le type de sol, l’élévation et le relief du terrain.

Grâce à l’évolution des ensembles de données spatiales et des technologies d’imagerie par satellite, il est maintenant possible d’employer des données plus détaillées sur la couverture terrestre et l’utilisation des terres afin de mieux délimiter les stocks des écosystèmes et de faire un suivi au fil du temps. Cependant, le degré de résolution des sources de données a une incidence sur le type et l’échelle des analyses qui peuvent être effectuées. La hiérarchie spatiale et les unités écosystémiques de la couverture terrestre élaborées pour le projet MBSE sont décrites en détail à l’appendice A : Base de données géospatiales pour la mesure des biens et services écosystémiques.

Classification des flux

La classification des flux des BSE est une discipline relativement récente 3 – les projets dans ce domaine comprennent l’Évaluation des écosystèmes pour le millénaire 4 , l’étude intitulée L’Économie des écosystèmes et de la biodiversité 5  et la classification internationale commune des services écosystémiques (CICES, Common International Classification for Ecosystem Services), qui continue d’évoluer 6 .

La CICES, par exemple, définit des catégories de BSE et exclut les biens et services intermédiaires 7  afin d’éviter les chevauchements et les dédoublements. C’est pourquoi cette classification ne comprend que les extrants écosystémiques finaux qui bénéficient à l’humain. Toutefois, beaucoup de services écosystémiques intermédiaires méritent d’être mesurés et évalués. Par exemple, les cultures vivrières sont considérées comme un bien écosystémique final, mais leur croissance dépend de la pollinisation, de la régulation de l’eau et de la pédogénèse. Par ailleurs, pour qu’il y ait pollinisation, il doit y avoir des habitats convenant aux abeilles à proximité des terres où sont produites les cultures. Ce réseau complexe d’interactions ne peut pas être illustré clairement au moyen d’une classification bidimensionnelle des services écosystémiques.

Dans le cadre du projet MBSE, les flux des BSE sont divisés en trois grandes catégories 8  : 

  1. Les services d’approvisionnement– les « biens » des BSE – correspondent aux biens matériels et à l’énergie produits par les écosystèmes, par exemple le bois, les poissons ou les plantes ayant une utilité socioéconomique particulière.
  2. Les services de régulation résultent de la capacité des écosystèmes à réguler les cycles climatique, hydrologique et biochimique, ainsi que les processus biologiques.
  3. Les services culturels découlent du cadre physique et de l’emplacement des écosystèmes et procurent à l’humain des avantages émotifs, intellectuels et symboliques dont il profite dans ses loisirs, le perfectionnement de ses connaissances, ses activités de relaxation et sa réflexion spirituelle.

Qualité et capacité des écosystèmes

La mesure de la qualité des écosystèmes au fil du temps fournit des renseignements sur l’état de l’environnement et est nécessaire pour comprendre la capacité des écosystèmes à continuer de produire des flux de BSE dans le futur.

Différentes approches sont mises en oeuvre pour estimer la qualité des écosystèmes, puisqu’il est parfois difficile d’obtenir des mesures directes de la qualité et qu’il n’existe pas d’approche universelle. Ainsi, une approche qui convient à l’évaluation de la qualité ou de l’état de santé d’un écosystème agricole ne convient pas nécessairement à l’évaluation d’une toundra ou d’une forêt ancienne.

Il existe plusieurs indicateurs permettant d’évaluer la qualité d’un écosystème. Ces indicateurs comprennent, entre autres, des mesures de la productivité de l’écosystème, du potentiel écologique du paysage et de divers aspects de la biodiversité (y compris la situation et les tendances en matière d’espèces). Dans le cadre du projet MBSE, on a étudié l’applicabilité de plusieurs de ces indicateurs, en apportant des modifications en fonction des données disponibles. Le présent rapport traite d’indicateurs expérimentaux portant sur plusieurs aspects des effets de l’activité humaine sur les paysages naturels (section 3.2), le potentiel en matière de services écosystémiques (section 3.3) et l’extraction de la biomasse (section 3.4).

D’autres indicateurs de la qualité des écosystèmes sont axés sur la mesure des résultats, par exemple, la qualité de l’eau filtrée par les mécanismes naturels fournis par les écosystèmes. Les BSE fournis par les milieux humides sont analysés de cette manière à la section 3.6.

Évaluation des biens et services écosystémiques

Bon nombre de biens et services sont couramment négociés sur les marchés et sont assortis de prix bien définis. Les marchés de la main-d’oeuvre, des produits alimentaires ou des biens de consommation sont bien établis; les gens ont une compréhension intuitive de la valeur relative de ces biens et services. En revanche, beaucoup de BSE, comme les services de régulation de la qualité de l’eau fournis par les milieux humides et les forêts, sont rarement officiellement achetés et vendus et n’ont donc pas de valeur marchande spécifique. L’évaluation monétaire des BSE peut contribuer à résoudre ce problème en convertissant les avantages qu’offre l’environnement en unités qui permettent de les comparer avec d’autres biens et services 9 .

L’évaluation des BSE est utilisée de diverses façons. En plus de servir à informer et à sensibiliser le public à propos de l’importance des BSE, elle contribue à éclairer les décisions en matière d’aménagement des terres, à cerner les besoins en matière de conservation et de remise en état des écosystèmes, à appuyer la comptabilité des écosystèmes, à élaborer des politiques fiscales et à déterminer les indemnités relatives aux réclamations pour dommages à l’environnement.

De nombreuses méthodes ont été mises au point pour estimer la valeur monétaire des BSE. Ces méthodes sont axées sur la mesure des avantages ou des contributions des écosystèmes et de leurs fonctions à l’égard du bien-être de l’humain. Le type d’utilisation stratégique détermine la méthode 10  et le degré de précision nécessaires 11 . L’évaluation est toutefois assortie de diverses limites 12 . Consultez l’appendice B pour en savoir davantage sur les méthodes d’évaluation et leurs limites.

Les analyses visant à évaluer les BSE sont souvent axées sur l’incidence de petits changements progressifs dans un écosystème ou les services qu’il procure, plutôt que sur des valeurs globales. L’utilité d’une telle approche réside dans le fait que de nombreuses décisions en matière de politiques ou d’aménagement sont liées à l’incidence de changements spécifiques sur le bien-être de l’humain 13 . Au moment de l’exécution d’une évaluation, il importe de tenir compte de la relation entre l’emplacement et la portée des écosystèmes et la proximité des populations humaines qui bénéficieront des biens et services qu’ils produisent 14 .

Les BSE peuvent offrir à l’homme des valeurs d’utilisation et des valeurs non liées à l’utilisation (figure 2.1). On peut diviser les valeurs d’utilisation en trois grandes catégories : utilisation directe (par exemple, extraction des ressources ou activités récréatives), utilisation indirecte (par exemple, séquestration du carbone et protection contre les dangers naturels), et valeur d’option, liée à la disponibilité des BSE pour une utilisation future directe ou indirecte. Les valeurs non liées à l’utilisation découlent de la satisfaction que l’on tire du simple fait de savoir qu’il existe des environnements naturels (valeur d’existence) ou que les BSE qu’ils produisent seront disponibles pour les générations futures (valeur de legs). Les valeurs non liées à l’utilisation, ainsi que les valeurs d’option, sont les moins tangibles de toutes les valeurs des BSE 15 . Collectivement, on appelle ces différentes valeurs d’utilisation et valeurs non liées à l’utilisation « valeur économique totale » (VET) (figure 2.1).

Figure 2.1 : Cadre de la valeur économique totale

La VET est particulièrement utile en tant qu’outil conceptuel pour aider les décideurs à examiner une gamme potentiellement vaste de coûts et de valeurs afin d’évaluer une option stratégique particulière. En dépit de son nom, toutefois, les valeurs proposées dans le cadre de la VET ne peuvent ou ne doivent pas toutes être additionnées les unes aux autres 16 , en partie parce que beaucoup d’utilisations sont mutuellement exclusives – une parcelle de forêt utilisée pour son bois ne peut pas en même temps offrir des services de lutte contre l’érosion. De même, les données requises pour estimer la valeur de tous les services sont rarement disponibles pour un exercice d’évaluation donné.

Outre l’évaluation monétaire des BSE, d’autres mesures financières, sociales, culturelles et physiques complémentaires pourraient servir à déterminer la valeur des écosystèmes et des avantages qu’ils procurent. Il peut s’agir de valeurs non monétaires comme les vies sauvées, les éléments nutritifs transformés par les milieux humides, etc. Selon le type des analyses effectuées, à la fois les valeurs monétaires et non monétaires peuvent être pertinentes.

Les efforts canadiens d’évaluation comprennent des travaux visant à mettre sur pied l’Environmental Valuation Reference Inventory (EVRI), une base de données de référence et un outil de prise de décisions géré par Environnement Canada et utilisé par des chercheurs de partout dans le monde 17  . D’autres projets visent à intégrer l’évaluation des BSE dans les processus d’évaluation environnementale, par exemple l’évaluation des compromis relatifs à l’utilisation de l’eau en Alberta 18  et la planification côtière au moyen d’une approche de gestion axée sur les écosystèmes en Colombie-Britannique 19 .

Les groupes de réflexion et les organismes environnementaux non gouvernementaux canadiens utilisent aussi les résultats des évaluations pour sensibiliser la population aux valeurs associées aux BSE dans de grandes régions géographiques et à des enjeux environnementaux spécifiques, comme l’évolution de l’utilisation des terres. Ainsi, la Fondation David Suzuki a récemment publié un rapport présentant une estimation de la valeur économique de divers BSE de la ceinture verte de la région du Grand Montréal 20 .

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