Chapitre 7 : Analyse multivariée

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Il est important de noter avant toute chose que le présent chapitre couvre essentiellement l'influence que le lieu des études postsecondaires exerce sur le statut d'emploi et les revenus salariaux des immigrants, relativement aux Canadiens de naissance, après la prise en considération des effets de chacune des variables indépendantes. Procéder de la sorte ne signifie pas que l'effet des variables d'arrière-plan sur les résultats des immigrants instruits à l'étranger sur le marché du travail Canadien, comparativement aux Canadiens de naissance, n'est pas pertinent en termes de politiques publiques ou intriguant sur le plan de la recherche. Cette stratégie analytique est motivée par deux facteurs. Premièrement, la rentabilité des autres caractéristiques personnelles et impersonnelles ne représente pas une préoccupation centrale dans notre rapport. Deuxièmement, ce sujet a été extensivement couvert dans la littérature empirique canadienne antérieure (voir par exemple, Ferrer et Riddell, 2006; Hansen, 2006; Alboim, Finnie et Meng, 2005; Sweetman et McBride, 2004). Donc, à moins d'une indication contraire, la discussion sur les résultats analytiques tout au long du présent chapitre sera limitée aux résultats en rapport avec le lieu des études postsecondaires. Ceci étant dit, les annexes 11.1 et 11.3 présentent respectivement les déterminants du comportement sur le marché du travail et de revenus d'emploi au Canada autres que ceux concernant le lieu des études postsecondaires et le statut d'immigration, tandis que l'annexe 11.4 examine certains résultats multivariés par lieu individuel des plus hautes études postsecondaires.

La recherche antérieure démontre que les résultats des immigrants sur le marché du travail s'améliorent avec la durée de résidence puisqu'au fil du temps, ces derniers se familiarisent davantage avec les occasions professionnelles disponibles au Canada et accumulent les autres caractéristiques pertinentes pour les emplois canadiens (voir par exemple, Ferrer et Riddell, 2006; Picot, 2008). Afin d'offrir une analyse comparative, les résultats sont désagrégés par cohorte, permettant ainsi une distinction entre les immigrants très récents, récents et établis. Finalement, tel qu'il est présenté dans les tableaux A.4 et A.6 en annexe, nous remarquons que les coefficients des lieux des études postsecondaires se réduisent considérablement lorsque nous prenons en compte d'autres caractéristiques telles que le sexe, la structure familiale, le domaine d'études, la langue parlée, etc. Cette tendance conforte l'argument selon lequel en omettant l'existence de différences dans les facteurs personnels et non personnels, l'analyse uniquement descriptive surestime l'effet relatif que le lieu des études postsecondaires exerce sur les résultats des immigrants reçus sur le marché du travail.

7.1 Résultats : situation d'activité

Le graphique 1 présente les effets marginaux du lieu des études postsecondaires des immigrants sur leur situation d'activité, comparativement aux Canadiens de naissance. Nous avons choisi d'analyser les effets marginaux au lieu des coefficients parce qu'ils sont plus faciles à interpréter : ils reflètent la magnitude de l'influence qu'un lieu d'études postsecondaires donné exerce sur la situation d'activité d'un immigrant comparativement à celle d'un Canadien de naissance.1 Les graphiques 1.A à 1.F offrent un aperçu en séquences des personnes inactives (graphique 1.A), des travailleurs autonomes (graphique 1.B), des travailleurs sous-qualifiés (graphique 1.C), des travailleurs correctement qualifiés (graphique 1.D), des travailleurs surqualifiés (graphique 1.E) et des personnes aux études à temps plein ou à temps partiel (graphique 1.F). Dans chacun de ces graphiques, la valeur « 0 » sur l'abscisse représente notre groupe démographique de référence, c.-à-d. les Canadiens de naissance. L'effet marginal positif (ou négatif) d'un lieu d'études postsecondaires donné indique que ce lieu d'études postsecondaires accroît (ou décroît) les chances qu'un immigrant moyen appartenant à une cohorte donnée ait une situation d'activité donnée relativement au Canadien de naissance moyen, après la prise en considération des autres facteurs qui influencent le statut d'emploi.

Graphique 1.A Estimés de l'incidence du lieu des études postsecondaires les plus élevées sur la situation relative en regard du marché du travail des immigrants — effets marginaux

Graphique 1.B Estimés de l'incidence du lieu des études postsecondaires les plus élevées sur la situation relative en regard du marché du travail des immigrants — effets marginaux

Graphique 1.C Estimés de l'incidence du lieu des études postsecondaires les plus élevées sur la situation relative en regard du marché du travail des immigrants — effets marginaux

Graphique 1.D Estimés de l'incidence du lieu des études postsecondaires les plus élevées sur la situation relative en regard du marché du travail des immigrants — effets marginaux

Graphique 1.E Estimés de l'incidence du lieu des études postsecondaires les plus élevées sur la situation relative en regard du marché du travail des immigrants — effets marginaux

Graphique 1.F Estimés de l'incidence du lieu des études postsecondaires les plus élevées sur la situation relative en regard du marché du travail des immigrants — effets marginaux

A. Immigrants très récents

Comparativement à être au chômage, presque tous les immigrants très récents étaient moins susceptibles d'occuper un emploi rémunéré et plus susceptibles d'être inactifs que les Canadiens de naissance. En particulier, les immigrants très récents étaient moins susceptibles que les Canadiens de naissance d'être des travailleurs sous-qualifiés ou adéquatement qualifiés, toutes choses étant égales par ailleurs. Ces résultats renforcent ceux précédemment obtenus par Aydemir et Skuterud (2004) et Frenette et Morissette (2003) selon lesquels les nouveaux arrivants canadiens feraient face à un désavantage comparatif dans le processus de répartition des emplois rémunérés, laissant entendre que les compétences prémigratoires seraient grandement délaissées dans les marchés du travail canadiens. Seuls les immigrants très récents qui ont terminé leur éducation postsecondaire en Inde (+8 %) ou aux Philippines (+18 %) étaient plus susceptibles que les Canadiens de naissance d'être classés comme des travailleurs surqualifiés. Similairement, le travail autonome était plus susceptible d'être important chez les immigrants très récents qui ont terminé leurs études postsecondaires en Corée du Sud, avec une probabilité prédite qui était de 9 % plus élevée que celle des Canadiens de naissance.

L'accélération actuelle des changements technologiques dans la plupart des économies les plus avancées au monde pourrait mener les firmes canadiennes à modifier constamment les conditions sous lesquelles elles utilisent le capital et le travail durant le processus de production des commodités afin de rester compétitives sur les marchés nationaux et internationaux. Conséquemment, les individus dans la force de l'âge (de 25 à 64 ans) avec une éducation postsecondaire qui n'ont aucun attachement au marché du travail feraient face à un risque élevé de dépréciation de leur capital humain. Cette tendance pourrait en retour causer un confinement permanent au bas de la distribution des revenus d'emploi et une vulnérabilité économique à long terme. Selon le graphique 1.A, bien que les immigrants très récents ont été plus susceptibles que les Canadiens de naissance d'être inactifs, ceux qui ont terminé leur éducation postsecondaire au Pakistan ont la plus forte probabilité prédite d'être inactifs (+27 %), suivis de très près par ceux qui ont obtenu un diplôme en Corée du Sud (+22 %).

Chiswick (1978) laisse entendre que les immigrants nouvellement arrivés devraient s'attendre à avoir un attachement plus faible aux marchés du travail du pays d'accueil parce que les premières années d'établissement dans un nouveau pays sont souvent marquées par d'importants investissements dans les compétences pertinentes aux emplois locaux. Si les différences dans la probabilité prédite d'être inactifs entre les immigrants très récents et les Canadiens de naissance sont dues aux différences dans l'investissement initial concernant les compétences spécifiquement canadiennes, alors, en accord avec cette hypothèse, nous devrons nous attendre à aucun écart au sein de la même cohorte d'immigration. Fait intéressant, nous notons que les immigrants très récents qui ont obtenu leur plus haut niveau d'études postsecondaires au Pakistan sont : plus de dix fois plus susceptibles d'être inactifs que ceux qui ont terminé leurs études postsecondaires aux Philippines; en sont plus de quatre fois plus susceptibles que ceux qui ont obtenu un diplôme en Inde, en Roumanie ou en Russie; et en sont plus de deux fois plus susceptibles que ceux qui ont achevé leur scolarité postsecondaire en France ou en Pologne.

Il paraît alors raisonnable d'envisager l'explication suivante proposée par Baker et Benjamin (1997) : comparativement au Canadien de naissance moyen, le nouvel arrivant typique doit simultanément acquérir des compétences spécifiques au pays d'accueil et commencer à gagner sa vie. Afin de réaliser ces objectifs, les couples d'immigrants peuvent adopter une stratégie de spécialisation du travail. Un époux, généralement la femme, travaillera à temps plein pour soutenir la famille ou produira les commodités du ménage. Pendant ce temps, l'autre époux, généralement le mari, se focalisera sur l'acquisition des qualifications spécifiques au pays d'accueil à travers l'éducation, la formation d'apprenti ou la formation en cours d'emploi. Effectivement, les données non présentées ici montrent qu'en date de 2006, plus de la moitié (52 %) de la population inactive hautement instruite de 25 à 64 ans est constituée de femmes. Cette proportion est plus élevée chez les immigrants (56 %) que chez les Canadiens de naissance (50 %). En outre, 30 % des Canadiens de naissance qui sont inactifs sont des femmes mariées, relativement à 40 % des immigrants inactifs.

Relativement à être au chômage, les immigrants très récents qui ont terminé leur éducation postsecondaire au Canada étaient, en moyenne, 13 % moins susceptibles d'être surqualifiés et 8 % plus susceptibles d'être inactifs, comparativement aux Canadiens de naissance. Ce résultat mérite d'être discuté parce que des statistiques descriptives non présentées ici montrent que plus de la moitié (58 %) des immigrants très récents de 25 à 64 ans avec une éducation postsecondaire canadienne qui n'étaient pas aux études en 2006 ont obtenu un diplôme dans les domaines d'études identifiés par des auteurs tels que Sweetman et McBride (2004) comme des domaines très payants dans l'économie canadienne, à savoir : les affaires et l'administration (26,1 %); l'ingénierie (19 %); la santé et le bien-être (13 %). En outre, Chiswick (1978) affirme qu'il est hautement bénéfique à la quasi-totalité des immigrants instruits à l'étranger d'acquérir l'éducation du pays d'accueil parce qu'ils feront toujours face à un désavantage comparatif dans le processus de répartition des emplois bien payés, en raison des aspects spécifiquement nationaux concernant les connaissances acquises à l'école, de la moins bonne qualité des compétences étrangères ou de la pauvreté de l'information qu'ils fournissent aux employeurs utilisant la scolarité comme une composante de sélection. Une répercussion de nos résultats est donc que l'acquisition des compétences postsecondaires au Canada pourrait aider les immigrants très récents dans l'obtention de résultats positifs sur le marché du travail, mais ne garantirait pas nécessairement des résultats positifs à tous ceux qui procéderaient de la sorte.

Nos estimations indiquent que les immigrants très récents qui ont terminé leur plus haut niveau d'études postsecondaires au Canada, en Chine, en Roumaine, dans la Fédération de Russie ou en Iran étaient plus susceptibles que les Canadiens de naissance d'être aux études, que ce soit à temps plein ou à temps partiel, supportant l'hypothèse d'investissement dans les compétences du pays d'accueil. Cependant, les immigrants très récents qui ont fini leur éducation postsecondaire au Pakistan et en Corée du Sud étaient respectivement 4 % et 3 % moins susceptibles d'être aux études que leurs homologues canadiens de naissance. Ce résultat est particulièrement surprenant puisque les immigrants membres de ces deux groupes étaient aussi plus susceptibles d'être inactifs et avaient, en moyenne, les plus petites chances d'obtenir rapidement un emploi payant. Cette tendance pourrait être expliquée en partie du moins, par des différences de coûts d'opportunité des activités non économiques : le coût de répartition du temps disponible aux activités non marchandes incluant l'accumulation des compétences spécifiquement canadiennes pourrait être si élevé pour certains immigrants très récents avec une éducation postsecondaire qui ont accompli leur plus haut niveau d'éducation en Corée du Sud ou au Pakistan qu'ils choisissent de travailler avec des compétences étrangères, malgré le fait qu'ils ont de très faibles perspectives professionnelles initiales.

B. Immigrants récents

L'effet du lieu des études postsecondaires est similaire entre les groupes d'immigrants très récents et récents, bien que différent en magnitude (voir graphiques 1.A à 1.F). Parmi les immigrants récents avec un certificat, diplôme ou grade postsecondaire, ceux qui ont terminé leur plus haut niveau de scolarité en Corée du Sud étaient plus susceptibles d'être des travailleurs autonomes (+14 %), d'être inactifs (+17 %) et moins susceptibles d'être des employés payés surqualifiés (-20 %), relativement aux Canadiens de naissance. Similairement, parmi les immigrants récents, ceux qui ont etudié aux Philippines et en Inde étaient solidement associées à la surqualification sur les marchés du travail canadiens : relativement aux Canadiens de naissance, l'incidence de la surqualification était de 18 % plus élevée chez les immigrants dont l'éducation postsecondaire avait été terminée aux Philippines et de 8 % plus élevée chez ceux qui ont terminé leurs études en Inde. Cependant, les immigrants récents qui ont achevé leur plus haut niveau d'éducation postsecondaire en dehors du Canada étaient moins susceptibles que les Canadiens de naissance d'être aux études, toutes choses étant égales par ailleurs.

Quelques tendances intéressantes émergent lorsque nous comparons les estimations des immigrants très récents et récents dans la force de l'âge qui possèdent une éducation postsecondaire. Par exemple, relativement aux Canadiens de naissance avec un niveau d'éducation et d'âge comparables, les immigrants très récents qui ont terminé leurs études postsecondaires en France ont été 5 % moins susceptibles d'être surqualifiés, tandis que leurs homologues immigrants récents ont été 3 % plus susceptibles d'être surqualifiés, toutes choses étant égales par ailleurs. Pour ce qui est des immigrants avec une éducation postsecondaire provenant de Chine, la durée de résidence fait une légère différence dans la probabilité d'effectuer du travail autonome : relativement aux Canadiens de naissance, les immigrants très récents et récents étaient respectivement 4 % moins susceptibles et 2 % plus susceptibles d'effectuer du travail autonome.  En supposant l'homogénéité du capital humain et des effets du temps, la répercussion de tous les résultats ci-dessus est que, après de 5 à 10 années de résidence permanente, l'éducation postsecondaire  de plusieurs immigrants demeure moins applicable à l'économie canadienne.

Borjas (1985) soutient que, pour les États-Unis, les changements significatifs survenus au cours des dernières décennies dans l'origine nationale du flux migratoire ont créé, au fil du temps, des différences entre les cohortes pour ce qui est de la structure et de la qualité de l'immigration américaine. En retour, ces changements ont produit des variations intragroupes dans le succès économique des individus aux États-Unis, nés à l'étranger, peu importe la provenance du capital humain individuel (c.-à-d. l'éducation ou l'expérience). Fait intéressant, au Canada, de 2001 à 2006, presque 60 % des immigrants plus récents venaient d'Asie et du Moyen-Orient, et la proportion des immigrants récents en provenance des Caraïbes, de l'Amérique centrale et du Sud ainsi que d'Afrique a augmenté de plus de 10 % (Corak, 2008). Suivant Borjas (1985), les différences dans les tendances de l'emploi des immigrants très récents et récents instruits dans le même pays pourraient être interprétées comme reflétant les effets de cohortes plutôt que les effets d'ajustement des immigrants. Pour citer Lalonde et Topel (1992), il se pourrait que les attributs inobservés propres aux cohortes (telles que le talent ou la qualité de l'immigrant) qui influent sur la productivité soient fixes au sein d'une cohorte d'arrivants.

C. Immigrants établis

Les graphiques 1.A à 1.F présentent aussi les effets marginaux du lieu des études postsecondaires des individus identifiés comme des immigrants reçus au Canada depuis plus d'une décennie. Il est communément soutenu qu'une durée de résidence plus longue exercera un effet positif sur les perspectives d'emploi des nouveaux arrivants puisqu'ils auront acquis des compétences locales et accumuleront du capital social au fil du temps. Cependant, nonobstant une longue durée de résidence, les effets marginaux des immigrants établis reste à peu près similaires aux effets marginaux des immigrants très récents et récents, quoique moins prononcés.

Comparativement à être au chômage, la plupart des immigrants établis étaient moins susceptibles d'avoir un emploi payé et plus susceptibles d'être inactifs que les Canadiens de naissance, toutes choses étant égales par ailleurs. De façon similaire, nos estimations indiquent que les immigrants établis qui ont terminé leur éducation postsecondaire au Pakistan ou en Corée du Sud étaient les plus susceptibles d'être inactifs et les moins susceptibles d'être des travailleurs surqualifiés, comparativement aux Canadiens de naissance. Comme pour les autres cohortes d'immigration, nous notons aussi que les immigrants établis qui ont terminé leurs études postsecondaires aux Philippines ou en Inde étaient plus susceptibles que les Canadiens de naissance d'être surqualifiés. De façon similaire, Nekby (2002) a trouvé qu'après 20 années de résidence permanente en Suède, les immigrants continuent d'enregistrer des ratios d'emploi qui sont significativement plus bas que ceux des Suédois de naissance. De la même manière, Chiswick, Cohen et Zach (1997) ont démontré qu'après 10 ans de résidence aux États-Unis, les perspectives d'emploi des Américains de naissance demeurent meilleures que celles de plusieurs immigrants, et de loin meilleures que celles des immigrants d'Asie. Ces résultats montrent que le désavantage comparatif auquel les immigrants font face dans la répartition des employés payés n'est pas unique à l'économie canadienne.

Selon la littérature (voir par exemple, Ferrer et Riddell, 2008; Picot, 2008; Frenette et Morissette, 2003), on devrait s'attendre à ce que les immigrants établis aient des ratios d'emplois plus près de ceux des Canadiens de naissance et plus élevés que ceux des immigrants très récents et récents parce que les deux derniers groupes sont généralement ni familiers avec les occasions d'emploi au Canada, ni en possession d'un historique suffisant en termes d'emplois canadiens. Cette hypothèse est connue dans la littérature comme l'effet de nouvelle entrée sur le marché du travail. Cependant, tel que nous l'avons noté ici, il existe un écart en termes de ratios d'emploi entre les Canadiens de naissance et plusieurs groupes d'immigrants établis. Nos résultats ne sont donc pas exclusivement expliqués par l'effet de nouvelle entrée sur le marché du travail. Il se pourrait aussi que les employeurs canadiens et les organismes de réglementation se servant de l'éducation comme un filtre soient très peu familiers avec les répercussions de l'éducation étrangère sur la productivité du travailleur (Chiswick, 1978). Il existe aussi la possibilité selon laquelle, indépendamment de la durée de résidence, certains immigrants instruits à l'étranger soient confrontés à d'autres difficultés sur les marchés du travail canadiens incluant un manque de mobilité ou de renseignements adéquats sur le marché du travail, la discrimination économique et les barrières à plusieurs professions, surtout dans les professions règlementées.

En résumé, le présent chapitre corrobore nos résultats descriptifs en indiquant qu'en 2006, les Canadiens de naissance ont eu de meilleurs résultats d'emploi que presque tous les immigrants instruits à l'étranger, surtout les immigrants très récents. Mais le désavantage relatif des immigrants en termes d'emploi salarial était sensible au lieu des études postsecondaires : les immigrants qui ont terminé leur éducation en Europe de l'Ouest (France, Allemagne et Royaume-Uni) ou en Amérique du Nord (Canada, États-Unis) étaient plus susceptibles que les autres immigrants instruits à l'étranger, particulièrement ceux qui ont reçu leur plus haut niveau d'éducation au Pakistan ou en Corée du Sud, d'obtenir un emploi payé au Canada.

7.2 Résultats : revenus salariaux

Avant de tourner notre attention vers les résultats de régression, il vaut la peine de clarifier au préalable ces derniers. Premièrement, les régressions ont été séparément exécutées pour les travailleurs sous-qualifiés, adéquatement qualifiés et surqualifiés ainsi que pour tous les employés payés. Ensuite, nous avons testé l'égalité des coefficients de régression entre les trois catégories de travailleurs rémunérés, c.-à-d. sous-qualifiés, adéquatement qualifiés et surqualifiés. Les résultats du test de Chow (non présentés ici) laissent entendre la présence de différences dans le processus de formation des revenus salariaux entre les diverses catégories d'employés canadiens. Deuxièmement, tel qu'il est indiqué dans les tableaux A.5 et A.6 en annexe, les termes de sélection sont tous statistiquement significatifs au seuil de 1 %, suggérant que l'inadéquation entre l'éducation et l'emploi n'était pas un processus aléatoire dans le secteur salarial canadien.

Premièrement, le terme de sélection est négatif pour les travailleurs sous-qualifiés et adéquatement qualifiés. La répercussion de ce résultat est qu'un certain nombre de caractéristiques inobservées (telles que le manque de reconnaissance des compétences, les pratiques discriminatoires dans les procédures d'embauche ou de congédiement, des règlementations très strictes du travail, etc.) dans ces catégories étaient négativement reliées aux caractéristiques qui touchent la rente économique individuelle, c.-à-d. le salaire à partir duquel les participants éventuels au marché du travail se sont préparés à travailler. Deuxièmement, le terme de sélection est positif pour les travailleurs surqualifiés et pour tous les employés du secteur salarial combinés. Pour ces groupes, cela pointe probablement vers une corrélation positive entre les facteurs omis et les facteurs qui influencent les revenus salariaux.

Troisièmement, la magnitude des coefficients estimés varie significativement entre les deux types de modèle de revenus salariaux, surtout pour les groupes de travailleurs sous-qualifiés et adéquatement qualifiés. Considérons les travailleurs sous-qualifiés par exemple. Les estimations non ajustées pour la sélectivité potentielle indiquent que les immigrants très récents de 25 à 64 ans ayant une éducation postsecondaire qui ont achevé leur scolarité en Pologne ou en Allemagne étaient les seuls dont les revenus salariaux étaient plus bas que ceux de leurs homologues canadiens de naissance, ce qui n'est pas le cas lorsque les estimations ajustées sont considérées. Des différences sont aussi observées en termes de significativité des effets de certaines variables explicatives sélectionnées (voir le tableau A.5 en annexe). Quatrièmement, un examen des caractéristiques d'arrière-plan qui touchent les revenus d'emploi au Canada est conduit dans l'annexe 11.3. Enfin, une analyse par pays de l'effet du lieu du plus haut niveau d'éducation postsecondaire sur les revenus salariaux des immigrants dans la force de l'âge (de 25 à 64 ans) est aussi présentée dans l'annexe 11.4.

Tout ceci étant dit et à moins d'une déclaration contraire, nous concentrerons notre analyse sur les estimations d'intérêts obtenues à la suite de la prise en compte de la sélectivité. À cette fin, nous représentons en séquences les relations estimées entre les revenus d'emploi relatifs et le lieu du plus haut niveau d'études postsecondaires des immigrants reçus de 25 à 64 ans avec une scolarité postsecondaire qui étaient sous-qualifiés (graphique 2.A), adéquatement qualifiés (graphique 2.B) et surqualifiés (graphique 2.C) en 2006, tels que présentées dans le tableau A.6 en annexe. Finalement, l'incidence relative du lieu d'achèvement du plus haut niveau d'études postsecondaires de l'ensemble des immigrants de 25 à 64 ans avec une éducation postsecondaire qui travaillent dans le secteur salarial est présentée dans le graphique 2.D.

Graphique 2.A Estimés de l'incidence relative du  lieu des études postsecondaires les plus élevées sur les revenus d'emploi des immigrants

Graphique 2.B Estimés de l'incidence relative du  lieu des études postsecondaires les plus élevées sur les revenus d'emploi des immigrants

Graphique 2.C Estimés de l'incidence relative du  lieu des études postsecondaires les plus élevées sur les revenus d'emploi des immigrants

Graphique 2.D Estimés de l'incidence relative du  lieu des études postsecondaires les plus élevées sur les revenus d'emploi des immigrants

A. Immigrants très récents

En examinant les estimations de l'ensemble des travailleurs du secteur salarial (graphique 2.D), nous notons que les immigrants très récents étaient plus susceptibles d'expérimenter un désavantage salarial significatif vis-à-vis des Canadiens de naissance, se situant entre -25 % et -63 %, même après la prise en compte de plusieurs facteurs d'arrière-plan. Ce résultat laisse entendre, du moins en partie, que les compétences des nouveaux arrivants (incluant l'éducation) pourraient être valorisées différemment de celles des Canadiens de naissance.

Borjas (1992) affirme que les compétences accumulées dans les pays économiquement développés sont les plus transférables dans la plupart des pays acceptant les immigrants internationaux pour une résidence permanente, à cause de similarités en termes de structures industrielles et de caractéristiques personnelles utilisées pour classer les participants éventuels sur le marché du travail selon le niveau de productivité et pour les rémunérer conséquemment. Si les variations dans les écarts salariaux entre les immigrants très récents instruits dans différents lieux d'études postsecondaires et les Canadiens de naissance reflètent les variations dans la transférabilité internationale des compétences, alors, en accord avec la théorie  de la moins que parfaite transférabilité internationale des compétences des immigrants, nous nous attendrions à ce que le désavantage salarial soit plus grand pour l'éducation reçue dans les pays en voie de développement et plus petit (ou positif) pour celle provenant des pays économiquement similaires au Canada.

Le graphique D indique que cette situation est réelle : l'effet salarial relatif du lieu d'études n'est pas homogène parmi tous les immigrants très récents. Les immigrants très récents avec le plus large écart salarial relativement aux Canadiens de naissance étaient ceux qui ont terminé leurs études postsecondaires au Pakistan, dans la Fédération de Russie, en Corée du Sud, en Chine ou en Iran. En particulier, ceux qui ont obtenu leur diplôme postsecondaire au Pakistan ou dans la Fédération de Russie gagnaient, en moyenne, 62 % moins que les Canadiens de naissance, toutes choses étant égales par ailleurs. À contrario, les immigrants très récents qui ont obtenu un diplôme postsecondaire au Royaume-Uni, aux États-Unis, en France, en Allemagne ou au Canada ont eu le plus petit désavantage salarial relativement aux Canadiens de naissance. Il est intéressant de mentionner que les plus petits désavantages salariaux vis-à-vis des Canadiens de naissance sont apparus chez les immigrants très récents qui ont fini leur éducation postsecondaire au Royaume-Uni (-25 %) ou aux États-Unis (-30 %).

Bratsberg et Terrell (2002) qui ont démontré dans le contexte des États-Unis que les rendements privés à l'éducation étrangère sont significativement plus élevés pour les immigrants issus des pays anglophones que pour les immigrants des pays non-anglophones ont conclu que les acquis éducatifs de pays dans lesquels l'anglais est parlé sont hautement transférables sur les marchés du travail américains. Nous tendons à suivre Bratsberg et Terrell (2002) en affirmant que toutes choses étant égales par ailleurs, les certificats, diplômes ou grades postsecondaires obtenus dans les économies développées d'expression anglaise telles que celles des États-Unis et du Royaume-Uni étaient les plus facilement adaptables aux marchés du travail canadiens en 2006.

L'analyse des variations dans les écarts salariaux entre les immigrants très récents ayant différents lieux d'études postsecondaires les plus élevées et les Canadiens de naissance, selon le niveau d'appariement de l'éducation à l'emploi, corrobore la plupart des résultats documentés chez l'ensemble des travailleurs du secteur salarial. Concernant les travailleurs surqualifiés, le graphique C montre par exemple que le désavantage salarial expérimenté par les immigrants très récents avec une éducation postsecondaire qui ont terminé leurs plus hautes études au Pakistan, en Corée du Sud ou en Russie était deux fois plus élevé que celui des immigrants qui ont achevé leur plus haut niveau d'éducation postsecondaire au Royaume-Uni, aux États-Unis ou aux Philippines, relativement aux Canadiens de naissance.

Le cas des immigrants très récents avec une éducation postsecondaire obtenue aux Philippines mérite d'être mentionné puisque les différences dans la transférabilité internationale des compétences sont communément associées aux différences économiques et socioculturelles entre le pays ou la région source et le pays d'accueil (voir par exemple, Bratsberg et Terrell, 2002; Nekby, 2002; Borjas, 1992; Chiswick; 1978). Tel qu'il est indiqué dans le graphique C, les immigrants très récents dans la force de l'âge avec des compétences postsecondaires provenant des Philippines ont gagné, en moyenne, 33 % de moins que les Canadiens de naissance, tandis qu'en moyenne, ceux qui ont  achevé leur scolarité postsecondaire en France ou en Allemagne ont gagné 40 % de moins et ceux qui ont terminé leurs études postsecondaires au Canada ont gagné 36 % de moins en moyenne.

En outre, les immigrants très récents et adéquatement qualifiés qui ont terminé leur plus haut niveau d'études postsecondaires aux Philippines gagnaient en moyenne 12 % plus que leurs homologues canadiens de naissance, toutes choses étant égales par ailleurs. Ceci suggère deux interprétations intuitives. Premièrement, les immigrants très récents avec une éducation postsecondaire issue des Philippines n'auraient aucun avantage salarial à acquérir une éducation supplémentaire au Canada.  Deuxièmement, il pourrait être possible pour les immigrants avec une éducation postsecondaire provenant des Philippines d'améliorer leurs revenus d'emploi postmigratoires simplement par l'accumulation des compétences canadiennes autres que l'éducation (comme l'expérience professionnelle, la culture professionnelle, la formation en cours d'emploi, etc.) ou par une meilleure sélection des emplois rémunérés.

Finalement, les graphiques 2.A et 2.B montrent que les immigrants très récents avec une éducation postsecondaire obtenue en Roumanie, dans la Région administrative spéciale de Hong Kong, dans la Fédération de Russie, en Allemagne, en Iran, au Royaume-Uni, en Pologne, au Pakistan ou aux Philippines qui étaient classés comme des travailleurs sous-qualifiés n'ont eu aucun désavantage salarial vis-à-vis de leurs homologues canadiens de naissance. Tel a aussi été le cas pour les immigrants très récents avec un certificat, diplôme ou grade postsecondaire reçu au Royaume-Uni, en Inde, au Pakistan, en France, en Corée du Sud, au Canada ou en Allemagne qui ont travaillé dans le secteur salarial canadien comme des travailleurs adéquatement qualifiés.

Tel qu'il est indiqué au tableau 5, comparativement aux Canadiens de naissance (à 22 %), une portion relativement élevée d'immigrants très récents qui ont terminé leur éducation postsecondaire en Roumanie (42 %), en Russie (37 %), en Allemagne (31 %) ou en Iran (34 %) ont étudié  en ingénierie. De manière similaire, relativement aux Canadiens de naissance (22 %), une proportion substantielle d'immigrants très récents qui ont terminé leurs études postsecondaires dans la Région administrative spéciale de Hong Kong (43 %), en Pologne (25 %), au Canada (27 %) ou en France (26 %) est constituée des diplômés en sciences administratives ou sciences des affaires. Selon Sweetman et McBride (2004), l'ingénierie, les sciences administratives et les sciences des affaires appartiennent au sous-ensemble des domaines d'études très payants.

Toutes choses étant égales par ailleurs, il se pourrait donc que, pour plusieurs immigrants très récents dans la force de l'âge qui ont achevé leur éducation postsecondaire dans la Fédération de Russie, en Allemagne, en Iran, au Royaume-Uni, en Pologne, au Pakistan ou aux Philippines et qui ont travaillé en tant que travailleurs sous-qualifiés au Canada, les importants revenus salariaux dérivés de leur profession ont compensé pleinement les pertes salariales associées à l'absence des compétences spécifiquement canadiennes (telles que l'éducation et l'expérience professionnelle canadienne). La même explication pourrait aussi tenir pour les immigrants très récents avec des acquis éducatifs postsecondaires provenant de l'Inde, de la France ou du Royaume-Uni qui ont travaillé comme des travailleurs sous-qualifiés, puisque ils ont surpassé les Canadiens de naissance dans le sous-groupe des diplômés en affaires et en administration (tableau 5).

B. Immigrants récents

L'effet du lieu d'études postsecondaires sur les revenus d'emploi dans le secteur salarial pris dans son ensemble est similaire entre les immigrants très récents et récents, bien que plus petit en termes de magnitude pour les immigrants récents. Tel qu'il est noté ci-dessus par exemple, le plus grand désavantage salarial parmi les immigrants récents (comparativement aux Canadiens de naissance) est prédit pour ceux qui ont terminé leurs études postsecondaires au Pakistan, en Corée du Sud ou dans la Fédération de Russie. Le plus petit désavantage salarial vis-à-vis des Canadiens de naissance est trouvé pour ceux qui ont terminé leur scolarité postsecondaire au Royaume-Uni ou en France. Les mêmes tendances sont trouvées pour les travailleurs considérés comme étant surqualifiés (graphique 2.C). Toutes choses étant égales par ailleurs, ces résultats laissent entendre que peu importe la durée de résidence, l'employeur éventuel moyen ne saisirait pas parfaitement les propriétés des acquis éducatifs postsecondaires issus du Pakistan, de la Fédération de Russie ou de la Corée du Sud sur la productivité des participants au marché du travail éventuels, et ainsi, ne serait pas en mesure de les évaluer adéquatement.

Concernant les travailleurs adéquatement qualifiés (graphique 2.D), les immigrants récents avec des acquis éducatifs postsecondaires obtenus aux Philippines, en Inde, en Allemagne ou en Iran ont profité d'une prime salariale significative relativement aux Canadiens de naissance avec des attributs mesurés similaires. Les données non présentées ici montrent que chez les personnes classées comme des travailleurs correctement qualifiés, la proportion des immigrants avec une éducation postsecondaire qui a étudié les « sciences dures » aux Philippines (58 %), en Inde (62 %), en Allemagne (80 %) ou en Iran (77 %) était remarquablement plus élevée que celle des Canadiens de naissance, à 46 %. En outre, les études antérieures (voir par exemple, Sweetman et McBride, 2004) ont relié les « sciences dures » à des revenus d'emploi élevés sur les marchés du travail canadiens. Une répercussion de ce résultat serait que les immigrants récents de 25 à 64 ans avec une éducation postsecondaire qui ont terminé leurs études aux Philippines, en Inde, en Allemagne ou en Iran ont surpassé leurs homologues canadiens de naissance dans le groupe des personnes qui ont été correctement qualifiés dans les professions les plus lucratives.

Les primes salariales reliées aux immigrants récents avec un diplôme postsecondaire reçu en Allemagne, aux Philippines et en Inde étaient de 30 %, de 37 % et de 18 % respectivement parmi les employés correctement qualifiés, comparativement à leurs homologues canadiens de naissance. En ce qui concerne les travailleurs dits sous-qualifiés, nos résultats indiquent que l'éducation postsecondaire issue des Philippines était associée à une prime salariale positive : relativement à leurs homologues canadiens de naissance, les immigrants récents instruits aux Philippines ont profité, en moyenne, d'un avantage salarial de 25 % après la prise en compte d'autres variables.2

Il est frappant, voir même surprenant, qu'une prime salariale plus élevée soit associée aux immigrants récents qui ont terminé leur plus haut niveau d'études postsecondaires aux Philippines, étant donné que l'existence d'un écart salarial significatif entre les Canadiens de naissance et la plupart des immigrants issus de pays en développement est bien documentée au Canada (voir par exemple, Frenette et Morissette, 2003; Picot, 2008). En outre, la recherche antérieure suggère que les immigrants issus des Philippins ont collectivement des revenus plus faibles que la moyenne nationale et expérimentent une des plus fortes segmentations sectorielles et occupationnelles, principalement dans les emplois peu payants ou instables dans les secteurs de la santé, des garderies, du secrétariat, de la vente ou dans le secteur manufacturier (voir par exemple, Lindsay, 2001; England et Stiell, 1997).3

En supposant que plusieurs employeurs éventuels canadiens qui utilisent l'éducation pour trier les demandeurs d'emploi selon le niveau de productivité évaluent les compétences acquises à l'étranger d'une manière qui ne change pas significativement au fil du temps, ce résultat suggère minimalement la possibilité de meilleures occasions d'emploi pour les immigrants récents qui ont achevé leurs études postsecondaires aux Philippines, comparativement aux Canadiens de naissance et aux autres immigrants avec une éducation postsecondaire. Il se pourrait que lorsque l'occasion leur a été donnée de rechercher des emplois rémunérés qui conviennent mieux à leur niveau de capital humain, les immigrants récents qui ont terminé leur éducation postsecondaire aux Philippines étaient plus susceptibles de se trouver un emploi dans les professions stables avec des salaires élevés au sein de l'économie canadienne (telles que les professions en sciences naturelles et en sciences appliquées), comparativement aux Canadiens de naissance et aux autres immigrants instruits en dehors du Canada. Les statistiques descriptives présentées au tableau 5 offrent un certain appui à cette explication : 74 % des immigrants récents avec une éducation postsecondaire issue des Philippines ont obtenu un diplôme dans les domaines généralement très payants tels que l'ingénierie (24 %), la gestion et les affaires (29 %) et la santé (20 %) tandis que c'était le cas par exemple pour 57 % des Canadiens de naissance, 52 % des immigrants récents avec une éducation postsecondaire provenant des États-Unis et pour 61 % de ceux qui ont terminé leur plus haut niveau d'études postsecondaires au Royaume-Uni.

C. Immigrants établis

De manière similaire aux résultats présentés plus tôt, il y a un écart salarial entre les immigrants établis de 25 à 64 ans avec une éducation postsecondaire et leurs homologues canadiens de naissance (graphiques 2.A à 2.D). En fait, les immigrants établis qui ont terminé leur éducation postsecondaire au Royaume-Uni ont été les seuls à bénéficier d'une prime salariale de 5 % par rapport aux Canadiens de naissance. D'autres études ont mis en lumière des résultats similaires (voir par exemple, Frenette et Morissette, 2003; Baker et Benjamin, 1994). En particulier, Frenette et Morissette (2003) ont révélé que 20 années après leur arrivée au Canada, les revenus d'emploi des immigrants et immigrantes étaient respectivement 14 % et 16 % plus bas que ceux des Canadiens et Canadiennes de naissance. Cet écart salarial montre qu'il serait encore possible que les immigrants soient confrontés à diverses barrières sur les marchés du travail canadiens, lesquelles ne disparaissent pas avec la durée de résidence permanente au Canada. Tel qu'il a été suggéré par Chiswick (1978), la ségrégation occupationnelle et la discrimination salariale pourraient générer de très bas revenus d'emploi chez les immigrants hautement qualifiés et hautement instruits, relativement aux non-immigrants à attributs mesurés comparables.

Il y a des différences frappantes dans les trois catégories d'appariement de l'éducation à l'emploi. Les travailleurs classés comme étant surqualifiés ont un portrait de revenus d'emploi qui reflète celui des immigrants très récents et récents, c'est-à-dire que les immigrants établis ans avec un certificat, diplôme ou grade postsecondaire issu du Royaume-Uni gagnaient, en moyenne, 7 % de plus que leurs homologues canadiens de naissance, tandis que les immigrants établis dont le plus haut diplôme postsecondaire a été achevé dans tout autre pays étranger, ont eu un désavantage salarial, toutes choses étant égales par ailleurs. Concernant les travailleurs adéquatement qualifiés, les immigrants établis avec un acquis éducatif postsecondaire obtenu à l'étranger ont eu une prime salariale vis-à-vis des Canadiens de naissance. Mais, les immigrants établis adéquatement qualifiés avec une éducation postsecondaire qui ont obtenu un diplôme au Pakistan (+41 %), en Inde (+64 %) ou en Allemagne (+40 %) ont eu les avantages salariaux les plus importants par rapport à leurs homologues canadiens de naissance. Ceux à scolarité postsecondaire canadienne dont l'éducation a été adéquatement appariée à la profession ont eu des revenus d'emploi comparables à ceux de leurs homologues canadiens de naissance, tandis que les immigrants qui ont terminé leur éducation postsecondaire aux États-Unis ont gagné légèrement moins en moyenne.

Concernant les travailleurs classés comme étant sous-qualifiés, les immigrants établis ayant accompli leur éducation postsecondaire en Corée du Sud ont gagné en moyenne environ 34 % de moins que leurs homologues canadiens de naissance, tandis que ceux qui ont terminé leur scolarité postsecondaire au Royaume-Uni ont gagné, en moyenne, 17 % de plus que leurs homologues canadiens de naissance. Ces différences sont loin d'être triviales. D'un côté, elles indiquent que certains immigrants avec des acquis éducatifs étrangers feraient répétitivement face à un désavantage salarial comparatif durant leur vie professionnelle. De l'autre côté, ces résultats suggèrent  l'existence d'une certaine convergence, au fil du temps, entre les revenus d'emploi de la plupart des immigrants reçus et ceux des Canadiens de naissance.

En résumé, le chapitre 7 a évalué sous un angle multivarié l'hypothèse de l'imparfaite transférabilité des compétences internationales en utilisant l'information directe sur le lieu d'études postsecondaires.  Globalement, nos résultats supportent cette hypothèse, soit que la plupart des acquis éducatifs étrangers exercent, en moyenne, un effet dépressif sur les perspectives d'emploi et les revenus salariaux des immigrants, surtout ceux des cohortes récentes. Avec ces résultats multivariés en mains, nous concluons  qu'au Canada, plusieurs employeurs éventuels et bon nombre de parties prenantes (telles que les comités d'évaluation, les organismes de réglementation, etc.) n'évalueraient pas les qualifications postsecondaires de toutes les régions ou pays sources sur un standard unique. Autrement dit, des valeurs différentes seraient assignées aux « produits » de différents systèmes éducatifs postsecondaires étrangers au Canada. Avant de conclure cependant, le chapitre suivant aborde deux critiques potentielles de ces résultats.


Notes

  1. Les effets marginaux sont calculés à la moyenne des variables explicatives.
  2. Ce résultat met en lumière l'importance d'exécuter une analyse multivariée. En effet, les statistiques descriptives présentées au tableau 7 indiquent que les immigrants récents de 25 à 64 ans avec une éducation postsecondaire qui ont obtenu leur plus haut niveau d'éducation aux Philippines ont connu un désavantage salarial comparatif peu importe le niveau d'appariement de l'éducation à l'emploi et que ce dernier est particulièrement élevé dans le groupe des travailleurs sous-qualifiés, soit -42,4 %. Tel qu'il est indiqué dans les résultats de régression, ceci n'est pas du tout vrai.
  3. Nous sommes particulièrement reconnaissants envers un examinateur anonyme pour avoir soulevé ce point.
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