Résultats

Avertissement Consulter la version la plus récente.

Information archivée dans le Web

L’information dont il est indiqué qu’elle est archivée est fournie à des fins de référence, de recherche ou de tenue de documents. Elle n’est pas assujettie aux normes Web du gouvernement du Canada et elle n’a pas été modifiée ou mise à jour depuis son archivage. Pour obtenir cette information dans un autre format, veuillez communiquer avec nous.








Méthodes
Résultats

De plus en plus de témoignages provenant du Canada et d'ailleurs indiquent que, pendant leur séjour à l'hôpital, un nombre appréciable de patients subissent des événements indésirables : erreurs de médicament, chutes, infections nosocomiales et autres « mésaventures médicales »1,2. Selon une étude canadienne récente, les erreurs de médicament se classent au deuxième rang des incidents les plus répandus, derrière les erreurs chirurgicales1.

La plupart des études concernant les erreurs de médicament reposent sur des données tirées de dossiers cliniques, reconnus pour contenir des renseignements incomplets. En partie par crainte de représailles, très peu d'incidents — probablement uniquement les quelque 5 % qui pourraient constituer un danger de mort — sont consignés dans les dossiers des patients3-6. L'examen des dossiers cliniques ne permet donc pas d'évaluer la véritable fréquence des erreurs de médicament, ni de cerner les circonstances qui contribuent à ce genre d'erreur. 

Les enquêtes sur les erreurs de médicament visent habituellement le personnel infirmier, qui est chargé d'administrer les médicaments aux patients en milieu clinique. En effet, une des caractéristiques essentielles de la formation en soins infirmiers veut que le défaut d'administrer « le bon médicament à la bonne dose, au bon moment, au bon patient et par la bonne voie » soit imputable à l'infirmière, même s'il est dû à l'erreur d'ordonnance d'un médecin, à l'erreur de distribution d'un pharmacien ou à l'incapacité du patient à avaler. L'infirmière est censée clarifier une ordonnance ambiguë, avoir assez de connaissances et d'assurance pour mettre en doute une ordonnance non pertinente, vérifier et contre-vérifier le médicament, le dosage et l'identité du patient, administrer le médicament au bon moment et par la bonne voie et surveiller étroitement le patient.

Depuis quelque temps, toutefois, la littérature  révèle qu'on se concentre moins sur l'infirmière comme « cause » des erreurs de médicament pour tenir compte du contexte élargi. On est de plus en plus conscient qu'une interaction complexe de circonstances en milieu clinique, plutôt que la négligence d'une seule personne, contribue au risque d'erreur2,7-10.

Bien que les résultats soient variables, plusieurs études semblent indiquer qu'il existe un lien entre les erreurs de médicament et certains facteurs organisationnels systémiques, soit l'adéquation des effectifs en soins infirmiers, le nombre d'heures travaillées par semaine, les heures supplémentaires, la composition des effectifs (infirmières professionnelles et non réglementées) et d'autres facteurs inhérents au régime de travail5,11-13.

On observe également des liens entre les erreurs de médicament et le stress en milieu de travail clinique. Par exemple, une étude récente menée auprès du personnel infirmier de l'Alberta et de l'Ontario a révélé que des risques pour la sécurité des patients — dont les erreurs de médicament et d'autres événements indésirables — étaient liés à l'épuisement professionnel des infirmières, lequel était lié à l'insuffisance des effectifs, aux mauvaises relations de travail entre les infirmières et les médecins et à d'autres facteurs d'ordre professionnel14.

Sous le couvert de la confidentialité, le personnel infirmier constitue une excellente source de renseignements sur les erreurs de médicament et sur les conditions qui les occasionnent. Par exemple, d'après une étude américaine dans laquelle on avait demandé à des infirmières de tenir un journal anonyme sur une période de 23 jours, 30 % d'entre elles avaient relevé au moins une erreur de médicament. Les infirmières attribuaient ces erreurs à la lourdeur de la charge de travail, à la complexité des besoins des patients, aux interruptions et au manque de communication entre les fournisseurs de soins de santé15,16.

L'Enquête nationale sur le travail et la santé du personnel infirmier (ENTSPI) de 2005 constitue une abondante source de renseignements fournis anonymement par les infirmières et infirmiers canadiens. Les données de l'ENTSPI ont été recueillies par téléphone, de manière strictement confidentielle. Ces données permettent d'étudier la perception du personnel infirmier à l'égard de la sécurité des patients — en l'occurrence, la fréquence des erreurs de médicament — en fonction de facteurs propres à l'organisation de leur travail et à leurs relations de travail.

L'objectif de la présente étude est d'examiner les liens entre les erreurs de médicament, l'organisation du travail et le milieu de travail en neutralisant l'influence possible des caractéristiques personnelles et des caractéristiques liées à la santé. Le point de vue théorique est inspiré par la documentation sur les déterminants des résultats des soins infirmiers en général et des événements indésirables en particulier6,14,17-23. Le modèle conceptuel repose sur une version modifiée du cadre de travail de Donabedian (structure, processus et résultats)17.

Le choix des variables d'analyse dépendait des données recueillies dans le cadre de l'ENTSPI. La « structure » était représentée par des variables relatives à l'organisation du travail : l'habitude de travailler des heures supplémentaires (rémunérées ou non), un quart de travail autre que de jour, des quarts de 12 heures, plus de 40 heures par semaine (tous les emplois confondus), l'emploi à temps partiel et le domaine clinique de l'emploi habituel. Les « processus » étaient représentés par des variables relatives au milieu de travail : les relations de travail infirmières-médecins, la perception de la charge de travail, la perception de l'adéquation des effectifs et des ressources et le stress au travail. Les facteurs de stress au travail étaient le faible soutien de la part des collègues et de la part des superviseurs, l'insécurité d'emploi et les exigences physiques élevées. Les « résultats » étaient les erreurs de médicament déclarées par le personnel infirmier. Dans le cadre de l'analyse multivariée, on a neutralisé les caractéristiques personnelles suivantes : le niveau de formation en soins infirmiers, le nombre d'années d'expérience en soins infirmiers, l'insatisfaction au travail et la santé générale et mentale.

Méthodes

Source des données

Les données qui font l'objet de la présente étude proviennent de l'Enquête nationale sur le travail et la santé du personnel infirmier (ENTSPI), vaste enquête menée par Statistique Canada, en collaboration avec l'Institut canadien d'information sur la santé et Santé Canada, auprès des infirmières et infirmiers canadiens réglementés occupant un emploi (infirmières autorisées, infirmières auxiliaires autorisées et infirmières psychiatriques autorisées)24. L'enquête visait à recueillir auprès du personnel infirmier de toutes les provinces et des territoires des renseignements sur leur milieu de travail, leur charge de travail, leur perception de la qualité des soins aux patients et leur santé physique et mentale. Le contenu de l'enquête a été déterminé sur les conseils d'un comité consultatif d'experts en vue de produire des données pour les besoins d'une analyse axée sur les liens entre le milieu des soins infirmiers et divers résultats observés chez les infirmiers et les patients.

L'échantillon de l'ENTSPI a été prélevé au hasard dans les listes de membres fournies à Statistique Canada par les 26 organismes professionnels et de réglementation provinciaux et territoriaux en matière de soins infirmiers. La collecte des données a eu lieu d'octobre 2005 à janvier 2006. La durée de l'interview téléphonique était d'environ 30 minutes.

Sur les 24 443 infirmières et infirmiers échantillonnés au départ, on a pu en joindre 21 307, dont 1 015 étaient inadmissibles parce qu'ils n'occupaient pas un emploi en soins infirmiers au moment de l'enquête. En outre, 1 616 personnes (7,6 % des 21 307 personnes jointes) ont refusé de participer. On a obtenu des réponses complètes de 18 676 personnes, soit un taux de réponse de 79,8 %. De ce nombre, 4 379 étaient des infirmières et infirmiers autorisés dispensant des soins directs aux patients hospitalisés; l'analyse a porté sur les données pondérées obtenues de ces répondants.

Définitions

L'ENTSPI a recueilli des renseignements sur le risque et la fréquence des erreurs de médicament en posant la question suivante : « Les prochaines questions se rapportent à des incidents ayant eu un impact sur vous ou les patients pour lesquels vous étiez responsable. Au cours des 12 derniers mois, à quelle fréquence diriez-vous qu'un patient a reçu une mauvaise médication ou une mauvaise dose? Jamais, rarement, parfois, fréquemment? » On a regroupé les réponses en deux catégories : jamais ou rarement et parfois ou fréquemment.

On a déterminé le type de soins dispensés en posant la question suivante : « Travaillez-vous dans un secteur de soins directs ou non directs avec les patients? » Selon leurs réponses, les infirmières ont été classées comme dispensant des soins directs ou indirects; celles qui dispensaient à la fois des soins directs et indirects ont été classées comme dispensant des soins directs.

Dans le cas des infirmières occupant plus d'un emploi en soins infirmiers, on entendait par « emploi principal » celui où elles travaillaient habituellement le plus d'heures par semaine au moment de l'interview. Toutefois, en ce qui concerne les personnes échantillonnées au Yukon, dans les Territoires du Nord-Ouest et au Nunavut, on entendait par emploi principal leur emploi dans le Nord, même s'ils occupaient ailleurs un deuxième emploi où ils travaillaient plus d'heures par année. (Sur les quelque 1 400 infirmières classées comme occupant un emploi dans un territoire du Nord, 30 % n'y offraient que des soins de relève à court terme.)

On a établi le statut à temps plein de l'emploi principal en demandant aux répondants s'ils travaillaient à temps plein ou à temps partiel.

On a déterminé le quart habituel de l'emploi principal en posant la question suivante : « Travaillez-vous habituellement de jour, de soir ou de nuit? » Les intervieweurs disposaient de quatre catégories de réponse (le jour, en soirée, la nuit, mixte), mais ils ne lisaient aux répondants que les trois premières.

Pour déterminer la durée du quart de travail, on a demandé aux répondants : « Travaillez-vous habituellement des quarts de 8 heures, des quarts de 12 heures, d'autres quarts ou des quarts variés? » À ceux qui répondaient « des quarts variés », on a demandé de préciser le nombre d'heures habituellement travaillées par quart. Les répondants ont été classés comme travaillant un quart de 12 heures si leur réponse à la première question était un quart de 12 heures ou si leur réponse à la question suivante indiquait que leur quart habituel était de plus de 12 heures.

On a déterminé les heures supplémentaires (heures travaillées en sus des heures normales) dans l'emploi principal en posant les questions suivantes : « Combien d'heures supplémentaires payées travaillez-vous habituellement par semaine? » et « Combien d'heures ou de temps supplémentaires non payés travaillez-vous habituellement par semaine? » Les répondants qui travaillaient habituellement un certain nombre d'heures supplémentaires, rémunérées ou non, ont été définis comme travaillant habituellement des heures sup-plémentaires.

On a déterminé le nombre d'emplois occupés au moment de l'enquête en demandant au répondant s'il consacrait du temps à des emplois en soins infirmiers autres que son emploi principal, ou encore à ses emplois ou à ses entreprises qui n'appartiennent pas au secteur des soins infirmiers.

On a calculé le total des heures travaillées dans tous les emplois confondus en additionnant le total des heures travaillées dans l'emploi principal et celui des heures travaillées dans tous les autres emplois.

La charge de travail excessive est un indice quantitatif servant à mesurer la perception de la quantité de travail à accomplir dans le temps disponible; des évaluations antérieures ont montré que sa fiabilité était moyenne (0,56)25,26 mais, à l'égard du personnel infirmier canadien, le coefficient alpha de Cronbach pour cette échelle était de 0,7924. On a demandé aux répondants d'indiquer, sur une échelle de cinq points (tout à fait d'accord, 4; d'accord, 3; ni en accord ni en désaccord, 2; en désaccord, 1; entièrement en désaccord, 0) dans quelle mesure ils étaient d'accord avec les cinq énoncés suivants :

  • « Je dois souvent arriver tôt ou rester tard pour accomplir toutes mes tâches. »
  • « Je dois souvent travailler pendant mes pauses pour compléter ma charge de travail. »
  • « Il me semble que j'ai souvent trop de travail pour une personne. »
  • « On me donne suffisamment de temps pour exécuter le travail que je suis censé exécuter à mon poste. » (notation inversée)
  • « J'ai trop à faire pour tout bien faire. »

On a calculé (sur une échelle de 0 à 20) une note totale pour la charge de travail excessive en additionnant les notes attribuées aux cinq énoncés; plus la note est élevée, plus la charge de travail l'est aussi. On a déterminé des valeurs seuil pour répartir la distribution pondérée des notes en quartiles : premier quartile, moins de 9; deuxième quartile, de 9 à 12; troisième quartile, de 13 à 15; quatrième quartile, plus de 15. Sur un total de 4 379 personnes échantillonnées pour les besoins de l'analyse, 31 n'ont pas fourni de renseignements sur la charge de travail excessive. On a donc créé une variable nominale correspondant aux renseignements manquants afin de maximiser le nombre de dossiers à inclure dans l'analyse multivariée.

L'indice du travail en soins infirmiers est un ensemble de mesures établies pour étudier le milieu des soins infirmiers27. Pour les besoins de la présente étude, on a utilisé deux sous-échelles de cet indice: l'adéquation des effectifs et des ressources et les relations de travail infirmières-médecins. Les statistiques concernant la fiabilité et la validité de ces sous-échelles sont satisfaisantes24,28,29. Les options de réponse étaient notées sur une échelle de Likert à quatre points : tout à fait d'accord (0), quelque peu en accord (1), quelque peu en désaccord (2), fortement en désaccord (3).

La sous-échelle Adéquation des effectifs et des ressources repose sur les énoncés suivants :

  • « Des services de soutien adéquats me permettent de consacrer du temps à mes patients. »
  • « Il y a suffisamment de temps et d'occasions pour discuter des soins aux patients. »
  • « L'effectif infirmier est suffisant pour offrir des soins de qualité aux patients. »
  • « L'effectif est suffisant pour accomplir le travail. »

On a calculé (sur une échelle de 0 à 12) une note totale en additionnant les notes attribuées aux quatre énoncés; plus la note est élevée, plus les effectifs et les ressources sont perçus comme insuffisants. Pour maximiser le nombre de répondants, on a accepté une réponse « non applicable » ou « non déclaré ». On a calculé une note à partir des énoncés avec réponse, puis on l'a rajustée en fonction de l'énoncé sans réponse24. On a déterminé des valeurs seuil pour répartir la distribution pondérée des notes en quartiles : premier quartile, de 0 à 3; deuxième quartile, de 4 à 5; troisième quartile, de 6 à 8; quatrième quartile, de 9 à 12.

On a utilisé trois énoncés pour mesurer les relations de travail infirmières-médecins :

  • « Les médecins et le personnel infirmier ont de bonnes relations de travail. »
  • « Il y a beaucoup de travail d'équipe entre le personnel infirmier et les médecins. »
  • « Il y a une collaboration entre le personnel infirmier et les médecins. »

On a calculé (sur une échelle de 0 à 9) une note totale pour les relations de travail infirmières-médecins en additionnant les notes attribuées aux trois énoncés; plus la note est élevée, plus les relations sont mauvaises. Afin de maximiser le nombre de répondants pour lesquels on a calculé des notes, on a accepté une réponse « non applicable » ou « non déclaré ». On a calculé une note à partir des énoncés avec réponse, puis on l'a rajustée en fonction de l'énoncé sans réponse24. On a réparti la distribution pondérée des notes en quartiles : premier quartile, 0; deuxième quartile, de 1 à 2; troisième quartile, 3; quatrième quartile, de 4 à 9.

On a utilisé deux énoncés pour mesurer le soutien de la part des collègues :

  • « Vous étiez exposé(e) à l'hostilité ou aux conflits de vos collègues. »
  • « Vos collègues facilitaient l'exécution du travail. »

Les options de réponse étaient les suivantes : tout à fait d'accord, d'accord, ni en accord ni en désaccord, en désaccord et entièrement en désaccord. Les répondants ont été classés comme ayant un faible soutien de leurs collègues s'ils indiquaient « tout à fait d'accord » ou « d'accord » en réponse au premier énoncé, ou « en désaccord » ou « entièrement en désaccord » en réponse au deuxième.

On a mesuré le soutien de la part des superviseurs à l'aide de l'énoncé suivant : « Votre surveillant facilitait l'exécution du travail ». Les répondants ont été classés comme ayant un faible soutien de leurs superviseurs s'ils indiquaient « en désaccord » ou « entièrement en désaccord ».

On a mesuré la sécurité d'emploi à l'aide de l'énoncé suivant : « Vous aviez une bonne sécurité d'emploi ». Les répondants ont été classés comme ayant une insécurité d'emploi s'ils indiquaient « en désaccord » ou « entièrement en désaccord ».

On a mesuré les exigences physiques de l'emploi à l'aide de l'énoncé suivant : « Votre travail exigeait beaucoup d'efforts physiques ». Les répondants ont été classés comme ayant des exigences physiques élevées s'ils indiquaient « d'accord » ou « tout à fait d'accord ».

On a réparti le nombre d'années d'emploi en soins infirmiers en deux catégories : cinq ans ou moins, et plus de cinq ans.

On a évalué la santé générale et mentale en posant les questions suivantes : « De façon générale, diriez-vous que votre santé est excellente, très bonne, bonne, passable ou mauvaise? » et « De façon générale, diriez-vous que votre santé mentale est excellente, très bonne, bonne, passable ou mauvaise? » On a classé les réponses en deux groupes : excellente, très bonne ou bonne, et passable ou mauvaise.

On a évalué l'insatisfaction au travail en posant la question suivante : « Dans l'ensemble, dans quelle mesure êtes-vous satisfait de cet emploi? Très satisfait, plutôt satisfait, plutôt insatisfait ou très insatisfait? » Les répondants qui se disaient « plutôt » ou « très » insatisfaits ont été classés comme étant insatisfaits de leur emploi.

Techniques d'analyse

Les données de l'ENTSPI ont été pondérées de manière à être représentatives de tout le personnel infirmier réglementé du Canada. Pour les besoins de l'analyse, on a utilisé les données pondérées des infirmières et infirmiers autorisés occupant un emploi en milieu hospitalier et dispensant des soins directs. On a produit des estimations de la fréquence pour examiner les caractéristiques de la population étudiée et on a utilisé des estimations bivariées pour examiner la probabilité d'erreurs de médicament occasionnelles ou fréquentes en fonction de certaines variables. On a utilisé un modèle de régression logistique pour étudier les erreurs de médicament en fonction de l'organisation du travail et du milieu de travail, en neutralisant les caractéristiques personnelles et le milieu d'emploi clinique. On a choisi les variables indépendantes à inclure dans le modèle en fonction de la documentation et de l'examen de relations bivariées. Afin de prendre en compte les effets du plan d'enquête, on a utilisé la méthode du bootstrap pour estimer la variance des estimations, les écarts entre les proportions et les intervalles de confiance relatifs aux rapports de cotes30-32.

Résultats

Caractéristiques personnelles

En 2005, 143 000 infirmières et infirmiers autorisés (IA) dispensaient des soins directs aux patients hospitalisés (tableau 1). Ils comptaient en moyenne 17 années d'emploi en soins infirmiers. Un peu plus du quart (26 %) possédaient un baccalauréat (ou un grade plus élevé) en soins infirmiers. Seulement 6 % étaient des hommes.

Les IA en milieu hospitalier étaient en bonne santé. Seuls quelque 6 % ont déclaré que leur santé générale était « passable » ou « mauvaise », et une proportion aussi faible a déclaré un état de santé mentale qui se classait dans ces catégories.

Organisation du travail

Près du quart (23 %) des infirmières et infirmiers d'hôpital travaillaient dans un service de médecine ou de chirurgie (données non présentées). Environ 13 % travaillaient à la maternité ou au service de soins aux nouveau-nés, 11 % en salle d'urgence et 11 % également en salle d'opération ou de réveil. Un peu moins d'un répondant sur dix travaillait dans un service de soins intensifs et 7 % ont déclaré travailler dans plusieurs domaines cliniques. Un répondant sur vingt travaillait dans un service de soins psychiatriques et une proportion semblable travaillait dans un service de soins ambulatoires (soins externes). Le reste était réparti en proportions plus faibles entre les services d'oncologie, de gériatrie, de pédiatrie, de réadaptation et de soins palliatifs.

La majorité (61 %) des infirmières et infirmiers d'hôpital occupaient un emploi à temps plein. La prestation de soins aux patients étant un travail de tous les instants, plus des deux tiers travaillaient habituellement des heures autres que le quart de jour (en soirée, la nuit ou selon un horaire variable). Les quarts de 12 heures étaient courants : c'était le lot de 45 % des personnes interrogées. Plus des deux tiers  travaillaient habituellement des heures supplémentaires (rémunérées ou non) dans leur emploi principal et plus du tiers (38 %) ont déclaré travailler plus de 40 heures par semaine dans tous les emplois confondus.

Milieu de travail

Si la sous-échelle Adéquation des effectifs et des ressources repose sur la note totale de ses quatre éléments, la fréquence des réponses à chacun des énoncés est cependant plus révélatrice. Moins de la moitié des infirmières et infirmiers autorisés d'hôpital étaient d'accord avec les énoncés suivants : « L'effectif infirmier est suffisant pour offrir des soins de qualité aux patients » et « L'effectif est suffisant pour accomplir le travail » (figure 1). À peine plus de la moitié ont déclaré que les services de soutien et le temps pour discuter des soins aux patients étaient suffisants.

Dans des proportions étonnamment élevées, les infirmières et infirmiers d'hôpital affirmaient avoir de bonnes relations de travail avec les médecins. En effet, 89 % étaient d'accord avec l'énoncé suivant : « Il y a une collaboration entre le personnel infirmier et les médecins » (données non présentées). Presque autant (87 %) estimaient que « Les médecins et le personnel infirmier ont de bonnes relations de travail », et 82 % trouvaient que « Il y a beaucoup de travail d'équipe entre le personnel infirmier et les médecins ».

La majorité des personnes interrogées estimaient être surchargées de travail (figure 2). Plus des deux tiers étaient d'accord avec l'énoncé « Il me semble que j'ai souvent trop de travail pour une personne » et 62 %, avec l'énoncé « J'ai trop à faire pour tout bien faire ».

On a évalué les efforts du personnel infirmier pour assumer leur charge de travail à l'aide des énoncés suivants : « Je dois souvent travailler pendant mes pauses pour compléter ma charge de travail » (65 % étaient d'accord) et « Je dois souvent arriver tôt ou rester tard pour accomplir toutes mes tâches » (55 %). Fait assez étonnant, pourtant, plus de la moitié (53 %) étaient d'accord avec l'énoncé suivant : « On me donne suffisamment de temps pour exécuter le travail que je suis censé exécuter à mon poste ».

Les infirmières et infirmiers d'hôpital ont déclaré subir du stress au travail à divers degrés, selon l'agent stressant (tableau 1). Le personnel infirmier des hôpitaux canadiens est hautement syndiqué24, ce qui explique probablement la très forte proportion de personnes (94 %) ayant déclaré bénéficier d'une bonne sécurité d'emploi. Comme on pouvait s'y attendre, la plupart des personnes interrogées (78 %) estimaient que leur emploi était très exigeant physiquement. Près de trois sur dix (29 %) n'étaient pas d'accord pour dire que leur superviseur « facilitait l'exécution du travail » et un pourcentage encore plus élevé (46 %) estimaient avoir un faible soutien de la part de leurs collègues.

Les corrélats des erreurs de médicament

Près du cinquième (19 %) des infirmières et infirmiers d'hôpital ont affirmé qu'au cours de l'année précédente, des erreurs de médicament concernant les patients qu'ils soignaient étaient survenues « occasionnellement » ou « fréquemment » (tableau 2).

Il existe un lien significatif entre les erreurs de médicament, les heures supplémentaires et la durée du quart de travail. Chez les personnes qui travaillaient habituellement des heures supplémentaires, 22 % ont déclaré des erreurs de médicament, contre 14 % de leurs homologues qui ne travaillaient pas d'heures supplémentaires. Par opposition, chez les personnes qui disaient travailler habituellement des quarts de 12 heures, la probabilité d'erreurs de médicament était légèrement mais significativement plus faible que chez celles qui travaillaient des quarts plus courts (18 % contre 22 %). En ce qui concerne les autres facteurs organisationnels étudiés (plus de 40 heures de travail par semaine, emploi à temps plein ou à temps partiel et habitude de travailler des quarts autres que de jour), on n'a observé aucun lien avec les erreurs de médicament.

Les erreurs de médicament étaient liées à la perception d'une « charge de travail excessive » des infirmières et infirmiers. En effet, les données révèlent un gradient entre la probabilité d'erreur et la charge de travail excessive (tableau 2, figure 3). La perception de l'adéquation des effectifs et des ressources était aussi liée à la probabilité d'erreurs de médicament (figure 4).

La qualité des relations de travail entre les infirmières et les médecins était également liée aux erreurs de médicament (tableau 2).  Seulement 12 % des IA qui se classaient dans le quartile des meilleures relations de travail ont déclaré des erreurs de médicament. Cette proportion grimpe à 27 % chez ceux du quartile des pires relations de travail.

On observe des liens entre le stress au travail et les erreurs de médicament. Les infirmières et infirmiers qui disaient avoir peu de soutien de la part de leurs collègues étaient proportionnellement plus nombreux (et la proportion était significative) à déclarer des erreurs de médicament que leurs homologues qui avaient plus de soutien. Toutefois, on n'a observé aucun lien significatif avec le soutien de la part des superviseurs. Il existe cependant un lien significatif entre l'insécurité d'emploi et les erreurs de médicament : 32 % des personnes qui disaient avoir une faible sécurité d'emploi ont déclaré des erreurs de médicament, contre 19 % de celles qui bénéficiaient d'une grande sécurité d'emploi.

On n'observe aucun lien significatif entre la probabilité d'erreurs de médicament et le niveau de formation en soins infirmiers, le nombre d'années d'expérience en soins infirmiers ni l'état de santé général. Les données laissent cependant entrevoir un lien avec la santé mentale : 19 % des IA en milieu hospitalier qui jugeaient leur santé mentale « excellente », « très bonne » ou « bonne » ont déclaré des erreurs de médicament, contre 27 % de ceux qui la qualifiaient de « passable » ou « mauvaise ». Toutefois, en raison de la petite taille de l'échantillon pour la catégorie « passable/mauvaise », l'écart n'atteignait pas le degré de signification statistique (p=0,075).

Analyse multivariée

On a effectué une analyse multivariée pour examiner les liens entre les erreurs de médicament et les indicateurs de l'organisation du travail et du milieu de travail, en neutralisant l'influence des caractéristiques des personnes interrogées. Pour ce qui est des facteurs de l'organisation du travail étudiés, les liens avec les erreurs de médicament observés dans le cadre de l'analyse bivariée persistaient à l'égard de l'habitude de travailler des heures supplémentaires (relation positive) et des quarts de travail de 12 heures (relation négative) (tableau 3). En ce qui concerne les facteurs du milieu de travail examinés, des liens statistiquement significatifs avec les erreurs de médicament persistaient à l'égard de l'adéquation des effectifs et des ressources, de la charge de travail excessive, des relations de travail infirmières-médecins, de la sécurité d'emploi et du soutien de la part des collègues. Enfin, le gradient apparent du lien avec les erreurs de médicament persistait à l'égard de l'adéquation des effectifs et des ressources, de la charge de travail excessive et des relations de travail infirmières-médecins.

Discussion

La présente étude, fondée sur un échantillon représentatif des infirmières et infirmiers autorisés qui dispensent des soins directs dans les hôpitaux canadiens, fournit de nouveaux renseignements sur leur perception des erreurs de médicament et de facteurs connexes. Près du cinquième d'entre eux ont déclaré que les patients dont ils prenaient soin au cours de l'année précédente avaient subi occa-sionnellement ou fréquemment des erreurs de médicament. Compte tenu de la grande taille de l'échantillon ayant servi à l'analyse et du taux de réponse élevé à l'ENTSPI, ces conclusions sont particulièrement probantes.

À l'instar de travaux de recherche antérieurs33, l'étude révèle un lien entre l'habitude de travailler des heures supplémentaires et les erreurs de médicament. Il s'agit d'une conclusion importante, car il est possible de trouver une solution au problème des heures supplémentaires. En outre, le risque d'influence négative des heures supplémentaires ne se limite pas aux erreurs de médicament : une étude récente des résultats observés chez les patients d'une unité de soins intensifs a révélé des liens entre les heures supplémentaires et divers événements indésirables34.

Si, dans la présente analyse, les heures supplémentaires constituent la seule variable de l'organisation du travail qui est directement proportionnelle aux erreurs de médicament, il est cependant probable que les variables du milieu de travail qui sont liées aux erreurs de médicament (perception d'une charge de travail excessive et manque d'effectifs ou de ressources) découlent également de caractéristiques organisationnelles14. On peut conclure à une interaction entre les variables relevant de la « structure » et celles relevant du « processus ». De même, le faible soutien de la part des collègues, qui a un lien significatif avec les erreurs de médicament, pourrait résulter du manque d'effectifs. Les infirmières et infirmiers qui travaillent à plein régime pour s'occuper de leurs propres patients risquent de ne pas être en mesure d'aider leurs collègues. L'insécurité d'emploi est un autre agent stressant lié aux erreurs de médicament, mais son incidence globale est inférieure à celle d'autres facteurs en raison du faible pourcentage de répondants concernés.

Si l'habitude de travailler des heures supplémentaires est liée à une probabilité accrue d'erreurs de médicament, la cote exprimant le risque d'erreur liée aux quarts de travail de 12 heures est pourtant de 30 % moins élevée que dans le cas de quarts plus courts. On peut en déduire que la distinction entre les heures normales (planifiées à l'avance) et les heures imprévues s'avère plus importante que le nombre d'heures travaillées. L'importance du lien favorable — si relatif soit-il —  entre les quarts de 12 heures et les erreurs de médicament est soulignée par le fait que 45 % des IA qui dispensent des soins directs dans les hôpitaux canadiens travaillent des quarts de 12 heures.

Les travaux de recherche antérieurs sur la durée des quarts de travail ont produit des résultats variés. Certaines études ont révélé que les quarts d'une durée de 12,5 heures étaient liés à des effets négatifs sur divers aspects de la prestation des soins infirmiers11,33,35. Par contre, d'autres rapportent que la mise en œuvre des quarts de 12 heures se traduit par une amélioration de la communication entre les infirmières et les patients, du suivi des soins et de la satisfaction au travail23,36,37. Comme ces études portaient sur divers indicateurs de la performance et que les stratégies d'échantillonnage et les taux de réponse étaient nettement différents de ceux de l'ENTSPI, il est difficile de comparer les conclusions de l'ENTSPI à celles d'autres travaux de recherche menés à ce jour.

Les liens étroits entre les erreurs de médicament, la perception du manque d'effectifs et de ressources et la charge de travail excessive corroborent les résultats d'autres études5,13,14,38. Si les différences méthodologiques limitent la comparabilité, il n'en demeure pas moins que la cohérence globale des conclusions s'impose.

L'un des avantages d'une recherche fondée sur l'ENTSPI plutôt que sur des données administratives tient au fait que les infirmières et infirmiers étaient probablement moins réticents à déclarer les erreurs de médicament survenues. En outre, l'étude des corrélats des erreurs de médicament s'enrichit de l'ensemble de renseignements sur les conditions de travail recueillis aux fins de l'ENTSPI.

Limites

L'interprétation des résultats de l'ENTSPI est limitée par la nature transversale des données. Les renseignements ayant été recueillis de manière ponctuelle, il n'est pas possible d'établir la relation temporelle entre les variables dépendantes et indépendantes, ni d'inférer la causalité. En outre, les variables dépendantes et indépendantes reposent sur les autodéclarations du personnel infirmier, dont la plupart étaient subjectives. Les données n'ont pas été validées en fonction de sources objectives. L'exactitude de la déclaration des erreurs de médicament, ainsi que des variables indépendantes comme la fréquence des heures supplémentaires, peuvent avoir été influencées par l'erreur de mémoire. Cette erreur peut également avoir eu une incidence sur l'étroitesse du lien observé entre les variables — par exemple, la corrélation entre la probabilité de déclarer occasionnellement ou fréquemment des erreurs de médicament et celle de déclarer fréquemment des heures supplémentaires19.

Faute des renseignements nécessaires, il n'était pas possible de prendre en compte certains facteurs pouvant avoir influencé les liens observés avec les erreurs de médicament. Par exemple, on a montré que la composition des effectifs professionnels (le ratio des infirmières autorisées aux infirmières auxiliaires autorisées et au personnel auxiliaire) était liée aux résultats observés chez les patients12, mais il n'était pas possible d'en tenir compte dans la présente analyse. De même, il n'était pas possible de rajuster les données en fonction de la taille de l'hôpital ou du système d'administration (par exemple, les soins fonctionnels par opposition aux soins primaires)26,39. En outre, on ne disposait pas de renseignements sur les caractéristiques des patients qui auraient pu influencer la probabilité d'erreurs de médicament.

Les liens entre les variables peuvent avoir été influencés par des écarts entre les périodes de référence des variables indépendantes et de la variable dépendante. Pour les erreurs de médicament, on a demandé quelle en était la fréquence au cours de l'année précédente, mais toutes les autres variables utilisées dans la présente analyse étaient liées au moment de l'interview. Il est possible que des personnes ayant changé d'emploi au cours de l'année aient déclaré des erreurs de médicament survenues dans un contexte sans rapport avec les variables liées à leur emploi courant.

Enfin, la petite taille des échantillons ne permettait pas de déclarer les erreurs de médicament selon le domaine clinique de l'emploi.

Conclusion

De l'avis de nombreux infirmiers et infirmières canadiens, la restructuration des hôpitaux et la réduction du personnel infirmier survenues depuis le début des années 1990 ont eu une incidence importante sur le milieu de travail en soins infirmiers et, par le fait même, sur la qualité des soins aux patients14,40-42. Les résultats de l'ENTSPI font ressortir les liens entre les risques pour les soins aux patients et certains aspects de l'organisation du travail et du milieu de travail des infirmières et infirmiers d'hôpital. L'habitude de travailler des heures supplémentaires, l'impression d'être surchargé de travail, les mauvaises relations entre les infirmières et les médecins, le manque d'effectifs et de ressources ainsi que le faible soutien de la part des collègues étaient liés aux erreurs de médicament. Il reste à souhaiter que la présente étude éclaire des initiatives visant à réduire les risques pour la sécurité des patients dans les hôpitaux canadiens.