Rapports sur la santé
La géographie a-t-elle une incidence sur la mortalité? Analyse de la mortalité évitable selon l’indice d’éloignement au Canada
par Rajendra Subedi,T. Lawson Greenberg et Shirin Roshanafshar
DOI : https://www.doi.org/10.25318/82-003-x201900500001-fra
Malgré l’énorme quantité de travaux de recherche en cours, les mécanismes qui sous-tendent les disparités entre les régions urbaines et rurales en matière de santé ne sont pas pleinement compris au Canada. Même si un emplacement rural et éloigné n’entraîne pas nécessairement en soi un mauvais état de santé, il peut avoir une influence sur d’autres déterminants socioéconomiques, environnementaux et professionnels en matière de santé. On observe une hétérogénéité au sein des communautés rurales au Canada et entre celles-ci en ce qui a trait aux caractéristiques socioéconomiques et géographiquesNote 1. Cependant, en général, les personnes qui vivent au sein de communautés rurales ont un accès limité aux services de santé et présentent davantage de problèmes de santé que leurs homologues citadinsNote 2Note 3. Cela peut entraîner des différences disproportionnées de taux de mortalité entre les communautés urbaines et rurales.
Dans un rapport de l’Institut canadien d’information sur la santé (ICIS) de 2012, on affirme que les personnes vivant dans des régions rurales et défavorisées supportent un fardeau plus important de conditions propices aux soins ambulatoires, comme l’asthme, les maladies pulmonaires obstructives chroniques, le diabète, l’hypertension artérielle et les maladies cardiovasculairesNote 4. Des études ont établi une association entre un mauvais état de santé et le mode de vie, la culture, la géographie et le milieu ruralNote 1Note 5Note 6. D’autres études ont comparé l’état de santé et les besoins en soins de santé tout au long du continuum urbain-ruralNote 1Note 7Note 8. Les régions rurales et éloignées se distinguent par un plus grand nombre de subdivisions de recensement (SDR) ayant une proportion de la population autochtone plus élevée que celle des régions urbainesNote 9. La mortalité évitable est plus élevée chez les adultes des Premières NationsNote 10 et chez les InuitsNote 11. Ainsi, l’indice d’éloignement peut-être accentué par la proportion de la population autochtone qui se trouve dans cette région. La variation de la mortalité associée à des maladies chroniques et aux principales causes de décès dans les milieux urbains et ruraux a été étudiée dans d’autres pays, notamment aux États-UnisNote 12,en AustralieNote 13et en ChineNote 14. Cependant, étant donné le manque de clarté de la classification des milieux urbains et ruraux et des régions éloignées, aucune étude au Canada n’a comparé la mortalité évitable en fonction de l’éloignement relatif.
La mortalité potentiellement évitable (ci-après mortalité évitable) est un sous-ensemble des décès prématurés qui surviennent avant l’âge de 75 ans. La mortalité évitable est définie comme « les décès prématurés qui ne devraient pas se produire avec la prestation de soins de santé opportuns et efficaces, y compris des services de préventionNote 15. » La mortalité évitable représente plus de 70 % du nombre total de décès de personnes âgées de moins de 75 ans au CanadaNote 10Note 15 et consiste en deux sous-groupes : la mortalité de causes pouvant être prévenues et la mortalité de causes traitables. La « mortalité de causes pouvant être prévenues » fait référence aux décès qui pourraient être évités par des mesures préventives primaires de réduction de l’incidence, comme l’immunisation, la réduction du tabagisme et l’utilisation de la ceinture de sécurité. La « mortalité de causes traitables » fait référence aux décès dont les causes peuvent être traitées par des efforts de prévention secondaires et tertiaires, comme un dépistage et un traitement efficaces d’une maladie existanteNote 15. Les concepts de mortalité de causes pouvant être prévenues et de causes traitables ont été largement adoptés comme indicateurs de rendement des systèmes de santé plus généraux dans des pays comme l’Australie, le Royaume-Uni, l’Italie et les États-UnisNote 16Note 17. Des études antérieures ont révélé qu’une intervention rapide et efficace pouvait réduire considérablement les taux de mortalitéNote 15Note 18.
Par contre, les documents existants montrent également que le statut socioéconomique est le prédicteur le plus constant de l’état de santé et, par conséquent, un bon prédicteur de la morbidité et de la mortalitéNote 15Note 19Note 20. Bien que des auteurs soutiennent que le niveau de scolarité est un déterminant social important de la santéNote 21Note 22, d’autres ont établi une association entre le revenu et les facteurs de risque pour la santé propres à la personneNote 22Note 23Note 24. Il existe de nombreuses études portant sur les différences de mortalité selon le sexe. En général, comme les hommes adoptent des comportements plus risqués, on sait qu’ils enregistrent des taux de mortalité supérieurs à ceux des femmes pour la majorité des principales causes de décèsNote 25. Cependant, il n’existe pas suffisamment de preuves sur la façon dont les taux de mortalité évitable varient selon le sexe et selon l’éloignement pour pouvoir tirer des conclusions formelles à cet égard.
Dans la majorité des études antérieures, on a eu recours à la Classification des secteurs statistiques (CSS) et on a défini le terme « urbain » à l’aide d’une combinaison de régions métropolitaines de recensement (RMR) et d’agglomérations de recensement (AR)Note 1. Statistique Canada définit les régions urbaines comme étant les centres de population d’au moins 1 000 habitants et d’une densité de 400 personnes au kilomètre carréNote 26. Aucune distinction claire n’existe cependant entre les régions urbaines, rurales et éloignées au Canada. Les chercheurs et les planificateurs du système de santé ont par conséquent souligné la nécessité d’une approche pancanadienne permettant de distinguer clairement les régions urbaines, rurales et éloignées afin de mesurer les inégalités de soins de santé au CanadaNote 27.
Pour répondre à cet appel, un groupe de chercheurs de Statistique Canada a récemment élaboré un indice d’éloignement (IE) et a attribué une valeur à chaque subdivision de recensement (SDR)Note 28. Cet indice mesure l’éloignement relatif des communautés canadiennes (c.-à-d. des SDR) en fonction de leur taille et de la proximité des centres de population voisins. Même si l’IE est une échelle continue, l’une de ses forces est qu’il peut être facilement réparti en catégories, afin de classer les communautés canadiennes selon leur éloignement relatif. Dans la présente étude, on a recours à la nouvelle classification de l’IE pour distinguer les régions rurales et éloignées des régions urbaines au Canada.
L’objectif premier de la présente étude est d’examiner les principales causes de mortalité pouvant être prévenues ou traitées en fonction de l’éloignement relatif des communautés canadiennes. De plus, on y étudie les interrelations entre l’éloignement et la mortalité évitable tout en tenant compte de trois variables importantes : le revenu moyen du ménage après impôt, la proportion de diplômés postsecondaires et la proportion de la population autochtone par SDR. Les questions analytiques fondamentales de l’étude sont les suivantes :
- Comment le taux de mortalité évitable varie-t-il selon l’isolement relatif des communautés canadiennes?
- Quelle est la contribution de l’IE dans la détermination des taux de mortalité évitable lorsque les effets du revenu, du niveau de scolarité et de la population autochtone sont pris en compte?
Données et méthodes
La présente étude repose sur trois sources de données produites par Statistique Canada. La première source de données, la Base canadienne de données sur l’état civil — Décès de 2011 à 2015, est une base de données administrative contenant un ensemble de données démographiques annuelles et de renseignements sur les causes de décès au CanadaNote 29. Les données sur les décès sont recueillies auprès des bureaux de l’état civil provinciaux et territoriaux, où sont enregistrés les décès survenant dans ces secteurs de compétenceNote 29. La base de données sur les décès a servi à créer un sous-ensemble des décès prématurés, qui a ensuite permis de créer la base de données sur la mortalité évitable. Les codes de la 10e édition de la Classification internationale des maladies qui sont associés à la Base canadienne de données sur l’état civil – Décès ont servi à classer les décès évitables selon les causes de décès pouvant être prévenues ou traitées d’après la méthode de classification standard élaborée par l’ICISNote 15 (voir l'annexe A).
La deuxième source de données utilisée dans la présente étude est l’IE des subdivisions de recensement, élaboré par une équipe de chercheurs de Statistique Canada en 2017Note 28. La valeur d’indice pour chaque intervalle de SDR va de 0 à 1, où « 0 » représente les régions les plus accessibles et « 1 », les régions les plus éloignées. Les résultats de l’IE relatifs aux SDR ont été classés dans cinq catégories mutuellement exclusives selon les valeurs d’IE, la taille de la population, le nombre de SDR dans chaque catégorie et les points de démarcation naturels de la répartition des résultats de l’IE (voir l’annexe B). En fonction de ces critères, on a défini cinq catégories : « régions facilement accessibles », « régions accessibles », « régions moins accessibles », « régions éloignées » et « régions très éloignées ». Pour comprendre sa relation avec les taux de mortalité évitable, on a cependant utilisé l’IE sur une échelle de 0 à 1 comme variable explicative continue dans des modèles de régression multiples.
La troisième source de données, à savoir les tableaux de données du Recensement de la population de 2016, a servi à calculer la proportion de la population possédant un certificat, un diplôme ou un grade d’études postsecondaires, la proportion de la population autochtone ainsi que le revenu moyen annuel du ménage après impôt pour chaque SDR. On a utilisé un identificateur unique de SDR à variable unifiée (SDRIDU) pour associer à l’IE les taux de mortalité de causes pouvant être prévenues ou de causes traitables au niveau de la SDR ainsi que les variables relatives au niveau de scolarité, à la population autochtone et au revenu. Toutes les variables ont été utilisées dans quatre modèles différents de régression linéaire multiple afin de vérifier l’hypothèse selon laquelle l’IE est un bon prédicteur des taux de mortalité de causes pouvant être prévenues et de causes traitables au Canada.
Des études ont montré que les populations autochtones au Canada présentent des risques pour la santé importants et un taux de décès prématurés plus élevéNote 30Note 31. Traditionnellement, la proportion de la population autochtone est plus élevée dans les communautés nordiques et éloignées du CanadaNote 6. Par conséquent, la proportion de la population autochtone pourrait également constituer un bon prédicteur des taux plus élevés de mortalité de causes pouvant être prévenues et de causes traitables dans les communautés rurales et éloignées. Cependant, étant donné la forte corrélation entre la proportion de la population autochtone et l’IE, il était impossible de les intégrer à un seul modèle de régression. Par conséquent, on a classé les SDR en deux groupes, soit les SDR ayant une faible population d’identité autochtone et celles ayant une forte population d’identité autochtone, et on a réalisé des analyses de régression séparément pour chaque groupe. Conformément à d’autres études menées au CanadaNote 32Note 33, les SDR où moins de 33 % des résidents ont déclaré une identité autochtone lors du Recensement de la population de 2016 étaient considérées comme des « SDR à faible proportion d’Autochtones » et les SDR où 33 % ou plus des résidents ont déclaré une identité autochtone étaient considérées comme des « SDR à forte proportion d’Autochtones ». On a appliqué des modèles de régression linéaire multiple aux deux groupes et on a utilisé les taux de mortalité de causes pouvant être prévenues et de causes traitables séparément en tant que variables dépendantes.
Analyse
La présente étude a utilisé deux types de stratégies d’analyse de données pour répondre aux questions de recherche susmentionnées. Des techniques d’analyse de données descriptives ont d’abord été utilisées pour comprendre la variabilité géographique des taux de mortalité de causes pouvant être prévenues ou de causes traitables. Les taux de mortalité de causes pouvant être prévenues ou de causes traitables pour une population de 100 000 personnes pour chaque catégorie d’éloignement ont été utilisés comme résultats d’intérêt. Les taux ont été calculés pour des groupes de causes de mortalité (p. ex. cancers, infections, blessures) et pour des causes de mortalité particulières (p. ex. cancer du sein, pneumonie, chutes). La méthode directe de correction pour tenir compte des effets dus à l’âge de la population a permis de corriger tous les taux en fonction du Recensement de la population de 2011 par tranches d’âge de cinq ans. Les taux de mortalité corrigés pour tenir compte des effets dus à l’âge pour 100 000 personnes ont ensuite été comparés entre toutes les catégories d’éloignement, pour les hommes et les femmes, ainsi que dans les sous-groupes de population, par cause de mortalité. Puisque les taux de mortalité présentés dans les tableaux sont les taux moyens de 2011 à 2015, des intervalles de confiance à 95 % de la moyenne sont également présentés. L’importance statistique des taux pour chaque région géographique par catégorie de maladie et sexe a été vérifiée à l’aide d’une analyse de la variance à un critère de classification et du test DSH de Tukey réalisé avec SAS/Enterprise Guide 7.1.
Des modèles de régression linéaire multiple ont ensuite servi à vérifier si les différences observées dans l’IE, le niveau de scolarité et le revenu expliquent les taux de mortalité de causes pouvant être prévenues et de causes traitables plus élevés pour les SDR à faible proportion d’Autochtones et celles à forte proportion d’Autochtones. Les taux de mortalité de causes pouvant être prévenues et de causes traitables ont servi de variables dépendantes, tandis que l’IE, le niveau de scolarité et le revenu ont servi de variables explicatives. La proportion de la population d’identité autochtone par SDR a servi de variable filtre pour déterminer les SDR à faible proportion d’Autochtones et celles à forte proportion d’Autochtones. Les hypothèses inhérentes à la linéarité de la réponse et à la variable explicative ont été vérifiées à l’aide de graphiques de valeurs résiduelles, alors que l’hypothèse de la non-multicolinéarité a été vérifiée à l’aide du facteur d’inflation de la variance.
Résultats
De 2011 à 2015, 483 114 décès prématurés ont été enregistrés au Canada. Parmi ceux-ci, 347 167 auraient pu être évités, soit 72 % des décès prématurés au Canada. Environ 65 % des décès évitables auraient pu être prévenus, et 35 % étaient de causes traitables.
Taux de mortalité de causes pouvant être prévenues
Un gradient géographique des taux de mortalité de causes pouvant être prévenues s’est clairement détaché en fonction de l’éloignement pour les deux sexes, et les taux étaient statistiquement significatifs pour la plupart des régions géographiques. Les taux pour les hommes étaient près de deux fois supérieurs à ceux des femmes, quel que soit l’éloignement (figure 1).
Le taux de mortalité de causes pouvant être prévenues corrigé pour tenir compte des effets dus à l’âge a été calculé pour huit grands groupes de maladies, selon la définition de l’ICIS (voir l’annexe A). Dans les régions facilement accessibles et les régions accessibles, les taux les plus élevés de décès de causes pouvant être prévenues étaient, pour les deux sexes, associés à des causes liées au cancer. En revanche, les blessures, y compris les blessures intentionnelles et non intentionnelles, étaient la principale cause de décès pour les hommes vivant dans les régions moins accessibles, éloignées et très éloignées ainsi que pour les femmes résidant dans les régions très éloignées (tableau 1). Les maladies de l’appareil circulatoire étaient la troisième principale cause de décès pouvant être prévenue pour toutes les catégories d’éloignement, pour les deux sexes. La plupart des différences entre les catégories d’éloignement et entre les hommes et les femmes étaient statistiquement significatives à un niveau de confiance de 95 %. Les trois principales causes de décès représentaient, seules, près de 80 % de la mortalité de causes pouvant être prévenues dans chaque catégorie d’éloignement.
Une analyse plus poussée a été menée pour comprendre les 10 causes de décès pouvant être prévenues liées à une maladie, par catégorie d’éloignement. Pour toutes les catégories d’éloignement et pour les deux sexes, le cancer du poumon était la principale cause de décès, suivi de la cardiopathie ischémique. Les décès par suicide et blessures auto-infligées ainsi que ceux attribuables à des maladies liées à la consommation d’alcool étaient plus courants dans les régions éloignées et très éloignées que dans les régions facilement accessibles. Le suicide et les blessures auto-infligées étaient les deuxièmes principales causes de décès pouvant être prévenues dans les régions très éloignées; dans ces régions, le taux était plus de trois fois supérieur à celui des régions facilement accessibles. Les accidents de transport augmentaient considérablement en fonction de l’éloignement et étaient la quatrième principale cause de décès pouvant être prévenue pour les hommes de toutes les catégories d’éloignement, sauf les régions facilement accessibles.
Taux de mortalité de causes traitables
L’analyse des données montre qu’environ 25 % de tous les décès prématurés et environ 35 % de tous les décès évitables enregistrés de 2011 à 2015 au Canada étaient de causes traitables. Les taux de mortalité de causes traitables variaient significativement selon l’éloignement relatif et ceux des régions éloignées étaient supérieurs à ceux des régions plus accessibles, quel que soit le sexe. Les différences étaient notables pour toutes les catégories d’éloignement; les taux de mortalité de causes traitables chez les hommes étaient supérieurs à celui des femmes, mais les écarts étaient moins marqués que ceux observés entre les taux de mortalité de causes pouvant être prévenues (figure 2).
Les taux de mortalité de causes traitables ont été calculés pour les causes de décès regroupées, afin de comprendre la variabilité géographique. Les taux de mortalité de causes traitables augmentaient parallèlement à l’éloignement à la fois pour les hommes et les femmes, et les différences étaient statistiquement significatives. Pour les hommes, les maladies de l’appareil circulatoire étaient la principale cause de décès de causes traitables, suivies du cancer. En revanche, le cancer était la principale cause de décès traitable chez les femmes, suivi des maladies de l’appareil circulatoire (tableau 3). Ce résultat était constant dans toutes les catégories d’éloignement.
On a examiné plus en détail les résultats du tableau 3, en calculant les taux de mortalité de causes traitables propres à une maladie pour les 10 principales causes de décès (tableau 4). Une variation géographique se détachait clairement pour la plupart des causes de décès pouvant être traitées. Pour toutes les régions géographiques, la cardiopathie ischémique était la principale cause de mortalité pouvant être traitée chez les hommes, alors que le cancer du sein était la principale cause de mortalité pouvant être traitée chez les femmes. Le cancer colorectal était la deuxième principale cause de mortalité traitable pour les deux sexes.
Analyses multivariées
Les résultats de quatre modèles distincts de régression linéaire sont présentés dans le tableau 5. Le premier modèle représente les taux de mortalité de causes pouvant être prévenues pour les SDR à faible proportion d’Autochtones (n = 3 573; IE de 0 à 0,82) et le deuxième modèle représente les taux de mortalité de causes pouvant être prévenues pour les SDR à forte proportion d’Autochtones (n = 769; IE de 0,09 à 1). Le premier modèle montre que l’IE et le revenu étaient des prédicteurs statistiquement significatifs des taux de mortalité de causes pouvant être prévenues à un intervalle de confiance (IC) de 95 %, mais non le niveau de scolarité. Cependant, le deuxième modèle montre que le niveau de scolarité et le revenu étaient des prédicteurs statistiquement significatifs des taux de mortalité de causes pouvant être prévenues à un IC de 95 % (tableau 5). Ces résultats indiquent que l’éloignement est un facteur important de la mortalité de causes pouvant être prévenues dans les SDR à faible proportion d’Autochtones, tandis que le niveau de scolarité est un facteur important de la mortalité de causes pouvant être prévenues dans les SDR à forte proportion d’Autochtones. La variable du revenu est un prédicteur statistiquement significatif de la mortalité de causes pouvant être prévenues à la fois pour les SDR à faible proportion d’Autochtones et pour celles à forte proportion d’Autochtones.
L’estimation positive pour l’IE (89,18) dans le premier modèle indique que le taux de mortalité de causes pouvant être prévenues augmente avec l’augmentation de l’éloignement, mais l’estimation négative pour le revenu (-0,98) dans le premier modèle et pour le revenu et le niveau de scolarité (-2,66 et -3,44) dans le deuxième modèle indique que le taux de mortalité de causes pouvant être prévenues diminue avec l’augmentation du revenu moyen du ménage après impôt et de la proportion de diplômés postsecondaires (tableau 5).
Les résultats concernant les taux de mortalité de causes traitables dans les troisième et quatrième modèles sont similaires à ceux de la mortalité de causes pouvant être prévenues. Un peu comme les modèles précédents, seuls le niveau de scolarité et le revenu étaient des prédicteurs statistiquement significatifs de la mortalité de causes traitables à un IC de 95 % pour les SDR à forte proportion d’Autochtones (n = 3 412; IE de 0,09 à 1). Par contre, les trois variables (l’IE, le niveau de scolarité et le revenu) étaient des prédicteurs statistiquement significatifs de la mortalité de causes traitables à un IC de 95 % pour les SDR à faible proportion d’Autochtones (n = 672; IE de 0 à 0,82). En outre, ces résultats indiquent que l’éloignement relatif est un déterminant de la mortalité de causes traitables pour les SDR à faible proportion d’Autochtones, mais qu’il ne l’est pas pour les SDR à forte proportion d’Autochtones. La valeur positive de l’estimation pour l’IE (63,85) dans le troisième modèle indique que le taux de mortalité de causes traitables augmente avec l’éloignement, mais l’estimation négative pour le niveau de scolarité et le revenu dans le troisième modèle (-0,98 et -0,18) ainsi que dans le quatrième modèle (-1,95 et -3,33) indique que le taux de mortalité de causes traitables diminue avec l’augmentation du revenu moyen du ménage et de la proportion de diplômés postsecondaires.
Discussion
Les résultats de l’analyse descriptive indiquent une variation significative des taux de mortalité de causes traitables ou de causes pouvant être prévenues en fonction de l’éloignement relatif des communautés canadiennes. Bien que le système de soins de santé au Canada soit financé par l’État, une variation géographique semble exister en matière de politiques de soins de santé, d’accès à ces soins et d’utilisation de ces soins. Cette variation a entraîné des taux de mortalité disproportionnés dans les communautés éloignées. Les taux plus élevés de mortalité de causes pouvant être prévenues et de causes traitables dans les régions relativement éloignées peuvent être attribués aux obstacles géographiques, aux services de soins de santé limités, aux besoins insatisfaits en matière de santé ainsi qu’aux facteurs historiques et environnementaux qui déterminent le statut socioéconomique des communautés rurales autochtones au CanadaNote 2.
Au Canada, la proportion de la population autochtone est plus élevée dans les SDR éloignées. Cependant, le modèle n’a pas montré de relation significative importante entre la mortalité et l’IE dans les SDR à forte proportion d’Autochtones. Cela pourrait s’expliquer par la petite taille de l’échantillon et par un biais de distribution associé aux valeurs plus élevées de l’IE dans les SDR à forte proportion d’Autochtones. Pour ce qui est des SDR à faible proportion d’Autochtones, c’est-à-dire la majorité (84 % de l’ensemble des SDR), l’IE était un prédicteur significatif des taux de mortalité de causes pouvant être prévenues et de causes traitables.
La déclaration de taux de mortalité plus élevés dans les communautés éloignées pourrait s’expliquer par la combinaison de l’éloignement géographique et des taux de mortalité plus élevée qui sont observés dans la population autochtone. Il faut cependant interpréter avec prudence les résultats concernant la population autochtone et tenir compte de l’ensemble du contexte historique ayant trait à la colonisation et à la discrimination raciale qui a engendré les inégalités actuelles en matière de santé entre les populations autochtones et non autochtonesNote 34. Les effets intergénérationnels du système de pensionnats indiens, l’isolement social et les services inadéquats de soins de santé ont également eu des répercussions indésirables sur la santé physique, sociale, émotionnelle et mentale ainsi que sur le bien-être de la population autochtone, qui sont directement ou indirectement liés aux taux de mortalité plus élevésNote 34Note 35.
Le taux de mortalité de causes pouvant être prévenues chez les hommes représentait près du double de celui des femmes. Cela montre que les femmes sont plus susceptibles que leurs homologues masculins à prendre des mesures préventives et à utiliser des installations de soins de santé. Ce résultat correspond à ceux présentés dans la littérature, qui souligne les différences d’utilisation des soins de santé entre les hommes et les femmesNote 36Note 37.
Dans les régions éloignées et très éloignées, il y avait un plus grand nombre de décès pouvant être prévenus qui étaient associés à des blessures que ceux associés au cancer. Ce résultat correspond aux observations publiées dans d’autres documents qui font état d’un risque accru de blessures dans les régions ruralesNote 31Note 38Note 39. Les taux plus élevés de mortalité de causes pouvant être prévenues qui était associée à des blessures pourraient également être associés à une exposition plus importante en raison, par exemple, des déplacements plus longs et du travail ainsi qu’à l’accès réduit aux installations de soins de santéNote 38.
Les maladies de l’appareil circulatoire étaient la principale cause de mortalité pouvant être traitée chez les hommes; chez les femmes, c’était le cancer. Une étude comparative du Canada et de l’Australie par Pong et coll.Note 7 a relevé des taux plus élevés de mortalité due à des maladies de l’appareil circulatoire chez les hommes vivant dans des régions rurales au Canada. En outre, selon une étude de Shields et WilkinsNote 40, au Canada, les hommes étaient plus susceptibles que les femmes de mourir des suites d’une maladie cardiovasculaire. Ces deux résultats correspondent à ceux de la présente étude. D’autres études ont montré que les taux de mortalité due au cancer du sein avaient diminué au cours des dernières années du fait d’une augmentation du dépistage et de l’amélioration des traitementsNote 41. Pourtant, le cancer du sein est toujours une des principales causes de mortalité pouvant être traitées chez les femmes au Canada. Les taux de mortalité de causes traitables associés au diabète étaient élevés pour les communautés relativement éloignées, à la fois chez les hommes et chez les femmes. Des études précédentes ont présenté des taux de mortalité associés au diabète plus élevés chez les hommes que chez les femmesNote 42. Aucune étude antérieure ne permet cependant de comparer les taux selon l’éloignement relatif.
La présente étude a permis d’établir que des catégories d’éloignement peuvent servir de nouvelles dimensions pour mesurer la variabilité géographique de la mortalité évitable au Canada. De plus, elle contribue à la documentation existante en établissant une relation entre l’éloignement et la mortalité évitable. Il s’agit d’une étude originale au Canada qui souligne des enjeux éventuels et des domaines méritant un examen plus approfondi. Même si les résultats observés sont intéressants, la présente étude comporte certaines limites. Tout d’abord, la classification de l’IE n’est pas une classification standard, mais la classification par les auteurs des valeurs d’IE continues. Ensuite, le revenu moyen du ménage n’est pas corrigé en fonction du coût de la vie; par conséquent, le revenu ne constitue pas un prédicteur très important de la mortalité évitable par rapport à l’IE et au niveau de scolarité. Enfin, la troisième limite est posée par la base de données sur les décès. La Base canadienne de données sur l’état civil ne précise pas si les personnes figurant dans la base de données sur les décès sont Autochtones ou non, ce qui ne permet pas de mener des analyses séparées sur les populations autochtones et non autochtones selon l’éloignement. Le fait de connaître le nombre véritable de décès selon la population autochtone aurait permis de déterminer si les taux de mortalité plus élevés dans les communautés très éloignées découlaient de l’éloignement.
Conclusion
La mortalité évitable est un indicateur clé du comportement lié à la santé, de la politique en matière de santé et de l’utilisation des soins de santé. L’éloignement géographique d’une communauté peut cependant grandement influer sur la mortalité évitable ainsi que d’autres caractéristiques socioéconomiques de la population. Dans la présente étude, on a eu recours à l’IE établi récemment, au Recensement de la population et aux données de l’état civil canadien pour examiner la variation géographique des taux de mortalité évitable (de causes pouvant être prévenues ou de causes traitables) selon l’éloignement relatif des communautés canadiennes.
Les résultats indiquent qu’un gradient se distingue clairement, pour les deux sexes, dans les taux de mortalité de causes traitables ou pouvant être prévenues, en fonction de l’éloignement. Malgré la diminution des taux globaux de mortalité évitable au Canada, les taux de mortalité de causes pouvant être prévenues ou de causes traitables étaient significativement plus élevés dans les régions éloignées que dans les régions faciles d’accès. Les taux de mortalité de causes pouvant être prévenues ou de causes traitables étaient nettement plus élevés chez les hommes que chez les femmes, quel que soit l’éloignement. L’écart entre les sexes était cependant plus faible pour les taux de mortalité de causes traitables. L’IE présentait une corrélation positive avec la population autochtone. Ainsi, même s’il s’agissait d’un prédicteur statistiquement significatif des taux de mortalité de causes pouvant être prévenues et de causes traitables pour les SDR à faible proportion d’Autochtones, l’IE n’était pas un prédicteur statistiquement significatif de la mortalité pour les SDR à forte proportion d’Autochtones.
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