Rapports économiques et sociaux
Travail à domicile et utilisation du transport en commun au Canada, 2016 à 2023

Date de diffusion : le 24 janvier 2024

DOI: https://doi.org/10.25318/36280001202400100002-fra

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En mai 2023, 20,1 % des Canadiennes et Canadiens travaillaient depuis leur domicile la majorité du temps. Ce taux est inférieur à celui de 24,3 % enregistré en mai 2021, mais il est près de trois fois plus élevé que celui de 7,1 % observé en mai 2016Note . Bien que la hausse du nombre de personnes travaillant à domicile ait probablement réduit le navettage et les émissions de gaz à effet de serre (GES) causées par le transport (Morissette, Deng et Messacar, 2021), elle a aussi exercé une pression à la baisse sur les revenus et le nombre d’usagers des réseaux de transport en commun urbain, dont bon nombre ont enregistré des déficits au cours des dernières années (Griffin, 2023). En septembre 2023, le nombre de déplacements de passagers effectués sur les services urbains de transport en commun était inférieur de 18 % à ce qu’il était au même mois en 2019Note , et ce recul s’explique en partie par la croissance du télétravail.

La croissance du télétravail attribuable à la pandémie de COVID-19 a directement contribué à une baisse de l’utilisation du transport en commun en raison de la réduction du nombre de déplacements effectués par les anciens navetteurs qui ont commencé à travailler partiellement ou exclusivement à domicile (Savage et Turcotte, 2020). Elle peut aussi avoir contribué de manière indirecte à cette baisse : le temps de navettage et la circulation routière étant réduits, certaines personnes ne faisant pas de télétravail peuvent avoir décidé d’utiliser leur propre voiture pour se rendre au travail au lieu d’emprunter le transport en commun.

D’autres facteurs liés à la pandémie de COVID-19 peuvent aussi avoir réduit l’utilisation du transport en commun. Pendant la pandémie, il est possible que la peur de contracter le virus ait incité certains travailleurs à délaisser le transport en commun pour se déplacer plutôt en voiture, habitude qu’ils ont maintenue par la suite. Outre les préoccupations à l’égard de la santé, les décrets exigeant de rester à la maison et les mesures d’éloignement physique ont probablement entraîné la réduction directe de l’utilisation du transport en commun pendant la pandémie. Ils peuvent aussi avoir réduit la circulation routière, incitant les navetteurs à délaisser le transport en commun pour se déplacer en voiture. En somme, ces autres facteurs peuvent s’être traduits par un changement permanent des modes de navettage de certains travailleurs et, combinés à la croissance du télétravail, peuvent avoir amené certaines sociétés de transport en commun à gérer les déficits qui en ont découlé en réduisant leur nombre de trajets. Cela peut avoir réduit davantage l’utilisation du transport en commun.

Des données probantes indiquent que certains navetteurs, soit les travailleurs qui doivent habituellement se déplacer pour se rendre à un lieu de travail à l’extérieur de leur lieu de résidence, ont réduit leur utilisation du transport en commun pendant la pandémie. La proportion de navetteurs urbains qui utilisaient le transport en commun a diminué pour passer de 14,8 % en mai 2016 à 9,3 % en mai 2021, mais a ensuite affiché une reprise partielle pour se situer à 11,8 % en mai 2023 (tableau 1).


Tableau 1
Travail à domicile et utilisation du transport en commun, mai 2016 à mai 2023
Sommaire du tableau
Le tableau montre les résultats de Travail à domicile et utilisation du transport en commun Toutes les régions et Régions urbaines, calculées selon pourcentage et millions unités de mesure (figurant comme en-tête de colonne).
Toutes les régions Régions urbaines
pourcentage
1. Pourcentage de personnes travaillant à domicile la majorité du temps
Mai 2016 7,1 6,1
Mai 2021 24,3 25,4
Mai 2023 20,1 20,7
2. Pourcentage de navetteurs utilisant le transport en commun
Mai 2016 12,6 14,8
Mai 2021 7,8 9,3
Mai 2023 10,1 11,8
millions
3. Emploi total en mai 2023 19,93 16,99
4. Nombre de navetteurs en mai 2023 15,93 13,48
4a. Nombre hypothétique de navetteurs en mai 2023
si le pourcentage de personnes travaillant à domicile était demeuré le même qu’en 2016 18,51 15,95
5. Nombre de navetteurs utilisant le transport en commun en mai 2023 1,61 1,58
5h1. Nombre hypothétique de navetteurs utilisant le transport en commun en mai 2023
si le pourcentage de personnes travaillant à domicile était demeuré le même qu’en 2016 1,87 1,87
6. 5h1. moins 5. 0,26 0,29
5h2. Nombre hypothétique de navetteurs utilisant le transport en commun en mai 2023
si le pourcentage de personnes travaillant à domicile et le pourcentage de navetteurs utilisant le transport en commun étaient demeurés les mêmes qu’en 2016 2,33 2,36
7. 5h2. moins 5. 0,72 0,78

Pour éclairer les discussions concernant les répercussions du télétravail sur le transport en commun, le présent article vise à évaluer la mesure dans laquelle la croissance du nombre de personnes travaillant depuis leur domicile observée au Canada au cours des dernières années peut avoir contribué à la baisse du nombre de navetteurs utilisant le transport en commun dans les régions urbaines au cours de la période de 2016 à 2023.

La croissance du télétravail provoquée par la pandémie de COVID-19 pourrait avoir occasionné une baisse de 0,29 million à 0,78 million du nombre de navetteurs utilisant le transport en commun urbain, selon le scénario envisagé

Parmi les 16,99 millions de Canadiennes et de Canadiens occupant un emploi dans les régions urbaines en mai 2023 (estimation fondée sur les données non désaisonnalisées de l’Enquête sur la population active), 13,48 millions devaient se déplacer pour se rendre à un lieu de travail à l’extérieur de leur lieu de résidence au cours du mois en question (tableau 1). Les autres travailleurs (20,7 % de la population active en région urbaine) travaillaient majoritairement à domicile. Si, au cours du même mois, le pourcentage de personnes qui travaillaient depuis leur domicile dans les régions urbaines avait correspondu à son taux de 6,1 % enregistré en mai 2016 et si le taux d’emploi n’avait pas changé (16,99 millions de travailleurs), le nombre de navetteurs aurait été de 15,95 millions (soit 93,9 % multiplié par 16,99 millions de travailleurs). Par conséquent, de simples calculs laissent entendre que la hausse du télétravail observée de 2016 à 2023 pourrait avoir réduit le nombre de navetteurs d’environ 2,47 millions au cours de cette période.

Cette pression à la baisse sur le nombre total de navetteurs a eu des répercussions évidentes sur l’utilisation du transport en commun. Le tableau 1 montre que, parmi les 13,48 millions de navetteurs urbains enregistrés en mai 2023, 1,58 million ont utilisé le transport en commun au cours du mois.

Si l’on avance l’hypothèse que la croissance du télétravail a seulement eu des effets sur le nombre de navetteurs et non sur le pourcentage de navetteurs qui utilisent le transport en commun, on pourrait envisager le scénario suivant : quel serait le nombre hypothétique de navetteurs utilisant le transport en commun urbain en mai 2023 si le pourcentage de personnes travaillant à domicile dans les régions urbaines était demeuré le même qu’en mai 2016 (6,1 %)? Dans de telles conditions, le nombre de navetteurs utilisant le transport en commun urbain aurait été de 1,87 million au lieu de 1,58 million (une différence de 0,29 million ou 290 000).

Toutefois, la croissance du télétravail peut avoir contribué indirectement à la diminution de l’utilisation du transport en commun en incitant certaines personnes qui ne faisaient pas de télétravail à délaisser le transport en commun pour commencer à utiliser leur voiture. Si c’est le cas, un autre scénario se pose : quel serait le nombre hypothétique de navetteurs utilisant le transport en commun urbain en mai 2023 si le pourcentage de personnes au Canada travaillant à domicile dans les régions urbaines et le pourcentage de navetteurs utilisant le transport en commun urbain étaient demeurés les mêmes qu’en mai 2016 (6,1 % et 14,8 %, respectivement)? Dans un tel scénario, le nombre de navetteurs utilisant le transport en commun serait de 2,36 millions au lieu de 1,58 million (une différence de 0,78 million ou 780 000).

Par conséquent, la croissance du télétravail semble avoir occasionné une baisse de 0,29 million à 0,78 million du nombre de navetteurs utilisant le transport en commun urbain, selon le scénario envisagé.

La diminution hypothétique du nombre de navetteurs utilisant le transport en commun urbain rend compte d’une bonne partie de la baisse du nombre d’usagers enregistrée pour les services urbains de transport en commun au cours des dernières années

Selon le premier scénario, la croissance du télétravail n’aurait eu aucun effet sur le pourcentage de navetteurs utilisant le transport en commun. En revanche, selon le deuxième scénario, la baisse du pourcentage d’utilisation, qui est passé de 14,8 % en mai 2016 à 11,8 % en mai 2023, serait entièrement attribuable à la croissance du télétravail. Puisque la croissance du télétravail et les facteurs liés à la pandémie de COVID-19 ont probablement tous deux contribué à réduire le pourcentage de navetteurs qui utilisaient le transport en commun, la réalité se situe probablement entre ces deux extrêmes. 

Si l’on suppose que la croissance du télétravail a mené à une baisse moyenne de 0,535 million de navetteurs utilisant le transport en commun urbain (0,29 million plus 0,78 million, divisé par 2) et que tous ces navetteurs auraient effectué 40,0 déplacements par mois (p. ex. deux fois par jour, multiplié par cinq fois par semaine, multiplié par quatre semaines par mois), la baisse du nombre de déplacements de passagers serait de 21,4 millions. Par ailleurs, si l’on présume que tous ces navetteurs auraient effectué 35,0 déplacements par mois (nombre moyen de déplacements par mois pour les navetteurs qui utilisaient le transport en commun urbain estimé à partir des données tirées de l’Enquête sur la population active de mai 2023), la baisse du nombre mensuel de déplacements de passagers serait de 18,7 millions.

Selon l’Enquête mensuelle sur le transport de passagers par autobus et le transport urbain, laquelle porte sur les sociétés de transport en commun urbain représentant au moins 75 % des recettes provinciales et territoriales de cette activité, le nombre de déplacements de passagers enregistrés pour les services urbains  de transport en commun a diminué de 32,3 millions de mai 2019 à mai 2023 (Statistique Canada, tableau 23-10-0251-01). Par conséquent, les deux réductions hypothétiques du nombre de déplacements de passagers représentent probablement une proportion considérable de la baisse totale du nombre d’usagers observée pour les services urbains de transport en commun au cours des dernières annéesNote .

Conclusion

L’essor du télétravail observé au Canada depuis le début de la pandémie de COVID-19 s’est traduit par une plus grande flexibilité dans les ententes de travail de bon nombre de travailleurs et a réduit le navettage, ce qui pourrait avoir aussi réduit les émissions directes de GES produites par ces travailleurs lors de leurs déplacementsNote . Toutefois, il a aussi réduit la demande en transport en commun, ce qui entraîne des répercussions financières pour les services urbains de transport en commun.

Les sociétés de transport en commun au Canada ne sont pas les seules à avoir enregistré des déficits au cours des dernières années. Des difficultés financières similaires ont aussi été observées aux États-Unis (Dunn et Rivard, 2023). Ces déficits pourraient mener à une hausse des tarifs et à une réduction du nombre de trajets, deux facteurs qui réduiraient probablement davantage la demande en transport en commun. À plus long terme, une réduction de l’offre de services de transport en commun pourrait mener à une réduction de la mobilité pour les personnes qui ne peuvent pas se payer une voiture et à une augmentation des déplacements par voiture pour les personnes qui en ont une, annulant une partie de la réduction des émissions de GES attribuables aux déplacements qui pourrait avoir été observée initialement en raison de la croissance du télétravail.

Auteurs

Tahsin Mehdi et René Morissette travaillent au sein de la Division de l’analyse sociale et de la modélisation à Statistique Canada.

Bibliographie

Dunn, D.M. et R. Rivard. 2023. « Remote work is straining public transit—and many agencies are stuck », Politico, The Fifty.

Griffin, T. 2023. « Public transit struggling to lure back riders amid deficits, rising costs of living », La Presse canadienne, publié le 15 janvier 2023 à 11 h 37.

Morissette, R., Z. Deng et D. Messacar. 2021. « Travail à domicile : répercussions possibles sur le transport en commun et les émissions de gaz à effet de serre », Rapports économiques et sociaux, vol. 1 no 4, produit no 36-28-0001 au catalogue de Statistique Canada.

Savage, K. et M. Turcotte. 2020. « Se rendre au travail pendant la pandémie de COVID-19 ». StatCan et la COVID-19 : Des données aux connaissances, pour bâtir un Canada meilleur, produit no 45-28-0001 au catalogue de Statistique Canada.

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