Rapports sur la santé
Exposition à la fumée du tabac chez les non-fumeurs canadiens selon les données de questionnaires et de biosurveillance

par Johanne Levesque et Trevor Mischki

Date de diffusion : le 17 février 2021

DOI : https://www.doi.org/10.25318/82-003-x202100200002-fra

L’exposition à la fumée du tabac a été associée à des effets néfastes sur la santé et aucun niveau d’exposition à la fumée secondaire (EFS) n’est dépourvu de risqueNote 1Note 2Note 3. Par conséquent, des mesures sont prises pour réduire la prévalence de la consommation de tabac et de l’EFSNote 4.

La fumée secondaire (FS) est un mélange de fumée exhalée et latérale provenant de la combustion du tabac, dont la composition varie selon l’interaction au fil du temps avec les composés présents dans les alentoursNote 5Note 6. Les produits chimiques émanant de la fumée à l’intérieur sont particulièrement importants, du fait de leur présence durable dans les logements où il est autorisé de fumer ainsi que dans les logements voisinsNote 3Note 7Note 8Note 9Note 10Note 11.

L’EFS peut se produire lorsque l’on vit, travaille ou socialise avec un fumeur, lorsque l’on est exposé à la fumée dans des lieux clos ou lorsque l’on se trouve dans le voisinage immédiat d’un fumeur à l’extérieurNote 3. Elle a lieu dans divers environnements, le domicile étant le lieu le plus répandu chez les enfants et les adolescentsNote 12.

Les enquêtes fournissant des renseignements autodéclarés servent souvent à évaluer la prévalence de l’EFS; cependant, les comportements socialement indésirables sont particulièrement propices à la sous-déclaration. Des études sur les biomarqueurs propres au tabac assurent une plus grande objectivité quant à l’évaluation de l’EFSNote 13Note 14, mais elles sont plus intrusives pour les participants et plus coûteuses à mener. Les études sur les biomarqueurs mesurent souvent la cotinine (COT), principal métabolite de la nicotine présentant une excellente spécificité pour l’EFSNote 13Note 15Note 16 en l’absence de consommation de médicaments à base de nicotineNote 17. Cependant, il faut également faire preuve de prudence dans le cas de résultats de biosurveillance : les estimations de COT dans l’urine n’équivalent pas nécessairement aux niveaux d’exposition, car ils peuvent être influencés par des facteurs interindividuels.

L’Enquête canadienne sur les mesures de la santé (ECMS) offre une occasion exceptionnelle d’estimer l’EFS à l’échelle nationale à l’aide de questionnaires et de la biosurveillance. Les principaux objectifs ont d’abord été de caractériser les sous-populations des non-fumeurs canadiens régulièrement exposés à de la fumée, en fonction du lieu, de variables socioéconomiques et du type de logement, puis de relever les déterminants d’une EFS plus élevée et, enfin, de fournir, grâce aux données de biosurveillance, les niveaux relatifs de l’EFS, aux fins d’observation de tendances temporelles et de comparaisons futures.

Méthodes

Collecte des données

L’ECMS est une enquête représentative à l’échelle nationale, menée par Statistique Canada en partenariat avec Santé Canada et l’Agence de la santé publique du Canada. Sont exclus de l’ECMS les membres à temps plein des Forces canadiennes et les résidents vivant sur des terres de la Couronne, dans des réserves indiennes, dans des établissements institutionnels et dans certaines régions éloignées; ensemble, ces exclusions représentaient environ 4 % de la population cible. La collecte des données a été menée en deux étapes : par une interview du ménage sur place et une visite des répondants à un centre d’examen mobile (CEM). Les données sont tirées des premier (de 2007 à 2009), deuxième (de 2009 à 2011) et troisième (de 2012 à 2013) cycles de l’ECMS. Aucune différence statistiquement significative entre chaque cycle n’a été observée pour les estimations de l’exposition évaluées au moyen d’un questionnaire et de la biosurveillance.

Pour obtenir une puissance statistique plus élevée et des renseignements détaillés sur l’EFS, les données des trois cycles ont été combinées. Le taux de réponse global était de 52,9 %, ce qui correspond à 16 606 répondants âgés de 6 à 79 ans. Statistique Canada a obtenu, auprès du Comité d’éthique de la recherche de Santé Canada et de l’Agence de la santé publique du Canada, l’approbation déontologique de mener l’ECMS. Tous les répondants ont fourni un consentement éclairé avant de participerNote 18.

Interview à domicile

Au moyen d’interviews à domicile, l’ECMS a permis de recueillir des renseignements sur les comportements relatifs à la consommation de tabac, sur l’EFS et sur la consommation de médicaments. On a demandé aux répondants âgés de 12 à 79 ans d’indiquer leur consommation de cigarettes, de pipe, de tabac à priser ou à chiquer au cours du mois précédent et s’ils avaient fumé des cigarettes tous les jours, à l’occasion ou jamais. Les personnes ayant répondu « jamais » ont été considérées comme étant des non-fumeurs. On a supposé que tous les répondants âgés de 6 à 11 ans étaient non-fumeurs.

Pour chaque ménage, on a demandé aux répondants s’ils avaient été exposés à de la fumée de tabac au cours du mois précédent à l’intérieur de leur propre domicile, chaque jour, presque chaque jour, au moins une fois par semaine, au moins une fois au cours du mois précédent ou jamais. Les personnes ayant répondu « chaque jour » ou « presque chaque jour » ont été considérées comme étant exposées régulièrement à de la fumée secondaire à l’intérieur de leur domicile. On a également demandé aux répondants si, au cours du mois précédent, ils avaient été régulièrement (chaque jour ou presque chaque jour) exposés à de la fumée secondaire a) dans une voiture ou un autre véhicule privé, b) dans un lieu public ou c) sur leur lieu de travail (uniquement pour les répondants de plus de 12 ans). Les personnes ayant répondu « oui » à l’un de ces lieux ont été considérées comme étant régulièrement exposées à de la fumée secondaire hors de leur domicile. Les parents et tuteurs ont été invités à être présents et à aider les répondants âgés de 6 à 11 ans à répondre au questionnaire, mais on leur a demandé de sortir et de laisser répondre les répondants âgés de 12 à 19 ans.

Analyse de la cotinine dans l’urine

Des prélèvements ponctuels d’urine ont été recueillis en moyenne 17 jours après les interviews à domicile, selon la technique de l’urine du milieu du jet au premier cycle et la technique de la première urine à partir du deuxième cycle. De plus, à partir du deuxième cycle, les lignes directrices fournies aux répondants leur indiquaient d’éviter d’uriner au moins deux heures avant leur visite au CEM. Des procédures normalisées ont été utilisées au CEM, de la collecte des échantillons biologiques à leur expédition. Le laboratoire d’analyse (Institut national de santé publique du Québec) est agréé selon la norme ISO 17025. La COT a été extraite de l’urine pour les trois cycles de la manière décrite précédemmentNote 19. Pour le troisième cycle, la COT des répondants âgés de 12 à 79 ans a été analysée à l’aide d’une méthode légèrement modifiéeNote 20. La limite de détection (LOD) a été fixée à 1,1 ng/ml pour les trois cycles.

Analyse statistique

Les répondants ont été exclus des analyses s’ils avaient déclaré fumer actuellement des cigarettes tous les jours ou à l’occasion (n= 2 349), n’avaient pas de résultats de COT valides (n = 187), présentaient des données autodéclarées incomplètes (n = 248), avaient déclaré une consommation de cigarettes, de pipe, de tabac à priser ou à chiquer au cours du mois précédent (n = 452), avaient indiqué prendre un médicament à base de nicotine (n = 92) ou avaient déclaré être non-fumeurs, mais présentaient une COT supérieure à 50 ng/ml (n = 358)Note 13. Certains répondants répondaient à plusieurs critères d’exclusion. Seuls les non-fumeurs déclarant une EFS régulière pour tous les lieux et dont la COT se situait entre 1,1 ng/ml et 50 ng/ml ont été inclus dans l’analyse.

Pour évaluer les estimations quantitatives d’EFS, les concentrations de COT ont été corrigées en fonction de la créatinine dans l’urine, et les moyennes géométriques (MG-COT_C) et les 90e centiles (P90-COT_C) ont été calculés. Les non-fumeurs ont été regroupés selon le sexe et, lorsque cela était possible, selon le groupe d’âge détaillé : 6 à 11 ans (enfants), 12 à 19 ans (adolescents), 20 à 59 ans (adultes) et 60 à 79 ans (personnes âgées). Ils ont été ensuite répartis en fonction de variables socioéconomiques (l’ethnicité, le niveau de scolarité et le revenu) et du type de logement. L’ethnicité a été définie en fonction du choix des répondants parmi une liste d’antécédents culturels : les répondants s’étant identifiés comme « blancs » ont été classés comme tels et les autres comme « non blancs ». Le niveau de scolarité a été classé en deux catégories en fonction du niveau de scolarité le plus élevé dans le ménage : niveau inférieur à un diplôme d’études postsecondaires ou correspondant à au moins un diplôme d’études postsecondaires. Le revenu total du ménage a été classé par tercile : faible (inférieur à 50 000 $), moyen (de 50 000 $ à 89 999 $) et élevé (90 000 $ ou plus). Deux types de logements ont été pris en compte dans l’étude : les maisons individuelles et les appartements. Les immeubles à hauteur restreinte et les tours d’habitation, notamment les appartements en copropriété, ont été regroupés dans la catégorie « appartement ». Pour chaque catégorie de non-fumeurs, l’EFS a été caractérisée en fonction de trois lieux : a) à l’intérieur du domicile uniquement; b) à l’extérieur du domicile uniquement (c.-à-d. uniquement dans des véhicules privés, des lieux publics et des lieux de travail); c) dans plusieurs lieux (c.-à-d. le domicile et au moins un lieu hors du domicile).

Les données ont été analysées au moyen des versions 9.3 de SAS et 11.0.1 de SUDAAN. Les analyses ont été effectuées en utilisant les poids de sondage de l’ECMS représentatifs de la population canadienne. Pour tenir compte du plan de sondage, des coefficients de variation et des intervalles de confiance (IC) à 95 % ont été calculés à l’aide de la technique bootstrapNote 21Note 22. Des tests t de Student ont été appliqués aux différences entre les estimations afin de déterminer leur signification statistique établie au seuil p < 0,05. Ces résultats sont présentés en indiquant deux nombres significatifs.

Résultats

La répartition de l’EFS selon la fréquence déclarée pour tout lieu fréquenté par des non-fumeurs âgés de 6 à 79 ans pendant la période allant de 2007 à 2013 était de 22 % pour une exposition régulière (chaque jour ou presque chaque jour), de 9,5 % pour une exposition au moins une fois par semaine, de 19 % pour une exposition au moins une fois par mois et de 50 % pour l’absence d’exposition (« jamais »). En outre, 26 % des non-fumeurs ayant déclaré avoir été régulièrement exposés à de la fumée secondaire présentaient un niveau de COT détectable.

Selon le groupe d’âge et en fonction des données des questionnaires, la prévalence des non-fumeurs régulièrement exposés à de la fumée secondaire était de 14 % pour les enfants (âgés de 6 à 11 ans), de 33 % pour les adolescents (âgés de 12 à 19 ans), de 24 % pour les adultes (âgés de 20 à 59 ans) et de 13 % pour les personnes âgées (de 60 à 79 ans). Cependant, la prévalence des non-fumeurs exposés régulièrement à de la fumée secondaire et présentant un niveau de COT détectable était de 60 % pour les enfants, de 37 % pour les adolescents et de 21 % pour les adultes et les personnes âgées.

Les pourcentages de non-fumeurs ont été répartis en trois catégories de lieux en fonction du sexe et du groupe d’âge (figure 1). Les non-fumeurs étaient plus susceptibles de déclarer une exposition hors de leur domicile (16 %) qu’à l’intérieur de leur domicile (2,5 %) ou qu’à l’intérieur et hors de leur domicile (2,3 %). Les enfants (5,1 %) et les adolescents (3,7 %) étaient beaucoup plus susceptibles de déclarer une exposition à de la fumée à l’intérieur du domicile que les adultes (2,2 %) et les personnes âgées (1,5 %). En revanche, les enfants ont déclaré une EFS en dehors du domicile nettement moindre que celle d’autres groupes d’âge. Les adolescents (21 %) et les adultes (20 %) ont déclaré une fréquence d’exposition en dehors du domicile d’environ le double de celle des personnes âgées (9,7 %). La proportion d’adolescents ayant répondu avoir été exposés à l’intérieur et hors du domicile était de 5,8 %, ce qui constitue la proportion la plus élevée pour tous les groupes d’âge. Selon le questionnaire, la seule différence observée entre les sexes était que les répondants masculins (18 %) ont déclaré une exposition hors du domicile nettement supérieure à celle des répondantes (15 %).

Les pourcentages de non-fumeurs ayant globalement enregistré des niveaux de COT détectables, en fonction du sexe, du groupe d’âge et du lieu, sont présentés aux tableaux 1-1 et 1-2. La majorité (71 %) des non-fumeurs ayant déclaré une exposition à l’intérieur du domicile ont enregistré des niveaux de biomarqueurs correspondant à l’EFS. En revanche, seuls 12 % des répondants ayant déclaré une exposition hors du domicile présentaient un niveau de COT détectable. Des comparaisons de la biosurveillance entre les groupes d’âge ont révélé que les adultes étaient nettement moins exposés à l’intérieur du domicile que les enfants.

Les personnes âgées exposées en dehors de leur domicile ont enregistré le pourcentage de COT détectable le plus faible (5,1 %), un pourcentage environ deux fois inférieur à celui des adultes et quatre fois inférieur à celui des enfants et des adolescents. Les adultes étaient nettement moins exposés (12 %) en dehors du domicile que les enfants (23 %). Parmi les répondants n’ayant déclaré aucune EFS, les adultes et les personnes âgées ont enregistré des proportions de COT détectable nettement inférieures à celles des enfants et des adolescents, ce qui donne à penser, selon la catégorie des groupes d’âge combinés, que les plus jeunes âgés de 6 à 19 ans ont enregistré une exposition accrue (près du double) non déclarée par le groupe d’âge suivant (de 20 à 79 ans). Pour les catégories d’exposition « à l’intérieur du domicile uniquement » et « à l’extérieur du domicile uniquement », le groupe combiné des enfants et des adolescents a été beaucoup plus exposé que les non-fumeurs âgés de 20 à 79 ans. Les répondants masculins ont enregistré des proportions de COT détectable nettement plus élevées que celles des répondantes pour les déclarations d’exposition à l’intérieur et hors du domicile ainsi que pour les déclarations ne faisant état d’aucune exposition régulière.

Comme le montrent les tableaux 2-1 et 2-2, les moyennes MG-COT_C ont été comparées pour l’exposition à l’intérieur du domicile ainsi qu’à l’intérieur et hors du domicile. Pour les personnes âgées de 6 à 79 ans, les résultats ont été respectivement de 3,7 μg/g et de 4,6 μg/g. Une moyenne MG-COT_C nettement supérieure a été observée pour le groupe d’âge le plus jeune (de 6 à 19 ans, par rapport au groupe des 20 à 79 ans) à l’intérieur du domicile. Aucune différence significative n’a été observée en fonction du sexe. Un examen des types de logements a révélé que la moyenne MG-COT_C pour les non-fumeurs déclarant une exposition à l’intérieur du domicile était près de trois fois supérieure à celle pour les personnes vivant en appartement que pour celles vivant dans une maison individuelle (8,4 μg/g IC : de 4,9 à 14, n = 219, par rapport à 3,0 μg/g, IC : de 1,8 à 4,8, n = 70). Les centiles P90-COT_C fournissent une indication de l’EFS relative et sont environ huit fois plus bas pour l’exposition hors du domicile que ceux observés pour les deux autres catégories de lieux.

Afin de mieux caractériser la population canadienne exposée à de la fumée, des proportions ont été évaluées en fonction de variables autodéclarées de lieu et de critères sociodémographiques (tableaux 3-1, 3-2 et 3-3). En matière de niveau de scolarité, les non-fumeurs dont le niveau de scolarité était plus faible ont déclaré une EFS plus élevée pour les trois catégories de lieux, mais ces pourcentages étaient significatifs uniquement pour l’exposition à l’intérieur du domicile et l’exposition combinée à l’intérieur et hors du domicile. En revanche, en ce qui a trait à la COT détectable, les non-fumeurs dont le niveau de scolarité était plus faible ont enregistré une exposition nettement plus élevée uniquement pour la catégorie hors du domicile. Pour ce qui est de l’ethnicité, les répondants blancs étaient beaucoup plus exposés que les répondants non blancs, selon l’EFS autodéclarée à l’intérieur et hors du domicile. Cependant, les résultats provenant des moyennes MG-COT_C étaient contradictoires : l’exposition était alors nettement plus élevée pour les répondants non blancs. Les non-fumeurs vivant au sein de ménages gagnant les revenus les plus élevés ont déclaré une exposition nettement moindre à l’intérieur du domicile ainsi qu’à l’intérieur et hors du domicile. Une proportion nettement moins élevée de COT détectable a permis de confirmer l’exposition estimée par ce moyen dans cette dernière catégorie de lieux. L’EFS relative estimée au moyen de la MG-COT_C était nettement moindre pour les ménages gagnant le revenu le plus élevé que pour les ménages gagnant le revenu le plus bas, en ce qui a trait à l’exposition dans plusieurs lieux.

Discussion

Une meilleure compréhension de l’EFS est nécessaire pour améliorer les interventions et minimiser ses effets négatifs. La présente étude décrit l’étendue de l’EFS au Canada selon son estimation au moyen de questionnaires et de la biosurveillance auprès de diverses sous-populations. Wong et al.Note 19 ont publié une étude sur l’EFS fondée sur le premier cycle de l’ECMS. Leur estimation de l’EFS générale était similaire à celle relevée dans la présente étude; cependant, en regroupant trois cycles de données, la présente étude permet d’obtenir des précisions supplémentaires sur l’exposition à la fumée du tabac. L’augmentation de la taille de l’échantillon a permis de subdiviser le groupe des adultes en adultes plus jeunes et plus âgés et d’estimer l’EFS quantitativement. Cerner les sous-populations les plus prédisposées est particulièrement intéressant pour orienter les interventions en santé publique, en particulier pour ce qui est des enfants et des personnes âgées qui présentent des risques encore plus importants d’EFSNote 1Note 3Note 23Note 24Note 25.

Près du quart des Canadiens non-fumeurs âgés de 6 à 79 ans ont déclaré une EFS régulière et 26 % d’entre eux ont enregistré une COT détectable. Parmi les trois catégories de lieux étudiées, la plus souvent déclarée était les lieux publics ou d’autres environnements en dehors du domicile, alors que cette catégorie de lieux présentait une association faible avec les niveaux de COT mesurés. Cela donne à penser que les expositions y sont brèves ou font intervenir de faibles concentrations et sont donc moins susceptibles d’être relevées par le biomarqueur COT.

L’analyse des données en fonction du lieu a démontré que l’EFS à l’intérieur du domicile était la plus élevée pour les répondants âgés de 6 à 19 ans, par rapport à ceux âgés de 20 à 79 ans, selon le questionnaire, les proportions de COT détectable et la MG-COT_C. Cependant, lorsque des données étaient disponibles pour les quatre groupes d’âge, la seule différence significative observée en matière d’exposition à l’intérieur du domicile concernait la COT détectable, dont les résultats ont démontré que les adultes étaient moins exposés que les enfants. Les enfants sont plus susceptibles que les adultes de vivre avec une personne fumant à l’intérieur du domicile et ont moins de contrôle pour éviter le comportement de consommation de tabac des membres du ménage et des visiteursNote 26Note 27Note 28. À l’instar des enfants, les personnes vivant en appartement ont peu de contrôle sur leur EFS, puisque l’air pénétrant dans leur appartement peut provenir d’une autre partie du bâtiment et accroître leurs niveaux d’expositionNote 3Note 8Note 11Note 29. En particulier, leur capacité à gérer la ventilation de l’appartement peut être limitée. De plus, une plus grande proportion de personnes peut choisir de fumer à l’intérieur du fait de la distance les séparant d’une porte extérieure ou du stigmate d’être vu en train de fumer à l’extérieur. Les appartements ont en outre tendance à être généralement moins spacieux que les maisons individuelles. Cela concorde avec le constat selon lequel des MG-COT_C nettement plus élevées ont été observées chez les personnes occupant des appartements que chez les personnes vivant dans des maisons individuelles.

En ce qui concerne l’exposition à l’extérieur du domicile, les enfants ont déclaré l’exposition au tabac la plus faible par rapport à tous les autres groupes d’âge, alors que les personnes âgées ont présenté le pourcentage de COT détectable le plus bas. Le seuil total de nicotine est plus faible chez les personnes âgées que chez les adultes plus jeunes, ce qui peut expliquer la différenceNote 16. Selon les données de biosurveillance, les enfants et les adolescents présentaient une EFS similaire à l’extérieur du domicile; cela contraste avec les renseignements obtenus au moyen du questionnaire. Les écarts entre l’estimation de l’exposition autodéclarée et celle obtenue par biosurveillance peuvent faire ressortir des différences pour des aspects qui ne sont pas pris en compte dans le questionnaire, comme la fréquence, la durée et l’intensité de l’exposition, ainsi que les caractéristiques de la ventilation. L’estimation de l’EFS plus élevée chez les enfants selon la COT détectable pourrait être attribuable à une exposition dans un véhicule, un espace clos pour lequel une corrélation de COT plus élevée avec l’EFS a été observéeNote 30Note 31Note 32. D’autres environnements résidentiels qui caractérisent mieux l’exposition à l’extérieur du domicile n’ont pas été évalués pour la période de 2007 à 2013. De plus, selon les attributs interindividuels et le comportement lié à l’âge, les enfants peuvent également être plus prédisposés à l’EFS et donc obtenir des estimations de COT plus élevées. Cependant, une étude laisse entendre que des niveaux de COT plus élevés chez des enfants exposés à de la fumée comparativement à des adultes dans la même situation étaient attribuables à une EFS plus élevée plutôt qu’à une pharmacocinétique différente en ce qui a trait à la COTNote 33.

La seule catégorie de lieux pour laquelle une différence autodéclarée entre les sexes a été observée était à l’extérieur du domicile, alors que pour la COT mesurable, il s’agissait de la catégorie « à l’intérieur et hors du domicile ». Dans ces deux cas, les répondants masculins ont enregistré une COT mesurée supérieure à celle des répondantes, mais ces dernières disposent d’un métabolisme plus rapide que les hommes relativement à la nicotineNote 16.L’écart observé entre les deux approches en ce qui a trait aux lieux d’EFS peut indiquer que la COT est faiblement associée aux estimations déclarées lorsque les lieux extérieurs au domicile ne sont pas bien définis.

Le faible statut socioéconomique, qu’il soit défini selon le revenu ou le niveau de scolarité, a été décrit dans la littérature comme étant associé à un risque plus élevé d’EFSNote 3Note 29Note 32Note 34Note 35Note 36Note 37. Toutefois, la présente étude n’a pas permis de relever de différence d’exposition à l’intérieur du domicile. Cela pourrait s’expliquer par une taille d’échantillon insuffisante pour en détecter une, par la variabilité des données ou par l’absence de différence significative au sein de la population canadienne. Les personnes dont le revenu et le niveau de scolarité sont plus faibles sont moins susceptibles d’être couvertes par des lois antitabac sur les lieux de travail, dans les restaurants et dans les barsNote 34. Les résultats de biosurveillance concordaient avec ceux figurant dans les ouvrages publiés du fait que les personnes ayant un niveau de scolarité plus faible avaient enregistré une EFS plus élevée pour la catégorie de lieux hors du domicile.

Par ailleurs, 4,6 % des répondants ayant déclaré ne pas avoir été régulièrement exposés à de la fumée ont enregistré un niveau de COT détectable, mais certaines sous-populations présentaient un plus grand risque de biais, comme cela a été observé chez les femmes enceintesNote 29. À première vue, ce faible pourcentage peut indiquer que les non-fumeurs déclarent généralement leur EFS avec exactitude. Il convient toutefois de souligner les 12 % de non-fumeurs pour la catégorie de lieux la plus souvent déclarée (hors du domicile) présentant, par exemple, une COT détectable ainsi que des différences significatives entre les groupes d’âge sous-déclarant leur EFS. Selon la présente étude, environ deux fois plus d’enfants et d’adolescents que de non-fumeurs plus âgés n’ont pas déclaré d’EFS, comme le montre l’exposition à de la fumée fondée sur un niveau de COT détectable.

Les données indiquaient aussi un écart considérable entre l’EFS déclarée et les mesures de COT chez les enfants. Les raisons de cette EFS sous-déclarée peuvent être attribuables à des estimations autodéclarées pouvant créer des biais attribuables à la remémoration et à la désirabilité sociale. Les parents et les tuteurs ont déclaré l’EFS des enfants. Les efforts déployés par les parties concernées en matière de contrôle de la consommation de tabac et l’abondante publicité mettant en garde contre les dangers de l’EFS pour les enfants peuvent avoir influencé la perception sociale de cette sous-population particulièreNote 38 et entraîner, par conséquent, une sous-déclaration de l’exposition à de la fumée secondaire. Cette sous-déclaration peut également indiquer que les parents et les tuteurs ne savent pas dans quelle mesure leurs enfants sont exposés et que ces enfants sont peut-être exposés plus souvent dans un environnement clos en présence d’un fumeur. Outre des facteurs génétiques, des facteurs interindividuelsNote 16, notamment l’âge, peuvent influer sur les niveaux estimés par biosurveillance, et cela peut donc contribuer à l’écart entre la COT dans l’urine et l’autodéclaration. Un quart de la population des États-Unis âgée de plus de 3 ans présentait une COT de sérum détectable pour la période de 2013 à 2014Note 35, par rapport à 6 % pour la COT dans l’urine de la présente étude. Il n’est pas recommandé d’effectuer des généralisations et des comparaisons entre études sans précautionsNote 39Note 40. Les enquêtes canadienne et états-unienne diffèrent du point de vue méthodologique, notamment en matière de matrice biologique, d’analyse, de groupes d’âge et de périodes de collecte de données. Les études par biomarqueur sont reconnues pour leur spécificité, mais leur sensibilité peut être médiocre. De faibles niveaux de COT détectable ont été observés pour les trois catégories de lieux évaluées, mais ont été observés en particulier pour les lieux hors du domicile. Il n’est pas étonnant de constater que dans un environnement clos comme un logement, 71 % des non-fumeurs ayant déclaré une exposition à l’intérieur du domicile présentent une COT détectable. Même si la méthode d’analyse fondée sur la COT dans l’urine est robuste et que la limite de détection est acceptable pour les études d’une EFS de faible niveau comme celle de la présente étude de la population canadienne, des méthodes présentant une sensibilité encore plus élevée sont désormais requises. Une valeur seuil de COT dans l’urine de 50 ng/ml a été présentée par Jarvis et al.Note 41 dans les années 1980 pour distinguer les fumeurs des non-fumeurs. Depuis lors, le seuil de COT de sérum a été révisé à la baisse et évalué pour différentes ethnicitésNote 42. Le seuil de COT dans l’urine n’a pas été réévalué et des incertitudes persistent. Néanmoins, une plage limite de 30 ng/ml à 200 ng/ml a été largement utiliséeNote 43; le seuil de 50 ng/ml a par conséquent été jugé pertinent pour la présente étude. L’incidence des niveaux variables selon l’ethnicité n’a pas été jugée significative pour la population canadienne par rapport à celle des États-Unis. La MG-COT_C plus élevée pour la sous-population blanche observée dans la catégorie de lieux comprenant une exposition à la fois à l’intérieur et à l’extérieur du domicile peut s’expliquer par une exposition accrue dans des lieux clos, comme au domicile ou dans un véhicule.

Des progrès importants ont été accomplis dans l’utilisation de questionnaires et de biomarqueurs, mais il n’existe malgré tout pas de norme universelle d’évaluation de l’EFS, ce qui pose des défis lorsqu’on effectue la comparaison directe avec d’autres études. Les évaluations de l’EFS reposent le plus souvent sur des questionnaires autodéclarés du fait de leur rentabilité, mais cette méthode peut être sujette à une déclaration biaisée et à une certaine complexité, car de nombreux éléments, notamment des inférences particulières, doivent être recueillis. Ainsi, les résultats de la présente étude donnent à penser que même si l’autodéclaration est relativement précise, elle peut être moins exacte pour certaines sous-populations (p. ex. des groupes d’âge plus jeunes, certains types de logements, certaines caractéristiques de lieux d’exposition), lorsque des questionnaires sont utilisés pour estimer l’EFS. Alors que le recours à un biomarqueur, comme la COT, réduit généralement ces incertitudes, en fournissant une estimation plus exacte et objective de l’EFS récente, les biomarqueurs peuvent être soumis à des différences interindividuelles ainsi qu’à des variations de la collecte par échantillonnage.

D’autres limites potentielles peuvent expliquer les différences observées entre les estimations de l’EFS autodéclarée et mesurée par biosurveillance. L’échantillon d’urine a été prélevé à un autre moment que la réponse au questionnaire et certains problèmes relatifs à l’évaluation autodéclarée (p. ex. le manque de précisions, la période de remémoration plus longue que celle recommandéeNote 44) ont probablement limité la capacité de caractériser l’EFS dans la présente étude de façon à offrir une meilleure corrélation avec la COT. Ce biomarqueur est également une mesure fiable de l’EFS potentielle uniquement au cours des quelques jours précédentsNote 45 et la matrice d’urine utilisée dans la présente étude complique l’interprétation des résultatsNote 46. Il est peu probable que les sources de nicotine par vapotage aient contribué à la COT estimée au sein de la population de la présente étude, puisque la prévalence évaluée par le questionnaire en 2013 était alors très faibleNote 47.

La présente étude fournit une caractérisation détaillée de l’EFS régulière au Canada en combinant des données de questionnaires et de biosurveillance. Près d’un quart des Canadiens âgés de 6 à 79 ans étaient toujours régulièrement exposés et des disparités étaient observées selon des variables socioéconomiques, le type de logement, le lieu d’exposition et la méthode d’évaluation.

La méthode préférée des chercheurs en matière d’évaluation de l’EFS est celle par questionnaires. Cependant, dans la présente étude, les résultats de cette méthode sont comparés à ceux obtenus pour la même population par biosurveillance, ce qui permet non seulement d’accroître les connaissances sur l’EFS, mais de faire ressortir également les éventuelles limites de chaque approche.

Puisque la consommation de tabac et l’EFS sont un enjeu social et de santé publique coûteuxNote 48, des données exactes aideront davantage à élaborer des interventions efficaces visant à réduire leurs risques. La présente étude fournit, pour la première fois à l’échelle nationale, des estimations de l’exposition quantitative de la population canadienne, en vue de comparaisons au fil du temps et avec d’autres études, permet de cerner des différences pour les répondants autodéclarant aucune exposition et offre des renseignements sur les lieux d’EFS pour certaines populations particulièrement prédisposées.

Étant donné l’absence de niveaux sûrs d’EFSNote 3, des efforts soutenus visant à réduire les différences d’exposition sont nécessaires et une surveillance continue est primordiale.

Remerciements

Les auteurs souhaitent remercier Janine Clarke (Statistique Canada) pour ses contributions à l’étude en matière d’analyse de données.

Données supplémentaires

Il est possible de se procurer d’autres tableaux présentant des estimations de cotinine non corrigée en fonction de la créatinine en s’adressant aux auteurs.

Références
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