Rapports sur la santé
Tendances relatives à la prévalence de la dépression et des troubles anxieux chez les adultes canadiens en âge de travailler, de 2000 à 2016
par Kathleen G. Dobson, Simone N. Vigod, Cameron Mustard et Peter M. Smith
DOI : https://www.doi.org/10.25318/82-003-x202001200002-fra
Selon l’étude sur la charge mondiale de morbidité, les troubles mentaux représentent au moins 14 % des années de vie perdues en raison d’une incapacité depuis 1990Note 1. Les troubles mentaux courants, comme les troubles dépressifs majeurs et les troubles anxieux, figurent parmi les principales causes de la charge de morbidité. À l’échelle mondiale, on estime que ces troubles sont associés à au moins 12 milliards de jours de perte de productivité par année, ce qui correspond à un coût d’environ 925 milliards de dollars américainsNote 2Note 3. Étant donné leur morbidité et coût sociétal élevés, on craint que la prévalence de ces troubles mentaux courants n’ait augmenté dans les pays développés au cours des 30 dernières années.
Les preuves à l’appui de ces préoccupations sont incertainesNote 4, en partie parce qu’il n’y a pas eu de surveillance épidémiologique majeure ayant appliqué des mesures uniformes de la morbidité de façon continue, sur une longue période, à des échantillons de population. La surveillance en Allemagne auprès de la population de 18 à 79 ans, et au Canada auprès de la population de 12 ans et plus, a permis de constater une prévalence stable de la dépression mesurée sur une période de 10 ans se terminant en 2012Note 5Note 6Note 7. En revanche, un rapport de surveillance des États-Unis a relevé une légère augmentation de la dépression chez les personnes de 12 ans et plus de 2005 à 2015Note 8. Une synthèse méta-analytique d’échantillons formés principalement de la population générale européenne n’a fait ressortir aucune augmentation des troubles anxieux de 1990 à 2010Note 9. Cependant, en Australie, les échantillons de la population générale de l’enquête nationale sur la santé mentale et le bien-être ont montré une augmentation des symptômes d’anxiété chez les adultes de plus de 18 ans, de 1997 à 2007Note 10.
L’incertitude des échantillons de la population générale est attribuable, en partie, au fait que ces échantillons peuvent masquer des tendances au sein des sous-groupes à risque élevé. Le chômage ou l’inactivité est associé à un risque plus élevé de maladie mentale, mais peu d’études en ont tenu compte dans les estimations longitudinales de la prévalenceNote 10Note 12. Or, compte tenu des changements qui sont survenus dans les milieux de travail, les marchés de l’emploi et les conditions macroéconomiques au cours des 20 dernières années, lesquels ont eu des effets marqués sur la main d’œuvreNote 13, on a besoin d’un système de surveillance qui permet d’explorer l’incidence des conditions microéconomiques et macroéconomiques sur les tendances en matière de prévalence au sein de différents groupes de la population active. Les données ainsi recueillies peuvent être utilisées par les chercheurs, les économistes, les employeurs et les décideurs pour gérer la charge des troubles mentaux sur les marchés du travail.
Parmi les caractéristiques optimales de tels systèmes de surveillance figurent la continuité des mesures au fil du temps, l’uniformité des mesures au fil du temps, l’échantillonnage fondé sur la population et la fiabilité de la mesure de l’état de santé et des risques pour la santéNote 14. Cependant, bien que ces critères soient particulièrement importants pour surveiller les tendances en matière de prévalence des troubles mentaux courants à l’échelle de la population, ils présentent des limites pour ce qui est des données actuellement accessibles. La présente étude vise à combler cette lacune en examinant la prévalence dans un pays à revenu élevé, et en appliquant un plan d’étude transversale répétée pour estimer les tendances relatives à la prévalence de la dépression et des troubles anxieux au sein d’échantillons représentatifs d’adultes canadiens en âge de travailler sur une période de 17 ans.
Méthodes
Source des données
Cette étude se fondée sur les données de plusieurs cycles de l’Enquête transversale annuelle sur la santé dans les collectivités canadiennes (ESCC), une enquête nationale qui examine l’état de santé et les comportements des Canadiens de 12 ans et plus. Elle utilise un plan de regroupement stratifié complexe à plusieurs degrés, fondé sur une base de sondage aréolaire et téléphonique. Environ 3 % de la population canadienne est exclue de la base de sondage de l’ESCC (personnes vivant en établissement, enfants en foyer d’accueil, personnes vivant dans les réserves des Premières Nations, membres à temps plein des Forces armées canadiennes et personnes vivant dans des régions spécifiques du Québec).
L’ESCC a été réalisée pour la première fois en 2000 et jusqu’en 2007, elle a été menée tous les deux ans auprès de quelque 130 000 participants. De 2007 à 2016, l’ESCC a été menée annuellement auprès de quelque 65 000 participants, dans le but de réduire le fardeau d’échantillonnage. En 2015, l’ESCC a fait l’objet d’un remaniement, dans le cadre duquel son contenu et sa base de sondage ont été revus. Au premier cycle de l’ESCC (1.1), le taux de réponse national était d’environ 85 %. Ce pourcentage a diminué par la suite, et s’est situé d’environ 60 % lors du dernier cycle de l’ESCC (2015 à 2016).
Deux cycles de l’ESCC ont été axés sur la santé mentale, l’un en 2002 (ESCC 1.2) et l’autre en en 2012 (ESCC -SM), dans le but de produire des estimations des déterminants de la santé mentale, de l’état et des taux de prévalence chez les Canadiens de 15 ans et plus. La taille de l’échantillon de ces enquêtes était de 27 500 à 30 000 participants environ, et les taux de réponse se sont situés à ~77 % (ESCC 1.2) et à ~69 % (ESCC -SM).
Échantillon
Les cycles de l’ESCC sur la santé mentale et tous les cycles annuels de l’ESCC de 2000 à 2016 ont été analysés dans le cadre de l’étude, sauf les cycles de 2011 et de 2012, lesquels ont été exclus en raison de la petite taille de l’échantillon après l’application des critères d’inclusion du module sur la dépression (ce qui entraîné des estimations de prévalence non fiables). Les cycles annuels de l’ESCC à partir de 2007 ont été analysés sur des périodes de deux ans (p. ex. 2007 à 2008; 2009 à 2010, etc.).
À chaque cycle de l’ESCC , les participants étaient inclus s’ils étaient âgés de 18 et 64 ans et s’ils n’étaient pas étudiants à temps plein, et on leur a demandé des renseignements sur leur situation d’activité au cours de la semaine précédente, ainsi que des renseignements en lien avec des indicateurs de santé mentale. L’évaluation de la dépression était facultative pour les cycles annuels de l’ESCC et était incluse à la discrétion des régions sanitaires provinciales. Cela a réduit considérablement la taille de l’échantillon dans certains cycles.
Après l’application des critères de l’étude, 331 046 participants ont été inclus dans l’échantillon (tableau 1). Pour les participants admissibles issus des cycles de l’ESCC 1.1, de l’ESCC 1.2 et de l’ESCC-SM, il y avait des renseignements sur l’état dépressif au cours de l’année précédente pour presque la totalité d’entre eux (environ 97 %). Pour les participants admissibles issus de tous les autres cycles, de 30 % à 55 % environ d’entre eux se trouvaient dans des régions sociosanitaires qui avaient choisi d’inclure le contenu sur l’état dépressif.
Situation en regard de l’activité
Trois groupes de la population active, selon leur situation au cours de la semaine précédente, ont été examinés dans le cadre de l’étude : les personnes occupées, les personnes au chômage et les personnes inactives. On a demandé aux participants leur situation en regard de l’activité au cours de la semaine précédente et s’ils avaient fait des démarches au cours des quatre semaines précédentes pour trouver du travail. Les participants étaient considérés comme occupés s’ils s’étaient absentés d’un emploi rémunéré au cours de la semaine précédente (peu importe s’ils cherchaient un nouvel emploi). Les participants étaient considérés comme étant au chômage s’ils n’avaient pas d’emploi au cours de la semaine précédente, mais qu’ils avaient cherché du travail au cours du mois précédent. Les participants étaient considérés comme inactifs s’ils étaient incapables de travailler ou s’ils n’avaient pas d’emploi au cours de la semaine précédente et n’avaient pas cherché de travail au cours du mois précédent (tableau 2).
Pour l’ensemble des cycles d’enquête, environ 80 % des participants étaient occupés, 16 % étaient inactifs et 4 % étaient au chômage au cours de la semaine précédant l’enquête. De 2000 à 2016, le taux de chômage des Canadiens de plus de 15 ans a varié de 6,0 % à 8,3 %Note 15. Selon d’autres données sur la participation à la population active tirées de l’ESCC, environ 80 % des participants au chômage et environ 15 % des participants inactifs ont travaillé à un moment donné au cours de l’année précédente et en ont touché une rémunération ou un avantage.
Indicateurs de dépression et d’anxiété
Présence d’un épisode dépressif majeur au cours des 12 mois précédents
Cet indicateur était un composite d’une forte probabilité de vivre un épisode dépressif majeur (EDM) à l’aide des éléments suivants :
- le questionnaire abrégé du Composite International Diagnostic Interview (CIDI-SF), où un score de ⋝ 5/8 évalué aux cycles annuels de l’ESCC de 2000 à 2014 correspondait à une forte probabilité de vivre un EDM au cours de l’année précédenteNote 16;
- le CIDI sur la santé mentale à l’échelle mondiale (WMH-CIDI), qui a été évalué dans le cadre de l’ESCC 1.2 et de l’ESCC-SM et harmonisé avec les critères de la quatrième édition du Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux (DSM-IV) pour l’expérience d’un EDM au cours de l’année précédente;
- le questionnaire sur la santé des patients-9 (PHQ-9), où un score de ⋝10/27 évalué dans les cycles de 2015 à 2016 de l’ESCC correspondait aux critères pour avoir vécu un EDM au cours des deux semaines précédentesNote 17.
Nombre de semaines de symptômes dépressifs chez les personnes ayant vécu un EDM au cours des 12 mois précédents
On a demandé aux participants qui ont déclaré au CIDI-SF qu’ils s’étaient sentis tristes ou déprimés, ou s’étaient désintéressés de choses comme les passe-temps, le travail ou les activités, pendant combien de semaines ces sentiments avaient duré. Les participants pouvaient indiquer de 2 à 53 semaines. Cet indicateur a été examiné parmi les participants qui répondaient aux critères de l’EDM et a été modélisé sur l’échelle logarithmique, compte tenu de l’asymétrie de la variable.
Présence d’un trouble anxieux autodéclaré diagnostiqué par un professionnel de la santé
À partir du cycle de l’ESCC 2.1 (2003), on a demandé aux participants quels étaient leurs problèmes de santé diagnostiqués par un professionnel de la santé et qui devaient durer au moins six mois. Les participants pouvaient répondre « oui » ou « non » à la question « Êtes-vous atteint d’un trouble d’anxiété tel qu’une phobie, un trouble obsessionnel compulsif ou un trouble panique? »
EDM comorbides et trouble anxieux diagnostiqué
Pour le cycle de l’ESCC 2.1 et par la suite, on a combiné les variables de l’EDM et de l’anxiété pour explorer la présence d’un EDM au cours de l’année précédente et la présence d’un diagnostic de trouble anxieux autodéclaré.
Analyses statistiques
Pour chaque cycle d’enquête, les estimations de la prévalence des indicateurs de dépression et d’anxiété ont été calculées dans la version 9.3 de SAS pour chaque groupe d’activité. Pour tenir compte de la structure d’échantillonnage complexe des enquêtes, les estimations de la prévalence et de leurs variances ont intégré la pondération de l’enquête et de 500 à 1 000 (cycle de 2015 à 2016) poids bootstrap. Une méta-analyse des effets aléatoires (selon la méthode DerSimonian et Laird)Note 18 stratifiée selon la situation d’activité a été utilisée pour déterminer la prévalence combinée de chaque résultat dans STATA v15. Pour quantifier le taux de changement de la prévalence pour chaque résultat, on a utilisé une approche de métarégression des effets aléatoires linéaires, modélisant
Où représente l’ordonnée à l’origine, représente la variation moyenne de la prévalence par augmentation annuelle, représente l’erreur dans le cycle pour chaque estimation de la prévalence, et représente l’erreur entre les cycles. La signification statistique des estimations a été comparée à l’aide de 1 000 essais Monte CarloNote 6. Les différences entre la prévalence combinée et les coefficients de tendance entre les groupes de la population active ont été testées en utilisant le khi carré et en comparant les procédures de pente.
Analyses de sensibilité
Plusieurs analyses de sensibilité ont été effectuées, notamment : 1) des estimations normalisées selon l’âge et le sexe de la population de l’ESCC de 2005, 2) l’exclusion du cycle de l’ESCC de 2015 à 2016 pour tenir compte des différences dans les outils de mesure du remaniement de l’enquête et de la dépression, 3) l’inclusion de variables indicatrices pour les instruments d’enquête sur la prévalence des EDM pour tenir compte des différences dans les outils de mesure, 4) l’étude des différences dans les résultats des participants à l’ESCC échantillonnés à partir de la base de sondage aréolaire et téléphonique, et 5) l’étude des tendances selon qu’elles suivent une forme linéaire ou une autre forme fonctionnelle.
Un trouble de l’humeur autodéclaré (dépression, trouble bipolaire, manie ou dysthymie) diagnostiqué par un professionnel de la santé et sa comorbidité avec les indicateurs d’EDM et d’anxiété a également été exploré comme indicateur de santé mentale dans les analyses de sensibilité. Enfin, les estimations de la prévalence des EDM ont été corrigées en intégrant la sensibilité et la spécificité de l’outil de mesure à l’équation suivanteNote 19 :
Résultats
Le tableau 3 présente les caractéristiques des participants stratifiées selon la situation d’activité pour les cycles de 2000 à 2001, de 2007 à 2008 et de 2015 à 2016 de l’ESCC. En bref, environ 55 % des participants occupés et 30 % des participants inactifs étaient des hommes, et ce taux était similaire d’un cycle à l’autre. Au premier cycle de l’ESCC, environ 52 % des participants au chômage étaient des hommes; ce pourcentage s’est accru pour passer à 63 % au fil des cycles.
La plupart des participants occupés étaient âgés de 30 à 49 ans, la plupart des participants au chômage étaient âgés de 20 à 39 ans, et la plupart des répondants inactifs étaient âgés de plus de 50 ans. Un changement de répartition de l’âge a été observé au fil du temps : les cohortes plus récentes comptaient une plus grande proportion de participants plus âgés. La plupart des participants de tous les groupes étaient de race blanche et étaient nés au Canada, bien que cette répartition ait légèrement changé au fil du temps.
Résultats de la prévalence
La prévalence annuelle moyenne des EDM était de 5,4 % (IC de 95 % : de 4,7 % à 6,0 %) parmi les participants occupés, 11,7 % (IC de 95 % : de 10,4 % à 13,0 %) parmi les participants au chômage et 9,8 % (IC de 95 % : de 8,5 % à 11,2 %) parmi les participants inactifs (tableau 4).
Les estimations de la prévalence étaient statistiquement plus faibles chez les participants occupés que chez les participants au chômage (χ2 = 61,06, p<0,001) et les participants inactifs (χ2 = 29,78, p<0,001). Aucune différence n’a été observée entre les participants au chômage et ceux inactifs (χ2 = 3,68, p=0,06).
Des estimations plus faibles ont de la prévalence ponctuelle été observées en 2002 et en 2012 (cycles utilisant le CIDI-WMH), mais elles n’étaient pas statistiquement différentes de celles des autres cycles. Aucune tendance statistiquement significative de la prévalence de la dépression de 2000 à 2016 n’a été observée pour aucun groupe de la population active (tableau 4, figure 1).
Parmi les participants qui ont vécu un EDM au cours de l’année précédente, le nombre moyen de semaines de symptômes dépressifs était d’environ 7,6 semaines pour les participants occupés (IC de 95 % : de 7,2 % à 8,0 %), 9,6 semaines pour les participants au chômage (IC de 95 % : de 8,8 % à 10,4 %) et 11,4 semaines chez les participants inactifs (IC de 95 % : de 10,3 % à 12,6 %). Les tests du khi carré ont indiqué que les estimations de la prévalence n’étaient statistiquement différentes que pour les participants occupés et ceux inactifs (χ2 = 33,38, p<0,001). Le nombre de semaines pendant lesquelles les participants ont éprouvé des symptômes dépressifs a augmenté d’environ 0,6 % à 1,9 % par année et n’était pas statistiquement significatif.
La prévalence annuelle moyenne d’un trouble anxieux autodéclaré était de 4,6 % chez les participants occupés (IC de 95 % : de 3,7 % à 5,4 %), 8,0 % chez les participants au chômage (IC de 95 % : de 6,4 % à 9,5 %) et 10,8 % chez les participants inactifs (IC de 95 % : de 8,8 % à 12,7 %). Chaque estimation de la prévalence était statistiquement différente de l’autre. Tous les groupes ont connu une légère augmentation de la prévalence au fil du temps, qui était statistiquement significative chez les participants occupés (β : 0,26 %; IC de 95 % : de 0,08 % à 0,45 %) et chez les participants inactifs (β : 0,55 %; IC de 95 % : de 0,15 % à 0,95 %; figure 2). Aucune différence statistique n’a été observée entre les estimations des tendances pour les participants occupés et ceux qui inactifs (χ2 : 2,76; p : 0,10). L’estimation de la tendance pour les participants au chômage (β : 0,34 %) n’était pas statistiquement significative, peut-être en raison de la petite taille de l’échantillon pour ce groupe.
La prévalence de la déclaration d’un trouble anxieux et d’un EDM au cours de l’année précédente était de 1,2 % chez les participants occupés, de 3,0 % chez les participants au chômage et de 4,1 % chez les participants inactifs. L’estimation de la prévalence pour les participants occupés était statistiquement plus faible que celle des participants au chômage et de ceux inactifs (χ2 : ~32; p : <0,001). Les estimations de la prévalence pour les participants au chômage et ceux inactifs ne différaient pas (χ2 : 3,56; p : 0,06). Les résultats de la métarégression indiquent que la prévalence de comorbidité est demeurée stable dans tous les groupes de la population active.
La plupart des estimations de la prévalence et des coefficients de régression montraient une hétérogénéité élevée, ce qui suggère que des facteurs autres que le temps peuvent influencer les tendances. Les résultats sont demeurés cohérents lorsque les estimations ont été normalisées selon l’âge et le sexe, lorsque les cycles de l’ESCC de 2015 à 2016 ont été exclus et lorsque les variables de l’instrument EDM ont été incluses dans l’analyse de régression. Les tendances ne démontraient pas qu’on suivait une forme fonctionnelle différente avec le temps. Les estimations de la prévalence étaient légèrement plus faibles chez les participants échantillonnés au moyen de la base de sondage téléphonique que chez ceux échantillonnés au moyen de la base de sondage aréolaire. Lorsque le diagnostic des troubles de l’humeur a été exploré comme indicateur, les résultats étaient semblables à ceux présentés dans la présente étude (données disponibles sur demande).
Lorsque la sensibilité et la spécificité des tests d’EDM ont été intégrées, les estimations de la prévalence des EDM étaient plus élevées pour tous les groupes de la population active, allant d’environ 8 % à 18 % après ajustement.
Discussion
Cette étude suggère que du début des années 2000 à 2016, la prévalence des EDM est demeurée relativement stable, tandis que la prévalence des troubles anxieux a légèrement augmenté. Ces tendances sont les mêmes dans tous les groupes de la population active. Cependant, tous les indicateurs de dépression et d’anxiété indiquent que la prévalence était la plus faible chez les participants occupés et la plus élevée chez les participants au chômage ou les participants inactifs.
La comparaison directe des estimations de la prévalence observées dans la présente étude avec celles d’autres études est entravée par des différences méthodologiques importantes entre les enquêtes et les échantillons et doit donc être interprétée avec prudenceNote 20Note 21. Néanmoins, des études menées aux États-Unis ont estimé que la prévalence de la dépression se situe entre 5,5 % et 10,5 % chez les personnes occupéesNote 22Note 23, entre 15,9 % et 20,3 % chez les personnes au chômageNote 24, et entre 8,4 % et 9,8 % chez les personnes inactivesNote 24. L’étude européenne sur l’épidémiologie des troubles mentaux a révélé des estimations semblables de troubles de l’humeur sur 12 mois pour les personnes occupées (3,4 %) et au chômage (9,1 %), mais des estimations légèrement plus élevées pour les troubles anxieux (6,2 % à 9,3 %)Note 25. Cette différence peut être attribuable à des différences méthodologiques entre ces enquêtes et la présente étude, et à des conditions économiques différentes observées vers l’an 2000Note 26Note 27. Cela peut donner à penser que les estimations de prévalence de la présente étude sont semblables aux estimations européennes, mais peuvent être inférieures aux estimations américaines.
Bien que cela ne soit pas surprenant étant donné l’effet du travailleur en bonne santé (c’est-à-dire une personne qui est en assez bonne santé pour pouvoir travailler)Note 28, les estimations de la prévalence des EDM, des troubles anxieux et des diagnostics concomitants d’EMD et de troubles anxieux chez les participants au chômage et ceux inactifs se sont avérées être environ le double de celles des participants occupés. L’ampleur de cet effet est conforme à ce qui a été observé dans de nombreuses études américaines et européennes menées dans les années 1990Note 21Note 29, et laisse entendre que les disparités en matière de santé mentale chez les adultes en âge de travailler au chômage persistent. Néanmoins, les mauvaises conditions de travail et la perte d’emploi ont une incidence sur le risque de troubles anxieux et dépressifsNote 30.
Les estimations de prévalence initiales plus élevées chez les participants au chômage et ceux inactifs ont des répercussions connues sur la mobilité socioéconomique individuelle et sur le fonctionnement de la population active au macroniveauNote 11. Au Canada, les personnes au chômage ou ayant un statut socioéconomique inférieur utilisent le système de santé moins souvent que celles occupéesNote 31. Si elles souffrent de dépression, les personnes au chômage ou ayant un statut socioéconomique plus faible sont plus susceptibles de recevoir un traitement pharmacologique plutôt qu’un traitement psychologiqueNote 32. Ces facteurs peuvent avoir une incidence négative sur le temps de rétablissement et la prévention des épisodes subséquents, ce qui peut à son tour étendre la période pendant laquelle une personne est au chômage ou inactive. Des symptômes prolongés peuvent avoir une incidence sur la capacité de travailler en cours d’emploi, comme une baisse de productivité ou une diminution des promotions.Note 33
Définie par la présence de symptômes dépressifs, la prévalence des EDM s’est révélée stable dans tous les groupes de la population active de 2000 à 2016. La prévalence de la dépression était stable dans les cohortes de la population généraleNote 4Note 6Note 34. On a laissé entendre que les changements dans la prévalence de la dépression observés au niveau de la population générale pourraient être causés par des changements dans les répartitions démographiques, l’amélioration de la littératie en santé des nations et la perception d’une mauvaise santé mentale généraleNote 7Note 9. Dans la présente étude, les tendances étaient semblables lorsque les estimations de la prévalence étaient normalisées selon l’âge et le sexe, ce qui laisse entendre que les changements démographiques peuvent avoir moins d’influence chez les adultes en âge de travailler. Toutefois, les tendances en matière de prévalence au sein de la population générale peuvent ne pas être représentatives des sous-groupes de la population active (p. ex. groupes professionnels, travailleurs précaires).
La présente étude ne permet pas de déterminer si les changements dans l’utilisation des soins de santé mentale, la littératie en santé mentale, la stigmatisation ou les conditions de la population active ont eu une incidence semblable sur les tendances relatives à la prévalence pour chaque groupe de la population active. Toutefois, il est probable que l’influence de ces facteurs ne soit pas équitable. Par exemple, les personnes au chômage peuvent se sentir en moins bonne santé mentale et globale que les personnes occupéesNote 35.
Comme les raisons de ne pas participer à la population active diffèrent tout au long de la vie (p. ex. fonder une famille, cesser de travailler en raison d’une incapacité, prendre sa retraite), il est difficile d’établir des comparaisons. Les participants à l’étude qui était inactifs étaient plus âgés que les participants occupés et ceux qui étaient au chômage. Bien que la prévalence des troubles dépressifs majeurs et des troubles anxieux soit généralement plus faible chez les adultes âgésNote 36Note 37, étant donné que les personnes âgées atteintes de maladie mentale sont plus susceptibles de quitter prématurément le marché du travailNote 38, cela peut avoir influencé la prévalence dans ces groupes. Le rôle hétérogène de ces facteurs doit être exploré pour approfondir ce domaine de la recherche en surveillance de la santé mentale.
Pendant la période visée par cette étude, la situation au Canada a évolué : des changements ont été apportés aux politiques provinciales et nationales en matière de santé mentale, de travail et de bien-être; les efforts consacrés à la prévention des maladies mentales ont été accrus; et on a composé avec une récession mondialeNote 39. Les effets de ces événements peuvent se contrebalancer et contribuer à stabiliser les tendances. Par exemple, une sensibilisation accrue à la santé mentale (p. ex. dans le cadre d’initiatives nationales de promotion de la santé) peut entraîner une augmentation de la prévalenceNote 6Note 9, tandis que des interventions stratégiques positives peuvent réduire la durée d’un EDM, ce qui pourrait réduire la prévalence. À l’inverse, bien que ces initiatives et événements soient importants pour les personnes et les milieux de travail, leur incidence n’est peut-être pas encore évidente au niveau de la population.
Dans la présente étude, la stabilité des EDM déclarée, qui comprend la période de récession économique, contredit certains ouvrages antérieurs qui ont observé une augmentation de la prévalence parmi les populations activesNote 40. Par exemple, la Grèce a enregistré une augmentation de la prévalence de la dépression pendant un mois entre 2008 (prévalence de 3,3 %) et 2013 (prévalence de 12,3 %)Note 41. Les répercussions de la récession de 2008 sur la prévalence sont probablement plus faibles chez la population active canadienne que chez les populations actives d’autres pays qui ont été plus durement touchésNote 13.
En supposant qu’il y ait un changement constant de la prévalence parmi les cycles de l’ESCC de deux ans à compter de 2007, la prévalence du diagnostic de trouble anxieux a augmenté à un taux d’environ 0,26 % à 0,55 % par année dans tous les groupes de la population active. Cette prévalence peut augmenter en raison des changements dans les comportements de recherche d’aide ou en raison de l’autodéclaration accrue de la mauvaise santé mentale générale et de l’épuisement professionnel dans la population généraleNote 4Note 7.
Bien que cette tendance à la hausse soit modeste, elle peut avoir des répercussions importantes sur le fonctionnement de la population active. La sévérité accrue des symptômes d’anxiété est associée à un rendement au travail réduit, à une augmentation du temps passé en congé d’invalidité, à des interruptions dans l’avancement professionnel et à un départ précoce du marché du travailNote 42Note 43. De plus, les troubles anxieux coexistent souvent avec d’autres problèmes mentaux et physiques qui peuvent réduire la productivité au travail et augmenter le temps dont un travailleur a besoin pour retrouver son capital santé optimal. Étant donné que le coût à vie des troubles anxieux généralisés au Canada a été estimé de façon prudente à 31 213 $ CAN en 2008Note 44, cette tendance pourrait avoir des répercussions importantes sur les coûts et d’autres répercussions pour les employeurs, les stratégies de santé mentale en milieu de travail et les régimes d’avantages sociaux.
Limites
Le module sur les EDM était facultatif dans les cycles annuels de l’ESCC et était administré à la discrétion des régions sanitaires provinciales. Cela a entraîné une réduction de la taille de l’échantillon, une réduction de la généralisabilité de la population active canadienne et une capacité limitée d’explorer les sous-populations de la population active. Comparativement aux participants à l’ESCC dont les questionnaires comprenaient le module sur les EDM (c.-à-d. les participants qui étaient inclus dans l’échantillon), les participants à l’ESCC dont les questionnaires ne contenaient pas le module avaient généralement un profil démographique semblable. Toutefois, il y avait une tendance selon laquelle les participants qui n’ont pas reçu le module sur les EDM pouvaient avoir des niveaux de détresse plus élevés (mesurés par l’échelle de détresse psychologique de Kessler), et un plus grand nombre de participants pouvaient avoir des diagnostics autodéclarés de troubles anxieux ou de l’humeur. Cela donne à penser que tout biais associé à la réduction de la taille de l’échantillon entraînerait une sous-estimation des constatations.
La continuité des cycles annuels de l’ESCC peut également avoir introduit un biais dans l’étude. L’ESCC annuelle a fait l’objet d’un remaniement de l’échantillonnage et d’un changement du contenu de l’enquête en 2015, ce qui pourrait avoir donné un profil démographique différent de celui des cycles précédents de l’ESCC. Pour tenir compte de cette différence, l’étude a utilisé un plan méta-analytique à effets aléatoires qui modélise l’erreur dans le cycle et l’erreur entre les cycles. En général, la proportion de participants dans chaque groupe de la population active et les réponses sur les mesures de la santé mentale étaient semblables aux cycles précédents.
Les différences entre les outils de mesure des EDM peuvent également avoir introduit un biais de mesure. Le cycle de l’ESCC de 2015 à 2016 a utilisé un instrument d’EDM différent (PHQ-9) comparativement aux cycles annuels précédents. Une analyse de sensibilité a été effectuée, excluant ces cycles de l’ESCC, et les résultats ont montré que les estimations qui étaient statistiquement significatives à l’origine le sont toujours. Les estimations regroupées de la prévalence étaient semblables, mais légèrement plus faibles lorsque le cycle de l’ESCC de 2015 à 2016 a été exclu. Bien qu’elles ne soient pas statistiquement différentes des autres estimations, les estimations de la prévalence des EDM calculées par le WMH-CIDI dans les cycles de l’ESCC de 2002 et de 2012 étaient inférieures à celles calculées avec le CIDI-SF et le PHQ-9.
Comme les troubles anxieux ont été autodéclarés, ils peuvent être sous-estimés, surtout dans les premiers cycles de l’ESCC, où ces troubles peuvent avoir été légèrement plus stigmatisés. De plus, il peut y avoir un biais associé à l’exploration d’une mesure combinée des symptômes dépressifs par rapport à un diagnostic de trouble anxieux autodéclaré. Toutefois, lorsqu’un indicateur du diagnostic de trouble de l’humeur autodéclaré a été exploré, les résultats ont montré des proportions et des tendances similaires.
Certaines caractéristiques des maladies mentales étudiées, combinées à la situation d’emploi, peuvent avoir rendu les participants moins enclins ou disposés à partager des renseignements sur leur santé mentale ou à participer à l’ESCC. Cela peut avoir entraîné une sous-estimation de la prévalence dans ces groupes.
Enfin, le taux de participation à l’ESCC a diminué au fil du temps. Toutefois, tout biais associé à cette diminution serait présumé ne pas être différentiel entre les groupes de la population active, et les poids d’enquête élaborés par Statistique Canada ont été utilisés pour essayer de minimiser ce biais.
Conclusions
Du début des années 2000 à 2016, chez les Canadiens en âge de travailler occupés, la prévalence d’un EDM annuel s’est située à environ 5,4 %, la présence d’un trouble anxieux à 4,6 %, et la présence d’un trouble anxieux et d’un EDM, à environ 1,2 %. Ces estimations étaient plus élevées chez les participants qui étaient au chômage et ceux qui étaient inactifs. La prévalence des EDM est demeurée stable de 2000 à 2016, bien qu’il y ait eu une augmentation modeste des troubles anxieux diagnostiqués médicalement et autodéclarés. Les constatations ont également mis en évidence les limites existantes des données de surveillance nationale pour explorer la santé mentale des participants à la population active.
Répercussions
La pandémie de COVID-19 a entraîné des changements dans la détresse et le déplacement de la population active canadienneNote 45Note 46Note 47. La présente étude a révélé une prévalence moyenne plus élevée des EDM et des troubles anxieux chez les Canadiens au chômage et les Canadiens inactifs, des tendances stables de la prévalence des EDM au fil du temps dans chaque groupe de la population active, et une augmentation de la prévalence des diagnostics de troubles anxieux dans tous les groupes de la population active. Dans le contexte de la COVID-19, les résultats de la présente étude sont essentiels pour éclairer les politiques équitables sur la santé mentale, le milieu de travail et le travail afin de maintenir et d’intégrer les Canadiens atteints de maladies mentales dans la population active pendant et après la pandémie. La présente étude met également en lumière d’importantes lacunes dans les données existantes concernant l’étude de la dépression et de l’anxiété au sein de la population active canadienne.
Conflits d’intérêts
Aucun des auteurs n’a de conflit d’intérêts à déclarer.
Remerciements
Cette étude a bénéficié d’une bourse de recherche au doctorat des Instituts de recherche en santé du Canada décernée à Kathleen Dobson. Les auteurs tiennent à souligner le soutien du Réseau canadien des centres de données de recherche, du centre de données de recherche de Statistique Canada dans la région de Toronto, de Statistique Canada et de tous les participants à l’enquête qui ont rendu ce travail possible.
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