Rapports sur la santé
Renseignements sociodémographiques relatifs au risque de cancer de la thyroïde au Canada

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par Tracey Bushnik et William K. Evans

Date de diffusion : le 17 octobre 2018

L’incidence du cancer de la thyroïde a connu une croissance rapide au Canada au cours des 25 dernières annéesNote 1. Chez les femmes, le taux d’incidence normalisé selon l’âge a quintuplé pour atteindre, selon les prévisions, 29,1 pour 100 000 en 2017. Parallèlement, la hausse prévue de ce taux chez les hommes a quadruplé pour atteindre 8,8 pour 100 000Note 1. Malgré de nombreux rapports indiquant l’augmentation du risque chez les femmesNote 2Note 3Note 4Note 5, des études américaines et britanniques révélaient également des variations du risque en fonction de renseignements sociodémographiques comme l’appartenance ethnique, la scolarité et le revenuNote 6Note 7Note 8Note 9Note 10. Au Canada, l’examen de ces liens a été limité aux données à l’échelle provinciale seulement ou à des mesures au niveau de la régionNote 11Note 12Note 13, puisque peu de données sur ces caractéristiques étaient disponibles à l’échelle nationale.

Les Cohortes santé et environnement du recensement canadien (CSERCan) permettent maintenant d’examiner l’incidence du cancer à l’échelle du pays en fonction d’une variété de renseignements sociodémographiques au niveau de la personne. À l’aide des CSERCan de 1991 et de 2001, on examine, dans la présente étude, l’incidence du cancer de la thyroïde sur une période de suivi de neuf ans; on présente des estimations du risque relatif de cancer de la thyroïde selon le sexe, en fonction de l’âge, du statut d’immigrant, de l’appartenance ethnique, du niveau de scolarité et du revenu familial; on examine si les risques relatifs ont changé au fil du temps. Est également décrit le risque relatif de cancer de la thyroïde (carcinome papillaire par rapport aux autres types) selon le sexe, examiné par histologie, en fonction des mêmes caractéristiques.

Méthodes

Source des données

Les Cohortes santé et environnement du recensement canadien de 1991 et de 2001

Les Cohortes santé et environnement du recensement canadien (CSERCan) de 1991 et de 2001 sont des ensembles de données obtenues par couplage des réponses au questionnaire détaillé du recensement (rempli en 1991 et en 2001 par environ 20 % des ménages canadiens), à la Base canadienne de données sur la mortalité (BCDM), au Registre canadien du cancer (RCC), à la Base canadienne de données sur le cancer (BCDC) et aux fichiers de données fiscales. Des techniques de couplage déterministe et probabiliste standards ont été utilisées, et les détails relatifs à ces ensembles de données ont été publiés ailleursNote 14Note 15.

Le CSERCan de 1991 renfermait une cohorte de 2 644 400 membres (chiffre arrondi au centième près) ayant consenti au couplage de leurs données. Les membres de la cohorte étaient âgés de 25 ans ou plus le jour du recensement (4 juin 1991) et ne résidaient pas dans des établissements institutionnels. Le suivi des décès et du cancer s’échelonnait jusqu’au 31 décembre 2011 et au 31 décembre 2010, respectivement. La CSERCan de 2001 comptait 3 537 500 membres. Ceux-ci étaient âgés de 19 ans ou plus le jour du recensement (15 mai 2001) et ne résidaient pas dans des établissements institutionnels. Le suivi des décès et du cancer s’échelonnait jusqu’au 31 décembre 2011 et au 31 décembre 2013, respectivement. Les deux cohortes, réputées représentatives de la population canadienne, affichaient toutefois de fortes proportions de personnes mariées ou en union libre, qui avaient des niveaux de scolarité et de revenu élevés et étaient actives. Cette situation est en grande partie attribuable à la méthode de couplage, qui reposait sur la qualité de « déclarants » des répondants. Tous les chiffres ayant trait aux CSERCan sont arrondis au centième près.

Cancer de la thyroïde

Les Cohortes santé et environnement du recensement canadien (CSERCan) comportaient des données du Registre canadien du cancer (RCC) et de la Base canadienne de données sur le cancer (BCDC) couplées aux membres de la cohorte. Le RCC est un registre axé sur la personne et fondé sur la population créé en 1992. Il renferme des données recueillies par tous les registres provinciaux ou territoriaux du cancer qui sont déclarées à Statistique CanadaNote 16, tandis que la BCDC est une base de données historiques, axée sur les tumeurs, qui contient des cas de cancer diagnostiqués entre 1969 et 1991Note 17. Pour les besoins de la présente étude, le cancer de la thyroïde (CT) était relevé dans le RCC à partir de variables ayant trait au siège du cancer (CIM-O-2 et 3, code C739), au comportement (CIM-O-3, code 3) et à l’histologie (CIM-O-3, codes 8050, 8260, 8340, 8341, 8343, 8344 ou 8350 pour un carcinome papillaire; 8290, 8330, 8331, 8332 ou 8335 pour un carcinome folliculaire; 8345, 8346 ou 8510 pour un carcinome médullaire; 8012, 8020, 8021, 8030, 8031 ou 8032 pour un carcinome anaplasique; tous les autres codes correspondaient à « autre », à l’exception de 9050 à 9055, de 9140 et de 9590 à 9992). Dans la BCDC, le CT était désigné en tant que CIM9, code 193. Puisque les données sur le cancer du Québec ne sont plus disponibles après 2010, le suivi du cancer pour chaque cohorte portait sur une période de neuf ans. On a utilisé une période d’attente de 10 ans pour identifier et exclure les personnes qui avaient reçu un diagnostic de CT avant la création de la cohorte.

Dans la présente analyse, les critères d’admissibilité comprenaient des personnes âgées de 25 à 89 ans le jour du recensement, qui n’avaient pas reçu de diagnostic de CT durant la période d’attente. Ces critères ont mené à l’exclusion de 5 500 membres de la cohorte du CSERCan de 1991 parce que l’âge de référence était de moins de 25 ans ou de 90 ans ou plus. Un diagnostic de CT durant la période d’attente aura exclu 1 000 autres membres pour laisser dans la cohorte de 1991 un total de 2 637 900 membres. La période de suivi du cancer s’étendait du 1er janvier 1992 au 31 décembre 2001. Les mêmes critères d’exclusion appliqués au CSERCan de 2001 (325 900 exclusions dues à l’âge et 2 400 dues à l’attente) ont laissé dans la cohorte de 2001 un total de 3 209 200 membres. La période de suivi du cancer s’étendait du 1er janvier 2002 au 31 décembre 2010.

Covariables

Toutes les covariables découlent des données de recensement de référence. Les groupes d’âge au jour du recensement se classaient selon les catégories suivantes : de 25 à 34 ans, de 35 à 44 ans, de 45 à 54 ans, de 55 à 64 ans, de 65 à 74 ans et de 75 à 89 ans. L’état matrimonial correspondait à l’une des catégories suivantes : marié ou conjoint de fait; séparé, veuf ou divorcé; célibataire. On entendait par « statut d’immigrant » un non-immigrant (y compris les non-résidents permanents), un immigrant depuis 10 ans ou moins au Canada, ou un immigrant depuis plus de 10 ans au Canada. Pour ce qui est des analyses du modèle à risques, le statut d’immigrant a été scindé en deux, soit immigrant ou non-immigrant. La question sur le statut de minorité visible déterminait l’appartenance ethnique, laquelle était catégorisée en tant que Blanc, Noir, Asiatique de l’Est (Chinois, Coréen, Japonais), Asiatique du Sud-Est (p. ex. Philippin, Cambodgien, Indonésien, Vietnamien), Asiatique du Sud (p. ex. ressortissant des Indes orientales, Pakistanais, Sri-Lankais) ou autre (comprend tous les répondants qui n’entrent dans aucune des autres catégories). Le niveau de scolarité le plus élevé a été divisé selon les catégories suivantes : sans diplôme d’études secondaires; diplôme d’études secondaires; diplôme ou certificat d’études postsecondaires; grade universitaire. On a estimé les quintiles de suffisance du revenu pour la famille économique d’après le ratio du revenu total sur 12 mois avant impôt et après transferts au seuil de faible revenu (avant impôt et après transferts de l’année de référence précédant l’année de collecte du recensement) établi par Statistique Canada pour les groupes de taille de la famille économique et de la collectivité pertinents. Après une classification de ces ratios, on a produit des quintiles pour chaque région métropolitaine de recensement, chaque agglomération de recensement ou chaque région rurale et petite ville (extérieures aux régions métropolitaines de recensement ou aux agglomérations de recensement) afin de tenir compte des différences régionales en matière de coûts d’habitation. Aux fins de l’analyse selon l’histologie, le plus haut niveau de scolarité atteint et les quintiles de revenu ont été divisés en deux catégories (diplôme d’études secondaires ou inférieur contre diplôme d’études postsecondaires ou supérieur, et du premier au quatrième quintile contre le cinquième quintile [le plus élevé]).

Analyse statistique

Des statistiques descriptives ont servi à décrire les caractéristiques des cohortes et leur âge au moment du diagnostic de cancer de la thyroïde (CT). Les taux d’incidence du CT normalisés selon l’âge, pour 100 000 habitants (ceux normalisés pour la population de 1991 âgée de 25 à 89 ansNote 18) ont été estimés par sexe, par covariables et par type d’histologie). Des modèles à risques proportionnels standards de Cox ayant le décès comme événement de censure ont servi à examiner les liens entre certaines covariables et l’incidence de CTNote 19. Les rapports des risques instantanés (RRI), ajustés et non ajustés, et leur intervalle de confiance à 95 % (IC à 95 %) ont été estimés pour le CT pour chaque cohorte, selon le sexe. Les cohortes ont été combinées afin d’examiner le lien entre les covariables et le risque de cancer de la thyroïde de type carcinome papillaire (CTCP) par rapport au cancer de la thyroïde des autres types (CTAT), selon le sexe. Tous les modèles combinés comportaient une variable indicatrice de cohorte. Les interactions, testées entre la variable indicatrice de cohorte et chaque covariable, ont confirmé que l’orientation du rapport de chaque covariable avec le résultat ne variait pas de façon importante d’une cohorte à l’autre. Le test Q de Cochran a servi à tester l’homogénéité des RRI dans les différentes catégories d’appartenance ethniqueNote 20. En raison de l’hétérogénéité des éléments compris dans la catégorie d’appartenance ethnique « autre », les taux d’incidence du CT et les RRI n’ont pas été mentionnés.

Résultats

Comparativement aux membres la cohorte de 1991, ceux de la cohorte de 2001 étaient plus âgés et plus susceptibles d’être des immigrants au Canada, d’avoir une appartenance ethnique autre que « Blanc » et d’être titulaire d’un grade universitaire (tableau 1). Dans les deux cohortes, les femmes étaient plus susceptibles que les hommes d’être âgées de 75 à 89 ans, séparées, veuves ou divorcées, ou d’être dans le quintile de revenu le plus faible. Les femmes étaient en outre moins susceptibles que les hommes d’être blanches ou d’être titulaires d’un grade universitaire.

Incidence du cancer de la thyroïde

Les cohortes de 1991 et de 2001 comptaient environ 1 700 et 4 800 cas de cancer de la thyroïde (CT) déclarés, respectivement, durant les neuf ans de suivi. L’âge moyen des hommes au moment du diagnostic était le même dans les deux cohortes (56 ans), tandis que celui des femmes était plus élevé dans la cohorte de 2001, c’est-à-dire 52 ans par rapport à 49 ans dans la cohorte de 1991. Dans les deux cohortes, selon les deux sexes, les taux d’incidence du CT normalisés selon l’âge observés chez les immigrants, les Asiatiques de l’Est et les Asiatiques du Sud-Est (sauf les hommes de la cohorte de 1991) affichaient des valeurs nettement plus élevées que la moyenne (tableau 2). Il y avait un gradient de taux d’incidence du CT plus élevés chez les femmes ayant un niveau de scolarité plus élevé dans la cohorte de 1991, et pour les deux sexes dans la cohorte de 2001. En règle générale, les taux d’incidence du CT ont augmenté entre 1991 et 2001 pour toutes les caractéristiques examinées : les taux avaient presque doublé chez les hommes de la cohorte de 2001 comparativement à ceux de la cohorte de 1991 (8,4 par rapport à 4,4 pour 100 000), et plus que doublé chez les femmes (24,9 par rapport à 10,8 pour 100 000).

Dans les deux cohortes, le risque de CT était plus élevé chez les femmes que chez les hommes (RRI non ajusté de la cohorte de 1991 = 2,59; intervalle de confiance [IC] à 95 % : 2,33 à 2,88; RRI non ajusté de la cohorte de 2001 = 2,90; IC à 95 % : 2,71 à 3,10). Le tableau 3 présente les RRI ajustés, par sexe. Comparativement aux femmes blanches, les femmes asiatiques de l'Est et du Sud-Est étaient exposées à un risque plus élevé de CT dans les deux cohortes (p ≤ 0,05 pour l'hétérogénéité), tandis que les hommes asiatiques de l'Est étaient exposés à un risque de CT légèrement supérieur dans la cohorte de 1991 seulement. Le statut d'immigrant était associé à un risque accru chez les femmes des deux cohortes et chez les hommes de la cohorte de 2001. Les femmes titulaires d'un grade universitaire des deux cohortes et les hommes titulaires d'un diplôme d'études postsecondaires ou supérieur de la cohorte de 2001 affichaient un risque de CT supérieur à ceux n'ayant pas de diplôme d'études secondaires..

Type d’histologie

Le cancer de la thyroïde de type carcinome papillaire (CTCP) correspond à 71 % et à 78 % des cas de cancer de la thyroïde chez les hommes et les femmes, respectivement, dans la cohorte de 1991. Sa part augmente à 80 % et à 85 % chez les hommes et les femmes, respectivement, dans la cohorte de 2001.

Le taux d’incidence du CTCP normalisé selon l’âge s’avérait deux fois plus élevé chez les hommes de la cohorte de 2001 que chez ceux de la cohorte de 1991 (6,7 pour 100 000; IC à 95 % : 6,2 à 7,1 comparativement à 3,0 pour 100 000; IC à 95 % : 2,6 à 3,3), et près du triple chez les femmes (21,4 pour 100 000; IC à 95 % : 20,6 à 22,2 comparativement à 8,3 pour 100 000; IC à 95 % : 7,8 à 8,9) (figure 1). Chez les hommes, une légère augmentation du taux d’incidence normalisé selon l’âge du type d’histologie « autre » apparaissait entre les deux cohortes. Chez les femmes, le taux de cancer de la thyroïde de type carcinome folliculaire, médullaire et « autre » présentait une légère hausse.

Comparativement aux hommes de 25 à 34 ans, ceux de 45 à 74 ans étaient exposés à un risque plus élevé de CTCP, et les hommes plus âgés, à un risque encore plus élevé de cancer de la thyroïde des autres types (CTAT) (tableau 4). Même si le risque de CTAT chez les femmes plus âgées s’avérait plus élevé, celui de CTCP diminuait avec l’âge.

Une variation importante du risque de CTCP se dessinait chez les hommes et les femmes des catégories d’appartenance ethnique (p ≤ 0,02 pour l’hétérogénéité) qui était absente dans le CTAT. Le risque de CTCP était plus élevé chez les hommes asiatiques de l’Est ( RRI = 1,39; IC à 95 % : 1,08 à 1,80), les femmes asiatiques de l’Est (RRI = 1,38; IC à 95 % : 1,20 à 1,58) et les femmes asiatiques du Sud-Est (RRI = 1,59; IC à 95 % : 1,33 à 1,90) que chez les femmes et hommes blancs. Les immigrants, hommes et femmes, qui étaient titulaires d’un diplôme d’études postsecondaires ou supérieur et qui se trouvaient dans le quintile de revenu le plus élevé affichaient un risque de CTCP plus élevé. Le risque de CTAT se révélait également plus élevé chez les femmes immigrantes (RRI = 1,51; IC à 95 % : 1,27 à 1,80) et les femmes asiatiques du Sud-Est (RRI = 1,65; IC à 95 % : 1,07 à 2,56).

Discussion

La présente étude a permis de mettre en évidence le fait que le risque de cancer de la thyroïde variait en fonction de plusieurs renseignements sociodémographiques dans les deux cohortes fondées sur la population, à 10 ans d’écart. Quelle que soit la cohorte, les femmes faisaient face à un plus grand risque de cancer de la thyroïde (CT) que les hommes. De plus, les femmes immigrantes, celles originaires de l’Asie de l’Est ou du Sud-Est ou celles qui avaient un grade universitaire faisaient toutes face à un risque plus élevé de CT. Dans la cohorte de 2001, les hommes étaient exposés à un risque plus élevé de CT s’ils étaient immigrants ou titulaires d’un diplôme d’études postsecondaires ou supérieur. Dans la prise en considération du CT par histologie, le statut d’immigrant, le niveau de scolarité et le revenu sont associés individuellement au risque de cancer de la thyroïde de type carcinome papillaire (CTCP) chez les deux sexes, alors que — chez les femmes seulement — le statut d’immigrant et l’appartenance ethnique étaient associés au risque de cancer de la thyroïde des autres types (CTAT).

Les femmes présentent des taux d’incidence généraux de CT plus élevés que les hommes, quel que soit leur état matrimonial ou leur statut d’immigrant, leur appartenance ethnique, leur scolarité ou leur revenu, et ce fossé entre les hommes et les femmes s’est élargi au fil du temps. Malgré les nombreux rapports faisant état de cette disparité entre les sexesNote 2Note 3Note 4Note 5, celle-ci n’est pas entièrement comprise. Elle pourrait notamment s’expliquer par un dépistage accru en raison de taux d’analyses en imagerie diagnostique nettement plus élevés chez les femmes en général que chez les hommesNote 21, et par des facteurs liés aux hormones ou à la reproductionNote 22Note 23Note 24. Toutefois, les facteurs liés aux hormones ou à la reproduction n’expliquent pas à eux seuls la transition de l’absence de différence dans le risque relié à l’âge dans la cohorte de 1991 vers une relation en « U » inversé chez les femmes de la cohorte de 2001, où les femmes de 35 à 54 ans affichaient un risque de CT plus élevé que les femmes de moins de 35 ans ou de 65 ans ou plus. Plutôt, on a avancé que l’introduction de l’échographie dans les milieux gynécologiques et obstétriques avait donné lieu à une plus grande fréquence d’examens de la glande thyroïde chez les femmes en âge de procréationNote 25. Ce fait, jumelé aux taux croissants d’analyses en imagerie diagnostique chez les femmes en généralNote 21, permettrait d’expliquer le risque accru de CT, et particulièrement de CTCP, chez les femmes pendant leurs années de féconditéNote 26Note 27Note 28.

Comparativement aux femmes non immigrantes, les femmes immigrantes des deux cohortes et les hommes de la cohorte de 2001 affichaient un risque de CT plus élevé, quel que soit leur âge, leur appartenance ethnique, leur scolarité ou leur revenu. Shah et coll. ont aussi révélé un risque accru de CT chez les immigrants asiatiques de l’Ontario, résultats indépendants des visites en soins primaires et de l’intensité des analyses en radiologie diagnostiqueNote 13. Ils ont également indiqué que, dans leur étude, les immigrants avaient habituellement moins recours au système de santé, ce qui portait à croire qu’un dépistage accru n’explique pas l’accroissement du risque au sein de ce groupe de population. Même si la présente étude ne comportait pas de données sur l’utilisation des services de santé, elle a tenu compte du niveau de scolarité et du revenu, que certains considèrent comme des marqueurs de l’accès aux services de soins de santé et de leur utilisationNote 9. Il s’ensuit que le risque accru chez les immigrants révélé dans la présente étude, comme dans les résultats de Shah et coll., ne peut pas être uniquement attribuable aux différences en matière de dépistage. Par contre, les différences en matière d’alimentation, de comportement, de comorbidité, d’expositions environnementales antérieures (notamment aux rayonnements) ou de maladie thyroïdienne préexistante pourraient être en causeNote 29Note 30Note 31Note 32Note 33Note 34.

Les femmes asiatiques de l’Est et du Sud-Est des deux cohortes faisaient face à un risque plus élevé de CT que leurs homologues blanches, quel que soit leur âge, leur statut d’immigrant, leur scolarité ou leur revenu. Ces résultats concordent avec ceux d’études qui portent sur des groupes asiatiques en Angleterre et aux États-UnisNote 8Note 30. Un examen des résultats par type d’histologie a montré que le risque accru chez les femmes asiatiques de l’Est observé dans cette étude était attribuable au CTCP, tandis que le risque accru chez les femmes asiatiques du Sud-Est était attribuable à la fois au CTCP et au CTAT. Il est intéressant de constater que les hommes asiatiques du Sud-Est faisaient également face à un risque accru de CTAT. Le fait que ces résultats demeurent, même si l’étude a pris en compte le statut d’immigrant, indiquerait que des facteurs indépendants du pays d’origine seraient en cause. Une exposition différentielle à des facteurs comme une maladie thyroïdienne héréditaire, ou une carence ou un excédent d’iode, contribuerait à faire augmenter le risque au sein de ces groupes de populationNote 30Note 35.

À l’instar des autres études qui ont révélé un lien entre un statut socioéconomique (SSE) plus élevé et l’incidence de CTNote 6Note 9Note 10Note 11, la présente étude a permis d’établir que, quelles que soient les autres caractéristiques, les hommes et les femmes se trouvant dans le quintile de revenu le plus élevé ou titulaires d’un diplôme d’études postsecondaires ou supérieur faisaient face à un risque plus élevé de recevoir un diagnostic de CTCP, mais pas de CTAT. Cela s’expliquerait peut-être par une plus forte utilisation de l’imagerie diagnostique chez les personnes ayant un SSE plus élevé. Hall et coll. ont montré que les régions de l’Ontario ayant une plus forte proportion de personnes plus scolarisées présentaient des taux plus élevés d’échographies diagnostiques et de cancer de la thyroïdeNote 12.

Enfin, l’observation d’une nette augmentation de l’incidence de CT, et particulièrement de l’histologie de type CTCP entre les deux cohortes et pour tous les renseignements socioéconomiques, concorde avec les tendances mondialesNote 2Note 3Note 4Note 36Note 37. Cela témoigne non seulement des changements relatifs aux pratiques diagnostiques qui ont mené à un dépistage accru de ces tumeursNote 2Note 25Note 31Note 38Note 39, mais aussi du risque relatif plus élevé chez certains groupes (p. ex. les immigrants) qui, dans la présente étude, représentent une proportion croissante de la population canadienne. Que cette variation du risque relatif perdure indiquerait que d’autres facteurs que le dépistage accru sont à l’origine des écarts observés entre les groupes. Les facteurs de risque mentionnés plus haut, à savoir l’alimentation, les expositions environnementales, la comorbidité et l’héréditéNote 29Note 30Note 31Note 32Note 33Note 34Note 35, ainsi que d’autres facteurs comme l’accès aux services de soins de santé et les caractéristiques du médecin, sont tous susceptibles de contribuer à ces écarts.

Forces et limites

La présente étude comporte un certain nombre de forces. Il s’agit d’une analyse fondée sur la population de deux grandes cohortes, chacune étant soumise à un suivi de neuf ans. Les ensembles de données ont permis de procéder à l’examen de plusieurs caractéristiques au-delà de l’âge et du sexe, notamment des mesures au niveau de la personne du statut socioéconomique. Contrairement à d’autres études sur la race ou l’appartenance ethnique, la présente étude a permis d’examiner à la fois l’ethnicité et le statut d’immigrant afin de démêler leurs liens distinctifs avec le risque de cancer de la thyroïde (CT). Grâce à la combinaison des deux cohortes, un examen plus approfondi des facteurs de risque liés au cancer de la thyroïde de type carcinome papillaire (CTCP) par rapport aux cancers de la thyroïde des autres types (CTAT) a pu être réalisé.

Néanmoins, cette étude comporte aussi plusieurs limites. Le nombre de cas de cancer de la thyroïde étant relativement faible, surtout dans la cohorte de 1991, une analyse plus poussée par type d’histologie n’a pas pu être réalisée. L’analyse de catégories d’appartenance ethnique moins regroupées s’avérait impossible en raison des changements au fil du temps de la classification des agrégats d’appartenance à une minorité visible du recensement. De plus, cette analyse ne comporte aucune estimation de l’incidence de CT et des rapports des risques instantanés pour la catégorie d’appartenance ethnique « autre », puisqu’elle renferme un large éventail d’ethnicités vraisemblablement exposées à divers niveaux de risque de cancer de la thyroïde. Par exemple, les personnes originaires des îles du Pacifique, qui ont été regroupées avec les Asiatiques du Sud-Est dans une précédente rechercheNote 30, faisaient partie de la catégorie « autre », comme l’étaient les Latino-américains, un groupe de personnes issues de nombreux pays qui ont présenté une variété de profils de risque dans une recherche antérieureNote 3. Les cohortes ne présentaient pas de données sur la taille de la tumeur ou son stade d’évolution pour la période analysée, et les données sur l’alimentation, le comportement, la comorbidité ou les antécédents familiaux de CT n’étaient pas disponibles. La période d’attente de 10 ans n’était pas assez longue pour éviter la saisie de certains cas récurrents de cancer de la thyroïde au lieu de nouveaux dans la période de suivi.

Conclusion

L’incidence du cancer de la thyroïde a augmenté de manière importante au Canada. Bien qu’un dépistage accru y ait joué un rôle, surtout en ce qui a trait au cancer de la thyroïde de type carcinome papillaire, il n’explique pas totalement le risque relatif plus élevé de cancer de la thyroïde au sein de la population des immigrants et dans des groupes ethniques spécifiques. Le fait de savoir que certains groupes font face à un risque plus élevé permet de mieux cibler les programmes de sensibilisation et de traitement, mais il faudra mener de plus amples recherches pour mieux comprendre les déterminants du risque accru au sein de ces populations.

Références
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