Rapports sur la santé
L’accès aux services de consultation en santé mentale par les immigrants et réfugiés au Canada

par Edward Ng et Haozhen Zhang

Date de diffusion : le 16 juin 2021

DOI : https://www.doi.org/10.25318/82-003-x202100600001-fra

Au Canada, la proportion d’immigrants et de réfugiés a atteint 22 % en 2016, un sommet historique depuis près d’un siècleNote 1. On s’attend à ce que l’immigration constitue à l’avenir un important moteur de l’économie canadienne et de la croissance démographique au paysNote 2. À mesure que le nombre d’immigrants augmente, et puisque le processus d’immigration et les défis subséquents liés à l’établissement peuvent être stressantsNote 3Note 4Note 5Note 6, il devient particulièrement important pour les décideurs et les fournisseurs de services de mieux comprendre les problèmes de santé mentale des nouveaux arrivants et la manière dont ils utilisent les services. Des travaux de recherche en santé mentale sont nécessaires, particulièrement en ce qui concerne la population des immigrants et les sous-groupes comme les réfugiés. En raison des lacunes statistiques existantes, peu d’études quantitatives ont porté sur les problèmes de santé mentale des immigrants en fonction de leur catégorie d’admission et celles qui l’ont fait ont, de manière générale, révélé que les réfugiés éprouvaient plus de stress ou avaient plus de problèmes de santé mentale (comparativement aux autres immigrants ou à la population née au Canada)Note 7Note 8. Une de ces études, fondée sur une enquête nationale sur la santé (c.-à-d. l’Enquête sur la santé dans les collectivités canadiennes [ESCC]) récemment couplée à la Base de données longitudinales sur l’immigration (BDIM), a montré que, avant correction pour tenir compte des facteurs socioéconomiques et démographiques, les immigrants, et les réfugiés en particulier, étaient moins susceptibles que les répondants nés au Canada d’avoir un niveau élevé de santé mentale autodéclarée (SMAD)Note 8. Les niveaux de SMAD différaient considérablement en fonction de la région d’origine des immigrants et du temps passé au Canada; par exemple, les immigrants récents et ceux en provenance de l’Afrique du Nord, du Moyen-Orient, de l’Asie de l’Ouest et de l’Asie de l’Est présentaient des niveaux de SMAD plus bas que la population née au Canada. Puisque les consultations en santé mentale (CSM) sont importantes pour prévenir la maladie mentale et promouvoir le bien-être psychologiqueNote 9Note 10, il est nécessaire de vérifier s’il existe une corrélation entre un plus bas niveau de SMAD et l’absence de CSM.

Très peu d’études portent sur l’accès des immigrants aux services de santé mentale en fonction des caractéristiques détaillées propres aux immigrants à l’échelle du Canada. Pourtant, cette information aiderait à concevoir des services plus efficaces et plus accessibles. Par exemple, on pourrait offrir plus de soutien ou de services aux nouveaux arrivants et aux immigrants ou aux réfugiés à faible revenu si l’on constatait que ces immigrants ont un moins bon accès aux services de santé mentale que les autres groupes de population. Une telle adaptation des services pourrait favoriser l’intégration des immigrants dans la société et l’économie. Ces études limitées sur l’utilisation des services de santé mentale par catégorie d’admission ont été menées à l’échelle provinciale grâce au couplage avec les données sur l’arrivée des immigrantsNote 11Note 12. De manière générale, elles sont arrivées à la conclusion que des travaux de recherche subséquents devraient porter sur le lien entre les besoins en santé mentale et l’utilisation des services, surtout chez les groupes plus vulnérables comme les réfugiés. La présente étude complète les études réalisées précédemment en traitant des niveaux de SMAD chez les immigrantsNote 8. Elle contribue à la littérature en tant que première étude interprovinciale visant à examiner l’utilisation des services de santé mentale en fonction de la catégorie d’admission des immigrants, du temps passé au Canada et de la région d’origine au moyen de la même enquête nationale sur la santé couplée aux renseignements sur l’établissement des immigrants, tout en tenant explicitement compte du niveau de SMAD des répondants. L’étude fournit une description plus complète et détaillée du recours aux services de santé mentale, tant par les immigrants que par la population née au Canada.

Données et méthodes

Sources des données

La présente étude est fondée sur les données de quatre cycles de l’ESCC (de 2011 à 2014) couplées à celles de la BDIM. Celles-ci ont servi à des travaux antérieurs, à une différence prèsNote 8. Puisque la question sur les CSM a été adoptée et posée dans les cycles sélectionnés dans seulement cinq provinces et deux territoires (à savoir la Colombie-Britannique, le Manitoba, l’Ontario, le Québec, Terre-Neuve-et-Labrador, les Territoires du Nord-Ouest et le Nunavut), l’échantillon global a été réduit en conséquence. Menée pour la première fois en 2001 (cycle 1.1), l’ESCC comprend des renseignements transversaux sur la santé, les comportements et le recours aux soins de santé de la population à domicile ne résidant pas dans un établissement institutionnel, âgée de 12 ans et plusNote 13. Dans l’ensemble, environ 84 % des répondants de l’ESCC ont accepté que leurs données soient partagées et couplées à d’autres sources de données.

Le Fichier des immigrants reçus (FIR) est un recensement administratif des immigrants arrivés au Canada entre 1980 et 2016 qui contient des renseignements démographiques et d’autres caractéristiques propres aux immigrants au moment de leur établissement (p. ex. la catégorie d’admission). La BDIM combine l’information du FIR et des fichiers canadiens de données fiscales des immigrants. Ni le FIR ni la BDIM ne comprennent de renseignements relatifs à la santéNote 14Note 15. Le couplage des données de l’ESCC et de celles la BDIM a été effectué dans l’Environnement de couplage des données sociales à Statistique Canada, en utilisant une base de données relationnelle dynamique d’identificateurs personnels de base : le Dépôt d’enregistrements dérivésNote 16Note 17Note 18. Des précisions sur les enquêtes, le couplage et sa validation figurent dans d’autres documentsNote 19Note 20.

Création et définition de la cohorte à l’étude

La présente étude était fondée sur une cohorte globale regroupée de répondants à l’ESCC annuelle qui ont accepté que leurs renseignements soient couplés et partagés (n = 208 920). Les « personnes nées au Canada » désignent les répondants qui ont déclaré être nés au Canada, tandis que les « immigrants » désignent les répondants à l’ESCC couplés à la BDIM (n = 39 420). Il convient de mentionner qu’il existe au sein de la population des immigrants des disparités en ce qui concerne le moment de leur arrivée, leur provenance et la raison pour laquelle ils sont venus au Canada. Ont été exclus de l’échantillon les répondants à l’ESCC de l’échantillon regroupé s’étant déclarés immigrants arrivés au Canada avant 1980 (n = 3 350) et de ceux autodéclarés comme immigrants arrivés après 1980, mais dont le couplage à la BDIM a échoué (n = 785). La cohorte définitive de l’étude, tirée des enquêtes annuelles menées entre 2011 et 2014, comprenait 10 130 immigrants et 128 655 répondants nés au Canada représentatifs d’une population totale de 21 millions de personnes résidant dans les cinq provinces et les deux territoires mentionnés précédemment, soit les secteurs de compétence qui ont recueilli le contenu optionnel associé aux principales variables dépendantes de l’étude.

Résultats et principales variables associées à l’immigration

Le principal résultat de la présente étude est la déclaration d’une CSM, qui est caractérisée par un seul élément dichotomique (réponse par oui ou par non) : on a demandé aux répondants s’ils avaient consulté, au cours des 12 mois précédents, un professionnel de la santé mentale au sujet de leur santé émotionnelle ou mentale. Dans le présent document, avoir eu recours à une CSM signifie que le répondant a indiqué une CSM au cours de l’année précédant l’enquête. Le niveau de SMAD a été mesuré à l’aide d’une seule question, dans le cadre de laquelle les répondants devaient évaluer leur santé mentale globale sur une échelle de cinq points allant de « excellente » à « mauvaise ». Les personnes qui ont déclaré avoir une « excellente » ou une « très bonne » santé mentale ont été considérées comme ayant un niveau élevé de SMAD.

Trois principales dimensions de l’immigration ont été utilisées dans la présente étude. Premièrement, le temps écoulé depuis l’établissement a été défini comme la différence entre l’année de l’établissement selon la BDIM et l’année de l’ESCC. Les immigrants ont ensuite été classés dans les catégories « récents » (ceux sondés moins de 10 ans après leur arrivée) et « de longue date » (ceux vivant au Canada depuis 10 ans ou plus). Deuxièmement, les catégories d’admission des immigrants comprenaient la catégorie économique, la catégorie du regroupement familial, les réfugiés et les autres. Étant donné la taille relativement petite de la catégorie des « autres immigrants » (n = 435), les résultats de cette catégorie ne sont pas présentés séparément, bien que ces personnes soient comprises dans les résultats qui concernent l’ensemble des immigrants. Troisièmement, les pays de naissance des immigrants ont été classés dans huit régions d’origine : 1) les États-Unis + (ce qui comprend les États-Unis, l’Australie, la Nouvelle-Zélande et l’Europe de l’Ouest); 2) l’Amérique latine et les Caraïbes; 3) l’Europe de l’Est; 4) l’Afrique subsaharienne; 5) l’Afrique du Nord, le Moyen-Orient et l’Asie de l’Ouest; 6) l’Asie du Sud; 7) l’Asie du Sud-Est; 8) l’Asie de l’Est. De plus amples renseignements figurent dans d’autres documentsNote 8.

Caractéristiques démographiques, sociales et économiques sélectionnées dans l’Enquête sur la santé dans les collectivités canadiennes

Les facteurs démographiques comprennent l’âge (12 à 24 ans, 25 à 39 ans, 40 à 64 ans ou 65 ans et plus) et le sexe (homme ou femme). Les caractéristiques sociales comprennent les compétences autodéclarées en matière de langues officielles (français et anglais, français seulement, anglais seulement, ni français ni anglais), le niveau de scolarité (sans études postsecondaires, études postsecondaires ou niveau de scolarité plus élevé) et l’état matrimonial (marié ou en union libre; veuf, séparé ou divorcé; célibataire ou jamais marié). Les caractéristiques économiques comprenaient le décile de revenus des ménages, mesuré à l’échelle de la région sociosanitaire et classé selon les catégories des 20 % inférieurs, des 60 % intermédiaires et des 20 % supérieurs. La situation d’emploi des répondants a été classée selon qu’ils avaient un emploi, n’avaient pas d’emploi ou étaient dans l’incapacité permanente de travailler durant la semaine précédant l’ESCC. Enfin, le sentiment d’appartenance des répondants à leur collectivité locale a été considéré comme fort, s’ils répondaient « fort » ou « très fort » sur une échelle de cinq points, ou comme « faible » (les trois autres options sur l’échelle). Des études indiquent que le sentiment d’appartenance à la collectivité est fortement corrélé à la santé physique et mentaleNote 21Note 22.

Méthodes

Les caractéristiques descriptives de la cohorte à l’étude et la prévalence d’avoir eu recours à une CSM ont été présentées tant pour les personnes nées au Canada que pour l’ensemble des immigrants et selon la catégorie d’admission. Une régression logistique multivariée a permis d’examiner la probabilité que les immigrants aient eu recours à une CSM selon leur niveau de SMAD et en fonction de diverses dimensions de l’immigration, en utilisant comme groupe de référence les répondants nés au Canada ayant des niveaux élevés de SMAD. Les dimensions de l’immigration comprennent l’ensemble des immigrants, selon leur catégorie d’admission, selon le temps écoulé depuis leur établissement et selon leur région d’origine. Des modèles distincts ont été utilisés pour présenter les rapports de cotes bruts et corrigés d’une CSM en fonction des dimensions de l’immigration susmentionnées recoupées avec les niveaux de SMAD. Ces modèles distincts ont été corrigés pour tenir compte hiérarchiquement de facteurs démographiques, sociaux et économiques ainsi que du sentiment d’appartenance des répondants à la collectivité locale. Toutes les analyses ont été effectuées dans le système d’analyse statistique SAS et SUDAAN à l’aide de poids de partage/couplage combinés de l’ESCC et de poids bootstrap pour l’estimation de la variance.

Résultats

Cohorte à l’étude

La cohorte à l’étude était représentative d’environ 17 millions de personnes nées au Canada et de 3,6 millions d’immigrants, dont 53 % se classaient dans la catégorie de l’immigration économique, 30 % dans celle du regroupement familial et 13 % dans celle des réfugiés. Près de 80 % des immigrants étaient en âge de travailler (c.-à-d. âgés de 25 à 64 ans), comparativement à 63 % des répondants nés au Canada (tableau 1). La plupart des immigrants (65 %) étaient considérés comme des immigrants de longue date (c.-à-d. qu’ils étaient arrivés au moins 10 ans avant de participer à l’enquête); cette proportion variait de 58 % chez les immigrants de la catégorie économique à un maximum de 75 % chez les réfugiés. La majorité des immigrants provenaient d’Asie ou du Moyen-Orient (57 %).

En ce qui concerne les caractéristiques socioéconomiques, les personnes nées au Canada étaient plus susceptibles de maîtriser les deux langues officielles ou le français seulement, tandis que les immigrants étaient plus susceptibles que les personnes nées au Canada de maîtriser uniquement l’anglais. Environ 5 % des immigrants ont déclaré ne maîtriser ni le français ni l’anglais. Proportionnellement, un plus grand nombre d’immigrants que de personnes nées au Canada ont déclaré être mariés ou vivre en union libre, avoir un emploi ou avoir fait des études postsecondaires, mais ils étaient plus nombreux à se situer dans un décile de revenu classé dans la catégorie des 20 % inférieurs (tableau 1). Dans l’ensemble, les taux d’immigrants et de répondants nés au Canada qui ont déclaré un fort sentiment d’appartenance à la collectivité locale étaient semblables (65 % et 64 %, respectivement), mais les immigrants étaient moins susceptibles que les répondants nés au Canada de déclarer un niveau élevé de SMAD (70 % et 73 %, respectivement). Une certaine hétérogénéité a été observée parmi les immigrants issus des différentes catégories d’admission. Par exemple, un pourcentage plus élevé d’immigrants de la catégorie économique possédaient un diplôme d’études postsecondaires, avaient un emploi et se situaient dans un décile de revenu classé dans la catégorie des 60 % intermédiaires ou de 20 % supérieurs, comparativement au pourcentage pour l’ensemble des immigrants.

Consultation en santé mentale par les répondants nés au Canada comparativement aux immigrants, selon leurs caractéristiques

Dans l’ensemble, les immigrants étaient toujours moins susceptibles de déclarer des CSM que leurs homologues nés au Canada, peu importe leur âge, leur sexe, leurs compétences en matière de langues officielles, leur niveau de scolarité, leur revenu et leur emploi, leur sentiment d’appartenance à la collectivité locale et leur niveau de SMAD (tableau 2). Les immigrants de longue date présentaient des taux de CSM supérieurs à ceux des immigrants plus récents, tout comme ceux provenant de la région des États-Unis + comparativement à ceux d’autres régions du monde. Chez les immigrants qui éprouvaient un fort sentiment d’appartenance à la collectivité et chez ceux qui ont déclaré des niveaux élevés de SMAD, les taux de CSM tendaient à être plus bas. Cela s’est avéré exact tant au sein de la population née au Canada que chez l’ensemble des immigrants. Toutefois, la proportion de personnes qui avaient eu recours à des CSM variait quelque peu selon les catégories d’admission des immigrants.

La relation entre le revenu du ménage et les CSM était différente chez les répondants nés au Canada par rapport aux répondants immigrants. Chez les répondants nés au Canada, cette relation était négative, en ce sens que la proportion de personnes ayant déclaré une CSM augmentait à mesure que le revenu du ménage diminuait : 19 % des répondants nés au Canada dont le revenu du ménage se situait dans la tranche inférieure de 20 % de la répartition ont déclaré une CSM, comparativement à 12 % de ceux des ménages de la catégorie de revenu supérieure. En revanche, la proportion d’immigrants ayant déclaré des CSM variait à peine selon le revenu du ménage, allant de 7,3 % à 8,4 % selon les différents groupes de revenu. Toutefois, on a observé chez les immigrants de la catégorie économique une relation positive entre les CSM et le revenu du ménage, comparativement aux personnes nées au Canada : 5 % des répondants de la catégorie économique dont le revenu du ménage se situait dans la tranche inférieure de 20 % ont déclaré avoir eu recours à une CSM, comparativement à 8 % dans les ménages de la tranche de revenu supérieure.

Comparaison multivariée entre répondants nés au Canada et répondants immigrants selon la santé mentale autodéclarée

Alors que les répondants nés au Canada ayant des niveaux élevés de SMAD servaient de groupe de référence, des modèles de régression logistique ont été utilisés pour examiner la variation des CSM déclarées en fonction des caractéristiques de l’immigration et du niveau de SMAD. Les résultats ont démontré que le fait de corriger pour tenir compte des facteurs démographiques et des autres variables supplémentaires n’a pas eu d’incidence sur les principaux résultats. Selon les résultats entièrement corrigés, les immigrants présentant des niveaux élevés de SMAD étaient statistiquement moins susceptibles que le groupe de référence de consulter des professionnels de la santé mentale (rapport de cotes [RC] = 0,5 pour un intervalle de confiance [IC] à 95 % allant de 0,4 à 0,6; tableau 3, modèle A). Statistiquement, les immigrants présentant de bas niveaux de SMAD étaient beaucoup plus susceptibles de déclarer des CSM (RC = 1,8 pour un IC à 95 % allant de 1,5 à 2,1) comparativement au groupe de référence, mais à un taux très inférieur à celui des répondants nés au Canada ayant de bas niveaux de SMAD (RC = 4,8 pour un IC à 95 % allant de 4,5 à 5,1).

Le tableau 3 présente également les résultats pour les immigrants en fonction de diverses dimensions de l’immigration, toujours lorsque la population née au Canada présentant des niveaux élevés de SMAD est utilisée comme groupe de référence. Tout d’abord, un examen des disparités selon la catégorie d’admission (tableau 3, modèle B) a révélé que les immigrants présentant des niveaux élevés de SMAD, en particulier les réfugiés (RC = 0,4 pour un IC à 95 % allant de 0,2 à 0,6), étaient beaucoup moins susceptibles de déclarer des CSM comparativement au groupe de référence né au Canada ayant des niveaux élevés de SMAD. À l’inverse, les immigrants présentant de bas niveaux de SMAD, en particulier ceux de la catégorie du regroupement familial (RC = 2,0 pour un IC à 95 % allant de 1,5 à 2,6), étaient significativement plus susceptibles de déclarer des CSM comparativement au groupe de référence. Fait important, les réfugiés ayant de bas niveaux de SMAD présentaient également des taux de CSM légèrement plus élevés que ceux du groupe de référence, soit la population née au Canada ayant des niveaux élevés de SMAD (RC = 1,6 pour un IC à 95 % allant de 1,1 à 2,3).

Pour ce qui est du temps écoulé depuis l’établissement (tableau 3, modèle C), les immigrants qui présentaient des niveaux élevés de SMAD étaient beaucoup moins susceptibles de déclarer des CSM, qu’ils soient arrivés récemment (RC = 0,4 pour un IC à 95 % allant de 0,3 à 0,6) ou depuis plus longtemps (RC = 0,5 pour un IC à 95 % allant de 0,4 à 0,6). À l’inverse, les cotes exprimant la possibilité de déclarer des CSM étaient légèrement élevées chez les immigrants de longue date ayant de bas niveaux de SMAD (RC = 1,9 pour un IC à 95 % allant de 1,6 à 2,3); chez les immigrants récents ayant de bas niveaux de SMAD, les cotes n’étaient que légèrement supérieures à celles du groupe de référence (RC = 1,5 pour un IC à 95 % allant de 1,1 à 2,1).

Enfin, en ce qui concerne les régions d’origine (tableau 3, modèle D),  parmi les immigrants présentant des niveaux élevés de SMAD, seuls ceux provenant des États-Unis + étaient pratiquement aussi susceptibles que le groupe de référence de déclarer des CSM (RC = 0,9 pour un IC à 95 % allant de 0,7 à 1,3), tandis que les cotes exprimant la possibilité de déclarer des CSM étaient nettement plus faibles que dans le groupe de référence chez les immigrants de la plupart des autres régions du monde, en particulier ceux provenant de l’Afrique du Nord, du Moyen-Orient ainsi que de l’Asie de l’Ouest, du Sud, du Sud-Est et de l’Est (RC = 0,2 pour un IC à 95 % allant de 0,1 à 0,4 pour ceux de l’Asie de l’Est, par exemple). Parmi les personnes présentant de bas niveaux de SMAD, les cotes exprimant la possibilité de déclarer des CSM étaient nettement plus élevées chez les immigrants de certaines régions du monde, en particulier chez ceux des États-Unis + (RC = 4,9 pour un IC à 95 % allant de 3,5 à 6,7), de l’Europe de l’Est (RC = 3,1 pour un IC à 95 % allant de 2,0 à 4,9), de l’Amérique latine et des Caraïbes ainsi que de l’Afrique subsaharienne. Chez d’autres, en particulier ceux de l’Asie de l’Est (RC = 0,7 pour un IC à 95 % allant de 0,4 à 1,3), les cotes exprimant la possibilité de déclarer des CSM étaient semblables à celles du groupe de référence. Dans l’ensemble, il est important de noter que la plupart des immigrants provenant d’Asie, quel que soit leur niveau de SMAD, présentaient des cotes exprimant la possibilité de déclarer des CSM beaucoup plus faibles que celles des répondants nés au Canada ayant de bas niveaux de SMAD.

Discussion

Il s’agit de la première étude menée dans plusieurs provinces qui, à l’aide de la base de données couplée combinant les données de l’ESCC et de la BDIM, permet d’examiner les CSM en tenant compte du niveau de santé mentale (niveau de SMAD). La richesse des données relatives à la santé tirées de l’ESCC est accentuée par le couplage avec la BDIM, ce qui enrichit les analyses de caractéristiques propres aux immigrants. L’étude mentionne la différence dans la déclaration des CSM entre la population née au Canada et les immigrants dans leur ensemble et selon leur catégorie d’admission (y compris le statut de réfugié), le temps passé au Canada depuis leur établissement, ainsi que leur région d’origine, tout en tenant compte des facteurs déterminants des CSM, comme l’état de SMAD et les caractéristiques socioéconomiques.

Quatre principaux constats se dégagent de la présente étude sur les CSM autodéclarées.

Premièrement, il existe une corrélation négative générale entre la SMAD et les CSM, tant chez les personnes nées au Canada que chez les immigrants, mais la force de cette corrélation différait quelque peu entre les deux populations. Les répondants nés au Canada étaient beaucoup plus susceptibles d’avoir eu recours à des CSM que leurs homologues immigrants, si l’on tient compte de leur SMAD. Cela corrobore les résultats d’études antérieures selon lesquels les immigrants étaient moins susceptibles que leurs homologues nés au Canada de déclarer avoir eu recours à des CSM, même après la prise en compte de leur état de santé mentaleNote 3. Cette ampleur différentielle, selon le statut d’immigrant, peut résulter d’un obstacle structurel, comme une difficulté à se déplacer ou à obtenir la permission de se faire traiter pendant les heures de travail, d’obstacles culturels, y compris le manque de services de santé mentale adaptés sur le plan linguistique et culturel, ou d’autres obstacles rencontrés lors de la recherche de services en santé mentale. Elle pourrait aussi simplement traduire une crainte d’être stigmatisé, ce qui pourrait être plus répandu dans le pays d’origine de nombreux immigrants racisésNote 3, même si la stigmatisation liée à la santé mentale existe dans tous les pays et toutes les collectivités, et pas seulement au sein des populations des immigrants. La stigmatisation se manifeste différemment, mais elle existe même chez les personnes nées au Canada, aussi bien que chez les immigrants. De plus, les personnes peuvent consulter des professionnels de la santé mentale pour différentes raisons, lesquelles peuvent varier selon le niveau de santé mentale. Chez les personnes dont la santé mentale est relativement mauvaise, les CSM peuvent mettre l’accent sur la gestion de la maladie mentale et de ses symptômes. Chez les personnes qui présentent des niveaux élevés de SMAD, en particulier chez les répondants nés au Canada (et moins probablement chez les immigrants), une CSM peut servir au maintien et à l’amélioration de la santé ainsi qu’à la prévention des maladies. Cela pourrait être lié à l’approche traditionnelle inhérente à la façon dont la santé mentale est pratiquée au Canada, comparativement au reste du mondeNote 23Note 24. Par ailleurs, les différences de perception au sein d’un groupe ethnique quant à l’utilité et à l’acceptabilité d’avoir recours à des services de santé mentale peuvent également expliquer les disparités dans l’utilisation des services. Par exemple, certaines personnes ayant de bas niveaux de SMAD pourraient penser que les CSM ne sont pas utiles et préférer affronter seules leurs problèmes de santé mentale. Toutefois, une analyse antérieure a révélé que le statut ethnique demeurait important, même après correction pour tenir compte de l’acceptabilité perçueNote 25.

Deuxièmement, l’étude a révélé que les réfugiés, dont un grand nombre sont arrivés au Canada en provenance de milieux déchirés par la guerre, n’étaient pas plus susceptibles que les immigrants d’autres catégories d’admission d’avoir eu recours à des CSM, même si des résultats antérieurs indiquaient que les réfugiés déclarent de bas niveaux de SMADNote 8. Plus précisément, les réfugiés ayant de bas niveaux de SMAD n’étaient que légèrement plus susceptibles de déclarer des CSM que les personnes nées au Canada présentant des niveaux élevés de SMAD. Cela indique que les réfugiés ne reçoivent peut-être pas les soins dont ils ont besoin. Une étude sur les jeunes réfugiés a révélé qu’ils utilisaient davantage que les non-immigrants les services d’urgence pour des raisons de santé mentale; ces jeunes réfugiés étaient plus susceptibles que les non-immigrants de se présenter au service des urgences pour une première crise liée à la santé mentaleNote 26. Il est possible que les réfugiés se heurtent à des obstacles en ce qui concerne l’accès aux services de santé mentale offerts par un médecin en consultation externe ou leur utilisation. Une prochaine étude pourrait porter sur l’existence de besoins non satisfaits en matière de santé mentale et sur la variation des obstacles à l’accès chez les réfugiés en fonction du sous-groupe ethnoculturel.

Troisièmement, les résultats de la présente étude, ainsi que ceux d’études antérieures, ont montré que les immigrants de longue date présentaient des niveaux plus bas de SMAD et étaient plus susceptibles de déclarer des CSM, tandis que les immigrants récents présentaient des niveaux plus élevés de SMAD, mais des taux de CSM inférieurs à ceux des répondants nés au CanadaNote 8Note 27Note 28Note 29. Cette observation soulève la question de savoir si la détérioration de l’effet de la sélection d’immigrants en bonne santé sur la SMAD pourrait être atténuée si les nouveaux arrivants pouvaient maintenir leur SMAD initialement plus élevée grâce à un meilleur accès aux services de CSM. Selon une étude antérieure menée en Ontario, la plupart des populations d’immigrants préféraient consulter leur médecin de famille à propos de problèmes de santé mentale plutôt que d’utiliser des services de santé mentale plus spécialisésNote 30. Par conséquent, l’intégration de médecins de première ligne et de professionnels spécialisés en santé mentale pourrait constituer un moyen de pallier les lacunes du système de soins de santé mentale. De plus, l’amélioration de l’accès pour les populations d’immigrants pourrait être liée à leur compréhension de l’information et des services de santé existants, au processus d’établissement des immigrants et à la disponibilité des services appropriésNote 31.

Quatrièmement, compte tenu du constat antérieur selon lequel les immigrants asiatiques étaient moins susceptibles que les répondants nés au Canada d’avoir des niveaux élevés de SMAD, la présente étude a également révélé que ces sous-groupes en provenance d’Asie ayant de bas niveaux de SMAD étaient seulement aussi susceptibles d’avoir eu recours à des CSM que les personnes nées au Canada présentant des niveaux élevés de SMAD. Ce constat corrobore les résultats d’autres études sur les variations ethniques observées dans les CSM, selon lesquels les Asiatiques avaient moins de contacts avec des professionnels de la santé mentaleNote 32Note 33. Ces lacunes en matière de CSM chez les immigrants asiatiques pourraient résulter des obstacles structurels et culturels mentionnés précédemment ainsi que de leur perception quant à l’utilité des CSM.

Limites

Premièrement, la mesure autodéclarée du recours aux CSM utilisée dans la présente étude est subjective et pourrait avoir fait l’objet d’une surdéclaration ou d’une sous-déclaration de la part des répondants. Les mesures autodéclarées par des personnes qui viennent de cultures où le concept de santé mentale est peu connu peuvent être trompeuses. Il peut être plus difficile, particulièrement pour les immigrants récents, de comprendre les concepts que l’on vise à saisir dans le cadre de questions liées à la santé, du fait d’obstacles linguistiques existants et de différences de contextes culturels. Cette mesure peut également être biaisée par des facteurs socioculturels, comme la stigmatisation, et les erreurs de mesure non aléatoires (p. ex. le biais de remémoration). Dans de futures études, on pourrait avoir recours à des données administratives, par exemple des dossiers d’hôpitaux, comme source de données complémentaire aux données d’enquête subjectives utilisées pour la présente étude.

Deuxièmement, les résultats de l’étude ne sont pas généralisables à l’ensemble de la population des immigrants au Canada, car la BDIM ne comprenait pas, au moment du couplage d’enregistrements, les immigrants arrivés au Canada avant 1980. En incluant les immigrants arrivés au Canada entre 1952 et 1979 dans une version mise à jour de la BDIM, il sera possible à l’avenir d’élargir le couplage avec l’ESCC pour inclure davantage d’immigrants de longue date. De plus, l’ESCC n’englobe pas les répondants, y compris les immigrants, qui résident dans des établissements institutionnels. Les résultats de la présente étude ne peuvent donc pas être généralisés à ce segment de la population des immigrants. Aussi, l’absence de données provenant de cinq provinces et d’un territoire rend l’étude moins généralisable à l’ensemble du Canada. Malgré tout, les caractéristiques de la cohorte à l’étude (présentées dans le tableau 1) étaient semblables à celles décrites dans le cadre de la précédente étude menée par les auteurs sur une cohorte nationaleNote 8.

Conclusion

À partir de l’analyse d’une base de données récemment couplée combinant les données de l’ESCC et de la BDIM, la présente étude fournit de nouvelles données probantes sur les différences en matière de CSM entre les répondants nés au Canada et les répondants immigrants selon leur niveau de SMAD et selon d’importantes caractéristiques propres aux immigrants, comme la catégorie d’admission (en particulier dans le cas des réfugiés), le temps passé au Canada et la région d’origine. Les résultats révèlent une forte corrélation négative entre les CSM et la SMAD, surtout chez les répondants nés au Canada. Les faibles taux de CSM chez les immigrants, en particulier chez les immigrants récents, les réfugiés et les immigrants asiatiques, indiquent que davantage de soutien et de services sont nécessaires pour ces sous-groupes. De futures études pourraient permettre d’examiner de plus près les raisons pour lesquelles certains sous-groupes d’immigrants accèdent beaucoup moins que d’autres aux services de santé mentale. Plus précisément, cet accès réduit résulte-t-il d’obstacles culturels et linguistiques ou d’obstacles structurels, comme des enjeux liés au transport ou au temps nécessaire pour se prévaloir des services? D’autres travaux de recherche pourraient également traiter des hospitalisations liées à la santé mentale, une source de données complémentaire aux données d’enquête subjectives utilisées dans la présente étude, afin de corroborer les résultats généraux actuels sur les CSM.

Remerciements

Nous tenons à remercier Cédric de Chardon, directeur de la Direction de la recherche et de l’évaluation d’Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada, et Julie Bernier, directrice de la Division de l’analyse de la santé, Statistique Canada, pour leur soutien à ces travaux de recherche menés en collaboration.

Références
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