Rapports sur la santé
L’association entre les concentrations de pollution atmosphérique ambiante et la détresse psychologique
par Lauren Pinault, Errol M. Thomson, Tanya Christidis, Ian Colman, Michael Tjepkema, Aaron van Donkelaar, Randall V. Martin, Perry Hystad, Hwashin Shin, Daniel L. Crouse et Richard T. Burnett
DOI : https://www.doi.org/10.25318/82-003-x202000700001-fra
En plus d’avoir des liens bien établis avec la morbidité et la mortalité respiratoires et cardiovasculairesNote 1Note 2, la pollution atmosphérique a été associée à un éventail de troubles neurologiques et psychiatriques, y compris la démenceNote 3, le déclin cognitif ou la déficience cognitiveNote 4Note 5, l’anxiété et la dépressionNote 6Note 7Note 8Note 9 et le suicideNote 10Note 11. Un nombre croissant d’études expérimentales contrôlées appuient ces associations épidémiologiques. Ces études démontrent que la pollution atmosphérique peut nuire à l’apprentissage spatial et à la mémoire, et provoquer un comportement dépressif chez les sourisNote 12. Un certain nombre de mécanismes biologiques ont été proposés pour expliquer ces associationsNote 13. Par exemple, il a été démontré que l’exposition à des polluants inhalés active l’axe hypothalamo-hypophyso-surrénalien (HHS) du stress chez les rats, ce qui entraîne une élévation des concentrations sanguines de la corticostérone glucocorticoïde, et une régulation systémique des voies métaboliques, inflammatoires et du stress dans de multiples tissusNote 14Note 15Note 16. Une activation aiguë de l’axe HHS constitue une réaction adaptative critique aux facteurs de stress. Toutefois, le stress chronique et le dérèglement glucocorticoïde sont associés à de nombreux processus pathologiques, y compris l’anxiété, la dépression, les troubles cognitifs, le syndrome de douleur et de fatigue chroniques, l’obésité, le diabète et les maladies cardiovasculairesNote 17. L’exposition chronique à la pollution atmosphérique, conjuguée à l’exposition à d’autres facteurs de stress et à l’interaction avec la sensibilité de l’hôte, pourrait mener à un dysfonctionnement de l’axe HHS et à des résultats observables liés au stress et à la détresse, y compris des troubles neurologiques, métaboliques, cardiovasculaires et reproductifsNote 18. Par conséquent, les résultats liés au stress dans la voie causale entre l’exposition aux polluants atmosphériques et la maladie devraient être étudiés afin de valider le lien entre les réactions au stress neuroendocriniennes causées par la pollution et les effets sur le cerveauNote 19.
La détresse psychologique, officiellement évaluée selon l’échelle de détresse psychologique de Kessler (échelle K10), est une mesure des symptômes courants de la dépression et de l’anxiété, et a été proposée comme mesure objective de l’effet du stress sur la santé mentaleNote 20Note 21Note 22.Chez les rats, l’administration aiguë de corticostérone cause de l’anxiétéNote 23, tandis que l’exposition répétée produit un modèle de dépressionNote 24, ce qui sous-entend une relation de cause à effet entre les glucocorticoïdes et les résultats neurocomportementaux. De plus, la réduction des niveaux de cortisol chez les personnes atteintes d’un trouble d’anxiété généralisée est associée à une diminution de l’anxiétéNote 25. Il est donc plausible que l’exposition à la pollution atmosphérique puisse accroître la détresse, possiblement par des effets sur l’axe HHS. En même temps, les associations entre la détresse psychologique et la pollution atmosphérique peuvent être utiles pour permettre l’identification des populations vulnérables, indépendamment d’une relation de cause à effet potentielle.
Plusieurs études exploratoires ont été entreprises pour déterminer si la détresse ou les problèmes de santé mentale connexes sont corrélés avec l’exposition à la pollution atmosphérique, mais les résultats sont contradictoires. Une étude menée auprès de 6 000 adultes aux États-Unis a révélé une association positive entre la détresse et l’exposition à la pollution atmosphérique ambiante par les particules fines (PM2,5), après correction en fonction des caractéristiques personnelles, des comportements liés à la santé et de la pauvreté du quartierNote 26. Cependant, d’autres études de cohortes européennes ont fait état d’associations variables (nulles, positives et négatives) entre l’humeur dépressive et le dioxyde d’azote (NO2) et la pollution atmosphérique par les PM2,5Note 27Note 28. Ces associations n’ont pas encore été évaluées au Canada.
La présente étude visait à examiner l’association entre la détresse psychologique et la pollution de l’air extérieur au moyen d’une analyse spatiale transversale. L’examen d’une association spatiale entre les polluants atmosphériques et la détresse est pertinent à la fois en tant que lien possible entre l’exposition et la maladie et en tant que méthode d’identification des populations vulnérables potentielles.
Documents et méthodes
Données et couplage
L’Enquête sur la santé dans les collectivités canadiennes (ESCC) est une enquête nationale sur la santé des Canadiens de 12 ans ou plus, qui a été menée tous les deux ans pour la période allant de 2000 à 2007, et chaque année par la suite. Les répondants vivant en établissement, les personnes vivant dans des réserves indiennes et dans des peuplements autochtones et les membres à temps plein des Forces canadiennes sont exclus de l’ESCC (ces exclusions représentent moins de 3 % de la population cible)Note 29. En plus des questions sur les caractéristiques démographiques et socioéconomiques, l’enquête comprend des questions sur certains comportements liés à la santé (p. ex. la consommation d’alcool) dans tous les cycles.
Un module facultatif sur la détresse a été sélectionné par des provinces particulières au cours de différents cycles, et il comprenait une évaluation officielle à l’aide de l’échelle K10. L’échelle K10 est une mesure autodéclarée correspondant à10 questions sur les symptômes courants de dépression et d’anxiété qui se sont manifestés au cours du mois précédentNote 20. On a demandé ce qui suit aux répondants : « Au cours du dernier mois, à quelle fréquence vous êtes-vous senti(e) : 1) épuisé(e) sans véritable raison; 2) nerveux(euse); 3) si nerveux(euse) que rien ne pouvait vous calmer; 4) désespéré(e); 5) agité(e) ou ne tenant pas en place; 6) si agité(e) que vous ne pouviez pas rester immobile; 7) triste ou déprimé(e); 8) si déprimé(e) que plus rien ne pouvait vous faire sourire; 9) que tout était un effort; ou 10) bon(ne) à rien? » Les répondants ont répondu à chacune de ces questions en utilisant une échelle de cinq points allant de « jamais » à « tout le temps ».
Un modèle de régression des moindres carrés ordinaires (MCO) suppose que les termes d’erreurs sont indépendants. Cette hypothèse est souvent non respectée lorsque les données sont classées géographiquement. Souvent, la pollution atmosphérique et les caractéristiques de la population sont autocorrélées spatialement puisque des caractéristiques semblables peuvent être plus étroitement regroupées dans l’espace. Lorsque l’autocorrélation spatiale est détectée dans les résidus, une méthode d’analyse spatiale est justifiée. Une régression pondérée spatialement est plus appropriée lorsque les ensembles de données sont à la fois contigus sur le plan spatial et transversaux, et lorsque la population des répondants est suffisamment grande pour permettre de réaliser des analyses locales. Par conséquent, les populations étudiées qui avaient le plus grand échantillon de répondants du module sur la détresse, par province et par cycle, ont été sélectionnées. Tous les cycles de 2005-2006 (cycle 3.1) à 2011-2012 ont été pris en considération en vue de leur inclusion, car il existait également des données précises sur la pollution atmosphérique pour ces années. Les plus grands échantillons provenaient du Québec (n = 29 900), de l’Alberta (n = 11 800) et de la Colombie-Britannique (n = 15 400) en 2005-2006 (cycle 3.1) et de l’Ontario (n = 42 900) en 2011-2012. Les répondants de l’Alberta et de la Colombie-Britannique ont été combinés en un seul ensemble de données puisqu’ils étaient contigus dans l’espace et le temps. Une fois que les enfants (âgés de 17 ans ou moins) et les personnes qui ont fourni une réponse imprécise aux questions sur le stress et la détresse (p. ex. « ne sait pas », « non déclaré ») ont été exclus, la taille définitive de l’échantillon était de 25 800 au Québec, de 23 000 en Alberta et en Colombie-Britannique et de 36 000 en Ontario. Les estimations ont été arrondies à la centaine près pour des raisons de confidentialité institutionnelle.
Les données sur la pollution atmosphérique ont été calculées à partir des modèles de surface nationaux pour les PM2,5Note 30, le dioxyde d’azote (NO2)Note 31et l’ozone (O3)Note 32. Les concentrations de PM2,5 ont été calculées à partir des extractions de l’épaisseur optique totale de la colonne de l’instrument satellite du spectroradiomètre imageur à résolution moyenne, par rapport aux observations près de la surface provenant du modèle de transport chimique GEOS-Chem, et calibrées davantage au moyen d’appareils de surveillance au sol locaux utilisant une régression pondérée géographiquement. Les résultats définitifs ont démontré une valeur R2 de 0,82, déterminée à l’aide d’appareils de surveillance au sol moyens à long terme en Amérique du NordNote 30. Les valeurs aberrantes supérieures à 20 μg/m3 ont été exclues de l’analyse.
Les concentrations de NO2 ont été estimées selon la moyenne annuelle de 2006 d’un modèle de régression national de l’utilisation des terres, qui utilisait les données de surveillance des stations du Réseau national de surveillance de la pollution atmosphérique (RNSPA) combinées aux estimations satellites du NO2, de la longueur des routes de moins de 10 km, des zones d’utilisation des terres à des fins industrielles à l’intérieur de diverses zones tampons, et aux précipitations estivales moyennesNote 31. Les estimations du NO2 au sol ont été calculées selon le modèle de transport chimique GEOS-Chem à partir des colonnes de NO2 troposphériques satellitesNote 33. Pendant la validation, le modèle a permis d’expliquer 73 % de la variance observée dans les estimations du RNSPA de 2006. La variation locale du NO2 à proximité de la route a été représentée en appliquant des mesures de densité du noyau des routes et des routes principales à 300 m et à 100 m comme multiplicateur pour le modèleNote 31.
Les concentrations d’O3 ont été calculées à partir des concentrations maximales quotidiennes sur huit heures moyennes de mai à septembre de 2002 à 2009 à une échelle de 10 km à 21 km2Note 32. L’O3, estimé par le modèle de prévision de la qualité de l’air basé sur le Système canadien hémisphérique et régional de l’ozone et des Nox, a été interpolé pour générer la surfaceNote 34.
Les données sur le NO2 et l’O3 ont été ajustées selon l’année au moyen de mesures de séries chronologiques de 24 divisions de recensement (DR) entre 1981 et 2012Note 35. Les données manquantes sur la pollution atmosphérique ont été imputées au moyen d’un algorithme d’interpolation, lequel combinait des techniques de prédiction classiques et des outils d’ajustement de la phase et de la fréquence au moyen de la méthode à régressions multiplesNote 36. Pour chaque série chronologique de DR, une fonction spline cubique a été adaptée pour modéliser l’association entre l’année et le polluant atmosphérique. Ensuite, le ratio entre l’année des données modélisées originales et l’année ou les années de l’ensemble de données de l’ESCC a été déterminé. Les emplacements de résidence des répondants ont été appariés à la DR la plus proche au moyen d’un système d’information géographique (ArcGIS, version 10, Institut de recherche sur les systèmes environnementaux, 2010), et le ratio d’ajustement du temps correspondant a été utilisé pour ajuster les données en fonction des différences annuelles de concentration.
Les codes postaux ont été utilisés pour apparier spatialement les répondants de chacun des trois ensembles de données régionaux aux années correspondantes de données pour les PM2,5, le NO2 et l’O3. Les codes postaux des répondants ont été utilisés pour produire des emplacements résidentiels approximatifs à l’aide du Fichier de conversion des codes postaux plus (FCCP+) de Statistique Canada, version 6D. Dans le FCCP+, un algorithme de répartition aléatoire pondérée en fonction de la population est utilisé pour attribuer des codes postaux à des points représentatifs en fonction de la géographie du recensement, et celui-ci est plus précis dans les centres urbainsNote 37.
Modèles statistiques et covariables
Pour ce qui est de l’Ontario, du Québec, de l’Alberta et de la Colombie-Britannique, des modèles de régression des MCO ont été utilisés pour estimer l’association globale entre les polluants atmosphériques et les scores de détresse de l’échelle K10, après correction pour tenir compte de l’âge, du sexe, de la situation socioéconomique individuelle (c.-à-d. l’état matrimonial : marié ou vivant en union libre par rapport à non marié ni vivant en union libre; le quintile de revenu : le plus faible par rapport à tous les autres quintiles; la situation d’emploi : occupant un emploi par rapport à sans emploi), les comportements liés à la santé (c.-à-d. la consommation d’alcool : cinq consommations ou plus en une même occasion, plus d’une fois par mois par rapport à tous les autres; l’usage actuel du tabac : fumeur quotidien par rapport à fumeur occasionnel) et la marginalisation des quartiers. Les scores de détresse de l’échelle K10 n’étaient pas répartis normalement et penchaient vers des scores plus faibles, de sorte que pour répondre aux hypothèses de normalité, ils ont été transformés avant l’analyse à l’aide d’un score z normalisé. Toutes les variables individuelles sauf l’âge (c.-à-d. les variables liées au sexe, à la situation socioéconomique et au comportement) ont été dichotomisées aux fins de l’analyse de régression complète, comme on en a fait la description ci-dessus, puisque la technique de régression spatiale ne tient pas compte des variables catégoriques.
L’indice de marginalisation canadien (CAN-Marg) a été utilisé pour caractériser la défavorisation au sein des quartiers à l’échelle des aires de diffusion. Le CAN-Marg a été utilisé puisqu’il comprend de nombreuses covariables de la situation socioéconomique qui portent sur quatre dimensions (l’instabilité résidentielle, la défavorisation matérielle, la dépendance et la concentration ethnique)Note 38 et parce que certains de ses facteurs ont été élaborés à l’origine pour bien rendre compte de la dépression psychologique à l’échelle des quartiersNote 39. Le CAN-Marg a été élaboré selon une analyse en composantes principales afin de calculer quatre facteurs à partir d’une combinaison de 18 variables du recensementNote 38.
Les résidus ont été évalués pour l’autocorrélation spatiale au moyen de la statistique I de Moran et, lorsque la valeur était significative, un modèle autorégressif simultané (MAS) a été ajustéNote 40. Les pondérations spatiales pour le MAS ont été élaborées à partir d’une matrice de contiguïté de Queen, et les statistiques du multiplicateur de Lagrange ont été utilisées pour déterminer si un modèle de décalage spatial ou d’erreur spatiale fournirait un meilleur ajustement du modèleNote 40 En tant qu’analyse secondaire, les scores moyens de détresse de l’échelle K10 ont été déterminés selon le quintile du polluant.
Résultats
Les caractéristiques des trois échantillons figurent au tableau 1. En général, les caractéristiques des trois échantillons étaient semblables, même si l’échantillon de l’Ontario contenait une plus grande proportion de répondants plus âgés et moins de fumeurs quotidiens. L’échantillon de l’Alberta et de la Colombie-Britannique comprenait moins de répondants sans emploi. Le pourcentage de répondants du Québec ayant un score de détresse de l’échelle K10 de 11 ou plus était nettement plus élevé (15,1 %) que dans les deux autres échantillons (10,1 % pour l’Alberta et la Colombie-Britannique et 10,5 % pour l’Ontario). Comme ils n’étaient pas destinés à créer des estimations de la population, ces échantillons ne sont pas pondérés. Par conséquent, les résultats ne sont pas représentatifs des estimations régionales. Les caractéristiques du CAN-Marg et des trois polluants atmosphériques sont fournies pour les trois ensembles de données dans le tableau 2. Les estimations des PM2,5 étaient plus élevées au Québec qu’en Ontario.
Le tableau 3 présente les résultats d’une analyse de régression multiple entre les scores de détresse de l’échelle K10 (score z) et toutes les covariables individuelles et covariables des quartiers dans le modèle définitif. Dans tous les échantillons, l’âge était associé négativement à la détresse, tandis que d’autres variables prises en compte (sexe féminin, personne non mariée ou vivant en union libre, quintile de revenu inférieur, personne au chômage, forte consommation d’alcool et usage quotidien du tabac) étaient associées positivement à la détresse. Les associations entre la détresse et la marginalisation des quartiers étaient moins cohérentes dans les ensembles de données. Par exemple, la détresse a été associée positivement à l’instabilité résidentielle au sein des quartiers dans les trois ensembles de données et à la défavorisation matérielle au sein des quartiers en Ontario, en Alberta et en Colombie-Britannique, mais pas au Québec. La détresse a été associée négativement à l’augmentation de la dépendance au sein des quartiers en Ontario et à l’augmentation de la concentration ethnique au sein des quartiers en Ontario, en Alberta et en Colombie-Britannique, mais pas au Québec.
Le tableau 4 présente un résumé des associations entre la pollution atmosphérique et la détresse dans des modèles non ajustés et entièrement ajustés. Les résidus ont été autocorrélés spatialement dans tous les cas, de sorte qu’un modèle de décalage MAS a été appliqué pour tenir compte de l’autocorrélation spatiale. Dans tous les cas, les résultats du modèle MAS ont été légèrement atténués comparativement à ceux des modèles des MCO. Dans les trois échantillons régionaux, l’exposition aux PM2,5 a été associée à une augmentation des scores de détresse. Après avoir tenu compte de toutes les covariables individuelles et variables des quartiers, l’association positive entre les PM2,5 et la détresse n’est demeurée que pour le Québec. Le NO2 a été associé positivement aux scores de détresse en Ontario (dans les modèles non ajustés) et au Québec (dans les modèles non ajustés et ajustés), mais pas en Alberta et en Colombie-Britannique. En Alberta et en Colombie-Britannique, le NO2 a été associé négativement aux scores de détresse, mais seulement dans le modèle entièrement ajusté. Les associations entre l’O3 et la détresse étaient moins constantes. La détresse a été associée positivement à l’O3 dans les modèles non ajustés et entièrement ajustés au Québec, mais négativement associée à l’O3 en Ontario (modèle non ajusté).
Le score moyen de l’échelle K10 par quintile de polluant est fourni à la figure 1. On a observé une augmentation du score de détresse pour tous les quintiles de polluants pour les PM2,5 dans les trois échantillons régionaux et pour le NO2 en Ontario et au Québec, ce qui concorde avec les résultats du tableau 4.
Discussion
La présente étude a permis d’établir une association spatiale faible, mais positive, entre la détresse psychologique et certaines mesures de la pollution atmosphérique (PM2,5 et NO2) dans de grands ensembles de données régionaux au Canada. Les associations entre la détresse psychologique et l’O3 étaient moins constantes, seul le Québec ayant fait état d’une association positive. Au Québec, ces associations ont été observées après avoir tenu compte de la situation socioéconomique individuelle, des comportements liés à la santé, de la marginalisation des quartiers et de l’autocorrélation spatiale. Puisque les niveaux de PM2,5 ont diminué au cours de la période examinée, les différences observées dans l’ensemble des régions peuvent au moins l’être partiellement parce que, comparativement à l’Ontario, des données d’enquêtes précédentes et de PM2,5 ont été utilisées pour le QuébecNote 30. Un plus grand éventail de données sur l’exposition aux PM2,5 au Québec auraient pu contribué à des associations plus fortes entre la pollution atmosphérique et la détresse. De plus, les scores de l’échelle K10 étaient plus élevés dans l’ensemble au Québec que dans les deux autres régions prises en compte, ce qui pourrait avoir contribué aux associations plus fortes observées.
L’association entre la détresse et la pollution atmosphérique concorde avec une analyse similaire menée aux États-Unis, laquelle a également montré une association positive entre la détresse et la pollution atmosphérique par les PM2,5Note 26. Toutefois, des études en Europe ont donné des résultats variables pour ce qui est de l’association entre les différents polluants atmosphériques et les troubles de santé mentale et les symptômes de détresseNote 27. Bien que l’activation de l’axe du stress ait été proposée comme voie biologique plausible qui associe l’exposition à la pollution atmosphérique aux effets nuisibles sur le cerveauNote 18Note 19, il est clair que le développement de la maladie mentale et de la détresse chez les humains est influencé par un vaste éventail de facteurs génétiques et environnementaux.
Dans tous les ensembles de données régionaux, les indicateurs de défavorisation sociale et matérielle étaient associés positivement à des scores de détresse plus élevés, et les associations entre la pollution atmosphérique et la détresse étaient relativement faibles. La situation socioéconomique individuelle et les comportements sont susceptibles d’avoir une plus grande influence sur la détresse par rapport à la pollution atmosphérique, car des facteurs plus proximaux de la détresse (p. ex. une crise financière, une insécurité d’emploi) peuvent également être plus fréquents dans ces groupes. Dans les grandes villes canadiennes, les matières particulaires et le NO2 sont réputés être en corrélation spatiale avec une situation socioéconomique plus défavorable, y compris la défavorisation matérielle (p. ex. le faible revenu, la faible valeur des logements) et la défavorisation soc iale (p. ex. être sans emploi, avoir un faible niveau de scolarité), autant à l’échelle individuelle qu’à l’échelle des quartiersNote 41Note 42Note 43. En outre, les personnes ayant une situation socioéconomique défavorable peuvent être plus susceptibles d’avoir une moins bonne santé et peuvent être sensibles aux effets de la pollution atmosphériqueNote 41Note 42Note 43. La plus grande influence de la situation socioéconomique à l’échelle individuelle et à l’échelle des quartiers sur la détresse et la corrélation de la pollution atmosphérique avec la situation socioéconomique à l’échelle individuelle et à l’échelle des quartiers (c.-à-d. le double fardeau de la défavorisation et de l’exposition) peuvent expliquer l’atténuation de ces associations entre les polluants et la détresse en Ontario (PM2,5 et NO2) et en Alberta et en Colombie-Britannique (PM2,5), après l’inclusion de plusieurs covariables de la situation socioéconomique et du comportement dans les modèles.
Des études épidémiologiques antérieures ont montré que le stress psychologique peut contribuer à la vulnérabilité aux polluants atmosphériquesNote 44Note 45Note 46Note 47. En plus de la possibilité que l’exposition à la pollution atmosphérique contribue à la détresse psychologique, les associations spatiales entre les polluants atmosphériques et la détresse peuvent aider à cerner les populations potentiellement vulnérables. Le fardeau physiologique de répondre à l’exposition chronique de multiples facteurs de stress, conceptualisé comme une charge allostatique, peut accroître le risque de maladieNote 48. Selon une étude récente, les mesures de la situation socioéconomique, un substitut à l’exposition chronique aux facteurs de stress, étaient négativement associées aux scores de charge allostatique au CanadaNote 49. Le fait que la détresse prédispose les personnes aux effets néfastes des polluants atmosphériques sur la santé reste à déterminer.
Limites
En raison des données et des considérations méthodologiques, l’étude n’était pas de portée nationale et n’est donc pas représentative à l’échelle nationale. Les échantillons de l’étude comprenaient des répondants des quatre provinces les plus peuplées et des répondants des sept plus grandes villes du Canada, ce qui pourrait avoir une incidence sur la généralisation de ces résultats à des populations plus rurales. Une analyse semblable d’une province ou d’un territoire comptant un plus grand nombre de logements ruraux peut ne pas produire les mêmes résultats en raison de la plus faible variabilité spatiale du stress, de la détresse et de la pollution atmosphérique. De plus, les habitants des grands centres urbains peuvent avoir un meilleur accès aux soins de santé et au capital social que ceux des régions plus éloignées. Toutefois, même si l’échantillon n’était pas de portée nationale, sa taille globale (n = 84 800 personnes) était encore plus grande que celle d’autres études comparablesNote 26Note 27.
Étant donné que l’étude était transversale, sa conception ne pouvait pas tenir compte des changements observés dans l’exposition au fil du temps, y compris la mobilité résidentielle. L’étude n’a pas non plus permis d’évaluer les expositions à long terme, y compris celles qui se sont produites pendant des années critiques de développement. Une étude longitudinale menée à Londres, en Angleterre, a révélé que l’exposition aux PM2,5 et au NO2 chez les enfants de 12 ans était associée à une probabilité accrue de trouble dépressif à l’âge de 18 ans, ce qui donne à penser qu’il pourrait y avoir un délai entre l’exposition à la pollution atmosphérique et l’apparition de symptômes, ou que l’exposition durant les périodes cruciales de l’enfance peut jouer un rôle plus important dans le développement de troubles de santé mentale ultérieursNote 48Note 50.
Les estimations de la pollution atmosphérique ont été appliquées aux répondants de l’ESCC à l’aide des coordonnées géographiques des enregistrements de code postal du FCCP+. Bien que ces coordonnées soient relativement précises dans les grandes villes, dans les régions rurales, les estimations ponctuelles sont généralement situées à 5,2 km (écart interquartile = 2,9 km à 8,7 km) de l’emplacement réel du foyerNote 37. Cependant, dans l’étude, les répondants ruraux ne représentaient que 19 % à 27 % de l’échantillon. Les codes postaux autodéclarés ne représentent pas toujours l’adresse du répondant; ils représentent parfois une adresse d’entreprise ou une case postale. Malgré les inexactitudes de la géolocalisation résidentielle dans les régions rurales, les estimations des polluants atmosphériques ont tendance à être plus homogènes dans l’ensemble du paysage rural, ce qui peut aider à atténuer une partie de cette inexactitude géographique.
Conclusion
Trois échantillons de répondants de l’ESCC ont été appariés spatialement aux données sur la pollution atmosphérique par les PM2,5, le NO2 et l’O3 afin d’évaluer les associations avec une mesure validée de la détresse psychologique. La détresse a été associée positivement à l’exposition aux PM2,5 dans les trois régions. La détresse a également été associée positivement au NO2 en Ontario et au Québec, et à l’O3 au Québec. Après avoir tenu compte des caractéristiques et des comportements socioéconomiques des personnes et des quartiers, des associations entre la détresse et la pollution atmosphérique n’ont été observées qu’au Québec. Ces résultats sous-entendent un lien épidémiologique possible entre la pollution atmosphérique et la détresse, ce qui est en accord avec les preuves toxicologiques de l’activation de l’axe du stress. Des études à venir sur la façon dont la pollution atmosphérique peut mener à un état de détresse et sur la façon dont la détresse peut mener à une plus grande susceptibilité entre la pollution atmosphérique et d’autres résultats en matière de santé sont justifiées.
Source de financement
Le présent travail a été appuyé par Santé Canada (Programme de réglementation de la qualité de l’air, projet 810577).
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