Rapports sur la santé
Assimilation des maladies : répercussions des matières particulaires sur la mortalité des immigrants au Canada

par Anders C. Erickson, Tanya Christidis, Amanda Pappin, Jeffrey R. Brook, Daniel L. Crouse, Perry Hystad, Chi Li, Randall V. Martin, Jun Meng, Lauren Pinault, Aaron van Donkelaar, Scott Weichenthal, Michael Tjepkema, Richard T. Burnett et Michael Brauer

Date de diffusion : le 17 juin 2020

DOI : https://www.doi.org/10.25318/82-003-x202000300002-fra

La pollution de l’air ambiant découlant des matières particulaires (PM2,5) est à l’origine de millions de décès partout dans le monde chaque année, en plus de contribuer grandement à la charge mondiale de morbiditéNote 1. Puisque de nombreux immigrants au Canada viennent de pays affichant des niveaux plus élevés de pollution de l’air ambiant, ils pourraient avoir un risque accru de maladies chroniques découlant de l’expositionNote 1. Bien que les répercussions des PM2,5 sur la mortalité aient été démontrées de manière répétitive dans de vastes cohortes représentatives de la population née au Canada, les immigrants ont été souvent exclus de ces analyses à un certain degréNote 2Note 3Note 4Note 5Note 6. La proportion de la population née à l’étranger qui vivait au Canada en 2011 était de 21 %, soit 7,1 millions de personnes. On prévoit qu’elle augmentera pour se situer entre 25 % et 30 % au cours des 25 prochaines années, afin de satisfaire les besoins démographiques et les besoins en main-d’œuvreNote 7. Il est donc important de comprendre la mesure dans laquelle les risques attribuables à l’exposition à la pollution atmosphérique chez les immigrants peuvent différer de ceux de la population générale, surtout à mesure que la population vieillit et qu’une proportion plus élevée de Canadiens deviennent des personnes âgéesNote 8.

Il n’est pas simple de dissocier les répercussions de la pollution de l’air ambiant sur la santé des autres facteurs de risque importants chez les immigrants canadiens. La population des immigrants n’est pas statique ni homogène; elle a observé des changements démographiques importants au fil du temps qui tiennent compte des politiques d’immigration conçues pour atteindre différents objectifs stratégiquesNote 9Note 10Note 11. En outre, les schèmes d’établissement permettent d’établir une distinction entre les immigrants et la population née au Canada. Les immigrants ont tendance à résider dans les régions métropolitaines les plus grandes. Le taux de migration vers des villes plus petites ou des régions rurales où les niveaux de PM2,5 sont moindres est très faibleNote 12Note 13. Enfin, bien que les immigrants aient tendance à être en meilleure santé, du moins au départ, leur état de santé est fortement nuancé par de nombreux facteurs se recoupant, dont le temps écoulé depuis l’arrivée dans le pays hôte, le pays d’origine, le sexe et les résultats en matière de santé évaluésNote 14Note 15Note 16Note 17.

Pris ensemble, les immigrants au Canada affichent une expérience vécue différente de celle des personnes nées au Canada. Leur exposition antérieure est inconnue et leurs caractéristiques démographiques et socioéconomiques ainsi que leurs caractéristiques de référence liées à leur état de santé sont différentes. La population des immigrants pose donc un défi sur le plan épidémiologique. Crouse et al. (2015) ont publié l’étude la plus récente, laquelle visait à examiner les répercussions de la pollution atmosphérique sur l’ensemble de la population des immigrants au moyen de la Cohorte santé et environnement du recensement canadien de 1991Note 18. Dans le cadre de cette étude, on n’a constaté aucun risque accru de mortalité attribuable à une cause autre qu’un accident ou à une maladie cardiométabolique en raison d’une exposition aux PM2,5 ou à l’ozone au sein de la population des immigrants. Cependant, on a observé un risque accru pour le dioxyde d’azote, un marqueur de pollution associé à la circulation routière. Selon Crouse et al., des différences entre les régions rurales et urbaines peuvent expliquer cette situation. Cependant, puisque les effets sur les immigrants n’étaient pas le sujet principal de l’étude de Crouse et al. (2015), des variables additionnelles associées aux immigrants, comme la durée, le pays d’origine et l’âge au moment de l’immigration, n’ont pas été étudiées.

Cette étude avait pour objectif d’évaluer le risque de mortalité attribuable à une cause autre qu’un accident ou à une cause précise découlant de l’exposition à long terme aux PM2,5 chez les immigrants après leur arrivée au Canada et de comparer ce risque à celui de la population non immigrante. En outre, l’étude cherchait à déterminer l’influence de nombreuses variables propres aux immigrants sur l’association entre les PM2,5 et la mortalité, y compris le temps écoulé depuis l’arrivée au Canada, le pays de naissance, l’âge au moment de l’immigration et la concentration ethnique du quartier.

Matériel et méthodes

La Cohorte santé et environnement du recensement canadien de 2001 est une cohorte longitudinale de 3,5 millions de répondants ne résidant pas dans des établissements institutionnels qui ont répondu au questionnaire détaillé du Recensement de 2001. Les données de la cohorte ont été couplées aux données sur la mortalité et aux codes postaux résidentiels annuels. Tous les décès enregistrés dans les registres provinciaux et territoriaux entre le jour du recensement (15 mai 2001) et le 31 décembre 2016 étaient admissibles au couplage au cours de la période de suivi de près de 16 ans. La méthode de couplage et la description de la cohorte sont fournies ailleursNote 4Note 19. À partir de la cohorte initiale faisant partie du champ d’enquête (N = 47 953 820 années-personnes), la cohorte analytique a été réduite, de manière à ne comprendre à la base que les personnes âgées de 25 à 89 ans. Lorsque les répondants atteignaient l’âge de 90 ans, les années-personnes subséquentes étaient exclues (N = 449 500, ou 0,9 % de toutes les années-personnes comprises dans le champ d’enquête). Cela s’expliquait par le fait que la probabilité que les adresses tirées des dossiers d’impôts correspondent aux adresses réelles de ces répondants plus âgésNote 20 diminuait, entraînant un risque accru de classification erronée de l’exposition.

Des expositions de l’environnement ont été attribuées à des répondants au moyen de l’historique des codes postaux résidentiels annuels tirés des dossiers d’impôts. Les codes postaux ont été géocodés au moyen de la version 7A du Fichier de conversion des codes postaux plus (FCCP+) de Statistique Canada. Dans le FCCP+, un algorithme d’attribution aléatoire pondéré selon la population est utilisé afin d’attribuer des coordonnées de latitude et de longitude aux codes postaux, en fonction du centroïde de côté d’îlot, d’îlot de diffusion ou d’aire de diffusionNote 21. Les codes postaux manquants dans les dossiers d’impôts ont été imputés en fonction de ceux déclarés lors d’années adjacentes, au moyen d’une méthode dans le cadre de laquelle la probabilité d’imputation varie en fonction du nombre d’années adjacentes manquantesNote 22. Dans le fichier analytique, 1,4 % des années-personnes se sont vues imputer un code postal dans le cadre de ce processus. Les années-personnes étaient exclues de la cohorte analytique définitive si un code postal de moins de deux chiffres était imputé, si le code postal en entier était introuvable ou si le code postal ne correspondait pas à une estimation de PM2,5 (N = 1 050 200, ou 2,2 %).

Les estimations des PM2,5 ont été tirées d’un modèle nord-américain qui regroupe des mesures par satellite du spectroradiomètre imageur à résolution moyenne (MODIS) et associe les extractions de l’épaisseur optique de colonnes d’air totales à des PM2,5 près de la surface au moyen du modèle de transport chimique GEOS-Chem. Une régression pondérée géographiquement a ensuite été utilisée pour préciser davantage les estimations des PM2,5 au moyen d’observations au sol du Réseau national de surveillance de la pollution atmosphérique, afin de produire des estimations moyennes annuelles à une résolution d’un kilomètre2 pour la période allant de 1989 à 2015Note 23Note 24Note 25. Les estimations des PM2,5 ont ensuite été attribuées à toutes les années-personnes, en fonction des codes postaux résidentiels, au moyen d’une moyenne mobile de trois ans, afin d’accroître la stabilité des estimations de l’historique en matière d’exposition à court terme et d’appliquer un décalage d’un an pour veiller à ce que l’exposition précède l’événement (p. ex. PM2,5 de 2001 = moyenne des PM2,5 de 1998, de 1999 et de 2000). D’autres renseignements détaillés sur cette méthodologie peuvent être obtenus ailleursNote 4. Au moins deux des trois années précédentes devaient comprendre des concentrations de PM2,5. Les années-personnes qui ne correspondaient pas à ces critères ont été supprimées (N = 4 987 197, ou 10,4 %).

Des variables socioéconomiques et démographiques au niveau de la personne ont été recueillies au moyen du questionnaire détaillé du Recensement de 2001. Elles sont statiques tout au long de la période de suivi. Elles sont décrites de manière détaillée ailleursNote 4. Parmi les données autodéclarées, il y a l’âge, le sexe, l’appartenance à une minorité visible, l’identité autochtone, le niveau de scolarité, les quintiles de suffisance du revenu, le statut d’emploi et la classification des professions. Les immigrants ont été classés en fonction du nombre d’années écoulées depuis qu’ils sont devenus résidents permanents (depuis plus de 30 ans, depuis 21 à 30 ans, depuis 11 à 20 ans et depuis 10 ans ou moins). Il existe trois catégories administratives générales d’immigrants dans le cadre desquelles les personnes sont admises au Canada à titre de résidents permanents : les immigrants de la composante économique, les immigrants qui sont des membres de la famille (le conjoint, les enfants, les parents) d’immigrants ou de résidents permanents et les immigrants admis pour des raisons de protection (p. ex. les réfugiés)Note 7. Les trois catégories d’immigrants ont été incluses dans cette analyse, puisqu’il n’existe aucune façon définitive de les distinguer. Des variables additionnelles propres aux immigrants ont été prises en considération, dont l’âge au moment de l’immigration et la région géographique de naissance, qui sont deux mesures brutes de la durée et de l’endroit de l’exposition et des expériences historiques (p. ex. la pollution atmosphérique, les normes socioculturelles, le régime alimentaire et les comportements) avant l’immigration au Canada. Les variables contextuelles en fonction de la région qui décrivaient les caractéristiques du quartier et des identificateurs géographiques ont servi à tenir compte des facteurs de risque autres que ceux au niveau de la personne. Il y a, entre autres, l’indice de marginalisation canadien (CAN-Marg), la taille de la collectivité, la forme urbaine ainsi que le bassin atmosphérique régional (décrit de manière plus détaillée ci-dessous). Chaque variable a été attribuée à des codes postaux individuels et à une géographie du recensement couplée au FCCP+ pour l’année de recensement la plus rapprochée (tous les cinq ans, de 2001 à 2016). Les années-personnes dont le code postal était manquant ou incomplet, faisant en sorte qu’il manquait des covariables contextuelles, ont été supprimées (N = 1 914 800, ou 4,0 %).

L’indice CAN-Marg comprend quatre dimensions qui visent à saisir les différents aspects suivants de la marginalisation au Canada, au moyen des données tirées des questionnaires détaillés des recensements de 2001 et de 2006 : la défavorisation matérielle, l’instabilité résidentielle (logement), la concentration ethnique (proportion d’immigrants récents et de minorités visibles) et la dépendance (concentration de personnes âgées ou de jeunes)Note 26. Cet indice a été créé à deux niveaux géographiques distincts : les aires de diffusion (les unités de dénombrement du recensement les plus petites, soit celles comportant de 250 à 800 personnes), et les secteurs de recensement. Les secteurs de recensement servent à représenter de petites régions géographiques relativement stables qui comptent de 2 500 à 8 000 habitants et qui se trouvent dans des régions métropolitaines de recensement (RMR) et des agglomérations de recensement (AR) dont le noyau compte au moins 50 000 habitants, selon le recensement précédentNote 27. L’indice CAN-Marg a été attribué à deux niveaux de géographie différents au moyen des codes postaux et du FCCP+, qui ont ensuite été attribués à des quintiles en vue de l’analyse statistique. Des estimations de l’indice CAN-Marg de secteurs de recensement ont été attribuées aux personnes vivant dans des RMR et des AR. Puisque les secteurs de recensement n’existent pas à l’extérieur de ces régions, les facteurs de l’indice CAN-Marg des aires de diffusion ont été regroupés jusqu’au niveau de la subdivision de recensement, conformément à la méthodologie suggérée par Matheson et al. (2012), au moyen de la pondération selon la population à l’échelle des aires de diffusionNote 26. La subdivision de recensement est l’unité géographique pour les municipalités ou les régions qui sont équivalentes à des municipalités à des fins statistiques (p. ex. les réserves des Premières Nations).Note 27

La taille de la collectivité (population) a été obtenue à partir du FCCP+. Chaque code postal a été classé selon l’appartenance à une collectivité rurale, petite (de 1 000 à 29 999 résidents), moyenne (de 30 000 à 99 999 résidents), moyenne-grande (de 100 000 à 500 000 résidents), grande (de 500 000 à 1,5 million de résidents) ou une métropole (plus de 1,5 million de résidents). La catégorie des collectivités les plus grandes comprend les trois villes canadiennes les plus grandes (Toronto, Montréal et Vancouver), où une majorité d’immigrants s’établissentNote 12. Puisque la taille de la collectivité ne permet pas de faire une distinction entre les personnes vivant dans le continuum urbain-rural dans les RMR et les AR, les collectivités et les quartiers dans l’environnement urbain ont davantage été différenciés en fonction de la densité de population et du mode de transport le plus souvent mentionné (le transport actif, le transport collectif ou le véhicule personnel) dans chaque secteur de recensementNote 28. La dernière catégorisation de la forme urbaine comprenait le noyau urbain actif, la banlieue dépendante du transport collectif, la banlieue dépendante des voitures, les régions exurbaines et les régions autres que les RMR ou les AR.

Les bassins atmosphériques ont servi de covariable pour représenter les différences régionales en ce qui concerne les taux de mortalité à l’échelle du Canada que les autres variables géographiques n’illustrent pas. Les bassins atmosphériques ont été établis par le Système de gestion de la qualité de l’air. Il y a six grandes régions au Canada (l’Ouest, les Prairies, le Centre-Ouest, l’Atlantique-Sud, le Centre-Est et le Nord), qui reposent sur des différences à grande échelle pour ce qui est des masses d’air et des phénomènes météorologiquesNote 29.

Les modèles à risques proportionnels normalisés de Cox ont été adaptés pour examiner les associations entre l’exposition aux PM2,5 ambiantes et la mortalité attribuable à des causes autres qu’accidentelles et à des causes particulières. Les répondants ont été suivis de l’année de référence du recensement (2001) à l’année du décès ou à la dernière année de suivi (2016). Les causes de décès suivantes ont été prises en considération : causes autres qu’accidentelles (Classification statistique internationale des maladies et des problèmes de santé connexes, 10e version [CIM-10], codes A à R), maladies cardiovasculaires (CIM-10, codes I10 à I69, avec et sans diabète, codes, E10 à E14), cardiopathies ischémiques (CIM-10, codes I20 à I25), maladies cérébrovasculaires (CIM-10, codes I60 à I69), maladies respiratoires bénignes (CIM-10, codes J00 à J99), maladies pulmonaires obstructives chroniques (CIM-10, codes J19 à J46) et cancer du poumon (CIM-10, codes C33 à C34). Tous les modèles de survie ont été stratifiés par groupe d’âge de cinq ans et par sexe et corrigés pour tenir compte des variables individuelles et contextuelles. Tous les chiffres et toutes les tailles d’échantillon ont été arrondis à un multiple de 5 pour des raisons de confidentialité institutionnelle. Toutes les estimations relatives aux rapports des risques instantanés (RRI) ont été fournies par tranche d’augmentation de 10 μg/m3 de PM2,5. Les différences entre les groupes ont fait l’objet d’un test de signification au seuil p < 0,05 au moyen du test Q de Cochran.

Résultats

En tout, 3,1 millions de personnes ont été suivies de 2001 à 2016. De ce nombre, 22 % (684 000 personnes) étaient des immigrants (tableau 1). Cependant, les immigrants représentaient 28 % du total des années-personnes (10 066 900 sur 35 339 500 années-personnes). En moyenne, les immigrants affichaient une exposition aux PM2,5 ambiantes 20 % supérieure à celle des non-immigrants (9,3 μg/m3 contre 7,5 μg/m3), l’exposition moyenne aux PM2,5 ayant tendance à augmenter légèrement lorsque l’arrivée au Canada était plus récente. En ce qui concerne les caractéristiques de la cohorte, il existait des distinctions évidentes entre les non-immigrants, les immigrants établis (arrivés au pays avant 1971) et les immigrants plus récents (arrivés au pays de 1971 à 2000), ainsi que des distinctions encore plus évidentes chez les immigrants récents (arrivés au pays après 1980). Les immigrants récents étaient, de manière générale, plus jeunes. Une proportion plus élevée d’entre eux était constituée de femmes, de minorités visibles, de personnes mariées et de personnes ayant un niveau de scolarité élevé. Cependant, ils avaient également tendance à avoir un revenu plus faible, et un plus grand pourcentage d’entre eux étaient plus susceptibles d’être au chômage. Sur le plan géographique, les groupes d’immigrants étaient tous beaucoup plus susceptibles de vivre dans les bassins atmosphériques de l’Ouest (comme Vancouver) ou du Centre-Est (comme Toronto et Montréal). Cela correspond à une vaste proportion d’immigrants vivant, de manière plus générale, dans les régions métropolitaines les plus grandes. Les immigrants récents étaient également beaucoup plus susceptibles de vivre dans des quartiers où la densité des populations ethniques est plus élevée et dont la population est plus jeune et travaille (c.-à-d. qu’il y a une faible dépendance du quartier).

Chez les immigrants, le lieu de naissance et l’âge à l’immigration ont évolué considérablement selon les différentes périodes d’immigration. Par exemple, avant 1970, 82 % des immigrants venaient d’Europe ou d’Océanie. Ce pourcentage n’était que de 38 % pour la période allant de 1971 à 1980. Il a de nouveau diminué pour se chiffrer à 27 %, puis à 22 % au cours des périodes d’immigration suivantes. En revanche, le nombre d’immigrants de l’Asie de l’Est, de l’Asie du Sud, de l’Amérique latine et des Caraïbes a augmenté considérablement au cours des trois périodes d’immigration. L’âge à l’immigration a affiché des modifications semblables au fil du temps. Les immigrants établis sont arrivés au pays beaucoup plus tôt dans leur vie, tandis que les immigrants récents sont arrivés lorsqu’ils étaient de jeunes adultes et des adultes d’âge moyen (âgés de 25 à 54 ans).

Les immigrants affichaient des RRI inférieurs à ceux des non-immigrants en ce qui concerne la mortalité attribuable à des causes autres qu’accidentelles et à des causes particulières. La tendance était à la baisse chez les immigrants arrivés plus récemment (tableau 2). Il existait également des différences selon le sexe entre les immigrants et les non-immigrants en ce qui concerne la probabilité de survie (figure 1). La figure 2 présente les liens entre les PM2,5 et la mortalité attribuable à des causes autres qu’accidentelles et à des causes précises chez les immigrants et les non-immigrants, faisant état de leurs RRI et des intervalles de confiance (IC) à 95 %. Ces résultats montrent un risque accru de mortalité attribuable à une cause autre qu’accidentelle, à une maladie cardiovasculaire, à une maladie cardiométabolique et à une cardiopathie ischémique lorsqu’il y a exposition accrue aux PM2,5 chez les immigrants et les non-immigrants, ainsi qu’un risque accru de mortalité attribuable à une maladie cérébrovasculaire lorsqu’il y a exposition accrue aux PM2,5 chez les immigrants seulement. Même si les RRI étaient plus élevés chez les immigrants que chez les non-immigrants, les tests en ce qui concerne les différences entre les deux groupes n’étaient pas significatifs lorsque le test Q de Cochran était utilisé. Parmi les trois causes de décès attribuables à une maladie respiratoire, seul le cancer du poumon était associé positivement à une exposition aux PM2,5, et ce, uniquement chez les non-immigrants. La figure 3 montre les modèles stratifiés selon l’année d’immigration. Dans les modèles entièrement corrigés, les immigrants récents étaient plus susceptibles d’afficher une sensibilité semblable ou accrue à l’exposition aux PM2,5 par rapport aux immigrants établis et aux non-immigrants, même si les IC remettent en question la capacité d’interpréter les tendances observées. Par exemple, dans le cas des causes autres qu’accidentelles, l’exposition aux PM2,5 augmentait le risque de mortalité chez les non-immigrants et les immigrants établis (au pays depuis plus de 30 ans) de 9 % et de 11 %, respectivement (RRI [IC à 95 %] = 1,09 [de 1,06 à 1,12] et 1,11 [de 1,05 à 1,18]). Cependant, les immigrants récents (au pays depuis 11 à 20 ans) et très récents (au pays depuis 10 ans ou moins) ont observé une hausse de 24 % et de 19 % du risque par 10 μg/m3 (RRI [IC à 95 %] = 1,24 [de 1,03 à 1,49] et 1,19 [de 0,97 à 1,45]). Des tendances semblables ont été observées en ce qui concerne la mortalité attribuable à une maladie cardiovasculaire, à une maladie cardiométabolique et à une cardiopathie ischémique, mais pas en ce qui a trait à la mortalité attribuable à une maladie cérébrovasculaire ou à la mortalité attribuable à l’une des maladies pulmonaires. Les immigrants récents (au pays depuis 11 à 20 ans) étaient le seul groupe de sous-population à afficher un risque accru de mortalité attribuable au cancer du poumon à la suite d’une exposition accrue aux PM2,5 (RRI [IC à 95 %] = 1,81 [de 0,96 à 3,44]). Il n’y a eu, constamment, aucune association entre l’exposition aux PM2,5 et toutes les causes de décès chez les immigrants semi-établis (au pays depuis 21 à 30 ans). Les tests de différence significative entre les sous-groupes réalisés au moyen du test Q de Cochran n’ont pas été significatifs.

Lorsque l’influence des vagues d’immigration était évaluée en fonction des niveaux croissants d’exposition aux PM2,5 (figure 4), les immigrants semi-établis (au pays depuis 21 à 30 ans) affichaient un RRI légèrement à la baisse lorsqu’il y avait une hausse de l’exposition aux PM2,5, par rapport aux immigrants établis (au pays depuis plus de 30 ans). Les immigrants arrivés très récemment (au pays depuis 10 ans ou moins) affichaient un RRI accru à mesure que leur exposition aux PM2,5 augmentait, par rapport aux immigrants établis. Les immigrants récents (au pays depuis 11 à 20 ans) affichaient une hausse importante du RRI avec une exposition croissante aux PM2,5. Même si le lieu de naissance, l’âge à l’immigration et la concentration ethnique du quartier étaient des facteurs de risque importants pour la mortalité, leur incidence sur la mortalité associée aux PM2,5 était négligeable (résultats non illustrés). Dans le cadre de l’analyse des différentes stratégies de correction de l’étude, il n’y avait que peu de différence entre la stratification en fonction du statut d’immigrant et la correction en fonction de l’année d’immigration. Les deux variables affichaient des RRI supérieurs à ceux des modèles qui comprenaient tous les immigrants, mais qui ne comportaient aucune correction (figure 5).

Discussion

La pollution atmosphérique est l’un des principaux facteurs de risque de mortalité au sein de la population canadienne; on lui attribue 14 400 décès chaque annéeNote 30. La présente étude avait pour objectif général d’évaluer, au moyen d’une vaste cohorte de recensement longitudinale canadienne, si la sensibilité des immigrants à l’exposition aux PM2,5 est semblable à celle des non-immigrants en ce qui concerne la mortalité, et si cette sensibilité évolue en fonction de la durée du séjour au Canada et de différentes causes de décès. L’analyse comprenait d’autres facteurs associés aux immigrants, comme le lieu de naissance, l’âge à l’immigration et la concentration ethnique du quartier. Ceux-ci servaient de covariables dans les modèles de risque de mortalité attribuable aux PM2,5.

Dans l’ensemble, les immigrants affichaient des niveaux d’exposition aux PM2,5 plus élevés que les non-immigrants, une différence qui était plus prononcée au cours des premières années suivant l’immigrationNote 13. Cela s’explique par les schèmes d’établissement, tandis que les immigrants récents s’établissaient au départ dans le noyau urbain des centres métropolitains les plus grands au Canada, où les niveaux de PM2,5 sont plus élevés. Cependant, même après avoir tenu compte de ces variables, les immigrants étaient plus sensibles à l’exposition aux PM2,5 que les non-immigrants. Ils affichaient des RRI plus élevés pour les décès attribuables à une maladie cardiovasculaire, à une cardiopathie ischémique, à une maladie cardiométabolique et à une maladie cérébrovasculaire. Lorsqu’ils sont stratifiés par vague d’immigrants, les résultats varient légèrement en fonction de la cause du décès. Cependant, ils présentent, dans l’ensemble, des RRI plus élevés chez les immigrants établis (au pays depuis plus de 30 ans) et les immigrants récents (au pays depuis 11 à 20 ans) qu’au sein de la population née au Canada et des autres groupes de la cohorte d’immigrants. Malgré les niveaux plus élevés d’exposition aux PM2,5 chez les immigrants, ces résultats sont plutôt surprenants, en raison de l’avantage bien documenté de la bonne santé des immigrants en ce qui concerne la mortalité, surtout chez les immigrants plus récents, dont font état les études antérieuresNote 14Note 15. Les RRI systématiquement plus élevés chez les immigrants récents (au pays depuis 11 à 20 ans) sont particulièrement intéressants, surtout lorsqu’on comprend qu’il s’agit du seul groupe pour lequel des RRI plus élevés en ce qui concerne la mortalité attribuable au cancer du poumon ont été observés. Cela peut s’expliquer par certaines caractéristiques de ce groupe, comme le lieu de naissance dans des régions où la pollution de l’air ambiant et à l’intérieur est, de manière générale, plus élevéeNote 1, et la prévalence de l’usage de la cigarette plus élevée (p. ex. en Asie, en Afrique du Nord, au Moyen-Orient, en Amérique latine), même si les immigrants ont, dans l’ensemble, des taux d’usage du tabac inférieurs à ceux des non-immigrantsNote 31. Ces expositions et comportements antérieurs peuvent avoir fait en sorte que ce groupe affiche une prédisposition en ce qui concerne le risque plus élevé de mortalité associé aux PM2,5, et la période de suivi a été suffisante comparativement à la cohorte d’immigrants subséquente affichant des caractéristiques semblables.

Les résultats de cette étude corroborent le fait que l’avantage de la bonne santé des immigrants se dissipe en fonction du temps écoulé depuis l’arrivée au Canada (tableau 2)Note 15, en plus de montrer de quelle façon ce lien évolue lorsqu’il y a exposition à des niveaux croissants de PM2,5 (figure 4). Encore une fois, les immigrants récents (au pays depuis 11 à 20 ans) affichaient les changements les plus importants, et cela contrastait fortement avec la situation des immigrants semi-établis (au pays depuis 20 à 30 ans). Les changements apportés à la politique d’immigration, ainsi que des facteurs macroéconomiques pourraient expliquer la perte de l’avantage de la bonne santé des immigrants observé au sein de ce groupe. Les immigrants semi-établis (au pays depuis 20 à 30 ans) qui sont arrivés au Canada au cours des années 1970 ont profité d’une période de prospérité caractérisée par de bons emplois ainsi que de la mobilité et de la stabilité socioéconomiques croissantes subséquentes. Cependant, au cours de la décennie suivante, des politiques ont été adoptées, lesquelles visaient à doubler les cibles d’immigration annuelles, pour les faire passer de 100 000 à plus de 200 000 immigrants. Cela a entraîné une hausse de la concurrence en ce qui concerne les emplois, exacerbée par une récession et des taux de chômage plus élevés au cours des années 1980 et au début des années 1990Note 9Note 32. Un pourcentage plus élevé d’immigrants qui sont arrivés au cours des années 1980 peuvent donc n’avoir jamais pu s’intégrer sur le plan économique dans leur nouveau pays, ce qui peut avoir donné lieu à des résultats plus faibles en matière de santé. Le tableau 1 montre une légère hausse de la proportion du chômage et de la main-d’œuvre non qualifiée au sein des deux groupes d’immigrants arrivés les plus récemment ainsi que des taux d’instabilité et de défavorisation du quartier plus élevés. Cette instabilité socioéconomique est aggravée par les écarts marqués en matière de rémunération entre les immigrants des années 1980 et les travailleurs nés au Canada, une convergence marginale étant observée uniquement au cours d’une période de 20 ans, et ce, seulement pour les travailleurs plus scolarisésNote 33.

Même si l’étude comportait un certain nombre d’avantages, y compris une vaste cohorte représentative de la population ayant des mesures détaillées de l’exposition, elle présentait des limites importantes.

Premièrement, on ne sait pas si les immigrants étaient des réfugiés, des immigrants parrainés par leur famille ou des immigrants de la composante économique. Les politiques nationales en matière d’immigration ont évolué au fil du temps. Cela a fait en sorte qu’il y a eu une modification du rapport entre ces trois principaux groupes d’immigrants. Des études antérieures ont montré que, même si les réfugiés n’ont pas le même avantage en matière de santé que les immigrants qui ne sont pas des réfugiés, ils affichent tout de même un taux de mortalité attribuable à toutes les causes et aux maladies chroniques moins élevé que celui observé dans la population née au CanadaNote 34.

Deuxièmement, l’année d’immigration est fondée sur le moment où le statut de résident permanent a été accordé. Le temps exact passé au Canada est donc inconnu, même s’il est probable qu’il soit inférieur à 10 ans. De plus, le fait de regrouper des immigrants en fonction de tranches de 10 ans à partir de l’obtention du statut de résident permanent est arbitraire et ne fait que respecter la convention utilisée dans la littérature antérieure. Cette situation peut camoufler des tendances qui pourraient être observées si une autre catégorisation en fonction du temps était utilisée, comme les changements apportés à la politique d’immigration.

Troisièmement, les pays de naissance ont été regroupés en sept régions géographiques, afin d’évaluer approximativement les similitudes culturelles, ethniques et raciales servant de mesure indirecte de l’exposition et des expériences antérieures. Cependant, il est probable que cette situation ne s’applique pas à tous les immigrants, qui peuvent vivre dans de nombreux pays avant d’arriver au Canada. Par exemple, une grande proportion d’immigrants de l’Afrique du Sud se déclarent Allemands, Chinois ou Juifs. Malgré ces limites, la taille de la cohorte était suffisamment grande pour annuler ces approximations. Des tests de conformité avec des groupes additionnels fondés sur le lieu de naissance régional n’ont pas modifié le lien observé entre la mortalité et les PM2,5.

Enfin, la maîtrise du français ou de l’anglais n’a pas été évaluée. Même si l’on sait que la maîtrise de la langue est un obstacle à l’accès aux soins de santé, surtout chez les immigrants plus âgés, et qu’elle est associée au fait d’autodéclarer un mauvais état de santé au fil du tempsNote 35Note 36, il est peu probable que son omission pourrait biaiser les résultats généraux de l’étude en raison de l’utilisation d’autres covariables corrélées, comme la scolarité, le pays de naissance, la profession et la concentration ethnique du quartier.

Conclusion

Les immigrants au Canada vivent des expériences différentes de celles des personnes nées au Canada. Leur exposition antérieure et actuelle est différente, tout comme leurs caractéristiques socioéconomiques et démographiques et leurs caractéristiques de référence liées à leur état de santé . La politique en matière d’immigration a eu des répercussions énormes sur la constitution de la société au Canada, surtout dans les grands centres urbains, puisque la diversité ethnique des immigrants arrivant au pays a changé de manière draconienne au cours des années 1970 et a modifié les quartiers, les économies locales, la langue, l’alimentation et les données démographiques. Même si, dans l’ensemble, les immigrants affichent un RRI moins élevé en ce qui a trait à la mortalité, ils observent un risque accru de mortalité attribuable à des causes autres qu’accidentelles et à des maladies cardiovasculaires en raison d’une exposition aux PM2,5 par rapport aux non-immigrants. La réduction constante de la pollution atmosphérique, surtout dans les régions urbaines, améliorera la santé de l’ensemble de la population canadienne.

Financement : La recherche décrite dans cet article a été réalisée en vertu d’un contrat avec le Health Effects Institute (HEI), un organisme financé conjointement par l’Environmental Protection Agency des États-Unis (EPA) (aide financière no R-82811201) et certains fabricants de véhicules automobiles et de moteurs. Le contenu de cet article ne reflète pas nécessairement les points de vue du HEI ou de ses commanditaires ni ne reflète nécessairement les points de vue et les politiques de l’EPA ou des fabricants de véhicules automobiles et de moteurs.

L’analyse présentée dans le présent document a été réalisée au Centre de données de recherche de l’Université de la Colombie-Britannique, qui fait partie du Réseau canadien des centres de données de recherche (RCCDR). Les services et activités fournis par le Centre de données de recherche de l’Université de la Colombie-Britannique sont offerts grâce au soutien financier ou en nature du Conseil de recherches en sciences humaines, des Instituts de recherche en santé du Canada, de la Fondation canadienne pour l’innovation, de Statistique Canada et de l’Université de la Colombie-Britannique. Les opinions exprimées dans le présent document ne représentent pas celles du RCCDR ni de ses partenaires.

Accès aux données : Les chercheurs peuvent accéder à la cohorte d’analyse utilisée (Cohorte santé et environnement du recensement canadien de 2001) par l’intermédiaire du Programme des centres de données de recherche de Statistique Canada. Les chercheurs ont également accès aux programmes utilisés pour attribuer des expositions de l’environnement (FCCP+ et imputation de codes postaux) dans le cadre d’un abonnement ou en présentant une demande. Les expositions de l’environnement sont offertes lorsqu’une demande est présentée aux auteurs originaux des données. Les codes d’analyse utilisés étaient tous des codes SAS normalisés (p. ex. les étapes relatives aux données, PROC PHREG).

Les auteurs n’ont pas d’intérêts divergents à déclarer.

Références
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