Rapports sur la santé
Qu'est-ce qui a changé depuis la légalisation du cannabis?

par Michelle Rotermann

Avis de correction

Dans l’article « Qu’est-ce qui a changé depuis la légalisation du cannabis ? » publié le 19 février 2020, des erreurs ont été trouvées dans le texte qui ne reflétaient pas les informations correctes dans les tableaux.

Les corrections suivantes ont été apportées :

Dans le troisième paragraphe de la section Résultats, les taux de consommation de cannabis pour les jeunes de 15 à 24 ans avant la légalisation sont passés de 17,5 % à 27,6 % conformément au tableau 1.

Dans la dernière phrase du quatrième paragraphe, l’Ontario (Ont.) figurait à tort parmi les provinces comptant un pourcentage plus élevé de résidents consommant du cannabis depuis la légalisation. Ont. a été remplacé par N.-É. (Nouvelle-Écosse) selon le tableau 1.

Date de diffusion : le 19 février 2020 Date de correction le 21 février 2020

DOI : https://www.doi.org/10.25318/82-003-x202000200002-fra

Le cannabis est l’une des substances les plus couramment consommées au Canada, près de la moitié des Canadiens ayant déclaré en avoir consommé à un moment donné dans leur vieNote 1. En octobre 2018, le Canada est devenu le deuxième pays au monde à légaliser sa vente, sa possession et sa consommation à des fins non médicales par les adultesNote 2, après avoir légalisé la consommation du cannabis à des fins médicales environ deux décennies auparavantNote 3. Les lois sur la conduite avec les facultés affaiblies ont aussi été modifiées pour protéger encore davantage la santé et la sécurité des CanadiensNote 4.

La Loi sur le cannabis poursuit trois principaux objectifs en matière de santé publique : garder le cannabis hors de la portée des jeunes, empêcher les profits d’aller dans les poches des criminels et protéger la santé et la sécurité publiques en permettant aux adultes d’avoir accès à du cannabis légalNote 5. Les provinces et les territoires ont la responsabilité de déterminer comment le cannabis est distribué et vendu sur leur territoireNote 6. Chaque province et territoire est aussi libre d’établir d’autres restrictions, y compris des limites quant à la possession, à la culture personnelle et à la consommation en public, et la hausse de l’âge légal de consommationNote 6.

L’Enquête nationale sur le cannabis (ENC) permet de recueillir des données autodéclarées sur la consommation de cannabis chez les Canadiens tous les trois mois depuis février 2018Note 7Note 8. Cependant, afin de recueillir, de traiter, d’analyser puis de diffuser les résultats de l’ENC chaque trimestre, il fallait que le questionnaire soit concis et que la période de collecte soit courte (environ 31 jours) et la taille de l’échantillon, modeste. Par conséquent, il arrive qu’un trimestre de l’ENC n’ait pas permis de relever suffisamment d’observations d’un comportement particulier. Cependant, étant donné que le contenu de l’ENC est en grande partie demeuré constant, les trimestres de l’Enquête ont pu être regroupés pour permettre de mener des analyses qu’il n’était auparavant pas possible de réaliser.

Le principal objectif de cette étude est d’examiner les changements dans l’autodéclaration de la consommation de cannabis et les comportements connexes relatifs aux trois principaux objectifs en matière de santé publique de la Loi sur le cannabis, ainsi que la conduite (ou les déplacements à bord de véhicules) avec les facultés potentiellement affaiblies à l’aide de données regroupées recueillies avant et après la légalisation.

Sources de données

L’Enquête nationale sur le cannabis (ENC) transversale et volontaire utilise un questionnaire électronique (QE) sur Internet et son contenu a été élaboré en consultation avec plusieurs ministèresNote 7. De plus amples renseignements sur l’ENC sont accessibles en ligneNote 7. En moyenne, chaque trimestre, l’échantillon (provinces seulement) comptait 5 651 répondants, l’Enquête a affiché un taux de réponse de 50 % et la période de collecte a été d’environ 31 jours (annexe tableau A). La majorité des répondants (61 %) ont rempli le questionnaire de l’Enquête sans aide, en utilisant le code d’accès sécurisé envoyé par la poste (annexe tableau A). Les répondants qui n’avaient pas rempli le questionnaire de l’Enquête lors de la troisième semaine de collecte environ ont été joints par téléphone, afin de leur demander de participer avec l’aide d’un intervieweur formé. La population cible de l’Enquête est la population à domicile âgée de 15 ans ou plus, à l’exclusion des résidents des établissements institutionnels, des itinérants et des personnes qui vivent dans des réserves autochtones.

Échantillon de l’étude

Les données des premier, deuxième et troisième trimestres de 2018 ont été regroupées pour créer le fichier d’avant la légalisation (n=17 683) (annexe tableau A). Étant donné que la question sur les passagers a été introduite dans l’Enquête au deuxième trimestre de 2018, le fichier d’avant la légalisation utilisé dans cette analyse était plus petit et couvrait deux trimestres plutôt que trois (n=11 866). Les données des premier, deuxième, troisième et quatrième trimestres de 2019 ont été regroupées pour créer le fichier d’après la légalisation (n=21 872).

Les données du quatrième trimestre de 2018 sont exclues de cette étude, car il n’était pas possible de déterminer si ces données se rapportaient à la période précédant ou suivant la légalisation, en raison du chevauchement entre la période de référence et l’entrée en vigueur de la Loi sur le cannabis (17 octobre 2018). Les données des trois capitales territoriales, recueillies une fois en 2018 puis en 2019, ont également été exclues.

Définitions

Résultats

La consommation de cannabis au cours des trois derniers mois et la consommation tous les jours ou presque (TJP) étaient fondées sur les réponses données à la question suivante : « Au cours des trois derniers mois, à quelle fréquence avez-vous consommé du cannabis? »

La conduite dans les deux heures suivant la consommation de cannabis était fondée sur les réponses à la question : « Au cours des trois derniers mois, avez-vous conduit un véhicule motorisé dans les deux heures suivant la consommation de cannabis? » Les répondants qui n’avaient pas de permis de conduire valide ont été exclus de cette partie de l’analyse.

Le fait d’avoir été passager dans un véhicule conduit par une personne qui avait consommé du cannabis dans les deux heures précédentes était fondé sur les réponses à la question : « Au cours des trois derniers mois, avez-vous été passager dans un véhicule motorisé conduit par une personne qui avait consommé du cannabis dans les deux heures précédentes? »

Les données sur la source d’approvisionnement en cannabis sont fondées sur les réponses à la question suivante : « Au cours des trois derniers mois, comment avez-vous généralement obtenu le cannabis que vous avez consommé? » Onze catégories de réponse ont été fournies, lesquelles ont été réduites à cinq aux fins de la présente analyse : 1) cannabis cultivé par le répondant ou une autre personne; 2) source légale : détaillant autorisé ou en ligne auprès d’un producteur autorisé; 3) source illégale : club de compassion, dispensaire ou comptoir de services, en ligne auprès d’une autre source, auprès d’une connaissance ou auprès d’un « dealer » (vendeur); 4) membre de la famille ou ami, ou partagé dans un groupe d’amis; 5) autre (non précisé). La variable « légal seulement » distingue les consommateurs ayant indiqué des sources légales seulement des consommateurs ayant indiqué plusieurs sources.

Un nombre plus élevé que prévu de consommateurs de cannabis ont déclaré s’être approvisionnés en cannabis auprès d’une source légale avant la légalisation officielle (Loi sur le cannabis). Avant l’entrée en vigueur de la Loi sur le cannabis, les seules personnes qui avaient un accès légal au cannabis étaient les participants au programme d’accès au cannabis à des fins médicales de Santé Canada en vertu du Règlement sur l’accès au cannabis à des fins médicales (RACFM)Note 3. L’identification exacte d’une source légale de cannabis peut avoir été plus difficile pendant les mois qui ont précédé immédiatement la mise en œuvre de la Loi sur le cannabis, lorsque les dispensaires ou les comptoirs de services de cannabis non autorisés étaient relativement courants, mais néanmoins illégaux.

Le libellé des questions de l’ENC peut aussi avoir eu une incidence sur les résultats. Plutôt que de caractériser explicitement les fournisseurs comme étant illégaux ou légaux (il peut être difficile pour les répondants d’admettre une activité illégale), les répondants avaient la possibilité de choisir une source parmi une liste de 11 sources, qui étaient ensuite réduites à 5 sources, légales et illégales. Certaines sources comme « partagé avec des amis » ne permettent pas de faire une caractérisation légal-illégal, car on ne sait pas clairement si le cannabis partagé a été obtenu légalement (ou non). Étant donné qu’on veut suivre les changements dans la déclaration au fil du temps, la liste originale et la question ont été intentionnellement maintenues.

Des comparaisons faites avec le nombre de personnes inscrites au programme du RACFM de Santé Canada donnent à penser qu’il y avait environ 342 000 consommateurs de cannabis légal à des fins médicales avant la légalisation du cannabis à des fins non médicalesNote 9, un chiffre nettement inférieur aux estimations d’approvisionnement de sources légales fondées sur l’ENC (tableau 3). La transparence quant à la façon dont les répondants interprètent les questions de l’Enquête est une information importante pour les utilisateurs des données. En raison de ces erreurs possibles de déclaration, les pourcentages estimés de consommateurs de cannabis qui se sont approvisionnés d’une source légale seront vraisemblablement surestimés pour la période précédant la légalisation. Les différences en approvisionnement en cannabis de sources légales entre les périodes précédant et suivant la légalisation ainsi que les estimations relatives aux sources illégales seront vraisemblablement sous-estimées.

Covariables
La détermination de la question de savoir si la consommation de cannabis ou le comportement connexe est survenu avant ou après la légalisation était fondée sur le trimestre de l’Enquête. Voir la section Échantillon de l’étude ci-dessus pour de plus amples renseignements.

Le genre était fondé sur les réponses à la question : « Quel est votre genre? » 1) masculin; 2) féminin; 3) diverses identités de genre. Les résultats pour la catégorie des diverses identités de genre ne peuvent pas être diffusés en raison de la petite taille de l’échantillon.

La province était fondée sur le lieu de résidence. La région de l’Atlantique comprend quatre provinces : Terre-Neuve-et-Labrador, l’Île-du-Prince-Édouard, la Nouvelle-Écosse et le Nouveau-Brunswick.

Les dépenses en cannabis étaient fondées sur les réponses à la question suivante : « Combien avez-vous dépensé en cannabis au cours des trois derniers mois? »

Techniques d’analyse
Toutes les analyses ont été stratifiées selon la question de savoir si la consommation de cannabis ou le comportement ayant trait à la consommation de cannabis est survenu avant ou après la légalisation et selon l’âge, le genre, la province, la source et/ou la fréquence de la consommation de cannabis (le cas échéant).

La sélection des résultats et des covariables a été guidée par les études publiées et la disponibilité des données (en particulier, l’uniformité du contenu pour l’ensemble des trimestres de l’ENC).

Des poids d’échantillonnage ont été utilisés afin que l’analyse soit représentative de la population canadienne à domicile des 10 provinces. Les poids d’échantillonnage originaux se rapportant à la période précédant la légalisation ont chacun été divisés par deux ou trois (correspondant au nombre de trimestres de 2018 utilisés). Les poids d’échantillonnage se rapportant à la période suivant la légalisation ont chacun été divisés par quatre (parce que tous les trimestres de 2019 ont été inclus). Le regroupement des trimestres fait en sorte que le pouvoir analytique de l’Enquête est accru et que les estimations faites pour les périodes précédant et suivant la légalisation représentent la moyenne des trimestres utilisés.

Toutes les comparaisons faites pour les périodes précédant et suivant la légalisation, ainsi que les différences entre les caractéristiques et les groupes de référence discutées sont statistiquement significatives au seuil de signification p < 0,05 et ont été comparées au moyen de statistiques du test t. Les poids de rééchantillonnage bootstrap ont été utilisés afin de tenir compte du plan d’échantillonnage complexe de l’Enquête.

Les analyses ont été réalisées au moyen de la version 9.3 de SAS et de SUDAAN 11.0.3.

Résultats

Prévalence de la consommation de cannabis

En 2019, plus de 5,1 millions de personnes au pays ou 16,8 % des Canadiens âgés de 15 ans ou plus ont déclaré avoir consommé du cannabis au cours des trois mois précédant l’Enquête (tableau 1). Ce pourcentage était supérieur aux 14,9 % (4,5 millions de personnes) ayant déclaré cette consommation, en moyenne, en 2018 (avant la légalisation).

Le tiers (33,3 %) des jeunes de 18 à 24 ans en 2019 ont déclaré avoir consommé du cannabis au cours des trois derniers mois, une proportion inchangée par rapport à avant la légalisation et également supérieure aux taux observés chez les personnes dans tous les autres groupes d’âge (allant de 5,9 % à 24,4 % selon l’âge). La consommation était également plus élevée chez les hommes que chez les femmes, peu importe l’année.

Entre 2018 et 2019, la consommation de cannabis a augmenté, surtout chez les personnes âgées de 25 ans et plus (de 13,1 % à 15,5 %) et chez les hommes (de 17,5 % à 20,3 %). Les taux correspondants chez les jeunes de 15 à 24 ans (de 27,6 % à 26,4 %) et chez les femmes (de 12,3 % à 13,4 %) sont demeurés constants alors que ceux chez les jeunes de 15 à 17 ans ont diminué (19,8 % à 10,4 %).

En 2019, environ le quart (25,7 %) des habitants de la Nouvelle-Écosse (N.-É.) et environ le cinquième des habitants de Terre-Neuve-et-Labrador (T.-N.-L.) (21,1 %), du Nouveau-Brunswick (N.-B.) (20,3 %), de l’Alberta (Alb.) (19,3 %) et de la Colombie-Britannique (C.-B.) (19,1 %) ont déclaré avoir consommé du cannabis au cours des trois mois précédents, des chiffres qui sont supérieurs aux estimations pour le reste du Canada (toutes les autres provinces combinées). Les habitants du Québec (Qc.) (11,8 %) ont eu une consommation inférieure à la moyenne. Une comparaison des taux de chaque province avant et après la légalisation donne aussi à penser que des pourcentages supérieurs d’habitants de T.-N.-L., du N.-B., de la N.-É. et de l’Alb. consomment du cannabis depuis la légalisation.

Consommation tous les jours ou presque (TJP)

En moyenne, en 2019, 6,0 % des Canadiens âgés de 15 ans ou plus ont déclaré avoir consommé du cannabis TJP, soit environ la même proportion qu’en 2018 (5,9 %) (tableau 1). Peu importe l’année, les consommateurs TJP étaient aussi plus susceptibles d’être des hommes et d’être âgés de 18 à 44 ans. Même si leur proportion a atteint 2,6 % en 2019, les personnes âgées de 65 ans et plus étaient toujours les moins susceptibles de consommer du cannabis TJP, mais elles représentaient le seul groupe de la population chez qui la consommation TJP a augmenté depuis la légalisation.

Les pourcentages de la population ayant déclaré une consommation TJP variaient d’un bout à l’autre du pays (de 3,3 % à 10,2 % selon la province). En général, la consommation TJP à l’échelle provinciale en 2019 correspondait à des tendances régionales en matière de consommation de cannabis, les taux ayant été plus élevés que la moyenne nationale dans la plupart des provinces de l’Atlantique (c.-à-d. T.-N.-L., N.-É., N.-B.) et en C.-B., et moins élevés au Qc. La seule exception était l’Alb., où la consommation TJP est demeurée comparable à la proportion nationale, même si cette province a enregistré un des taux les plus élevés de consommation de cannabis au pays.

Conduite après avoir consommé du cannabis

La légalisation a soulevé des préoccupations concernant la consommation accrue chez les conducteurs. Selon les données de l’ENC, la probabilité de déclarer avoir conduit après avoir consommé du cannabis est demeurée inchangée avec la légalisation. À titre d’exemple, en 2019, 13,2 % des consommateurs de cannabis ayant un permis de conduire valide ont déclaré avoir conduit dans les deux heures suivant leur consommation de cannabis, une proportion inchangée par rapport à 2018 (tableau 2). Les hommes demeuraient plus susceptibles d’avoir ce comportement que les femmes (15,6 % par rapport à 9,4 %, respectivement). La proportion ayant déclaré avoir conduit dans les deux heures suivant la consommation de cannabis était aussi plus de cinq fois plus élevée chez les conducteurs ayant déclaré une consommation de cannabis TJP qu’elle l’était chez les conducteurs ayant déclaré une consommation moins que TJP (p. ex. 28,8 % comparativement à 5,2 %, respectivement, en 2019). En revanche, la conduite dans les deux heures suivant la consommation variait peu d’un bout à l’autre du pays et n’était pas liée à l’âge ni avant ni après la légalisation.

Passagers à bord d’un véhicule conduit par une personne ayant consommé du cannabis

Entre 2018 et 2019, le pourcentage des Canadiens âgés de 15 ans ou plus qui ont été passagers de véhicules conduits par des personnes ayant consommé du cannabis dans les deux heures précédentes est passé de 5,3 % à 4,2 % (tableau 2). Cependant, la diminution de ce comportement se limitait à trois provinces (T.-N.-L., 3,6 %, Alb., 3,9 %, et Ont., 3,7 %). En 2019, les habitants de la N.-É. (6,3 %) et de la C.-B. (5.5 %) étaient plus susceptibles d’avoir été passager à bord d’un véhicule conduit par une personne qui avait consommé que partout ailleurs au Canada.

Ce comportement demeurait plus courant chez les jeunes de 18 à 24 ans (11,9 %) qu’il l’était chez les personnes plus âgées (allant de 0,7 % à 6,4 % selon le groupe d’âge). Après la légalisation, la probabilité d’être un passager à bord d’un véhicule conduit par une personne avec les facultés potentiellement affaiblies était plus faible chez les femmes que chez les hommes (3,6 % par rapport à 4,7 %).

Les déplacements à bord d’un véhicule conduit par une personne ayant consommé du cannabis étaient courants chez les passagers qui avaient aussi consommé du cannabis. À titre d’exemple, en 2019, 20,1 % des consommateurs ont déclaré avoir été un passager comparativement à 1,4 % des personnes qui ne consommaient pas de cannabis. Avant la légalisation, ces chiffres étaient plus élevés (26,2 % comparativement à 2,0 %, respectivement).

Sources d’approvisionnement en cannabis

Selon l’ENC de 2019, une proportion estimée à 29,4 % des consommateurs de cannabis ont déclaré avoir obtenu tout le cannabis qu’ils ont consommé d’une source légale, un chiffre presque trois fois plus élevé qu’avant la légalisation (10,7 %) (tableau 3). Bon nombre de consommateurs ont obtenu du cannabis de plusieurs sources. Si l’on combine tous ceux qui ont déclaré avoir obtenu au moins une partie de leur cannabis d’une source légale, le pourcentage des consommateurs ayant obtenu (au moins en partie) du cannabis légalement a augmenté pour atteindre 52,0 % en 2019.

Avant l’entrée en vigueur de la Loi sur le cannabis, le fait d’avoir obtenu du cannabis légalement selon l’ENC était déclaré moins fréquemment (22,7 %), mais il était aussi probablement surestimé, étant donné que seule la consommation à des fins médicales était légale et qu’elle se limitait à un nombre relativement faible de participants au programme du RACFMNote 3Note 9 de Santé Canada.

Il demeurait également courant en 2019 d’obtenir du cannabis d’autres sources, mais moins qu’avant la légalisation. À titre d’exemple, en 2019, environ 4 consommateurs sur 10 ont déclaré avoir obtenu du cannabis d’un fournisseur illégal (40,1 %) ou l’avoir obtenu auprès d’amis ou de membres de la famille (ou l’avoir partagé avec eux) (37,8 %). Les estimations de 2018 correspondantes étaient significativement plus élevées (51,7 % et 48,5 %). La culture du cannabis, par soi-même ou par une autre personne, était une source d’approvisionnement pour 9,9 % des consommateurs, et 3,2 % d’entre eux ont déclaré une autre source (non précisée). Les deux proportions étaient inchangées par rapport à 2018.

Bon nombre des constatations faites à l’échelle nationale depuis la légalisation sont également évidentes à l’échelle provinciale, notamment l’augmentation du nombre d’habitants dans toutes les provinces ayant déclaré avoir obtenu du cannabis de sources légales et la diminution du nombre d’habitants dans 7 des 10 provinces ayant déclaré l’avoir obtenu illégalement (tableau 3).

Le cannabis est distribué et vendu au Canada selon trois modèles de vente au détail : le gouvernement (public), le privé ou un modèle hybride selon la provinceNote 10. Chaque province le rend aussi accessible par l’intermédiaire de magasins en ligne, peu importe le nombre de magasins traditionnels.

En raison, du moins en partie, des variations dans l’accessibilité, qui signifie pour bon nombre la proximité des magasins traditionnels, les habitants des régions comptant plus (p. ex. l’Alb.) ou moins (p. ex. l’Ont. ou la C.-B.) de magasins, ou offrant un meilleur accès par habitant (p. ex. T.-N.-L.) peuvent faire une déclaration différente. En effet, en 2019, des pourcentages plus élevés de consommateurs de la région de l’Atlantique, notamment les consommateurs de T.-N.-L., de l’Alb. (66,7 %), du Qc. (58,0 %) et du Manitoba (59,3 %) ont déclaré avoir obtenu au moins une partie de leur cannabis légalement, des chiffres significativement plus élevés que le reste du Canada, tandis que les habitants de la C.-B. et de l’Ont. ont déclaré un approvisionnement en cannabis auprès de sources légales plus faible que la moyenne (36,6 % et 47,3 %, respectivement). Parallèlement, d’autres facteurs peuvent expliquer d’autres différences régionales.

La source d’approvisionnement en cannabis a aussi tendance à dépendre de la somme dépensée. Étant donné qu’il faut beaucoup de petits dépensiers pour accumuler le même montant d’argent qu’un « grand dépensier », une autre façon de mesurer les progrès réalisés dans l’élimination (ou la réduction appréciable) du marché noir du cannabis consiste à suivre les changements dans la source d’approvisionnement selon la catégorie de dépenses.

À titre d’exemple, l’analyse des données de l’ENC révèle que la légalisation a eu peu d’impact pour environ le quart des consommateurs de cannabis ayant déclaré ne pas avoir payé pour le cannabis qu’ils ont consommé (données non présentées) et que, comme avant, la majorité (69,8 % en 2019 et 77,1 % en 2018) des consommateurs ayant déclaré ne pas avoir payé ont continué à déclarer qu’ils ont obtenu leur cannabis auprès d’amis ou de membres de la famille (ou qu’ils l’ont partagé avec eux) (tableau 4).

Chez les plus grands dépensiers (c’est-à-dire, les personnes ayant dépensé plus de 250 $ en trois mois), représentant environ le cinquième des consommateurs, plus de consommateurs qu’auparavant ont déclaré avoir obtenu tout (24,3 % en 2019, en hausse par rapport à 16,6 %) ou au moins une partie de leur cannabis auprès de sources légales en 2019 (59,4 % comparativement à 39,3 % en 2018). De plus, la consommation de cannabis illégal par les plus grands dépensiers a diminué (passant de 70,1 % en 2018 à 62,0 % en 2019). Cependant, la consommation déclarée de cannabis obtenu auprès d’amis ou de membres de la famille est demeurée inchangée (29,0 % en 2019 par rapport à 28,4 % en 2018).

Chez les consommateurs de cannabis ayant dépensé de 1 $ à 250 $ (en trois mois), la proportion de ceux qui ont obtenu leur cannabis légalement (exclusivement ou au moins quelquefois) a augmenté de 2018 à 2019, tandis que celle des consommateurs qui se sont approvisionnés auprès de sources illégales de même qu’auprès d’amis ou de membres de la famille a diminué.

Discussion

Cette étude présente un aperçu des changements observés dans la consommation de cannabis et les comportements connexes dans les mois précédant et suivant immédiatement l’entrée en vigueur de la Loi sur le cannabis, à l’aide de données des dix provinces qui sont représentatives à l’échelle nationale.

Il est de plus en plus admis que la consommation de cannabis peut être néfaste pour le cerveau des adolescentsNote 11Note 12 et que le fait de commencer à consommer du cannabis à un jeune âge accroît la probabilité d’une consommation problématique de cannabisNote 13. La consommation de cannabis pendant l’adolescence est également associée à une moins bonne santé mentaleNote 14Note 15Note 16 et à de moins bons résultats au chapitre de l’éducation ainsi qu’à des désavantages personnels à long termeNote 14Note 16. Les consommateurs fréquents sont plus susceptibles d’éprouver des problèmesNote 13. Étant donné que la prévalence de la consommation de cannabis déclarée tend à être plus élevée après la légalisationNote 17(bien qu’une partie de cette augmentation puisse être attribuable à une plus grande volonté de divulgation), nombreux sont ceux qui ont craint que la consommation des jeunes augmente aussi. Les premières indications de cette étude fondée sur l’ENC donnent à penser que la consommation chez les jeunes canadiens n’a pas augmenté. Cela concorde avec l’expérience du Colorado, le premier État à légaliser le cannabis à des fins non médicalesNote 17. Cependant, la consommation de cannabis à un âge plus avancé et la prévalence globale ont augmenté, non seulement au cours des années visées par l’ENC, mais également à long termeNote 18Note 19.

Pour la plupart des gens, la consommation occasionnelle aura peu d’impact, mais d’autres études ont révélé que, lorsque la prévalence globale augmente, le risque d’avoir un trouble lié à la consommation de cannabis augmente égalementNote 20.

La consommation de cannabis plus fréquente, qui se définit généralement par une consommation TJP, est associée à un risque de dépendance au cannabisNote 13Note21 et à la consommation d’autres substancesNote 15Note 22. Les consommateurs qui consomment du cannabis plus régulièrement consomment également de plus grandes quantités en poidsNote 19Note 21Note 23.

Ce qui n’a pas changé non plus, c’est que la prévalence globale de la consommation de cannabis en plus de la consommation TJP sont demeurées beaucoup plus courantes chez les jeunes de 15 à 24 ans que chez les personnes âgées de 25 ans et plus. Le fait de commencer à consommer pendant l’adolescence augmente le risque au cours de la vie d’avoir un trouble lié à la consommation de substancesNote 20Note 22, entre autres problèmesNote 13Note 14Note 16Note 22.

Le cannabis peut nuire à la capacité de conduire d’une personne et est associé à un risque accru de collisions automobilesNote 24Note 25. La légalisation a soulevé des préoccupations concernant la conduite avec les facultés affaiblies par le cannabis. Statistique Canada surveille habituellement la conduite avec les facultés affaiblies par le cannabis en répertoriant les incidents de conduite avec les facultés affaiblies par la drogue (pas nécessairement le cannabis) déclarés par la police. Les données sur la criminalité recueillies auprès de la police indiquent que les incidents de conduite avec les facultés affaiblies par la drogue ont presque triplé de 2009 à 2018Note 26. L’augmentation, cependant, peut en partie témoigner d’améliorations au chapitre de la détection et de rapports policiers plus complets plutôt que d’une augmentation de la fréquence de tels incidents. Étant donné que la conduite avec les facultés affaiblies par la drogue n’est pas toujours détectée par la police, l’ENC comprenait des questions à propos de la conduite après avoir consommé du cannabis (ainsi que des déplacements à bord d’un véhicule conduit par une personne avec les facultés potentiellement affaiblies), afin de dresser un portrait statistique plus complet de ces phénomènes.

Les comparaisons faites entre les données recueillies avant et après la légalisation donnent à penser que les choses n’ont pas beaucoup changé, 13,2 % des consommateurs de cannabis détenant un permis de conduire ayant déclaré avoir conduit dans les deux heures suivant la consommation, environ la même proportion qu’en 2018. Au cours des deux années, les hommes étaient plus susceptibles de conduire après avoir consommé. En revanche, les déplacements à bord d’un véhicule conduit par une personne ayant consommé du cannabis ont été déclarés moins fréquemment en 2019 qu’auparavant, surtout en raison d’une diminution du comportement chez les femmes en particulier. Si la probabilité de conduire après avoir consommé n’était pas différente selon l’âge, les déplacements à bord d’un véhicule conduit par une personne ayant consommé étaient plus fréquemment déclarés chez les jeunes de 15 à 24 ans que chez les personnes âgées de 25 ans et plus et, en 2019, ils étaient aussi plus fréquemment déclarés chez les hommes.

La présente analyse se limitait aux résultats visés par l’ENC. De façon générale, les changements observés étaient modestes, ce qui peut indiquer que l’approche axée sur la santé publique adoptée par le Canada à l’égard de la légalisation, s’accompagnant d’une importante surveillance réglementaireNote 2Note 6, de restrictions touchant la promotion, l’emballage et la publicité, d’un accent mis sur l’éducation, etc. fonctionne bien. En revanche, les répercussions de la légalisation peuvent avoir été retardées en raison de différences régionales dans l’accès à des magasins de détail légaux, des pénuries, ou même la courte période suivant la légalisation. D’autres études et rapports fondés sur des données administratives concernant les admissions dans les hôpitaux et les salles d’urgence, les empoisonnements et les traitements permettraient de dresser un portrait plus complet des effets (néfastes) pour la santé après la légalisationNote 17Note 27.

L’un des principaux objectifs de la légalisation était l’élimination (ou la réduction appréciable) des achats de cannabis faits sur le marché noir, c’est-à-dire auprès de sources illégales. Selon la présente étude, davantage de Canadiens se procurent du cannabis légalement et moins de Canadiens consomment également du cannabis de source illégale qu’avant la modification législative. Bien qu’elles ne soient pas directement comparables (en raison de différences dans la méthodologie ou le plan d’enquête), d’autres études s’appuyant sur des données différentes ont également révélé que plus de Canadiens que jamais obtiennent du cannabis légalementNote 10Note 28.

Forces et limites

Cette étude présente un certain nombre de forces, y compris l’utilisation de plusieurs résultats, le fait de disposer de données de comparaison recueillies avant et après la légalisation et l’avantage analytique du regroupement des trimestres de l’Enquête. À titre d’exemple, il ne serait pas possible de mener des analyses provinciales des sources d’approvisionnement ou des analyses des sources de cannabis par niveau des dépenses engagées sans regroupement des trimestres.

Néanmoins, les résultats de cette étude doivent être interprétés à la lumière de plusieurs limites.

L’information tirée de l’Enquête était autodéclarée et n’a pas été vérifiée ni validée. Un nombre plus élevé que prévu de consommateurs de cannabis ont déclaré avoir obtenu du cannabis d’une source légale avant sa légalisation officielle (Loi sur le cannabis). Par conséquent, l’ENC a surestimé le pourcentage des Canadiens qui ont obtenu du cannabis d’une source légale.

Les changements au fil du temps dans la volonté des répondants d’admettre qu’ils consomment de la drogue, dans leur définition de ce qui constitue une consommation de drogues et dans le risque perçu ou réel des conséquences juridiques ne pouvaient être ni contrôlés ni détectés, mais pouvaient avoir une incidence sur les résultats. Au Canada, à l’instar de nombreux autres pays, l’accès légal au cannabis à des fins médicales et, plus récemment, au cannabis à des fins non médicales pourrait avoir influencé la volonté de déclarer sa consommation. Ces changements pourraient être particulièrement pertinents chez les adultes plus âgés et, par conséquent, certaines des augmentations observées pourraient indiquer non pas un changement de comportement, mais plutôt une nouvelle volonté de déclarer sa consommation. Cependant, d’autres études ayant évalué l’exactitude de la consommation de cannabis autodéclarée par rapport au dépistage de drogues dans l’urine tendent à révéler peu d’incohérencesNote 29.

Le regroupement des trimestres de l’ENC produit des échantillons de plus grande taille aux fins d’analyse et les estimations qui en résultent sont de meilleure qualité que celles obtenues en utilisant les données d’un seul trimestre. Cependant, étant donné que cette approche regroupe plusieurs trimestres en un seul ensemble de données, la variable d’intérêt doit être présente et être relevée systématiquement tous les trimestres, p. ex. les questions sur la consommation à des fins médicales ont été introduites à la fin de 2018, ce qui souligne l’importance d’une collecte de données continue et uniforme.

Bien que le regroupement des cycles de l’ENC atténue le problème de la petite taille des échantillons, ce problème n’est pas complètement éliminé et il a souvent été nécessaire d’examiner les covariables séparément. La petite taille des échantillons dans d’autres parties peut aussi avoir réduit la capacité d’obtenir une signification statistique. Les estimations regroupées représentent des moyennes de période, ce qui signifie que la variation trimestrielle est minimiséeNote 30.

La nature transversale des données ne permet pas de tirer des inférences causales.

Les analyses se limitent aux répondants à domicile et, par conséquent, certains groupes, reconnus pour être à risque élevé de consommer de la drogue (p. ex. les itinérants), sont exclus.

Conclusion

Les politiques régissant la production, la distribution, la vente et la consommation de cannabis continuent d’évoluer. Si la première année de la politique de légalisation du Canada s’est accompagnée d’un changement généralement modeste des comportements liés au cannabis, plusieurs changements potentiellement importants seront apportés à la politique au début de 2020Note 2, y compris la vente légale de produits plus puissants et de produits comestibles (qui peuvent présenter des risques particuliers)Note 27Note 31. Certaines provinces (p. ex. l’Ont.) ouvriront également le marché de détail du cannabis en éliminant la limite au nombre de magasins privésNote 32,tandis qu’une autre (N.-B.) prévoit privatiser les activités auparavant exercées par le gouvernementNote 33. Une province (Qc.), en revanche, fait passer l’âge légal de 18 à 21 ans à compter de 2020Note 34. Par conséquent, on ne connaîtra les véritables répercussions de la Loi sur le cannabis que lorsque davantage de temps se sera écoulé et lorsque le marché de détail émergeant connexe se sera stabilisé.

Appendix

Références
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