Rapports sur la santé
Prévalence de l’insomnie chez les Canadiens âgés de 6 à 79 ans

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par Jean-Philippe Chaput, Jessica Yau, Deepa P. Rao et Charles M. Morin

Date de diffusion : le 19 décembre 2018

L’insomnie est le trouble du sommeil le plus fréquent et touche une grande partie de la population de manière situationnelle, récurrente ou chroniqueNote 1. L’insomnie se caractérise principalement par une insatisfaction relativement au sommeil et des difficultés à s’endormir ou à demeurer endormi ainsi que par une profonde détresse et une altération du fonctionnement pendant la journéeNote 2. Une insomnie persistante a été associée à des problèmes de santé, notamment à une réduction de la qualité de vie ainsi qu’à une morbidité physique et psychologiqueNote 1Note 2. Au Canada, le fardeau économique individuel associé à l’insomnie est estimé à 5 010 $ par personne par an, près de 90 % de ce montant étant attribué à des coûts indirects, comme l’absentéisme au travail et la réduction de la productivitéNote 3. Malgré cette prévalence et ce fardeau élevés, l’insomnie n’est souvent pas reconnue ni traitée, du fait des obstacles à son évaluation et à sa gestionNote 1Note 2. Le besoin de créer des thérapies plus rentables, efficaces et accessibles pour traiter l’insomnie est évidentNote 1Note 2.

La prévalence de l’insomnie dans les études épidémiologiques peut aller de 6 % à 48 %, selon la définition utilisée (p. ex. symptômes d’insomnie, ayant ou non des conséquences pendant la journée, insatisfaction relativement au sommeil et troubles associés à l’insomnie)Note 4Note 5Note 6. On estime, par exemple, qu’environ 25 % des adultes ne sont pas satisfaits de leur sommeil, que 10 % à 15 % présentent des symptômes d’insomnie associés à des conséquences pendant la journée et que 6 % à 10 % présentent des symptômes qui répondent aux critères des troubles associés à l’insomnieNote 4Note 5Note 6. Tjepkema a révélé que 13,4 % des adultes canadiens âgés de 15 ans et plus présentaient des symptômes nocturnes d’insomnie en 2002, c’est-à-dire qu’ils rencontraient des difficultés à s’endormir ou à demeurer endormis la plupart du temps ou tout le tempsNote 7. On ne sait cependant généralement pas si les symptômes nocturnes d’insomnie sont demeurés stables au Canada au cours des dernières années. De plus, on ne sait pas si les enfants d’âge scolaire et les adolescents au Canada présentent également une prévalence élevée de symptômes nocturnes d’insomnie. Le présent article vise à pallier ce manque de connaissance et à approfondir l’étude de Tjepkema en fournissant également des données sur la durée des symptômes nocturnes d’insomnie au sein de la population canadienne. Il est important de mieux comprendre l’épidémiologie des symptômes d’insomnie au Canada afin de guider la répartition des ressources et de contribuer à la mise en place d’interventions efficaces. Dans le cadre de l’Enquête canadienne sur les mesures de la santé (ECMS), des Canadiens ont été interrogés entre 2007 et 2015 sur leurs habitudes de sommeil. Le présent article résume les principaux résultats relatifs à la prévalence des symptômes nocturnes d’insomnie chez les Canadiens âgés de 6 à 79 ans, afin de faciliter la prise de décisions stratégiques éclairées.

Données et méthodes

Source des données

Les données sont tirées des cycles 1 à 4 (2007 à 2015) de l’Enquête canadienne sur les mesures de la santé (ECMS), une enquête continue, transversale et représentative de la population nationale menée par Statistique Canada auprès de la population à domicile âgée de 3 à 79 ans. Les résidents des réserves des Premières Nations ou d’autres peuplements autochtones, d’établissements institutionnels ou de certaines régions éloignées ainsi que les membres à temps plein des Forces canadiennes ont été exclus. Le Comité d’éthique de la rechercheNote 8 de Santé Canada a donné son approbation déontologique pour l’ECMS.

Les participants ont répondu à un questionnaire présenté lors d’une interview à leur domicile, notamment à sept questions portant sur le sommeil. Les parents et tuteurs ont fourni les renseignements concernant les répondants âgés de moins de 12 ans. Les taux de réponse pour les ménages sélectionnés étaient de 69,6 %, 75,9 %, 74,1 % et 76,4% pour les cycles 1, 2, 3 et 4 respectivement. Au sein des ménages participants, 88,3 % des répondants ont répondu au questionnaire des ménages pour le cycle 1, 90,5 % pour le cycle 2, 88,4 % pour le cycle 3 et 91,5% pour le cycle 4. Les données relatives aux répondants âgés de 6 à 79 ans du cycle 1 (2007 à 2009; n = 5 604)Note 9, du cycle 2 (2009 à 2011; n = 5 783)Note 10, du cycle 3 (2012 à 2013; n = 5 219)Note 11et du cycle 4 (2014 à 2015; n = 5 220)Note 12 ont été utilisées dans les présentes analyses.

Définitions

Les symptômes nocturnes d’insomnie ont été déterminés par la question : « À quelle fréquence avez-vous de la difficulté à vous endormir ou à rester endormi? » Les options de réponse comprenaient : « Jamais », « Rarement », « Parfois », « La plupart du temps » et « Tout le temps ». On a considéré que les répondants ayant répondu « La plupart du temps » et « Tout le temps » présentaient des symptômes nocturnes d’insomnie, comme cela a déjà été mentionnéNote 7.

La durée des symptômes d’insomnie a été déterminée par la question : « Depuis combien de temps avez-vous cette difficulté? » Les cinq options de réponse étaient : « Moins de 2 semaines », « 2 semaines à moins de 6 mois », « 6 mois à moins d’un an », « 1 an à moins de 2 ans » et « 2 ans ou plus ». Seul le pourcentage de personnes présentant des symptômes d’insomnie depuis un an ou plus a été présenté dans les tableaux; les autres catégories de réponses n’ont pas pu être présentées du fait de la petite taille des échantillons et de coefficients de variation trop peu fiables pour être publiés (plus de 33,3 %). Les questions de l’enquête portant sur l’insomnie étaient identiques dans tous les cycles de l’ECMS.

La durée du sommeil a été évaluée au moyen de la question suivante : « Combien d’heures dormez-vous généralement au cours d’une période de 24 heures, en excluant le temps consacré au repos? » Les réponses ont été arrondies à la demi-heure près. On a classé les répondants selon qu’ils dormaient moins que la durée recommandée pour une santé optimale (9 heures par nuit pour les enfants de 6 à 13 ans, 8 heures par nuit pour les jeunes de 14 à 17 ans, 7 heures par nuit pour les adultes de 18 à 79 ans) ou qu’ils ne dormaient pas moins que la durée recommandéeNote 13Note 14.

Les analyses ont été effectuées par sexe et tranche d’âge : enfants (6 à 13 ans), adolescents (14 à 17 ans), adultes (18 à 64 ans) et personnes âgées (65 ans ou plus). Les tranches d’âge ont été choisies en fonction de celles utilisées pour les recommandations nationales de durée de sommeilNote 13Note 14. On a également examiné les participants selon le niveau de scolarité et le revenu du ménage. Le niveau de scolarité du ménage correspondait au plus haut niveau de scolarité atteint par l’un ou l’autre des membres du ménage; trois catégories ont été créées : diplôme d’études secondaires ou moins; diplôme d’études secondaires, mais niveau d’études inférieur au baccalauréat; et baccalauréat ou niveau d’études plus élevé. Le revenu du ménage annuel a été déclaré par les participants et regroupé selon trois niveaux : moins de 40 000 $, de 40 000 $ à moins de 80 000 $ et 80 000 $ ou plus.

Des études antérieures ayant indiqué que l’insomnie était associée à la qualité de vie perçue et à la santé physique et à la santé mentale perçues, on a utilisé des tableaux croisés pour estimer la prévalence des symptômes nocturnes d’insomnie selon ces indicateurs de santé. On a ainsi posé les questions suivantes aux répondants : « En général, diriez-vous que votre santé est : », « En général, diriez-vous que votre santé mentale est : » et « Diriez-vous que votre qualité de vie est : » Les options de réponses comprenaient : « Excellente », « Très bonne », « Bonne », « Passable » ou « Mauvaise ».

Afin de tenir compte du plan de sondage, les moyennes et les pourcentages ont été estimés à l’aide de poids de sondage, alors que les intervalles de confiance et la variance ont été estimés à l’aide de la technique bootstrap utilisée pour les enquêtesNote 15Note 16. Des tests de khi carré ont ensuite été effectués pour comparer les proportions des divers cycles. Les valeurs de p ont été ajustées aux fins de comparaisons multiples à l’aide de la méthode d’ajustement du taux de fausses découvertes (TFD). Les différences entre les estimations ont été testées, afin de déterminer leur signification statistique selon la valeur p < 0,05 ajustée pour tenir compte du TFD. Toutes les analyses ont été effectuées à l’aide de la version 9.3 de SAS (SAS Institute, Cary, Caroline du Nord, États-Unis).

Résultats

Symptômes nocturnes d’insomnie chez les Canadiens

Les symptômes nocturnes d’insomnie sont plus fréquents chez les adultes que chez les adolescents et les enfants. Ils sont également plus fréquents chez les femmes et chez les personnes ayant un niveau de scolarité et un revenu inférieurs (tableau 1). Les symptômes nocturnes d’insomnie sont également devenus plus fréquents ces dernières années. Ils ont, par exemple, augmenté de 42 % en huit ans de 2007 à 2015 chez les Canadiens âgés de 18 ans ou plus (passant de 16,8 % pour la période de 2007 à 2009 à 23,8 % pour la période de 2014 à 2015 [p < 0,05]).TjepkemaNote 7 a révélé que 13,4 % des Canadiens adultes présentaient des symptômes nocturnes d’insomnie en 2002, en utilisant la question formulée de la même manière que dans l’Enquête sur la santé dans les collectivités canadiennes, qui a permis de révéler que l’insomnie nocturne était en augmentation depuis au moins 2002. La majorité des personnes ayant déclaré des symptômes nocturnes d’insomnie ont relevé des symptômes depuis au moins un an (tableau 2).

Symptômes nocturnes d’insomnie et respect des recommandations en matière de durée de sommeil

Comme le montre la figure 1, la proportion de Canadiens âgés de 6 à 79 ans qui dormaient moins que la durée recommandée pour assurer une santé optimaleNote 13Note 14, chez les personnes présentant des symptômes nocturnes d’insomnie, était la suivante : 52,4 % pour le cycle 1 (intervalle de confiance [IC] à 95 % : 46,9 à 58,0), 55,4 % pour le cycle 2 (IC à 95 % : 47,8 à 63,0), 56,3 % pour le cycle 3 (IC à 95 % : 48,9 à 63,6) et 58,6 % pour le cycle 4 (IC à 95 % : 51,9 à 65,2). Ces estimations sont nettement supérieures à la moyenne canadienne selon laquelle un tiers des personnes âgées de 6 à 79 ans ont déclaré dormir moins que la durée recommandéeNote 17Note 18Note 19. Chez les personnes ne présentant pas de symptômes nocturnes d’insomnie, la proportion de Canadiens dormant moins que la durée recommandée était bien inférieure : 22,9 % pour le cycle 1 (IC à 95 % : 21,1 à 24,7), 25,9 % pour le cycle 2 (IC à 95 % : 22,6 à 29,3), 25,0 % pour le cycle 3 (IC à 95 % : 21,7 à 28,3) et 20,6 % pour le cycle 4 (IC à 95 % : 17,2 à 23,9).

Symptômes nocturnes d’insomnie selon la santé générale, la santé mentale et la qualité de vie perçues

Les symptômes nocturnes d’insomnie sont associés négativement à la santé générale, à la santé mentale et à la qualité de vie perçues (tableau 3). En d’autres termes, plus les Canadiens percevaient leur santé et leur qualité de vie de manière positive, moins ils déclaraient de symptômes nocturnes d’insomnie. Cela correspond aux études antérieuresNote 7Note 20Note 21.

Forces et limites

Il convient d’interpréter la présente étude en tenant compte des forces et des limites suivantes. Les forces comprennent l’échantillon représentatif du pays, l’inclusion des enfants et des adolescents et l’examen des tendances au fil du temps, notamment la durée des symptômes nocturnes d’insomnie. Cependant, ces résultats doivent être interprétés en tenant compte des limites suivantes. Les diverses définitions de l’insomnie dans la littérature rendent les comparaisons difficiles entre les étudesNote 4. Il est nécessaire d’avoir recours à une définition et à une méthodologie normalisées pour mener des études épidémiologiques sur l’insomnie, afin d’éviter la variabilité des taux de prévalenceNote 1Note 2. La présente étude fournit, par exemple, des renseignements sur les symptômes nocturnes d’insomnie et non sur les diagnostics d’insomnie, qui exigeraient la présence de symptômes nocturnes et diurnes. De plus, il a été démontré que la durée des symptômes la plus fiable pour définir l’insomnie était de trois moisNote 1Note 2; cette durée ne faisait cependant pas partie des options de réponse mentionnées dans l’ECMS. La période relativement courte de l’ECMS en matière d’analyse des tendances (huit ans) empêche, en outre, l’examen d’éventuelles variations des symptômes d’insomnie au cours des dernières décennies. Les Canadiens âgés de 80 ans ou plus n’étaient pas inclus dans l’ECMS, ce qui limite les inférences aux tranches d’âge supérieures. Les populations des Premières Nations, les membres à temps plein des Forces canadiennes et les résidents d’établissements institutionnels (p. ex. les établissements de soins infirmiers, les foyers collectifs et les établissements correctionnels) n’étaient pas visés par l’ECMS. Du fait des défis particuliers en matière de santé mentale auxquels font face ces populations, les symptômes d’insomnie mentionnés dans le présent article peuvent avoir fait l’objet d’une sous-estimation. Enfin, de futures études devraient examiner les causes et les effets ainsi que l’utilisation de traitements ou de stratégies du point de vue des patients, de la population en général et des prestataires de soins de santé.

Conclusion

Les résultats de la présente étude semblent indiquer une augmentation des symptômes nocturnes d’insomnie au sein de la population canadienne au cours des dernières années, en particulier chez les adultes. Ces symptômes sont en outre plus fréquents chez les femmes, chez les personnes issues de milieux socioéconomiques défavorisés et chez les personnes ayant déclaré une mauvaise santé et une mauvaise qualité de vie. La majorité des Canadiens présentant des symptômes nocturnes d’insomnie a déclaré les avoir depuis plus d’un an. Selon ces résultats, des efforts en vue d’établir des stratégies de prévention et d’intervention pourraient réduire le fardeau des symptômes d’insomnie chez les Canadiens.

Remerciements

Les auteurs souhaitent remercier les participants à l’Enquête canadienne sur les mesures de la santé et tout le personnel de Statistique Canada ayant pris part aux activités liées à l’enquête.

Références
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