Rapports sur la santé
Comprendre les besoins futurs des vétérans canadiens
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par Linda D. VanTil, Mary Beth MacLean, Jill Sweet et Kristofer McKinnon
On estime que 658 000 vétérans vivaient au Canada en mars 2017Note 1. Les vétérans sont d’anciens membres des Forces armées canadiennes (Force régulière ou Force de réserve)Note 2. Malheureusement, il n’existe aucune liste détaillée des 650 000 Canadiens ayant servi pendant la Première Guerre mondiale, des 1 037 000 ayant servi pendant la Seconde Guerre mondiale, des 26 800 ayant servi pendant la guerre de Corée ou des nombreux membres ayant servi dans les Forces armées canadiennes depuis 1954Note 3. Anciens Combattants Canada (ACC) utilise plusieurs sources pour estimer la taille et la structure par âge de la population de vétérans au Canada. Ces sources sont utilisées afin de prévoir les estimations de la population future de vétérans, mais elles ne permettent pas de décrire l’état de santé des vétérans.
Les données administratives d’ACC comprennent certains renseignements sur la santé; cependant, moins de 20 % des vétérans reçoivent des prestations d’ACC. Les descriptions de l’état de santé des vétérans proviennent des données d’enquête, en particulier de l’Enquête sur la santé dans les collectivités canadiennes (ESCC) et de l’Enquête sur la vie après le service militaire (EVASM). Pour mieux éclairer la planification des besoins futurs de la population de vétérans du Canada, le présent article comble une importante lacune en matière d’information en fournissant un portrait complet des prévisions sur la taille et la structure par âge de la population de vétérans, puis en examinant l’état de santé de deux cohortes de vétérans par rapport à leurs homologues de la population canadienne en général.
Données et méthodes
Prévision de la population de vétérans
ACC a établi des prévisions distinctes de la population de vétérans pour les vétérans ayant servi en temps de guerre et pour les vétérans ayant servi depuis 1954. Les vétérans ayant servi en temps de guerre sont ceux ayant servi avant 1954 pendant la Première Guerre mondiale (1914 à 1918), la Seconde Guerre mondiale (1939 à 1945) ou la guerre de Corée (1950 à 1953). Les vétérans masculins ayant servi en temps de guerre ont été dénombrés pour la dernière fois dans le Recensement du Canada de 1971, tandis que les vétérantes ayant servi en temps de guerre ont été dénombrées pour la première fois dans l’Enquête sur la population active de 1988. Les vétérans ayant servi depuis 1954 ont été dénombrés pour la première fois dans l’ESCC de 2003. Depuis 2003, ces sources ont été complétées par les données sur les libérations réelles et prévues provenant de données administratives fournies par le ministère de la Défense nationale (MDN). L’espérance de vie au Canada selon l’âge et le sexe a été appliquée aux sources originales de données afin de produire des mises à jour annuelles et des prévisions sur la taille et la structure par âge de la populationNote 4.
Enquête sur la santé dans les collectivités canadiennes de 2003
L’ESCC de 2003 porte sur la population de 12 ans et plus vivant dans les collectivités canadiennesNote 5. Cette enquête transversale a été menée au moyen d’interviews téléphoniques pour 70 % des répondants et d’interviews sur place pour 30 % des répondants. Le taux de réponse a été de 81 %. Le statut d’Autochtone (c.-à-d. Premières Nations, Métis ou Inuit) a été déclaré par 1,5 % des vétérans ayant servi entre 1914 et 2003. Ce petit nombre empêchait l’utilisation du statut d’Autochtone dans le cadre d’une autre analyse.
On a posé à tous les répondants de l’ESCC âgés de 18 ans et plus une série de questions d’identification des vétérans et on a obtenu un taux de réponse de 97 %. Ces questions d’identification n’ont pas permis d’obtenir d’autres précisions permettant de décrire le type de service militaire. On a demandé aux répondants âgés de 65 ans et plus : « Avez-vous déjà servi dans les forces armées du Canada ou d’un pays allié en temps de guerre (Première Guerre mondiale, Deuxième Guerre mondiale, guerre de Corée)? » (échantillon de 2 742 vétérans, représentatif des 360 000 vétérans ayant servi en temps de guerre avant 1954). On a demandé aux répondants âgés de 18 ans et plus : « Sans compter le service actuel, avez-vous déjà servi dans les forces armées du Canada en temps de paix? S’agissait-il de service dans les forces régulières? Dans la Première réserve? »
Le petit nombre de répondants âgés de moins de 20 ans et de plus de 84 ans et ceux ayant servi uniquement dans la Force de réserve ont été exclus de l’analyse des indicateurs de la santé. On a obtenu un échantillon de 1 785 vétérans, représentatif (après pondération) des 302 000 vétérans libérés de la Force régulière entre 1954 et 2003 (vétérans de la cohorte antérieure).
Enquête sur la vie après le service militaire de 2013
L’EVASM de 2013 a permis d’examiner l’état de santé et le bien-être des vétérans. Il s’agissait d’une enquête transversale par interview téléphonique assistée par ordinateurNote 6 menée par Statistique Canada en mars 2013. Le sondage a obtenu un taux de réponse de 70 %, et 90 % des répondants ont accepté que leurs données soient transmises à ACC et au MDN. L’identité des vétérans a été établie à partir d’une liste informatisée des libérations militaires canadiennes depuis 1998. Les répondants ont fourni des renseignements supplémentaires pour décrire leur service militaire, y compris l’année de libération, le grade à la libération et la classe de service de réserve. Aux fins du présent article, l’analyse exclut les personnes ayant uniquement servi dans la Force de réserve et les participants âgés de moins de 20 ans ou de plus de 84 ans. On a obtenu un échantillon de 2 329 vétérans, représentatif (après pondération) des 56 000 vétérans libérés de la Force régulière entre 1998 et 2012 (vétérans de la cohorte récente).
Analyse
Les estimations de la prévalence comprenaient les poids d’échantillonnage de l’enquête qui tenaient compte à la fois de la non-réponse et du plan d’échantillonnage stratifié complexe de l’ESCC et de l’EVASM. Les intervalles de confiance ont été calculés à 95 % à l’aide d’une méthode de rééchantillonnage bootstrap pour l’ESCC et de commandes SVY de Stata pour le fichier commun de l’EVASM.
Les comparaisons avec la population canadienne en général ont été effectuées à l’aide des répartitions observées chez les vétérans et des données de comparateurs canadiens ajustées selon l’âge et le sexe. Les comparateurs canadiens pour les vétérans de la cohorte antérieure reposent sur l’ESCC de 2003, et les comparateurs canadiens pour les vétérans de la cohorte récente reposent sur l’ESCC de 2012. L’ajustement n’a pas permis d’établir une comparaison directe entre les deux cohortes de vétérans en raison des différentes répartitions selon l’âge observées. Les intervalles de confiance qui ne se chevauchent pas ont été jugés statistiquement significatifs. Il s’agit d’une évaluation prudente puisqu’il est possible d’avoir des intervalles de confiance qui se chevauchent et un test t statistiquement significatif. Cependant, cela a rarement été observé pour les comparaisons avec la cohorte antérieureNote 7.
Les indicateurs de la santé ont été choisis à partir d’un ensemble normalisé d’indicateurs de la santé de la population permettant d’effectuer des comparaisons avec la population canadienne en généralNote 8et incluaient ceux qui se trouvaient dans l’ESCC de 2003Note 5 et dans l’EVASM de 2013Note 9. Ainsi, la présente étude comprenait 20 indicateurs de la santé, dont 7 problèmes de santé chroniques. Des renseignements supplémentaires sur les définitions des indicateurs sont documentés ailleursNote 7.
Résultats
Prévision de la population de vétérans
Selon les prévisions de 2017 d’ACC, la population canadienne de vétérans était d’environ 658 000 personnes, ce qui représente approximativement 4 % de la population masculine adulte canadienne (moins de 1 % de la population féminine adulte canadienne). Les prévisions d’ACC concernant les vétérans ayant servi en temps de guerre avant 1954 ont chuté, passant de 1,2 million en 1951 à 312 000 en 2003, soit un nombre inférieur à celui estimé par l’ESCC de 2003, qui était de 360 000. En 2017, les prévisions établissaient le nombre de vétérans ayant servi en temps de guerre à 58 000, l’âge moyen étant de 91 ans. D’ici 2026, il restera peu de vétérans ayant servi en temps de guerre au Canada (voir la figure 1).
Les prévisions pour les vétérans ayant servi depuis 1954 reposent sur les données de l’ESCC de 2003 qui établissent à environ 302 000 le nombre de vétérans de la Force régulière et à environ 269 000 le nombre de vétérans de la Force de réserve. Ainsi, d’après les estimations de 2003, le nombre de vétérans ayant servi depuis 1954 s’élevait à 571 000. D’après les prévisions d’ACC, leur nombre devrait se maintenir à environ 600 000 entre 2017 et 2026. Environ la moitié de ceux-ci seront des vétérans de la Force régulière et l’autre moitié des vétérans de la Force de réserve (voir la figure 1).
Le profil d’âge des vétérans libérés depuis 1954 a démontré que peu d’entre eux étaient âgés de plus de 70 ans en 2003. La répartition selon l’âge prévue pour ces vétérans tient compte des nouvelles libérations chaque année, mais on s’attend à ce que le groupe de vétérans âgés de plus de 70 ans augmente pour atteindre 33 % d’ici 2026 (voir la figure 2)
Indicateurs de la santé des vétérans libérés depuis 1954
Les indicateurs de la santé sont décrits pour deux cohortes de vétérans de la Force régulière, soit les 302 000 vétérans qui ont été libérés entre 1954 et 2003 et les 56 000 vétérans qui ont été libérés entre 1998 et 2012. La majorité des vétérans étaient des hommes et mariés. Les vétérans de la Force régulière de la cohorte antérieure étaient en moyenne plus âgés que les vétérans de la cohorte récente : 53 ans comparativement à 44 ans (voir le tableau 1). Cette différence d’âge empêche de comparer directement la prévalence observée entre les vétérans des deux cohortes dans les tableaux qui suivent. Ainsi, on a plutôt fourni des groupes comparables de la population canadienne en général.
Par rapport à la population canadienne comparable, les vétérans de la Force régulière des deux cohortes examinées affichaient une prévalence plus élevée de limitations des activités, une prévalence moindre de faible revenu et une prévalence similaire de stress perçu dans la vie et de consommation abusive d’alcool (voir le tableau 2). L’autoévaluation de la santé mentale des vétérans de la cohorte antérieure était meilleure que celle de la population canadienne en général. Cependant, celle des vétérans de la cohorte récente était moins bonne que celle des comparateurs canadiens. Les vétérans de la cohorte récente affichaient une prévalence plus élevée d’indicateurs supplémentaires, notamment pour l’autoévaluation de la santé, l’obésité, le besoin d’aide pour les activités de la vie quotidienne, l’emploi, les études postsecondaires, la satisfaction à l’égard de la vie et le sentiment d’appartenance à la communauté. Les vétérans de la cohorte antérieure affichaient une prévalence semblable à celle de la population canadienne en général pour ces indicateurs. Les vétérans de la cohorte récente étaient moins susceptibles d’être des fumeurs quotidiens que la population canadienne comparable.
Les maux de dos et l’arthrite étaient les problèmes de santé chroniques les plus courants chez les vétérans des deux cohortes (voir le tableau 3). Les vétérans de la Force régulière des deux cohortes affichaient une prévalence plus élevée de maux de dos que la population canadienne comparable. Les vétérans de la cohorte récente présentaient également une prévalence plus élevée d’arthrite, de dépression, d’anxiété et d’hypertension artérielle, tandis que ceux de la cohorte antérieure présentaient des taux de prévalence semblables à ceux de la population canadienne comparable pour ces problèmes de santé. La prévalence du cancer et des maladies du cœur était semblable chez les vétérans des deux cohortes à celle de la population canadienne comparable.
Discussion
On estime actuellement à environ 658 000 le nombre de vétérans canadiens, ce qui représente environ 4 % de la population masculine adulte canadienne (moins de 1 % de la population féminine adulte canadienne). D’ici 2026, on estime qu’il y aura environ 600 000 vétérans ayant servi depuis 1954, et qu’un tiers de ceux-ci seront âgés de plus de 70 ans.
Par rapport à la population canadienne comparable, les vétérans de la Force régulière ayant été en service depuis 1954 affichaient une prévalence plus élevée de maux de dos et de limitations des activités, une prévalence moindre de faible revenu et une prévalence similaire de stress perçu dans la vie et de consommation abusive d’alcool. Les vétérans de la cohorte récente (libérés entre 1998 et 2012) avaient une prévalence plus élevée, par rapport à la population canadienne comparable, d’arthrite et de problèmes liés à la santé mentale (en particulier la dépression et l’anxiété) ainsi que d’une gamme d’autres indicateurs. La détérioration de la santé observée au sein de cette cohorte concorde avec une description préliminaire des vétérans récemment libérés ayant servi en AfghanistanNote 10 et avec un examen des données sur la santé mentaleNote 11.
Il est possible que le modèle de prévision de la population d’ACC sous-estime le nombre de vétérans au Canada lorsqu’il compare les chiffres pour le service en temps de guerre d’ACC aux estimations de l’ESCC de 2003Note 7. Cette sous-estimation peut être attribuable au fait que le modèle d’ACC repose sur les taux de mortalité dans l’ensemble du Canada qui sont plus élevés que les taux de mortalité des vétéransNote 12. La description de la santé et du bien-être des vétérans concernant les deux cohortes n’a pas été clairement délimitée, puisqu’il y a un chevauchement des deux cohortes sur une période de cinq ans (de 1998 à 2003) qui n’a pas pu être éliminé de l’ESCC de 2003, l’année de libération n’ayant pas été saisie lors de l’enquête. Toutefois, on s’attendait à ce que les répercussions de ce chevauchement, sur la période de libération de 50 ans examinée dans le cadre de l’ESCC de 2003, soient minimes. La description de la santé des vétérans ne tenait pas compte des vétérans de la Force de réserve. Cependant, la majorité des vétérans de la Force de réserve présentait des similitudes avec la population canadienne comparableNote 13.
L’EVASM a fourni des descriptions détaillées des vétérans canadiens libérés depuis 1998, mais la présente étude démontre que l’EVASM ne devrait pas être utilisée pour décrire l’ensemble de la population de vétérans au Canada. ACC s’efforce de dresser un portrait plus complet des vétérans canadiens en cherchant d’autres sources de données potentielles, notamment les cycles futurs de l’ESCC, l’Étude longitudinale canadienne sur le vieillissement pour les vétéransNote 14 et le couplage de données sur la mortalitéNote 15. Les couplages de données sont toutefois limités en raison de l’absence d’une liste de tous les vétérans canadiens. Les données se limitent actuellement aux vétérans de la Force régulière libérés depuis 1998 et aux vétérans de la Force de réserve libérés depuis 2003. Statistique CanadaNote 16 et ACC ont tous deux constaté la nécessité d’élaborer un registre pour tous les vétérans canadiens afin de tirer parti des données existantes qui ne permettent pas actuellement de dénombrer les vétérans. Le questionnaire abrégé du recensement constitue la solution la plus complète pour dénombrer les vétérans canadiens, et Statistique Canada étudie actuellement cette possibilité ainsi que d’autres éléments de contenu du Recensement de 2021, mais aucune décision ne sera prise avant 2020.
Il existe de multiples sources pour décrire les vétérans canadiens, ce qui permet de combiner divers éléments d’information. ACC travaille actuellement avec Statistique Canada pour produire un modèle de microsimulation de la population de vétérans à l’aide des données de l’ESCC, de celles de l’EVASM et de données sur la mortalité. Ce modèle reposera sur la plateforme du modèle de santé de la population (POHEM)Note 17. Les utilisations futures du modèle de microsimulation, POHEM-V, incluront des projections du nombre futur de vétérans canadiens. Puisque le modèle incorporera les données probantes démontrant que les vétérans vivent plus longtemps que la population canadienne comparableNote 15, il contribuera à améliorer les prévisions d’ACC, notamment en ce qui a trait au problème actuel de sous-estimation. En outre, étant donné qu’il incorporera les données démontrant que la population de vétérans vieillit et se heurte à des problèmes de santé multiples, le POHEM-V aura également la capacité de générer les profils de santé futurs des vétérans et d’établir leurs besoins en matière de services. L’analyse future de la composante longitudinale de l’EVASM de 2016 pourrait permettre de réévaluer l’hypothèse actuelle selon laquelle les trajectoires de santé des vétérans sont semblables à celles de la population canadienne comparable. Les futures itérations du POHEM-V pourraient aussi inclure d’autres enquêtes permettant d’identifier les vétérans à l’aide de questions de sélection recommandéesNote 2.
Le présent article fournit des preuves que les vétérans vivront plus longtemps mais généralement avec des limitations d’activités et des problèmes de santé mentale plus importants que leurs pairs de la population canadienne en général. Cela se traduira probablement par une détérioration de l’état de santé et, par conséquent, par un besoin accru de prestations d’ACC et de systèmes provinciaux de soins de santé et une plus grande utilisation de ceux-ci.
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