Rapports sur la santé
Incidence des disparités socioéconomiques sur les naissances prématurées et les nouveau-nés de petite taille pour l’âge gestationnel
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par Tracey Bushnik, Seungmi Yang, Jay S. Kaufman, Michael S. Kramer et Russell Wilkins
L’incidence des disparités socioéconomiques sur les issues des grossesses est depuis longtemps reconnue dans les pays développésNote 1. Un désavantage socioéconomique chez la mère a été associé à un risque accru de donner naissance à un enfant de petite taille pour l’âge gestationnel et de naissance prématuréeNote 2. Les nouveau-nés de petite taille pour l’âge gestationnel sont exposés à un plus grand risque de mortalité et de morbidité néonatalesNote 3, tandis que les naissances prématurées sont l’une des principales causes de décès infantilesNote 4.
Les données sur le revenu étant moins souvent disponiblesNote 1, le niveau de scolarité de la mère est la mesure socioéconomique la plus couramment utilisée dans le cadre des études portant sur les issues périnatales. On pense que les femmes scolarisées sont plus susceptibles de solliciter, de comprendre et de suivre des conseils médicaux sur les comportements optimaux à adopter pendant la grossesse, et que les femmes qui gagnent un revenu plus élevé sont plus susceptibles d’avoir les ressources leur permettant d’obtenir de tels conseils et les moyens de mettre ces conseils en pratiqueNote 5. Bien que le niveau de scolarité et le revenu soient liés (par exemple, un faible niveau de scolarité peut limiter l’accès à certains emplois et à d’autres ressources sociales et ainsi accroître le risque d’avoir un faible revenuNote 2), le fait d’évaluer séparément leurs associations avec les issues défavorables de la grossesse peut aider à percevoir plus clairement les mécanismes qui sous-tendent les disparités en matière de santé périnataleNote 6. Peu d’études nationales ont analysé conjointement le niveau de scolarité et le revenu de la mèreNote 7Note 8Note 9, et encore moins l’ont fait dans le contexte d’un système de soins de santé universel financé par l’ÉtatNote 9.
Au Canada, la plupart des données périnatales qui sont couramment recueillies ne comprennent pas de renseignements socioéconomiques. Un examen systématique des disparités socioéconomiques relatives aux issues des grossesses dont les résultats ont été publiés en 2010 a permis de recenser 106 études pertinentes provenant de pays industrialisés de langue anglaiseNote 1. Parmi celles-ci, 11 études étaient canadiennes et 5 ont utilisé des mesures de la situation socioéconomique au niveau de la personne, mais une seule d’entre elles a produit des résultats nationaux.
Les données probantes canadiennes sur les disparités relatives aux issues des grossesses se sont souvent limitées à des mesures du revenu du quartierNote 10Note 11Note 12 ou à des données au niveau de la personne sur le niveau de scolarité de la mère recueillies par les provincesNote 11. Dans le cadre d’autres études provinciales, les données sur les naissances ont été couplées aux renseignements fiscaux afin d’examiner les issues de la grossesse en fonction de mesures du revenu des ménagesNote 13Note 14. Ces études ont révélé des disparités sur le plan des issues de la grossesse en dépit du système de soins de santé universel financé par l’État qui est en place au Canada. Toutefois, à l’exception de Pevalin et coll.Note 9, aucun auteur n’a examiné simultanément plus d’une mesure de la situation socioéconomique au niveau de la personne.
La présente étude examine, à la lumière d’un ensemble de données couplées national représentatif, les associations entre le niveau de scolarité et le revenu de la mère, leurs associations respectives avec le risque de donner naissance à un enfant de petite taille pour l’âge gestationnel et de naissance prématurée, et l’influence que ces mesures socioéconomiques exercent simultanément.
Méthodologie
Source des données
L’analyse est fondée sur 127 694 naissances vivantes simples de la cohorte canadienne de naissance du Recensement de 2006, laquelle contient toutes les naissances enregistrées au Canada de mai 2004 à mai 2006 qui ont été couplées à un enregistrement lié au questionnaire détaillé du Recensement de 2006 (environ un logement sur cinq a reçu et rempli un questionnaire détaillé). Chacune des personnes figurant dans l’enregistrement de naissance (enfant, mère et père) a été couplée à l’aide d’une méthode déterministe avec l’enregistrement lié au questionnaire détaillé en fonction de variables d’identification communes contenues dans la base de données. Un taux de couplage global de 90 % a été atteint, assorti d’un taux d’appariements faussement positifs inférieur à 1 %. Des renseignements concernant la création de la cohorte ont été publiés dans d’autres documentsNote 15.
Les naissances suivantes ont été exclues des 135 426 naissances comprises dans la cohorte : 808 mortinaissances; 4 086 naissances vivantes multiples (non simples); 1 675 naissances vivantes pour lesquelles il manquait des données sur le niveau de scolarité ou le revenu de la mère; 789 naissances vivantes pour lesquelles il manquait au moins une covariable; 374 naissances vivantes pour lesquelles il manquait le poids de naissance ou l’âge gestationnel.
Résultats
La petite taille à la naissance pour l’âge gestationnel et la naissance prématurée ont été déterminées d’après l’information contenue dans l’enregistrement de naissance. La petite taille à la naissance pour l’âge gestationnel était définie comme un poids à la naissance propre au sexe au-dessous du 10e percentile pour l’âge gestationnel, selon les valeurs de référence canadiennesNote 16. La naissance prématurée était définie comme une naissance survenant avant 37 semaines complètes de grossesse.
Situation socioéconomique et covariables
Le niveau de scolarité était fondé sur le plus haut niveau de scolarité atteint par la mère déclaré lors du recensement. Le niveau de scolarité a été divisé selon les catégories suivantes : sans diplôme d’études secondaires; diplôme d’études secondaires; diplôme ou certificat d’études postsecondaires; grade universitaire.
Le revenu de la mère était fondé sur le revenu déclaré lors du recensement pour la famille économique de la mère. Une famille économique est formée d’au moins deux personnes liées par le sang, le mariage, l’union de fait ou l’adoption qui vivent sous le même toitNote 17. Les quintiles de suffisance du revenu pour la famille économique ont été estimés d’après le ratio du revenu total avant impôt et après transferts au seuil de faible revenu (avant impôt et après transferts de l’année de référence 2005) établi par Statistique Canada pour les catégories de taille de la famille économique et de la collectivité pertinentes. Ces ratios ont été classés, et des quintiles ont été produits pour chaque région métropolitaine de recensement, chaque agglomération de recensement ou chaque région rurale et petite ville (extérieures aux régions métropolitaines de recensement ou aux agglomérations de recensement)Note 18 afin de tenir compte des différences régionales en matière de coûts d’habitation.
Le sexe de l’enfant, l’année de naissance (2004, 2005 ou 2006), le groupe d’âge de la mère (moins de 20 ans, 20 à 24 ans, 25 à 29 ans, 30 à 34 ans, 35 à 39 ans, ou 40 ans ou plus), le rang de naissance (premier, deuxième ou troisième rang ou plus) ainsi que la région de naissance ont été déterminés d’après les renseignements figurant dans l’enregistrement de naissance. En raison d’échantillons de faible taille, Terre Neuve et Labrador, l’Île du Prince Édouard, la Nouvelle Écosse et le Nouveau Brunswick ont été combinés pour former la région de l’Atlantique, et le Yukon, les Territoires du Nord Ouest et le Nunavut ont été combinés pour former les territoires. L’appartenance ethnique de la mère et son état matrimonial ont été déterminés d’après l’information déclarée lors du recensement. L’appartenance ethnique de la mère a été déterminée selon la réponse de la mère à la question sur l’appartenance à une minorité visible. Une répartition plus détaillée a pu être utilisée pour les estimations brutes : caucasienne, autochtone, noire, asiatique de l’Est, asiatique du Sud-Est, sud-asiatique ou autre. Une variable d’appartenance ethnique à trois catégories a été utilisée pour produire les estimations ajustées au modèle : caucasienne, autochtone ou minorité visible (chinoise, sud-asiatique, noire, philippine, latino-américaine, asiatique du Sud-Est, arabe, asiatique occidentale, coréenne, japonaise, autre minorité visible, minorités visibles multiples). L’état matrimonial correspondait à l’une des trois catégories suivantes : célibataire (n’était ni mariée ni conjointe de fait le jour du recensement), conjointe de fait ou mariée.
Analyse statistique
Toutes les analyses ont été pondérées en fonction du poids de la cohorte afin qu’il soit possible de tirer des inférences à propos de la population (les naissances) représentée par la cohorte. Des poids bootstrap ont été utilisés pour calculer la variance de toutes les estimationsNote 19. La distribution des niveaux de scolarité des mères à l’intérieur des quintiles de suffisance du revenu a été estimée afin de permettre un examen des associations entre ces deux mesures socioéconomiques. Les taux non ajustés de nouveau-nés de petite taille pour l’âge gestationnel et de naissances prématurées ont été estimés à l’égard de toutes les caractéristiques de la mère et selon le niveau de scolarité de la mère à l’intérieur des quintiles de suffisance du revenu. Une régression logistique a été utilisée pour estimer les rapports de risque bruts et les rapports de risque ajustés en fonction des covariables ainsi que leurs intervalles de confiance (IC) de 95 % pour les nouveau-nés de petite taille pour l’âge gestationnel et les naissances prématuréesNote 20. Les modèles ont permis d’estimer les associations entre les issues des grossesses et le niveau de scolarité de la mère et la suffisance de son revenu, à la fois séparément et conjointement.
Plusieurs analyses de sensibilité ont été effectuées. Les modèles finaux ajustés ont été exécutés de nouveau sans les données sur l’état matrimonial, parce que le stress psychosocial causé par le fait de ne pas avoir de partenaire de vie peut s’inscrire dans le rapport de causalité entre une situation socioéconomique inférieure et la naissance prématuréeNote 2. En raison de préoccupations quant à la qualité des données d’enregistrements des naissances en OntarioNote 21, les modèles finaux nationaux ajustés ont été exécutés de nouveau sans les données de l’Ontario. Les résultats ont également été examinés à l’échelon régional, afin de tenir compte du fait que les services d’enseignement et de soins de santé sont de compétence provinciale; en outre, le test Q de Cochran a été utilisé pour vérifier l’homogénéité des rapports de risque estimésNote 22. Enfin, sachant que le niveau de scolarité et le revenu de la mère ont été déclarés jusqu’à deux ans après la naissance, l’interaction entre chaque mesure et l’année de naissance dans les modèles finaux a été examinée.
Résultats
Le niveau de scolarité de la mère s’est révélé être modérément corrélé avec la suffisance du revenu (Pearson r = 0,40). Les mères appartenant au plus bas quintile de suffisance du revenu tendaient à avoir un niveau de scolarité inférieur (30 % n’avaient pas de diplôme d’études secondaires, 13 % possédaient un grade universitaire) à celui des mères appartenant au plus haut quintile (3 % par rapport à 55 %) (figure 1).
Le taux brut global de nouveau-nés de petite taille pour l’âge gestationnel était de 8,2 % (IC de 95 % : 8,1 % à 8,4 %) (tableau 1). Les gradients du niveau de scolarité et du revenu étaient apparents et les taux bruts étaient supérieurs chez les enfants nés de mères ayant un niveau de scolarité inférieur et un revenu inférieur (p < 0,001 pour la tendance dans les deux cas). De plus, les taux bruts de nouveau-nés de petite taille pour l’âge gestationnel présentaient un gradient distinct selon le niveau de scolarité de la mère à l’intérieur des quintiles de revenu (figure 2).
Le taux brut global de naissances prématurées était de 6,4 % (IC de 95 % : 6,3 % à 6,5 %) (tableau 1). Les taux bruts étaient supérieurs aux niveaux de scolarité de la mère les moins élevés (p < 0,001 pour la tendance) et au plus bas quintile de revenu. À l’instar des taux bruts de nouveau-nés de petite taille pour l’âge gestationnel, les taux bruts de naissances prématurées présentaient un gradient selon le niveau de scolarité de la mère à l’intérieur des quintiles de revenu, mais les indications quant à l’existence d’un gradient d’un quintile de revenu à l’autre étaient faibles (figure 3).
Le risque relativement élevé de donner naissance à un enfant de petite taille pour l’âge gestationnel chez les mères qui avaient un niveau de scolarité inférieur au grade universitaire s’est maintenu après l’ajustement tenant compte des covariables (tableau 2). Comparativement aux mères qui possédaient un grade universitaire, les rapports de risque ajustés pour les nouveau-nés de petite taille pour l’âge gestationnel étaient de 1,55 (IC de 95 % : 1,45 à 1,67) chez les mères sans diplôme d’études secondaires; de 1,22 (IC de 95 % : 1,14 à 1,29) chez les mères possédant un diplôme d’études secondaires; de 1,13 (IC de 95 % : 1,06 à 1,19) chez les mères possédant un diplôme ou un certificat d’études postsecondaires (figure 4). Ces estimations étaient légèrement atténuées lorsque la suffisance du revenu était prise en compte (tableau 2, modèle ajusté 2).
Le gradient du revenu en ce qui concerne le risque de donner naissance à un enfant de petite taille pour l’âge gestationnel s’est maintenu après l’ajustement tenant compte des covariables. Comparativement aux mères appartenant au plus haut quintile de suffisance du revenu, les rapports de risque ajustés étaient de 1,31 (IC de 95 % : 1,22 à 1,41) chez les mères appartenant au plus bas quintile; de 1,25 (IC de 95 % : 1,17 à 1,34) chez les mères appartenant au 2e quintile; de 1,16 (IC de 95 % : 1,08 à 1,23) chez les mères appartenant au 3e quintile; de 1,12 (IC de 95 % : 1,04 à 1,20) chez les mères appartenant au 4e quintile (tableau 2, modèle ajusté 1). La prise en compte du niveau de scolarité de la mère a seulement légèrement atténué ces associations (figure 4).
Un risque accru de naissance prématurée chez les mères ayant un niveau de scolarité inférieur au grade universitaire s’est maintenu après l’ajustement tenant compte des covariables (tableau 2, modèle ajusté 1). Comparativement aux titulaires d’un grade universitaire, les rapports de risque ajustés étaient de 1,40 (IC de 95 % : 1,28 à 1,52) chez les mères sans diplôme d’études secondaires; de 1,24 (IC de 95 % : 1,15 à 1,33) chez les mères possédant un diplôme d’études secondaires; de 1,20 (IC de 95 % : 1,13 à 1,28) chez les mères possédant un diplôme ou un certificat d’études postsecondaires (figure 4). La prise en compte de la suffisance du revenu a eu peu d’effet sur ces associations (tableau 2, modèle ajusté 2). Contrairement au risque de donner naissance à un enfant de petite taille pour l’âge gestationnel, le risque brut légèrement supérieur de naissances prématurées chez les mères appartenant au plus bas quintile de revenu ne s’est pas maintenu après l’ajustement tenant compte des covariables (figure 4).
Les résultats des analyses de sensibilité se sont révélés très semblables aux résultats principaux. Les tendances des rapports de risque d’une catégorie à l’autre n’ont guère varié lorsque la variable de l’état matrimonial a été retirée des modèles (données non illustrées). Les résultats sont également demeurés semblables lorsqu’une stratification en fonction de l’Ontario comparativement à l’ensemble des autres provinces et territoires a été appliquée (données non illustrées). Après l’ajustement tenant compte des covariables, une certaine variation régionale dans l’importance de l’accroissement du risque de donner naissance à un enfant de petite taille pour l’âge gestationnel (p = 0,00 pour l’hétérogénéité) et de naissance prématurée (p = 0,06 pour l’hétérogénéité) a été observée chez les mères sans diplôme d’études secondaires. Cependant, peu de différences ont été observées entre les régions en ce qui concerne le risque de donner naissance à un enfant de petite taille pour l’âge gestationnel d’un quintile de suffisance du revenu à l’autre (p = 0,68 pour l’hétérogénéité, quintile le plus bas comparativement au quintile le plus haut), et l’absence d’une association entre la suffisance du revenu et la naissance prématurée à l’échelle nationale a été observée dans l’ensemble des régions après l’ajustement tenant compte des covariables. Les interactions entre l’année de naissance et le niveau de scolarité et entre l’année de naissance et le quintile de revenu n’étaient pas statistiquement significatives en ce qui concerne les naissances d’enfants de petite taille pour l’âge gestationnel (p = 0,29 et p = 0,22, respectivement) ou les naissances prématurées (p = 0,86 et p = 0,14, respectivement).
Discussion
Au Canada, les nouveau-nés de petite taille pour l’âge gestationnel ont été indépendamment et inversement associés tant au niveau de scolarité de la mère qu’à la suffisance de son revenu, alors que les naissances prématurées ont été inversement associées uniquement au niveau de scolarité de la mère. Ces relations sont demeurées les mêmes après la prise en compte de facteurs tels que l’âge de la mère, l’appartenance ethnique et l’état matrimonial.
L’association entre la situation socioéconomique de la mère et le risque de donner naissance à un enfant de petite taille pour l’âge gestationnel concorde avec les résultats d’autres études (canadiennes et non canadiennes)Note 1. En outre, le fait que les deux issues de la grossesse soient associées au niveau de scolarité de la mère, indépendamment de la suffisance du revenu, confirme l’importance du niveau de scolarité en tant que déterminant de la santé périnataleNote 23.
Certains auteurs ont mis en garde contre le fait d’examiner plus d’un facteur socioéconomique à la fois, en raison du risque de mal interpréter l’importance d’une mesure par rapport à l’autreNote 24. D’autres chercheurs ont fait valoir que le revenu et le niveau de scolarité ne sont pas interchangeables, et qu’ils ne devraient pas être utilisés comme mesures de substitution l’un de l’autreNote 25.
Les résultats de la présente étude appuient empiriquement cette dernière hypothèse. Le niveau de scolarité de la mère s’est révélé être seulement modérément corrélé avec la suffisance du revenu. De même, le risque ajusté de donner naissance à un enfant de petite taille pour l’âge gestationnel ou de naissance prématurée selon le niveau de scolarité n’a pas varié de façon substantielle lorsque la suffisance du revenu a été incluse à titre de covariable. Cela donne à penser que le mécanisme par lequel le niveau de scolarité de la mère est associé à ces issues ne passe probablement pas par le revenu, et que le revenu ne remplace pas le niveau de scolarité en tant que mesure significative de la situation socioéconomique. De plus, un risque accru de donner naissance à un enfant de petite taille pour l’âge gestationnel a été observé aux niveaux de scolarité de la mère les moins élevés ainsi qu’aux quintiles inférieurs de suffisance du revenu, ce qui donne à penser que le niveau de scolarité et le revenu sont tous deux importants. Bien que la présente étude n’ait pu mettre en lumière la raison à l’origine de ce résultat, ce dernier concorde avec la théorie des sciences sociales selon laquelle le niveau de scolarité et le revenu peuvent être considérés comme deux éléments distincts, mais entrecroisés, du concept multidimensionnel de la situation économiqueNote 26.
Les quelques études qui se sont intéressées à la fois au niveau de scolarité de la mère et à son revenu étaient conçues différemment, portaient sur des populations cibles différentes et étaient axées sur des issues périnatales différentes. Dans le cadre de l’analyse d’une cohorte de naissances simples en Angleterre, en Écosse, en Irlande du Nord et au Pays de GallesNote 7,Snelgove et Murphy ont constaté que le risque brut de naissances prématurées était inversement associé aussi bien au niveau de scolarité qu’au revenu, mais qu’un ajustement en fonction d’indicateurs psychosociaux, tels que la situation d’emploi des membres du ménage et le soutien social, atténuait ces associations. En 2005, aux États-Unis, Reagan et Salsberry ont inclus le niveau de scolarité de la mère et le revenu familial dans une étude portant sur les naissances très prématurées et modérément prématurées; les résultats obtenus suggéraient l’existence d’une association positive entre le niveau de scolarité de la mère et la naissance modérément prématurée (33 à 36 semaines de grossesse)Note 8. Les auteurs ont cependant insisté sur le fait que les naissances issues de mères âgées de moins de 21 ans et de plus de 34 ans étaient sous-représentées dans l’échantillon étudié. Pevalin et coll. ont examiné la prévalence de naissances prématurées et de donner naissance à un enfant de petite taille pour l’âge gestationnel en 1994 au CanadaNote 9. Ils ont constaté une association significative entre le niveau de scolarité de la mère et ces deux issues, même après un ajustement tenant compte de la suffisance du revenu; aucune association n’a cependant été observée entre la suffisance du revenu et l’une ou l’autre de ces issues. L’analyse était toutefois fondée sur des données rétrospectives et autodéclarées concernant des nourrissons de moins de 24 mois et excluait les nourrissons prématurés et de petite taille pour l’âge gestationnel, ainsi que les enfants qui étaient décédés.
La présente étude a révélé un gradient significatif quant au risque de donner naissance à un enfant de petite taille pour l’âge gestationnel selon la suffisance du revenu, indépendamment du niveau de scolarité de la mère; une tendance qui a également été observée dans d’autres pays possédant un système de soins de santé financé par l’ÉtatNote 27. Dans le cadre d’études portant sur l’utilisation des soins de santé prénataux dans les pays à revenu élevé, y compris le Canada, Feijen-de Jong et coll. ont constaté qu’un niveau de scolarité inférieur et un revenu inférieur étaient tous deux associés à une utilisation tardive ou inadéquate des soins prénatauxNote 28. Malgré tout, la trajectoire entre un désavantage socioéconomique et un risque accru de donner naissance à un enfant de petite taille pour l’âge gestationnel pourrait ne pas être médiée par des soins prénataux inadéquats. Des facteurs tels que le tabagisme et l’alimentation, qui n’ont pas pu être examinés dans le cadre de la présente étude, pourraient jouer un rôle plus importantNote 2.
L’analyse de la cohorte canadienne de naissance du Recensement de 2006 fournit peu d’indications quant à l’existence d’un effet de seuil ou d’un gradient inversé entre la suffisance du revenu et la naissance prématurée. Une explication plausible serait l’augmentation au fil du temps du pourcentage de naissances prématurées iatrogènes (provoquées médicalement) par rapport aux naissances prématurées spontanéesNote 29. Joseph et coll. laissent entendre que cette tendance a eu pour effet de réduire le gradient du revenu parce que la naissance prématurée iatrogène est plus fortement associée à l’âge avancé de la mèreNote 14, et la prévalence des naissances chez les femmes plus âgées, en particulier celles dont la situation socioéconomique est élevée, a augmentéNote 30.
Forces et limites
L’une des principales forces de la présente étude tient à l’imposant ensemble de données utilisé, qui a permis d’analyser le niveau de scolarité et le revenu de la mère à l’échelle nationale. L’étude a également tenu compte de plusieurs autres facteurs de risque liés au fait de donner naissance à un enfant de petite taille pour l’âge gestationnel et à la naissance prématurée, ce qui a permis d’examiner les associations indépendantes du niveau de scolarité et du revenu de la mère avec ces issues. Les tendances régionales qui caractérisent les rapports de risque non ajustés (données non illustrées) concordent avec les résultats du Québec et de la Nouvelle-ÉcosseNote 11Note 13. Les résultats ont confirmé que le niveau de scolarité et le revenu ne sont pas des mesures interchangeables de la situation socioéconomique, particulièrement en ce qui concerne le risque de donner naissance à un enfant de petite taille pour l’âge gestationnel.
Les résultats doivent être envisagés dans le contexte de plusieurs limites. Aucune information sur les facteurs médiateurs potentiels, tels que les comportements de la mère (tabagisme et consommation d’alcool), et sur les autres facteurs de risque (taille, indice de masse corporelle avant la grossesse, prise de poids pendant la grossesse, diabète de grossesse et hypertension) n’était disponible. Même si le niveau de scolarité et le revenu de la mère sont des marqueurs socioéconomiques bien établis, la possibilité d’un effet confusionnel résiduel ne peut être écartée, étant donné que d’autres aspects ou mesures de la situation socioéconomique n’étaient pas inclus dans la présente étudeNote 31.
Le niveau de scolarité du père n’a pas été pris en compte en tant que marqueur de la situation socioéconomique. Une analyse antérieure fondée sur le même ensemble de données a révélé que, même si le niveau de scolarité du père était associé de façon indépendante au fait de donner naissance à un enfant de petite taille pour l’âge gestationnel et à la naissance prématurée, il n’atténuait pas l’association indépendante entre le niveau de scolarité de la mère et ces deux issues, et que les rapports de risque associés au niveau de scolarité du père et au niveau de scolarité de la mère n’étaient pas substantiellement différentsNote 32.
La profession de la mère n’a pas été examinée dans le cadre de la présente étude, car les données sur l’emploi se rapportaient à la semaine qui a précédé le jour du Recensement de 2006. Les mères visées par l’étude ont donné naissance entre 2004 et 2006; par conséquent, un pourcentage substantiel d’entre elles ne faisaient pas partie de la population active au cours de cette semaine de référence.
Mot de la fin
Le risque de donner naissance à un enfant de petite taille pour l’âge gestationnel a été associé tant au niveau de scolarité de la mère qu’à la suffisance de son revenu, tandis que la naissance prématurée a été associée uniquement au niveau de scolarité de la mère. Les mécanismes qui sous-tendent l’association entre la situation socioéconomique et les disparités en matière de santé périnatale sont complexes. D’autres recherches pourraient être menées afin de déterminer si le niveau de scolarité de la mère et son revenu sont régis par des rapports de causalité différents qui passent, par exemple, par des comportements généraux en matière de santé, des comportements propres à la grossesse ou le stress.
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