Rapports économiques et sociaux
Démarrer une entreprise en période de pandémie : les expériences des entreprises créées pendant la COVID-19

DOI : https://doi.org/10.25318/36280001202100700004-fra

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Résumé

Le présent article examine le nombre d’entreprises créées durant la pandémie de COVID-19 et les emplois qui leur sont associés. Selon les résultats, 112 764 entreprises ont été créées en 2020, soit 5,4 % de moins qu’un an plus tôt. La majeure partie de la création d’entreprises en 2020 a eu lieu après le début de la pandémie : de juin à décembre 2020, le nombre de nouvelles entreprises a été de 2,8 % supérieur au nombre observé au cours de la même période en 2019. Néanmoins, l’emploi associé à ces nouvelles entreprises a été moins élevé qu’en 2019, et cette constatation vaut pour l’ensemble des secteurs, ainsi que des provinces et territoires. Ce résultat indique que les entreprises créées en 2020 étaient plus petites, en moyenne, que celles créées avant 2020.

Auteur

Amélie Lafrance-Cooke travaille à la Division de l’analyse économique, Direction des études analytiques et de la modélisation (DEAM) à Statistique Canada.

Introduction

Au cours d’une année typique, il est courant d’observer un roulement de l’emploi dans une économie, qui est le résultat du processus de la dynamique des entreprises. Des emplois sont créés par de nouvelles entreprises et des entreprises en croissance, et disparaissent parce que des entreprises ferment leurs portes ou réduisent leurs activités. En période de ralentissement économique, il peut y avoir plus de roulement de l’emploi, en raison des répercussions négatives de la situation sur les entreprises.

En ce qui concerne la création d’emplois, les entreprises en croissance ont tendance à apporter la plus grande contribution à l’emploi, mais il ne faut pas sous-estimer celle des nouvelles entreprises. En moyenne, elles sont à l’origine d’environ 20 % de la croissance de l’emploi au cours d’une année donnée (Dixon et Rollin, 2014). De plus, les nouvelles entreprises peuvent avoir un potentiel de croissance exceptionnel. Des données récentes sur les jeunes entreprises à forte croissance aux États-Unis indiquent qu’une petite proportion d’entreprises en démarrage a grandement contribué à la croissance de la productivité multifactorielle, de la production et de l’emploi (Haltiwanger et coll., 2017).

Le moins qu’on puisse dire, est que 2020 n’a pas été une année typique pour les entreprises et la dynamique des entreprises. La pandémie de COVID-19 a entraîné la fermeture de milliers d’entreprises en mars et en avril 2020. Bon nombre d’entre elles ont par la suite rouvert leurs portes, tandis que certaines ont possiblement fermé de façon permanente. De nombreux programmes gouvernementaux ont été mis en place en 2020 pour appuyer les entreprises en ces temps exceptionnels, notamment la Subvention salariale d’urgence du Canada et le Compte d’urgence pour les entreprises canadiennes.

Bien que la pandémie ait perturbé les chaînes d’approvisionnement et la nature du travail, elle a aussi donné lieu à de nouvelles possibilités et innovations. Le télétravail peut permettre à certaines personnes d’établir une entreprise à domicile, sans avoir à assumer les coûts et les investissements associés à de plus grands espaces de travail. Il peut aussi offrir une meilleure souplesse dans les horaires de travail. Les progrès rapides et l’innovation dans le commerce électronique ont également permis la création de nombreuses plateformes pour faciliter la transition vers la vente au détail en ligne. Ces facteurs, combinés à la faiblesse des taux d’intérêt et à la diminution des perspectives d’emploi pour les travailleurs qui ont été mis à pied, ont ouvert la voie à un accroissement de l’entrepreneuriat.

De nombreux pays ont affiché une augmentation marquée des enregistrements de nouvelles entreprises en 2020. Par exemple, aux États-Unis, les demandes de constitution d’entreprise ont augmenté de 82 % au cours des trois mois qui ont précédé septembre comparativement au même trimestre de l’année précédente. La France a enregistré 84 000 nouvelles entreprises en octobre 2020, ce qui représente une augmentation de 20 % par rapport au même mois en 2019 et le plus haut niveau jamais enregistré. En effet, la hausse des demandes récentes de constitution d’entreprise aux États-Unis contraste avec la lenteur à ce chapitre qui avait caractérisé la crise financière de 2007 à 2009 (Dinlersoz et coll., 2021).

À l’aide des estimations mensuelles des ouvertures et des fermetures d’entreprises, le présent article porte sur les entreprises créées durant la pandémie et l’emploi connexe. Il compare la création d’entreprises qui a eu lieu en 2020 à celle de la période de 2015 à 2019. Il compare également l’emploi créé par les nouvelles entreprises à celui des entreprises déjà en place, et la suppression d’emplois par suite de la fermeture d’entreprises ou de la diminution des activités de certaines. Il révèle qu’il y a eu 5,4 % moins d’entreprises créées en 2020 qu’en 2019, principalement en raison de la baisse du nombre d’entreprises créées au début de la pandémie. Toutefois, de juin à décembre 2020, le nombre d’entreprises créées a augmenté de 2,8 % par rapport à la même période en 2019. Néanmoins, l’emploi dans ces nouvelles entreprises était plus faible qu’en 2019. Autrement dit, bon nombre des entreprises créées en 2020 étaient de petite taille.

La création d’entreprises en 2020 s’est concentrée durant la deuxième moitié de l’année

Grâce aux estimations mensuelles des ouvertures et des fermetures d’entreprises, il est possible d’identifier les nouvelles entreprises qui ont été créées au cours d’un mois donné. Il s’agit des entreprises ayant des employés pendant le mois en cours, qui n’étaient pas actives durant les mois précédents de l’année en cours ou de l’année précédente, c’est-à-dire qu’elles ne figuraient pas dans l’ensemble de données pendant un maximum de 24 mois. L’emploi dans les nouvelles entreprises est calculé au moment de la création de l’entreprise. Comme cette analyse porte sur la contribution des nouvelles entreprises à l’emploi, pour qu’une entreprise soit comptée dans une année donnée, elle doit toujours être active en décembre de cette année‑là^Note .

Les estimations mensuelles montrent qu’il y a eu 112 764  entreprises créées en 2020, en baisse de 5,4 % par rapport à un an plus tôt (graphique 1). En 2020, 498 923 employés ont travaillé pour ces nouvelles entreprises, en baisse de 20,7 % par rapport à 2019 et de 28,0 % par rapport à 2018, année durant laquelle un sommet a été atteint.

La création d’entreprises en 2020 s’est concentrée pendant la deuxième moitié de l’année, soit de juin à décembre (graphique 2). Au début de la pandémie, de mars à mai 2020, on a dénombré 28 008 nouvelles entreprises, soit près de 16 000 de moins que la moyenne de 2015 à 2019 pour les mêmes mois. Les premiers mois de la pandémie ont entraîné de nombreuses fermetures d’entreprises et beaucoup d’incertitude sur le plan économique, deux facteurs qui peuvent avoir rendu l’entrepreneuriat moins attrayant. À mesure que les restrictions de santé publique se sont assouplies au cours des mois d’été, l’entrepreneuriat est devenu plus viable. Le nombre d’entreprises créées de septembre à décembre 2020 a été plus élevé que la moyenne de 2015 à 2019. Néanmoins, ces résultats contrastent avec ceux des États-Unis, où la création de nouvelles entreprises avec salariés est demeurée supérieure de juin à décembre 2020 à celle observée de 2015 à 2019 (graphique 3)^Note  . Fait étonnant, plus de 60 000 entreprises ont été créées en juillet 2020 aux États-Unis, un record mensuel.

En 2020, la création d’entreprises a été plus élevée dans certains secteurs et certaines provinces qu’en 2019, mais les entreprises créées avaient tendance à être plus petites

Depuis 2019, la croissance du nombre de nouvelles entreprises a varié d’un secteur à l’autre. Dans les mois qui ont suivi le creux de 2020 (c’est-à-dire de juin à décembre), le nombre de nouvelles entreprises a été plus élevé en 2020 qu’en 2019^Note  globalement, dans le secteur des entreprises et dans la moitié des secteurs (graphique 4). Les hausses les plus marquées du nombre de nouvelles entreprises ont été observées dans les services professionnels, scientifiques et techniques (+10,4 %), l’industrie de l’information et l’industrie culturelle (+8,5 %), et le commerce de gros (+7,3 %). Ces secteurs de services ont peut-être connu une telle croissance en raison d’une augmentation de la demande pour répondre aux besoins des entreprises à domicile (p. ex. services d’hébergement Web) et de la possibilité pour les employés dans ces secteurs de travailler à domicile. En revanche, le nombre de nouvelles entreprises a diminué de plus de 15 % dans le secteur de la foresterie, de la pêche et de la chasse, ainsi que dans celui des services d’hébergement et de restauration.

Bien que le nombre de nouvelles entreprises ait augmenté en 2020 par rapport à 2019 dans de nombreux secteurs, l’emploi créé par ces nouvelles entreprises a été plus faible qu’au cours de l’année précédente dans pratiquement tous les secteurs (graphique 4). Par exemple, dans le secteur du commerce de détail, le nombre de nouvelles entreprises a augmenté de 2,4 % en 2020 par rapport à 2019, mais le nombre d’employés au sein de ces entreprises a diminué de 44,9 %. Cela pourrait s’expliquer par la plus petite taille moyenne des entreprises créées en 2020 par rapport à 2019. Autrement dit, bien qu’un plus grand nombre d’entreprises aient été créées de juin à décembre 2020 qu’au cours de la même période en 2019, ces entreprises avaient tendance à être de plus petite taille. En effet, au niveau du secteur des entreprises, la taille moyenne d’une entreprise en 2020 était de 4,4 employés, en baisse par rapport à 5,3 employés en 2019. Cela pourrait avoir des répercussions à l’avenir, car les entreprises qui commencent avec un plus grand nombre d’employés ont tendance à avoir de meilleurs taux de survie au fil du temps (Innovation, Sciences et Développement économique Canada, 2020).

À l’échelle des provinces et territoires, le nombre d’entreprises créées au cours de la période de juin à décembre a été plus élevé en 2020 qu’en 2019 dans la plupart des provinces (graphique 5). La hausse du nombre de nouvelles entreprises a varié de 0,7 % en Alberta à 7,1 % en Colombie-Britannique. En revanche, le nombre de nouvelles entreprises a diminué de 10,7 % en Saskatchewan, de 3,1 % dans les territoires et de 0,2 % au Nouveau-Brunswick.

À l’instar des résultats à l’échelle des secteurs, l’emploi associé aux entreprises créées en 2020 a été plus faible qu’en 2019 dans l’ensemble des provinces et des territoires. Parmi les provinces ayant affiché la plus forte augmentation du nombre de nouvelles entreprises, l’emploi dans ces nouvelles entreprises était plus de 15 % inférieur à celui dans les entreprises créées en 2019 (graphique 5). Il est possible que les entreprises créées pendant la pandémie aient voulu démarrer à petite échelle en raison de l’incertitude entourant la conjoncture économique générale.

Les nouvelles entreprises ont été à l’origine de près du tiers des emplois créés en 2020

L’année 2020 a été inhabituelle et unique pour ce qui est de la dynamique des entreprises. Selon les estimations mensuelles des ouvertures et des fermetures d’entreprises, la pandémie a entraîné la fermeture d’environ 110 000 entreprises en mars et en avril 2020. Environ la moitié de ces entreprises ont rouvert leurs portes en août 2020. Ces fermetures ont entraîné d’importantes pertes d’emplois, mais pas aussi importantes que celles observées dans les entreprises qui sont demeurées ouvertes (Lafrance-Cooke, 2021). En examinant la contribution des nouvelles entreprises à l’emploi, cette section brosse un tableau plus complet de la dynamique de l’emploi^Note  en 2020 par rapport à celle de la période de 2015 à 2019.

Au cours de la période de 2015 à 2019, les nouvelles entreprises ont été à l’origine, en moyenne, de 32,6 % des emplois créés. En 2020, cette proportion est passée à 31,3 % (graphique 6). Cette situation s’explique par le moins grand nombre d’entreprises créées durant la pandémie par rapport aux années précédentes, par la plus petite taille de ces entreprises et par la contribution moins importante à la création d’emplois des entreprises en exploitation continue en 2020. De plus, bien que l’emploi créé par les nouvelles entreprises depuis 2015 n’ait pas suffi à compenser les pertes d’emploi annuelles attribuables aux fermetures d’entreprises, cette constatation s’est amplifiée en 2020. En particulier, les pertes d’emploi attribuables à la fermeture d’entreprises étaient plus faibles en 2020 que la moyenne observée au cours de la période de 2015 à 2019.

Il a été démontré que les entreprises en exploitation continue en essor contribuent le plus à la croissance de l’emploi (Rollin, 2012), et ce fut encore le cas en 2020, quoique dans une mesure légèrement plus faible par rapport aux années précédentes. De plus, les pertes d’emploi attribuables aux entreprises en exploitation continue en déclin ont été particulièrement importantes en 2020, s’établissant à près de 1,6 million d’employés, ce qui a mené à une baisse nette de l’emploi de près de 500 000 pour les entreprises en exploitation continue en 2020. Il s’agit de la seule année où la croissance nette de l’emploi des entreprises en exploitation continue a été négative.

Conclusion

Cet article présente les nouveaux résultats des séries expérimentales sur les ouvertures et les fermetures mensuelles d’entreprises. Plus précisément, il porte sur l’ampleur de la création d’entreprises durant la pandémie de COVID-19 et sur les emplois qui leur sont associés.

En 2020, 112 764  entreprises ont été créées, soit 5,4 % de moins qu’un an plus tôt. Toutefois, la majeure partie de la création d’entreprises en 2020 a eu lieu après le début de la pandémie : de juin à décembre 2020, le nombre de nouvelles entreprises a été de 2,8 % supérieur au nombre observé au cours de la même période en 2019. Néanmoins, l’emploi associé à ces nouvelles entreprises a été moins élevé qu’en 2019, et cette constatation vaut pour l’ensemble des secteurs, ainsi que des provinces et territoires. Cela démontre que les entreprises créées en 2020 étaient plus petites, en moyenne, que celles créées avant 2020.

Bien que la création de nouvelles entreprises se soit poursuivie au Canada en dépit de la pandémie de COVID-19, les taux de création d’entreprises n’ont pas atteint des niveaux record ou historiques comme aux États-Unis. Les travaux à venir porteront sur les différences dans la création d’entreprises entre le Canada et les États-Unis, ainsi que sur les facteurs qui pourraient expliquer ces différences. Il sera également important de surveiller les taux de survie des nouvelles entreprises créées durant la pandémie car elles pourraient être moins robustes en raison de leur taille moins élevée.

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