Rapports économiques et sociaux
La solitude autodéclarée chez les immigrants récents, les immigrants de longue date et les personnes nées au Canada

Date de diffusion : le 28 juillet 2021

DOI : https://doi.org/10.25318/36280001202100700001-fra

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Résumé

De nombreux nouveaux arrivants au Canada sont confrontés à des perturbations de leurs réseaux sociaux pendant la migration et à des obstacles lorsqu’ils établissent de nouvelles relations et de nouveaux liens, ce qui les rend vulnérables à la solitude sociale et émotionnelle. Cet article utilise l’Enquête sociale générale de 2018 pour comparer la solitude autodéclarée entre les immigrants et la population née au Canada.

Auteurs

Max Stick travaille à la Division de l’analyse sociale et de la modélisation, Direction des études analytiques et de la modélisation à Statistique Canada, et à l’Université McMaster.

Feng Hou travaille à la Division de l’analyse sociale et de la modélisation, Direction des études analytiques et de la modélisation à Statistique Canada.

Lisa Kaida travaille à l’Université McMaster.

Article

La solitude autoévaluée est un indicateur important du bien-être. Il s’agit de la perception subjective des liens sociaux et des relations qui sont déficients en qualité ou en quantité (Hawkley et Cacioppo, 2010; Holt-Lunstad et coll., 2015). La solitude est associée au stress, à la dépression et à l’anxiété, et elle peut avoir d’autres répercussions sur la santé mentale. La solitude est également associée à diverses affections physiques, comme les maladies cardiovasculaires, les taux élevés de cholestérol, l’hypertension artérielle et une augmentation de la morbidité et de la mortalité (Hawkley et Cacioppo, 2010). Comme l’interaction sociale tourne en grande partie autour du milieu de travail, des réunions familiales et des événements communautaires, l’isolement accru et les mesures de distanciation physique obligatoires liées à la pandémie de COVID-19 peuvent accroître la sensibilité des personnes à la solitude.

Les conditions, les caractéristiques et les circonstances qui déclenchent le sentiment de solitude varient d’une personne à l’autre. Certaines peuvent vivre seules et avoir peu de contacts sociaux, mais être satisfaites sur le plan social et émotionnel. D’autres peuvent avoir un vaste réseau social et socialiser fréquemment, mais se sentir seules (Hawkley et Cacioppo, 2010; Holt-Lunstad et coll., 2015). Les liens sociaux peuvent être particulièrement difficiles à maintenir dans les régions où les hivers sont longs et froids, où la densité de population est faible et où le transport est limité ou coûteux (Johnson et coll., 2019).

Les recherches indiquent que les immigrants ont tendance à se sentir plus seuls (Wu et Penning, 2015). En raison de la migration d’un pays à l’autre, de nombreux immigrants connaissent des perturbations sociales et un isolement accru. Les immigrants, surtout les plus récents, peuvent éprouver des difficultés particulières en matière d’acculturation dans la société canadienne, notamment un choc culturel et des difficultés à trouver un emploi (Wu et Penning, 2015). Ils peuvent également faire face à des obstacles linguistiques, à des difficultés de reconnaissance des titres de compétences et à d’autres perturbations qui peuvent mener à des niveaux plus élevés de solitude autodéclarée. Comme bon nombre de ces perturbations s’atténuent avec le temps, la solitude autodéclarée chez les immigrants peut diminuer plus ils vivent longtemps au Canada, à mesure qu’ils commencent à reconstruire leur réseau social et à établir de nouvelles relations.

Bien qu’il existe de nombreux indicateurs de solitude, l’Enquête sociale générale de Statistique Canada (2007, 2012 et 2018) utilise l’échelle de solitude à six éléments de De Jong Gierveld–Van Tilburg. Cette échelle est une mesure fiable et largement utilisée de la solitude, qui saisit à la fois ses aspects sociaux et émotionnels. La solitude émotionnelle reflète un manque de liens intimes et personnels, tandis que la solitude sociale reflète des sentiments d’inadéquation dans le réseau social plus large d’une personne (De Jong Gierveld et Van Tilburg, 2006).

L’échelle de solitude de De Jong Gierveld–Van Tilburg comprend les six énoncés suivants : a) Je ressens un sentiment général de vide, b) il y a plusieurs personnes sur qui je peux compter lorsque j’ai des problèmes, c) il y a plusieurs personnes en qui je peux avoir entièrement confiance, d) il y a suffisamment de personnes dont je me sens proche, e) la présence des autres me manque et f) je me sens souvent rejeté. On demande aux répondants d’indiquer si chaque énoncé décrit leurs sentiments à l’aide des catégories suivantes : 1) oui, 2) plus ou moins ou 3) non. Dans la construction de l’échelle de solitude, le codage des réponses aux points a), e) et f) a été inversé. L’échelle est créée en prenant la moyenne des six termes, ce qui la rend très fiable (coefficient alpha de Cronbach de 0,78). Elle varie de 0, « pas seul(e) », à 3, « très seul(e) ».

Le tableau 1 présente les scores moyens de solitude des immigrants récents (résidents du Canada depuis 10 ans ou moins), des immigrants de longue date (résidents du Canada depuis plus de 10 ans) et de la population née au Canada âgée de 15 à 64 ans (les personnes âgées de 65 ans et plus n’ont pas été incluses dans l’analyse parce qu’il y avait très peu d’aînés nouvellement immigrés parmi les répondants à l’enquête). Les immigrants récents affichaient un score moyen de solitude de 1,49, ce qui est plus élevé que celui des répondants nés au Canada (1,36). Les immigrants de longue date affichaient un score moyen de solitude de 1,50, ce qui était semblable à celui des immigrants récents et supérieur à celui des répondants nés au Canada. Ces différences globales entre les immigrants et les répondants nés au Canada étaient statistiquement significatives et d’une ampleur semblable aux différences entre les répondants nés au Canada dont le revenu du ménage est faible (39 999 $ ou moins) et ceux dont le revenu du ménage est moyen (de 40 000 $ à 99 999 $). Les différences dans la solitude autodéclarée selon le statut d’immigrant ont peu changé lorsqu’on a tenu compte des différences de groupe selon le sexe, le groupe d’âge, l’état matrimonial, la langue maternelle, le niveau de scolarité, la situation d’emploi et le revenu du ménage.


Tableau 1
Scores de solitude autodéclarée selon le statut d’immigrant chez les personnes âgées de 15 à 64 ans, 2018
Sommaire du tableau
Le tableau montre les résultats de Scores de solitude autodéclarée selon le statut d’immigrant chez les personnes âgées de 15 à 64 ans Immigrants récents, Immigrants
de longue date et Personnes nées
au Canada, calculées selon moyenne et écart-type unités de mesure (figurant comme en-tête de colonne).
Immigrants récents Immigrants
de longue date
Personnes nées
au Canada
moyenne écart-type moyenne écart-type moyenne écart-type
Tous 1,49Note *** 0,58 1,50Note *** 0,52 1,36 0,41
Sexe
Homme 1,51Note *** 0,60 1,49Note *** 0,52 1,38 0,44
Femme 1,47Note *** 0,56 1,50Note *** 0,52 1,35 0,39
Groupe d’âge
15 à 34 ans 1,44Note *** 0,68 1,42Note *** 0,68 1,33 0,54
35 à 44 ans 1,56Note *** 0,48 1,54Note *** 0,54 1,34 0,39
45 à 64 ans 1,57Note *** 0,49 1,51Note *** 0,46 1,41 0,35
État matrimonial
Personnes mariées ou en union libre 1,53Note *** 0,53 1,47Note *** 0,49 1,32 0,37
Personnes séparées, divorcées ou veuves 1,80Note *** 0,53 1,63Note *** 0,44 1,52 0,36
Personnes jamais mariées 1,40 0,67 1,52Note *** 0,63 1,41 0,51
Langue maternelle
Autres 1,49 0,57 1,50Note * 0,52 1,44 0,50
Français ou anglais 1,50Note *** 0,59 1,50Note *** 0,52 1,36 0,41
Niveau de scolarité
Diplôme d’études secondaires ou moins 1,40 0,69 1,46Note *** 0,56 1,38 0,44
Études postsecondaires partielles 1,52Note *** 0,51 1,49Note *** 0,47 1,37 0,40
Baccalauréat ou niveau supérieur 1,53Note *** 0,56 1,53Note *** 0,52 1,32 0,39
Situation d’emploi
Personne occupée 1,50Note *** 0,55 1,48Note *** 0,50 1,35 0,40
Sans emploi 1,49Note * 0,67 1,54Note *** 0,58 1,43 0,43
Revenu du ménage (en dollars de 2017)
≤ 39 999 $ 1,59Note ** 0,68 1,56 0,55 1,51 0,47
40 000 $ à ≤ 99 999 $ 1,50Note *** 0,54 1,49Note *** 0,53 1,38 0,40
≥ 100 000 $ 1,34 0,46 1,47Note *** 0,48 1,31 0,38

Les niveaux semblables de solitude autodéclarée entre les immigrants récents et les immigrants de longue date laissent entendre que le sentiment de solitude ne diminue pas nécessairement à mesure que le temps passé dans le pays de destination augmente. Toutefois, avec les données transversales, il n’est pas possible d’isoler les changements associés à une plus longue période de résidence dans le pays de destination des différences possibles parmi les immigrants qui sont arrivés au pays à différents moments. Une étude antérieure soutient que les immigrants de longue date peuvent s’habituer davantage aux normes et coutumes culturelles de leur pays de destination, mais qu’ils peuvent aussi éprouver un affaiblissement des liens avec leur pays d’origine, ce qui contribue au sentiment de solitude (Wu et Penning, 2015).

Le tableau 1 montre également que les immigrants ont généralement déclaré des niveaux de solitude plus élevés que les répondants nés au Canada dans divers groupes socioéconomiques et démographiques. Chez les immigrants et les répondants nés au Canada, les scores moyens de solitude augmentaient généralement avec l’âge. Les personnes vivant dans des ménages à faible revenu ont déclaré des niveaux de solitude plus élevés que leurs homologues ayant des revenus plus élevés. Les personnes séparées, divorcées ou veuves se sentaient plus seules que les personnes qui étaient dans une union conjugale ou qui n’ont jamais été mariées. Chez les immigrants, ceux qui avaient un niveau de scolarité plus élevé ont déclaré des niveaux accrus de solitude, tandis que le contraire était vrai pour les répondants nés au Canada.

En somme, les immigrants récents et les immigrants de longue date ont déclaré des niveaux de solitude plus élevés que la population née au Canada. De plus, la solitude ne semblait pas être atténuée par le nombre d’années passées au Canada. Compte tenu des conséquences de la solitude sur la santé mentale et physique, la constatation selon laquelle les immigrants ont déclaré des niveaux plus élevés de solitude avant la pandémie de COVID-19 justifie que l’on continue de s’y intéresser au cours des prochaines années, à mesure que le Canada se remet de la pandémie.

L’une des limites du présent article est la taille insuffisante de l’échantillon pour étudier la solitude chez les aînés nouvellement immigrés. Bien que les aînés en général soient plus susceptibles de déclarer un niveau élevé de solitude, les immigrants récents arrivés à un âge plus avancé peuvent être particulièrement vulnérables en raison de leur réseau social limité au Canada. Une approche pour surmonter cette limite de données consiste à regrouper trois cycles de l’Enquête sociale générale (2007, 2012 et 2018) qui ont recueilli des renseignements pour la mesure de la solitude. À l’aide d’un échantillon de plus grande taille, il est possible d’examiner la solitude autodéclarée chez les aînés selon le statut d’immigrant, ainsi que les facteurs qui peuvent aider à atténuer ce problème.

Bibliographie

De Jong Gierveld, J. et T. Van Tilburg. 2006. « A 6 items scale for overall, emotional, and social loneliness: Confirmatory tests on survey data ». Research on Aging 28 (5) : 582 à 598.

Hawkley, L.C., et J.T. Cacioppo. 2010. « Loneliness matters: A theoretical and empirical review of consequences and mechanisms ». Annals of Behavioral Medicine 40 (2) : 218 à 227.

Holt-Lunstad, J., T.B. Smith, M. Baker, T. Harris et D. Stephenson. 2015. « Loneliness and social isolation as risk factors for mortality: A meta-analytic review ». Perspectives on Psychological Science 10 (2) : 227 à 237.

Johnson, S., J. Bacsu, T. McIntosh, B. Jeffery et N. Novik. 2019. « Social isolation and loneliness among immigrant and refugee seniors in Canada: A scoping review ». International Journal of Migration, Health and Social Care 15 (3) : 177 à 190.

Wu, Z. et M. Penning. 2015. « Immigration and loneliness in later life ». Ageing and Society 35 (1) : 64 à 95.

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