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Estimation de la consommation de cannabis à l’aide de marqueurs dans les eaux usées : document méthodologique

par Laurie Reedman et Andrew Brennan

Date de diffusion : le 21 mai 2019

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Résumé

À l’automne 2018, le Canada a légalisé la consommation de cannabis à des fins récréatives. En raison de cet important changement de politique, Statistique Canada a voulu mettre à jour et améliorer ses estimations de la consommation de cannabis et, idéalement, estimer les éventuels changements dans la consommation ayant coïncidé avec la légalisation.

Il est difficile d’estimer la consommation de drogues illégales au moyen d’enquêtes traditionnelles parce que les répondants sont susceptibles de sous-déclarer leur consommation. De plus, il se pourrait que le degré de sous-déclaration change à la suite de la légalisation de la drogue, ce qui viendrait compliquer la comparaison de la consommation avant et après la légalisation.

À titre de complément aux enquêtes, Statistique Canada a mené un essai pilote fondé sur la nouvelle science de l’épidémiologie fondée sur les eaux usées. Cette approche consiste à mesurer, dans les eaux usées des égouts, les concentrations à l’état de traces d’un métabolite de cannabis qui est produit et excrété après la consommation de cannabis. La quantité de métabolite de cannabis détectée dans les eaux usées peut servir à comparer la consommation de cannabis au fil du temps et d’une région à l’autre. Au moyen de certains renseignements supplémentaires, on peut aussi étendre cette mesure à l’estimation de la quantité totale de cannabis consommée au Canada. Une estimation de grande qualité de la consommation de cannabis établie au moyen de l’épidémiologie fondée sur les eaux usées serait utile au calage à effectuer dans les enquêtes sur le cannabis. De plus, combinée aux données sur les ventes légales de cannabis, elle pourrait aider à estimer la taille du marché illégal du cannabis.

Dans le présent article, nous nous penchons sur les paramètres nécessaires au calcul de la masse de métabolites de cannabis dans les eaux usées, ainsi que sur les paramètres supplémentaires nécessaires à l’estimation de la quantité totale de cannabis consommée. Nous discutons des sources d’erreur de chaque paramètre, de leurs effets sur les estimations finales et des méthodes de validation des résultats utilisées. Nous indiquons que le taux d’excrétion, à savoir la fraction de la drogue consommée qui est excrétée sous forme de métabolite, constitue la principale source d’incertitude dans les estimations de la consommation totale de cannabis produites grâce à l’épidémiologie fondée sur les eaux usées. Nous sollicitons des commentaires sur nos travaux et encourageons les chercheurs à poursuivre la recherche afin d’améliorer l’utilité de l’épidémiologie fondée sur les eaux usées.

Mots clés : cannabis; métabolite; épidémiologie fondée sur les eaux usées; taux d’excrétion; puissance; incertitude

Sommaire

Le présent article décrit les progrès réalisés au cours des neuf premiers mois (de mars à novembre 2018) du projet pilote mené pour estimer la consommation de cannabis en fonction des métabolites de cannabis présents dans les eaux usées. Il appuie les données publiées précédemment (voir « Une estimation de la consommation du cannabis fondée sur l’analyse des eaux usées, mars à août 2018 ») en traitant des méthodes et des paramètres utilisés pour obtenir ces résultats. Plus précisément, le présent article est axé sur les paramètres requis pour estimer la consommation de cannabis, les sources d’incertitude associées à chaque paramètre, l’incertitude globale entourant les estimations établies au moyen de l’épidémiologie fondée sur les eaux usées, ainsi que sur les méthodes de validation des résultats utilisées.

Objectifs du projet

L’objectif du projet pilote était de démontrer la faisabilité d’estimer la quantité de cannabis consommée au Canada en mesurant les métabolites de cannabis dans des échantillons d’eaux usées. Lorsque le cannabis pénètre dans le corps, son principal ingrédient psychoactif, le tétrahydrocannabinol (THC), est transformé en un certain nombre de métabolites non psychoactifs, parmi lesquels le 11-nor-9-carboxy-∆9-tétrahydrocannabinol (THC-COOH) est l’un des plus courants et des plus stables.

Au courant des heures et des jours, voire semaines, suivant la consommation de cannabis, le THC-COOH est excrété dans les eaux usées par l’urine et les matières fécales (Huestis, 2007; Gracia-Lor et coll., 2016), ce qui fournit des éléments de preuve à l’état de traces de la consommation de cannabis. Étant donné que le THC-COOH est produit uniquement dans le corps, sa présence dans les eaux usées indique précisément que du cannabis a été consommé, et pas simplement cultivé ou transformé. L’épidémiologie fondée sur les eaux usées consiste à échantillonner les eaux usées qui entrent dans une installation de traitement pour mesurer les quantités en traces d’un métabolite de drogue, puis à étendre ces mesures, au moyen d’un modèle composé d’un certain nombre de paramètres modèles, pour estimer la quantité correspondante de drogue consommée dans la zone desservie.

Comparativement aux estimations de la consommation de cannabis s’appuyant sur des enquêtes, l’approche de l’épidémiologie fondée sur les eaux usées comporte plusieurs avantages : elle est peu coûteuse, elle est rapide et elle réduit le fardeau de réponse. De plus, cette approche est moins susceptible de donner lieu à la sous-déclaration ou aux erreurs de déclaration attribuables à la stigmatisation, à l’hésitation à signaler un comportement illégal ou à la méconnaissance de la consommation totale au cours de la période de référence. La réduction de la sous-déclaration est particulièrement importante lorsqu’il s’agit de mesurer les changements de comportement en cette période où la volonté de déclarer la consommation de cannabis est susceptible de changer par suite de l’entrée en vigueur de la Loi sur le cannabis, qui a légalisé la consommation de cannabis à des fins récréatives au Canada. Même si la consommation réelle de cannabis n’a pas changé, il se peut que les enquêtes indiquent une augmentation de la consommation à mesure que les répondants se montrent plus disposés à faire part de leurs expériences. Toutefois, ce changement dans la volonté de déclaration n’aurait aucune incidence sur les mesures établies d’après l’analyse des eaux.

L’approche de l’épidémiologie fondée sur les eaux usées n’est toutefois pas sans poser certains défis. Elle permet seulement d’estimer la consommation globale de cannabis dans une zone donnée et ne permet pas d’estimer le nombre de consommateurs, la quantité moyenne consommée par consommateur, la fréquence de consommation, ou la consommation selon des caractéristiques personnelles (par exemple, l’âge, le sexe ou le revenu). De plus, l’épidémiologie fondée sur les eaux usées est une science nouvelle où une grande incertitude entoure certaines parties du processus, comme la pharmacocinétique de la transformation du cannabis dans le corps. Il est à espérer que la poursuite des recherches permettra d’atténuer ces incertitudes.

En gardant ces forces et ces faiblesses à l’esprit, nous avons plusieurs objectifs précis alors que nous appliquons l’approche de l’épidémiologie fondée sur les eaux usées à l’estimation de la consommation de cannabis. Premièrement, nous voulons suivre l’évolution de la consommation de cannabis au fil du temps, y compris en cette période suivant la légalisation, où les comportements en matière de déclaration pourraient changer. Deuxièmement, nous voulons comparer la consommation entre différentes régions ou villes. Troisièmement, nous espérons que les estimations établies au moyen de l’épidémiologie fondée sur les eaux usées pourront servir à ajuster de façon plus précise les estimations de la consommation nationale totale de cannabis issues des enquêtes de surveillance et des enquêtes sur la santé. Quatrièmement, nous voulons estimer la quantité de cannabis acquise de sources illégales après la légalisation du cannabis en soustrayant les achats légaux connus des estimations de la consommation totale de cannabis produites grâce à l’épidémiologie fondée sur les eaux usées.

Les deux premiers objectifs sont des comparaisons relatives et, dans la plupart des cas, il est possible de les atteindre en comparant le taux moyen auquel le métabolite est excrété dans les eaux usées, ce qu’on appelle la charge métabolique par habitant (CMH). Les deux derniers objectifs nécessitent des estimations absolues de la consommation totale de cannabis. Cette étape supplémentaire ajoute une incertitude importante qui fait en sorte que la consommation de cannabis est moins certaine que la CMH.

Description du projet

Le projet a porté sur 15 installations de traitement des eaux usées de cinq villes, soit Vancouver, Edmonton, Toronto, Montréal et Halifax. Il a englobé 8,4 millions de personnes, ce qui représente plus de 20 % de la population canadienne. Des données ont été recueillies chaque mois à partir de mars 2018, et la collecte se poursuivra jusqu’au printemps 2019.

Les partenaires externes comprenaient le personnel des usines de traitement des eaux usées et le Département de génie chimique de l’Université McGill, qui a effectué les analyses chimiques des échantillons d’eaux usées et qui a apporté une expertise scientifique en matière d’épidémiologie fondée sur les eaux usées. À Statistique Canada, le projet était une collaboration entre la Direction des comptes macroéconomiques, la Direction de la gestion stratégique des données, la Direction de la méthodologie, et des spécialistes de l’analyse de la santé.

Des échantillons d’eaux usées ont été prélevés pendant la deuxième semaine de chaque mois. Un protocole strict de collecte d’échantillons a été suivi afin de prévenir toute altération et de veiller à ce que les échantillons soient représentatifs des eaux usées et exempts de contamination. À la plupart des usines de traitement des eaux usées, les eaux usées ont été échantillonnées toutes les 30 à 60 minutes, les intervalles étant inversement proportionnels au débit (plus le débit est lent, plus les intervalles entre les prélèvements sont longs). Cet échantillonnage proportionnel au débit a fait en sorte que l’eau passant par l’installation soit représentée de manière égale dans l’échantillon. Toutefois, à quelques-uns des plus petits sites, les eaux usées ont été échantillonnées à intervalles réguliers (échantillonnage proportionnel au temps). Dans les deux cas, les petits échantillons ont été combinés en un agrégat quotidien qui a été congelé à la fin de la journée. À la fin de la semaine d’échantillonnage, les agrégats quotidiens ont été envoyés à l’Université McGill à des fins d’analyse chimique, et le débit enregistré des eaux usées a été communiqué à Statistique Canada. À l’Université McGill, les échantillons agrégés quotidiens ont été dégelés et combinés en un échantillon composite hebdomadaire proportionnel aux débits quotidiens, permettant de préserver l’échantillonnage égal des eaux usées. Trois extractions de ce composite hebdomadaire ont fait l’objet d’une analyse de la teneur en THC-COOH et en métabolites d’autres drogues dont il n’est pas question ici. Les données sur les concentrations ont ensuite été envoyées à Statistique Canada par transfert de données sécurisé.

Calcul de la charge métabolique par habitant (CMH) (équation 1)

La CMH est le taux moyen auquel le THC-COOH présent dans le corps est excrété dans les eaux usées. Le calcul de la CMH est non seulement une étape du calcul de la consommation totale de cannabis, mais il est utile en soi pour les comparaisons relatives de la consommation de drogues. Par exemple, la CMH peut servir à suivre l’évolution de la consommation de cannabis au fil du temps et à comparer la consommation d’une région géographique à l’autre.

Le taux auquel le THC-COOH arrive à une usine de traitement des eaux usées pendant la semaine de collecte des données peut être calculé comme étant le produit de la concentration de THC-COOH (nanogrammes par litre [ng/L]) et du débit (litres par semaine [L/sem]). Nous devons ensuite tenir compte des pertes possibles de THC-COOH qui surviennent entre l’entrée dans le réseau d’égouts et l’arrivée à l’installation de traitement. Enfin, nous voulons mettre à l’échelle cette quantité en fonction du nombre de personnes desservies par l’usine de traitement des eaux usées afin de pouvoir comparer des régions géographiques de différentes tailles. Pour réunir le tout, nous pouvons calculer la CMH à l’aide de la formule suivante :

Équation 1

CMH=concentration×débit× 1 1pertes ÷population MathType@MTEF@5@5@+= feaagKart1ev2aqatCvAUfeBSjuyZL2yd9gzLbvyNv2CaerbuLwBLn hiov2DGi1BTfMBaeXatLxBI9gBaerbd9wDYLwzYbItLDharqqtubsr 4rNCHbGeaGqiVu0Je9sqqrpepC0xbbL8F4rqqrFfpeea0xe9Lq=Jc9 vqaqpepm0xbba9pwe9Q8fs0=yqaqpepae9pg0FirpepeKkFr0xfr=x fr=xb9adbaqaaeGaciGaaiaabeqaamaabaabaaGcbaaeaaaaaaaaa8 qacaWGdbGaamytaiaadIeacqGH9aqpcaWGJbGaam4Baiaad6gacaWG JbGaamyzaiaad6gacaWG0bGaamOCaiaadggacaWG0bGaamyAaiaad+ gacaWGUbGaey41aqRaamizaiaabMoacaWGIbGaamyAaiaadshacqGH xdaTdaWcaaWdaeaapeGaaGymaaWdaeaapeGaaGymaiabgkHiTiaadc hacaWGLbGaamOCaiaadshacaWGLbGaam4CaaaacqGH3daUcaWGWbGa am4BaiaadchacaWG1bGaamiBaiaadggacaWG0bGaamyAaiaad+gaca WGUbaaaa@6327@

Nous examinerons maintenant cette équation en détail pour décrire les sources d’incertitude associées à chaque terme.

Concentration

Au nombre des facteurs qui pourraient avoir une incidence sur la concentration de métabolites mesurée dans les eaux usées, il y a la collecte et l’analyse chimique de l’échantillon d’eaux usées.

Les erreurs qui découlent de la collecte et de la préparation de l’échantillon ne sont toujours pas claires à ce stade-ci. Nos procédures sont conformes aux pratiques exemplaires d’analyse des eaux usées du réseau SCORE [Sewage analysis CORe group — Europe (Groupe central d’analyse des eaux usées en Europe)] (Castiglioni et coll., 2016), lesquelles ont été élaborées à des fins de normalisation et d’amélioration de l’épidémiologie fondée sur les eaux usées. Les installations de traitement des eaux usées sont bien gérées et utilisent de l’équipement de grande qualité pour procéder à un échantillonnage proportionnel au débit à partir du centre de la canalisation d’eaux usées d’arrivée. Nous ne nous attendons pas à des problèmes liés à la congélation ou à l’expédition des échantillons, puisque ceux-ci sont généralement encore congelés à leur arrivée et qu’un simple cycle de gel et de dégel a vraisemblablement très peu d’effet sur les concentrations de THC-COOH (Causanilles et coll., 2017). Toutefois, des pertes de THC-COOH ont précédemment été signalées pendant la préparation des échantillons (Been et coll., 2016), et des erreurs pourraient être causées par un échantillonnage proportionnel au débit imparfait, par l’acidité des eaux usées agissant sur le comportement du THC-COOH, ou par divers autres facteurs pouvant avoir une incidence sur le THC-COOH (Causanilles et coll., 2017). Nous avons également introduit une étape consistant à combiner les sept échantillons quotidiens en un agrégat hebdomadaire afin de réduire les coûts d’analyse tout en établissant une moyenne sur une plus longue période. Cet ajout au processus est bien simple, mais il est néanmoins susceptible d’introduire des erreurs qui n’ont pas été précédemment examinées.

L’analyse chimique des échantillons préparés semble très fiable. Le laboratoire de l’Université McGill a des protocoles stricts, de l’équipement à haute performance, des pratiques d’assurance de la qualité rigoureuses et des méthodes dont le rendement a été éprouvé par le réseau SCORE. Le laboratoire analyse chaque composite hebdomadaire d’eaux usées trois fois, et les trois mesures ont tendance à être semblables les unes aux autres (coefficient de variation = 12 %). Il peut toutefois se produire des erreurs qui faussent l’analyse chimique. Des chercheurs ont observé que des mesures en laboratoire de la concentration de THC-COOH dans les eaux usées étaient entachées d’un biais vers le bas pour des raisons qui ne sont pas encore comprises (Gracia-Lor et coll., 2016). Un autre problème possible est lié au fait que les analyses pour chaque mois ont été réalisées à des moments différents; ainsi, la calibration de l’analyse pourrait varier selon les exploitants, les conditions ambiantes dans le laboratoire, l’entretien de l’équipement, ou d’autres facteurs pouvant mener à des résultats différents lorsque les analyses sont espacées de plusieurs mois.

Nous avons prévu plusieurs expériences pour valider nos procédures et nous aider à déterminer l’ampleur de ces erreurs possibles. Premièrement, nous vérifions l’effet des erreurs de calibration, ou des erreurs résultant du fait d’effectuer l’analyse chimique à des moments différents, en réanalysant tous les échantillons antérieurs pour un même site. La calibration sera identique pour tous les mois dans la nouvelle analyse, alors que les calibrations ont pu différer lors de l’analyse initiale. Deuxièmement, nous vérifions les biais possibles dans l’analyse chimique en envoyant certains échantillons à un laboratoire indépendant. Troisièmement, nous vérifions le processus de création d’un composite hebdomadaire en analysant les sept agrégats quotidiens et en les comparant au composite hebdomadaire. En plus de ces expériences prévues, nous envisageons quelques autres méthodes de validation des données sur les concentrations. Les concentrations de THC-COOH ont tendance à varier considérablement d’un mois à l’autre, et il n’est pas clair si cette variation découle de véritables différences dans la consommation de cannabis, de pertes différentes d’un mois à l’autre ou du fait que les échantillons ne sont pas représentatifs des eaux usées. Dans ce dernier cas, nous pourrions améliorer nos estimations en normalisant nos mesures en fonction de composés de référence qui devraient demeurer relativement constants (comme l’ammoniaque, qui est une composante de l’urine normale). D’autres candidats comme composés de référence sont la cotinine, un sous-produit du tabagisme, et la codéine, un analgésique. Ces deux composés sont vraisemblablement consommés à des taux relativement stables et connus. Comme nous n’avons pas encore mesuré ces composés de référence, il nous faudrait soit réanalyser les échantillons précédents, soit procéder à cette normalisation à partir de maintenant. De plus, nous voulons vérifier si l’échantillonnage proportionnel est bien exécuté dans les usines de traitement des eaux usées puisqu’un échantillonnage non proportionnel pourrait entraîner des biais dans nos estimations. À cette fin, nous pourrions comparer l’horodatage des échantillons prélevés avec les données haute fréquence sur les débits pour nous assurer que le choix du moment du prélèvement produit un échantillonnage proportionnel au débit, comme il se doit.

Débit

Comme les exploitants d’usine de traitement des eaux usées mesurent régulièrement le débit pour comprendre et contrôler le fonctionnement de leur site, ces mesures devraient être de grande qualité. Nous avons vérifié ces données en comparant les débits aux événements météorologiques survenus dans la ville. Dans certaines des usines de traitement, le débit a nettement et fortement réagi aux épisodes de pluie. Dans d’autres sites, la réaction était faible ou inexistante, ce qui pourrait toutefois être attribuable à des réseaux d’égouts conçus pour traiter les eaux pluviales séparément. Nous avons également vérifié les données sur le débit en comparant les débits quotidiens aux concentrations d’ammoniaque aux usines de traitement des eaux usées où ces renseignements étaient connus. Nous avons constaté que le débit présentait une forte corrélation négative avec la concentration d’ammoniaque, comme il fallait s’y attendre du fait que ce produit devrait demeurer constant. À ce stade-ci, il n’y a pas lieu de s’inquiéter de la qualité des données sur le débit recueillies par les usines de traitement des eaux usées.

Pertes

Les pertes représentent le THC-COOH qui a été excrété dans les eaux usées, sans jamais atteindre l’usine de traitement. Le THC-COOH peut se dégrader dans les eaux usées dans certaines conditions (Ramin et coll., 2016; Ramin et coll., 2017). Toutefois, le taux de dégradation diffère d’un site à l’autre parce qu’il dépend des populations établies de microbes dans le système de traitement des eaux usées, tout comme la biologie de l’intestin est différente d’une personne à l’autre (McCall et coll., 2016). Cela complique les comparaisons entre les sites et les villes. À l’heure actuelle, nous ne disposons pas de renseignements sur la façon dont la dégradation diffère entre les usines de traitement des eaux usées participant à notre étude pilote, et nous ne connaissons pas les taux de dégradation typiques pour les usines de traitement des eaux usées au Canada. Toutefois, des chercheurs ont estimé que le taux de dégradation s’établissait à moins de 10 % dans la plupart des cas (Castiglioni et coll., 2016); pour les besoins de notre projet, nous faisons donc comme s’il n’y avait pas de pertes. Nous aimerions revoir cette question lorsque davantage de renseignements seront à notre disposition.

Mise à l’échelle en fonction de la population

Pour comparer des sites ou des villes de tailles différentes, nous aimerions mettre à l’échelle la quantité de THC-COOH en fonction du nombre de personnes qui contribuent aux eaux usées.

Une façon d’estimer la population contribuant aux eaux usées consiste à utiliser les données du recensement pour dénombrer le nombre de personnes vivant dans les limites physiques de la zone desservie par l’usine de traitement des eaux usées. Les données du recensement fournissent des renseignements exacts sur le lieu de résidence permanent des gens au moment du recensement. Il est ensuite possible de mettre ces chiffres à jour de façon à tenir compte des changements survenus depuis le recensement, par exemple en mesurant les variations du nombre de logements dans la zone et en établissant une projection de la population en conséquence. Or, la population qui vit en permanence dans une région n’est pas la même que la population qui contribue aux eaux usées à un moment donné. Il y a des navetteurs et des voyageurs qui ne vivent pas dans une région, mais qui contribuent à ses eaux usées, ou encore il y a des gens qui vivent dans la région, mais qui sont absents et ne contribuent pas à ses eaux usées. De plus, les eaux usées provenant de toilettes portatives et de fosses septiques d’autres régions peuvent être versées dans le système de traitement des eaux usées d’une ville, ce qui accroît d’une quantité inconnue la population contribuant à ses eaux usées. Néanmoins, nous nous attendons à ce que ces effets soient faibles comparativement au nombre de résidents permanents d’une ville qui contribuent chaque jour à ses eaux usées. Par conséquent, nous utilisons des estimations de la population fondées sur le Recensement de 2016 qui ont été mises à jour en fonction de la plus récente croissance des logements en date de mars 2018.

Une autre méthode d’estimation de la population consiste à utiliser des indications de la présence de biomarqueurs humains dans les eaux usées mêmes. Lai et coll. (2011) ont utilisé des mesures de produits pharmaceutiques d’ordonnance pour estimer le nombre de personnes contribuant aux eaux usées. Ils ont choisi l’aténolol, un médicament servant à réduire la tension artérielle qui est utilisé par une proportion de la population locale variant entre 1 % et 3 %. Ils ont également soulevé l’idée selon laquelle l’estimation de la population peut être fondée sur de multiples composés utilisés en parallèle pour une plus grande précision. Comparativement à l’utilisation des données du recensement, cette méthode d’estimation de la population a amélioré la précision des estimations de la consommation de drogue par habitant.

Been et coll. (2016) ont adopté une approche hybride qui consistait à utiliser les données du recensement pour estimer la population moyenne, mais à se servir de biomarqueurs dans les eaux usées (concentrations d’ammonium) pour estimer les fluctuations de la population. Ils ont ensuite tenu compte de ces fluctuations en tant qu’incertitudes dans le calcul de la consommation de cannabis par habitant. Nous n’avons pas encore examiné la possibilité d’utiliser des biomarqueurs humains présents dans les eaux usées pour estimer la population qui contribue à ces eaux usées.

Extrapolation vers la consommation nationale de cannabis (équation 2)

La CMH peut servir à examiner les tendances au fil du temps et à comparer différentes régions géographiques, mais elle ne nous indique pas la taille du marché global du cannabis. Une estimation de la consommation nationale de cannabis établie au moyen de l’épidémiologie fondée sur les eaux usées pourrait servir au calage à effectuer dans les enquêtes sur le cannabis et à l’estimation de la taille du marché illégal du cannabis après la légalisation.

Pour estimer le taux de consommation de cannabis au Canada en fonction de la CMH, nous devons connaître les trois facteurs suivants : la puissance en THC du cannabis, le taux d’excrétion de THC-COOH pour une dose donnée de THC, et le lien entre la consommation de cannabis dans nos zones de mesure et le reste du pays. Le lien est le suivant :

Équation 2

consommation nationale de cannabis =CMH× 1 taux d'excrétion massique × 1 puissance en THC ×population effective MathType@MTEF@5@5@+= feaagKart1ev2aqatCvAUfeBSjuyZL2yd9gzLbvyNv2CaerbuLwBLn hiov2DGi1BTfMBaeXatLxBI9gBaerbd9wDYLwzYbItLDharqqtubsr 4rNCHbGeaGqiVu0Je9sqqrpepC0xbbL8F4rqqrFfpeea0xe9Lq=Jc9 vqaqpepm0xbba9pwe9Q8fs0=yqaqpepae9pg0FirpepeKkFr0xfr=x fr=xb9adbaqaaeGaciGaaiaabeqaamaabaabaaGcbaaeaaaaaaaaa8 qacaWGJbGaam4Baiaad6gacaWGZbGaam4Baiaad2gacaWGTbGaamyy aiaadshacaWGPbGaam4Baiaad6gacaqGGcGaamOBaiaadggacaWG0b GaamyAaiaad+gacaWGUbGaamyyaiaadYgacaWGLbGaaeiOaiaadsga caWGLbGaaeiOaiaadogacaWGHbGaamOBaiaad6gacaWGHbGaamOyai aadMgacaWGZbGaaeiOaiabg2da9iaadoeacaWGnbGaamisaiabgEna 0oaalaaapaqaa8qacaaIXaaapaqaa8qacaWG0bGaamyyaiaadwhaca WG4bGaaiiOaiaadsgacaGGNaGaamyzaiaadIhacaWGJbGaamOCaiaa dMoacaWG0bGaamyAaiaad+gacaWGUbGaaiiOaiaad2gacaWGHbGaam 4CaiaadohacaWGPbGaamyCaiaadwhacaWGLbaaaiabgEna0oaalaaa paqaa8qacaaIXaaapaqaa8qacaWGWbGaamyDaiaadMgacaWGZbGaam 4CaiaadggacaWGUbGaam4yaiaadwgacaqGGcGaamyzaiaad6gacaqG GcGaamivaiaadIeacaWGdbaaaiabgEna0kaadchacaWGVbGaamiCai aadwhacaWGSbGaamyyaiaadshacaWGPbGaam4Baiaad6gacaqGGcGa amyzaiaadAgacaWGMbGaamyzaiaadogacaWG0bGaamyAaiaadAhaca WGLbaaaa@9DA7@

Nous examinerons maintenant en plus en détail chaque terme de cette équation, ce qui comprend tant les éléments connus que les incertitudes.

Taux d’excrétion massique

Le taux d’excrétion massique est la masse de THC-COOH excrétée comparativement à la masse de THC dans le produit de cannabis consommé. Son inverse est fréquemment appelé le facteur de correction. Le taux d’excrétion est souvent présenté en tant que taux d’excrétion molaire, à savoir le nombre de molécules de THC-COOH excrétées comparativement au nombre de molécules de THC présentes dans le produit de cannabis. Pour convertir un taux d’excrétion molaire en taux d’excrétion massique, nous devons tenir compte des différentes masses molaires des deux substances, qui présentent un ratio de THC au THC-COOH de 0,91 (Gracia-Lor et coll., 2016).

Le taux d’excrétion du cannabis est complexe et difficile à quantifier. Il dépend de la méthode de consommation (par exemple, l’inhalation par rapport à l’ingestion par voie orale), de la biologie du consommateur et même de la technique utilisée pour fumer (Gracia-Lor et coll., 2016; Huestis, 2007). Il pourrait aussi dépendre de la fréquence de consommation, du type de produit (par exemple, des feuilles séchées par rapport au hachisch), de la consommation conjointe d’autres drogues et de l’adiposité du consommateur. Les recherches scientifiques nous fournissent des taux d’excrétion estimés différents seulement pour le cannabis séché fumé (taux d’excrétion molaire = 0,5 %, Gracia-Lor et coll., 2016) et les produits de cannabis ingérés par voie orale (taux d’excrétion molaire = 2,2 %, Gracia-Lor et coll., 2016). Ces données ne tiennent pas compte de la gamme complète des types de produits, des méthodes de consommation (par exemple, le vapotage) ou des fréquences de consommation. Même ces taux d’excrétion sont fondés sur des recherches pharmacocinétiques limitées — une seule étude portant sur 16 participants a servi à examiner le taux d’excrétion du cannabis après l’avoir fumé. De plus, la plupart des recherches ont été menées auprès d’hommes blancs en bonne santé (Gracia-Lor et coll., 2016), alors que les taux d’excrétion pourraient varier systématiquement selon la race, le sexe et l’âge.

Un autre problème important lié à la recherche sur les taux d’excrétion est qu’elle a surtout été axée sur la mesure des métabolites dans l’urine, et non dans les matières fécales, même si les matières fécales sont la principale voie par laquelle les métabolites de cannabis sont excrétés du corps (Huestis, 2007). Le THC-COOH n’est peut-être pas le métabolite primaire dans les matières fécales (Huestis, 2007), mais il peut tout de même être présent en quantités importantes dans certaines circonstances (Gracia-Lor et coll., 2016). Le THC-COOH excrété dans les matières fécales est susceptible de se dissoudre dans les eaux usées et de contribuer aux mesures effectuées dans les eaux usées (Been et coll., 2016; Gracia-Lor et coll., 2016). Pour les produits de cannabis comestibles, des chercheurs ont estimé que le taux d’excrétion fécale était plus de quatre fois supérieur au taux d’excrétion urinaire, mais le taux d’excrétion fécale n’a jamais été mesuré pour le cannabis fumé (Gracia-Lor et coll., 2016). En définitive, nous avons besoin d’un taux d’excrétion du THC-COOH dans les eaux usées, que nous définissons comme étant la fraction du THC consommé qui finit par être dissous dans les eaux usées sous forme de THC-COOH. Le taux d’excrétion dans les eaux usées semble être la somme du taux d’excrétion par les deux voies, c’est-à-dire par l’urine et par les matières fécales. Le taux d’excrétion par les matières fécales est actuellement inconnu et pourrait être aussi élevé ou plus élevé que le taux d’excrétion par l’urine.

Compte tenu de tous ces facteurs, le taux d’excrétion constitue une importante source d’incertitude. Il faudra mener d’autres recherches cliniques afin de pouvoir déterminer un taux d’excrétion pour l’urine et les matières fécales, pour d’autres groupes démographiques et d’autres fréquences de consommation, pour différents types de produits et méthodes de consommation, et afin de pouvoir mesurer les effets de la consommation conjointe (par exemple avec l’alcool).

Sur le plan conceptuel, il est possible de combiner des taux d’excrétion distincts en un taux composite qui représente l’excrétion moyenne. Par exemple, les taux d’excrétion après inhalation et ingestion pourraient être combinés si nous connaissions la fraction du THC inhalé par rapport à celle du THC ingéré. Il est vraisemblablement possible d’en faire un calcul approximatif à l’aide des données d’enquête, dont celles de l’Enquête nationale sur le cannabis de 2018 (Statistique Canada), de l’Enquête canadienne sur le cannabis de 2017 (Santé Canada) et de l’Enquête canadienne sur le tabac, l’alcool et les drogues de 2018 (Statistique Canada). Toutefois, cette approche pose plusieurs difficultés. Les répondants aux enquêtes peuvent avoir tendance à sous-déclarer leur consommation, et cette tendance pourrait être plus marquée chez les consommateurs de certains produits par rapport à d’autres. De plus, comme de nombreux consommateurs de produits de cannabis comestibles ignorent quelle quantité de cannabis ils ont ingérée, ils font plutôt état de leur consommation d’oursons de gélatine ou de brownies, dont la concentration en THC peut varier grandement, allant d’environ 5 milligrammes par portion à plus de 200 milligrammes par portion (Friese et coll., 2017). Il faudrait également que nous convertissions les produits concentrés en quantités équivalentes de fleurs séchées, une tâche complexe qui n’a pas encore été entreprise. Ces facteurs font en sorte qu’il est difficile de déterminer la fraction du THC qui a été consommé par inhalation plutôt que par ingestion, d’où la nécessité d’avoir de meilleures données sur les habitudes de consommation des Canadiens.

En attendant d’autres recherches sur les taux d’excrétion, nous en ferons un calcul approximatif à l’aide des meilleures données disponibles. Étant donné que la majorité des utilisateurs de cannabis consomment des fleurs ou des feuilles séchées en les fumant (77,6 %, coefficient de variation = 2,94, vague 1 de l’Enquête nationale sur le cannabis, Statistique Canada), nous supposerons que la forme dominante de consommation de cannabis est par inhalation. Nous tiendrons uniquement compte de l’excrétion par l’urine, puisque ce sont les seules données dont nous disposons. Ainsi, notre taux provisoire d’excrétion massique est de 0,5 % ÷ 0,91 = 0,55 %, ce qui donne un facteur de correction de 1 ÷ 0,55 % = 182. Ce facteur de correction est vraisemblablement une limite supérieure; l’inclusion des produits comestibles ou de l’excrétion fécale entraînerait des taux d’excrétion de THC-COOH plus élevés et un facteur de correction moindre.

Puissance en THC

La CMH multipliée par le facteur de correction équivaut à la masse de THC consommée par habitant. Pour calculer la masse de cannabis par habitant, nous devons connaître la puissance moyenne, à savoir la fraction du cannabis séché qui est du THC. La puissance moyenne en THC est difficile à estimer parce qu’elle varie considérablement d’un produit à l’autre, allant de moins de 5 % à plus de 20 % (Société ontarienne du cannabis, 2018). Même la puissance en THC du même produit peut varier considérablement d’un lot à l’autre, comme en témoigne la grande fourchette indiquée pour chacun des produits (par exemple, puissance en THC de la variété Northern Lights = 9 % à 15 %, Société ontarienne du cannabis, 2018). De plus, il arrive souvent que le cannabis illégal ne soit pas accompagné de renseignements sur la puissance, ce qui fait que le consommateur ignore la puissance du produit qu’il consomme.

ElSohly et coll. (2016) ont constaté que la puissance du matériel végétal du cannabis illégal saisi aux États-Unis était passée de 4 % en 1995 à environ 12 % en 2014. Been et coll. (2016) font état d’une puissance moyenne de 11 % pour les produits de cannabis saisis en Suisse. Bien que des données fiables sur la puissance des produits de cannabis au Canada constituent actuellement une lacune statistique, nous utilisons une valeur approximative de 12 % et nous tiendrons compte de l’incertitude de cette valeur tout au long du calcul lorsque nous quantifierons notre incertitude combinée. Il serait utile d’avoir une valeur canadienne à jour, fondée sur des données scientifiques, pour réduire l’incertitude de ce paramètre.

Extrapolation vers la population non mesurée

Le dernier terme de l’équation 2 est la population effective, qui peut être calculée comme étant la population desservie par nos usines de traitement des eaux usées divisée par la part nationale du cannabis qu’elle consomme. Ce terme peut être considéré comme l’expression de deux étapes. Tout d’abord, la consommation de cannabis par habitant multipliée par la population de la zone à l’étude donne une estimation de la consommation totale de cannabis dans la zone à l’étude. Si nous voulons étendre cette estimation à tout le pays, nous devons effectuer une mise à l’échelle en fonction de la fraction de la consommation nationale de cannabis qui s’est produite dans la zone à l’étude. Si le reste du pays consommait du cannabis au même taux que c’était le cas dans la zone à l’étude, la population effective serait simplement la population nationale. Si toutefois, à titre d’exemple extrême, personne ne consommait de cannabis à l’extérieur de la zone à l’étude, la population effective serait la population desservie par les usines de traitement des eaux usées.

La façon la plus simple d’estimer la population effective est de supposer que la consommation de cannabis à nos sites était représentative du reste du pays, de sorte que la population effective soit alors égale à la population nationale. Or, notre échantillon pilote n’est pas un échantillon de personnes représentatif : il comprend cinq grandes villes du pays et est beaucoup plus urbain que le Canada dans son ensemble. Même dans les villes retenues, nos zones d’échantillonnage peuvent ne pas être représentatives de la ville entière. Toronto, Montréal et Halifax ont toutes des usines de traitement des eaux usées dans leur centre-ville respectif, mais ces usines ne traitent pas les eaux usées de l’ensemble de ces régions métropolitaines. Certaines données probantes tirées des enquêtes semblent indiquer que les habitudes de consommation ne sont pas les mêmes dans les régions urbaines que dans les régions rurales (Rotermann et Pagé, 2015). Toutefois, pour l’instant, nous poserons comme hypothèse que la consommation de cannabis à nos sites est représentative de celle dans l’ensemble du pays et nous réexaminerons cette hypothèse lorsque nous disposerons de plus de données.

Utilité de la CMH par rapport à la consommation de cannabis

En définitive, nous aimerions travailler avec la consommation de cannabis plutôt qu’avec la CMH, mais l’estimation de la consommation de cannabis exige une connaissance du taux d’excrétion et de la puissance de la drogue. Ces facteurs ajoutent énormément d’incertitude à notre estimation. Il est donc utile de savoir ce que la CMH relativement plus certaine peut nous apprendre.

La CMH peut servir à établir des comparaisons relatives, et notamment à déterminer des changements au fil du temps ou d’un emplacement à l’autre, dans le cas où des estimations de la CMH sont connues pour les deux points de comparaison. Pour qu’une différence dans les CMH corresponde à une différence dans la consommation de drogue, les paramètres reliant les CMH à la consommation de drogue correspondante (puissance, taux d’excrétion et dégradation dans les égouts) doivent être les mêmes pour les deux points de comparaison. Bien que cette condition puisse ne pas être tout à fait remplie — puisque la dégradation pourrait différer d’un réseau d’égouts à l’autre, et qu’un virage vers les produits comestibles changerait le taux d’excrétion composite, elle est vraisemblablement près de l’être dans bien des cas. Ainsi, la CMH peut souvent servir à comparer les estimations établies à différents moments et à différents endroits au moyen de l’épidémiologie fondée sur les eaux usées. En fait, la communauté internationale de l’épidémiologie fondée sur les eaux usées ne calcule généralement pas la consommation de cannabis, mais elle compare plutôt les résultats au chapitre de la CMH.

Quantification de l’incertitude

Nous avons discuté de nombreuses sources d’incertitude, comme la création d’un échantillon d’eau composite pour la semaine, l’analyse chimique de l’échantillon d’eau, la mesure du débit, la dégradation dans le réseau d’égouts, le taux d’excrétion, la fraction de cannabis consommée selon le type de produit et la méthode, la puissance en THC, le nombre de personnes qui contribuent aux eaux usées et la similitude entre la consommation de cannabis dans les zones à l’étude et le reste du pays. De plus, il y a de l’incertitude associée au fait d’échantillonner de l’eau (c’est-à-dire que nous analysons seulement un échantillon d’eau plutôt que toute l’eau qui passe par les usines de traitement, et que l’échantillonnage se fait au cours d’une seule semaine par mois). Certaines de ces incertitudes sont quantifiables au fur et à mesure de la répétition et de l’expérimentation, comme celles qui sont associées à la préparation et à l’analyse chimique des échantillons. Toutefois, nos méthodes ou la recherche existante ne permettent actuellement pas de quantifier d’autres incertitudes, comme le taux d’excrétion (puisque le taux d’excrétion fécale n’a pas été mesuré pour le cannabis fumé) et la puissance en THC (parce qu’il existe peu de recherches sur lesquelles nous appuyer). Pour ces facteurs, nous devons estimer l’incertitude d’après l’opinion d’experts jusqu’à ce que davantage de recherches soient menées.

Compte tenu des incertitudes pour chaque paramètre, nous voulons calculer une incertitude globale entourant l’estimation de la consommation de cannabis établie au moyen de l’épidémiologie fondée sur les eaux usées. Lai et coll. (2011) ont proposé une méthode d’estimation linéaire de l’incertitude globale. L’équation utilisée pour estimer la consommation nationale de cannabis, que nous obtenons en intégrant l’équation 1 dans l’équation 2, est un produit de nombreux termes, à chacun desquels est associée une incertitude. Lai et coll. (2011) estiment la variance de ce produit à l’aide d’une approximation au premier ordre. Cette approximation donne de bons résultats dans la mesure où les coefficients de variation sont relativement faibles pour chaque paramètre, soit d’environ 30 % ou moins. Or, certains de nos termes comportent une grande incertitude, ce qui fait que cette approximation sous-estime la variance réelle.

En raison des inexactitudes possibles de l’approximation linéaire à ces fins, Jones et coll. (2014) ont proposé l’approche plus générale consistant à estimer la variance à l’aide de la simulation de Monte Carlo. Suivant cette méthode, chaque terme est caractérisé par une distribution statistique qui tient compte de l’incertitude quant à sa valeur. Idéalement, cette distribution serait fondée sur des données, mais l’opinion d’experts peut être utilisée si des données ne sont pas disponibles. Les valeurs des différents termes sont ensuite simulées de façon aléatoire à partir de chacune des distributions, et le rétrocalcul est effectué à l’aide de ces valeurs simulées. Il s’agit de répéter cette procédure de nombreuses fois pour obtenir une distribution simulée de la consommation globale de cannabis, à partir de laquelle des intervalles crédibles peuvent être calculés. Les auteurs précisent qu’il est essentiel de reconnaître qu’il y a aussi un risque d’erreur systématique (biais) dans chaque estimation de paramètre.

Jones et coll. (2014) ont également proposé une méthode bayésienne de Monte Carlo par chaînes de Markov, laquelle étend la méthode de Monte Carlo de deux façons. Premièrement, on peut l’utiliser pour modéliser explicitement la variation de la CMH à différents moments, conformément à l’idée selon laquelle les flux métaboliques dans les eaux usées pourraient varier d’un jour à l’autre ou d’un mois à l’autre en raison de différences dans la consommation de drogues. La modélisation directe de cette variation améliore l’exactitude de l’estimation de l’incertitude lorsque les périodes comportent des charges de drogue différentes. Deuxièmement, la méthode bayésienne de Monte Carlo par chaînes de Markov peut servir à regrouper plusieurs estimations de la même quantité afin de produire une estimation unifiée. Par exemple, au lieu de mesurer uniquement le THC-COOH, nous pourrions mesurer deux métabolites de THC, dont chacun donnerait une estimation de la consommation de THC. La méthode bayésienne de Monte Carlo par chaînes de Markov permet de combiner ces estimations de façon raisonnée et de caractériser l’incertitude qui en résulte. Been et coll. (2016) ont utilisé cette idée pour combiner les estimations établies au moyen de l’épidémiologie fondée sur les eaux usées avec les estimations de la consommation de cannabis issues d’enquêtes. Ils ont reconnu les erreurs possibles entachant les données d’enquête, y compris la sous-déclaration par les consommateurs habituels et occasionnels et le possible taux accru de non-réponse des grands consommateurs. Ils ont également reconnu les erreurs possibles entachant l’analyse des eaux usées, en particulier le manque de recherche scientifique sur le taux d’excrétion fécale.

À ce stade-ci, nous sommes toujours à examiner des options pour quantifier l’incertitude de nos estimations. Nous essaierons sans doute tant la simulation de Monte Carlo, pour sa généralité et sa simplicité, que la méthode bayésienne de Monte Carlo par chaînes de Markov, pour sa capacité de modéliser la variation des charges métaboliques au fil du temps.

Validation

Nous pouvons valider nos résultats en les comparant à d’autres sources. Au niveau de la CMH, nous pouvons comparer nos résultats avec ceux d’études précédentes sur le cannabis détecté dans les eaux usées en Europe et dans le monde entier, dont bon nombre ont été réalisées dans le cadre du programme SCORE (SCORE, 2017). Au niveau de la consommation de cannabis, nous pouvons comparer nos résultats avec ceux d’enquêtes sur la consommation de cannabis au Canada (DPB, 2016; Macdonald et Rotermann, 2018; Compte économique sur le cannabis, 2018; Comptes économiques provinciaux et territoriaux sur le cannabis, 2018). Pour comparer nos résultats avec ceux des enquêtes, nous devons estimer le volume total annuel de cannabis séché consommé partout au Canada afin de nous assurer d’utiliser les mêmes concepts et définitions.

Nous pouvons également comparer nos résultats avec des données locales recueillies à proximité de nos sites pilotes, plutôt que seulement avec des agrégats nationaux, bien que ces données ne comportent généralement pas la même période de référence. Ces sources de données comprennent l’Enquête nationale sur le cannabis; l’Enquête sur la santé dans les collectivités canadiennes; l’Enquête canadienne sur les mesures de la santé; l’Enquête canadienne sur le tabac, l’alcool et les drogues; et les travaux de recherche précédents de Macdonald et Rotermann qui combinent diverses données d’enquête (Macdonald et Rotermann, 2017; Macdonald et Rotermann, 2018). Des méthodes officielles n’ont pas encore été élaborées pour cette phase de validation.

Démonstration du calcul de la consommation de cannabis

L’exemple de calcul suivant montre comment nous comptons procéder et met en évidence les incertitudes qui sont plus importantes que d’autres. Nous sollicitons des commentaires sur les valeurs de paramètre que nous utilisons et nous encourageons des recherches supplémentaires sur certaines des valeurs critiques. Dans cette illustration, nous regroupons toutes les usines de traitement des eaux usées, mais les mêmes méthodes pourraient servir à calculer la CMH et la consommation de cannabis au niveau d’une ville ou d’une usine de traitement des eaux usées.

Les concentrations mesurées typiques de THC-COOH sont d’environ 140 ng/L. Le débit total dans l’ensemble des sites pilotes est de 33,5 milliards de L/sem. Le bassin de population dans l’ensemble des sites est d’environ 8,4 millions d’habitants. Nous supposons que les pertes sont négligeables.

D’abord, nous utilisons l’équation 1 pour calculer la CMH.

CMH=concentration×débit× 1 1pertes ÷population =140  ng L ×33,5 10 9 L sem × 1 10 ÷( 8,4 10 6  personnes ) =560 μg/( personnesemaine ) MathType@MTEF@5@5@+= feaagKart1ev2aaatCvAUfeBSjuyZL2yd9gzLbvyNv2CaerbuLwBLn hiov2DGi1BTfMBaeXatLxBI9gBaerbd9wDYLwzYbItLDharqqtubsr 4rNCHbGeaGqiVu0Je9sqqrpepC0xbbL8F4rqqrFfpeea0xe9Lq=Jc9 vqaqpepm0xbba9pwe9Q8fs0=yqaqpepae9pg0FirpepeKkFr0xfr=x fr=xb9adbaqaaeGaciGaaiaabeqaamaabaabaaGceaqabeaaqaaaaa aaaaWdbiaad2eacaWGmbGaam4qaiabg2da9iaadogacaWGVbGaamOB aiaadogacaWGLbGaamOBaiaadshacaWGYbGaamyyaiaadshacaWGPb Gaam4Baiaad6gacqGHxdaTcaWGMbGaamiBaiaad+gacaWG3bGaey41 aq7aaSaaa8aabaWdbiaaigdaa8aabaWdbiaaigdacqGHsislcaWGSb Gaam4BaiaadohacaWGZbGaamyzaiaadohaaaGaey49aGRaamiCaiaa d+gacaWGWbGaamyDaiaadYgacaWGHbGaamiDaiaadMgacaWGVbGaam OBaaqaaiabg2da9iaaigdacaaI0aGaaGimaiaabckadaWcaaWdaeaa peGaamOBaiaadEgaa8aabaWdbiaadYeaaaGaey41aqRaaG4maiaaio dacaGGUaGaaGynaGGaaiab=vSixlaaigdacaaIWaWdamaaCaaaleqa baWdbiaaiMdaaaGcdaWcaaWdaeaapeGaamitaaWdaeaapeGaam4Dai aadUgaaaGaey41aq7aaSaaa8aabaWdbiaaigdaa8aabaWdbiaaigda cqGHsislcaaIWaaaaiabgEpa4oaabmaapaqaa8qacaaI4aGaaiOlai aaisdacqWFflY1caaIXaGaaGima8aadaahaaWcbeqaa8qacaaI2aaa aOGaaeiOaiaadchacaWGLbGaam4BaiaadchacaWGSbGaamyzaaGaay jkaiaawMcaaaqaaiabg2da9iaaiwdacaaI2aGaaGimaiaabckacqaH 8oqBcaWGNbGaai4lamaabmaapaqaa8qacaWGWbGaamyzaiaadkhaca WGZbGaam4Baiaad6gacqWFflY1caWG3bGaamyzaiaadwgacaWGRbaa caGLOaGaayzkaaaaaaa@A265@

Ensuite, nous utilisons l’équation 2 pour estimer la consommation nationale totale de cannabis. Nous utiliserons un taux d’excrétion molaire de 0,5 %, ce qui donne un facteur de correction de 0,91 ÷ 0,5 % = 182 grammes de THC consommés par gramme de THC-COOH excrété. Nous utiliserons une puissance de 12 % et une population effective égale à la population nationale de 37 millions d’habitants, ce qui suppose que la consommation de cannabis dans nos sites est représentative de celle dans l’ensemble du pays.

consommation nationale de cannabis = CMH× 1 taux d'excrétion massique × 1 puissance en THC ×population effective = 560 μg de THCCOOH personnesemaine ×182 g de THC g de THCCOOH × 1 0,12 g de cannabis g de THC ×37 10 6  personnes = 31 tonnes de cannabis semaine × 365 jours année 7 jours semaine = 1600  tonnes de cannabis année MathType@MTEF@5@5@+= feaagKart1ev2aaatCvAUfKttLearuGrYvMBJHgitnMCPbhDG0evam XvP5wqSXMqHnxAJn0BKvguHDwzZbqegqvATv2CG4uz3bIuV1wyUbqe dmvETj2BSbqegm0B1jxALjhiov2DaebbnrfifHhDYfgasaacH8rrpk 0dbbf9q8WrFfeuY=Hhbbf9v8vrpy0dd9qqpae9q8qqvqFr0dXdHiVc =bYP0xH8peuj0lXxfrpe0=vqpeeaY=brpwe9Fve9Fve8meaacaGacm GadaWaaiqacaabaiaafaaakeaafaqaaeabdaaaaeaaqaaaaaaaaaWd biaad6gacaWGHbGaamiDaiaadMgacaWGVbGaamOBaiaadggacaWGSb GaeeiOaaQaam4yaiaadggacaWGUbGaamOBaiaadggacaWGIbGaamyA aiaadohacqqGGcaOcaWGJbGaam4Baiaad6gacaWGZbGaamyDaiaad2 gacaWGWbGaamiDaiaadMgacaWGVbGaamOBaaWdaeaacqGH9aqpaeaa peGaamytaiaadYeacaWGdbGaey41aq7aaSaaa8aabaWdbiaaigdaa8 aabaWdbiaad2gacaWGHbGaam4CaiaadohacqqGGcaOcaWGLbGaamiE aiaadogacaWGYbGaamyzaiaadshacaWGPbGaam4Baiaad6gacqqGGc aOcaWGYbGaamyyaiaadshacaWGLbaaaiabgEna0oaalaaapaqaa8qa caaIXaaapaqaa8qacaWGubGaamisaiaadoeacqqGGcaOcaWGWbGaam 4BaiaadshacaWGLbGaamOBaiaadogacaWG5baaaiabgEna0kaadwga caWGMbGaamOzaiaadwgacaWGJbGaamiDaiaadMgacaWG2bGaamyzai abbckaGkaadchacaWGVbGaamiCaiaadwhacaWGSbGaamyyaiaadsha caWGPbGaam4Baiaad6gaa8aabaaabaGaeyypa0dabaWdbiaaiwdaca aI2aGaaGimamaalaaapaqaa8qacqaH8oqBcaWGNbGaeeiOaaQaamiv aiaadIeacaWGdbGaeyOeI0Iaam4qaiaad+eacaWGpbGaamisaaWdae aapeGaamiCaiaadwgacaWGYbGaam4Caiaad+gacaWGUbacdaGae8xX ICTaam4DaiaadwgacaWGLbGaam4AaaaacqGHxdaTcaaIXaGaaGioai aaikdadaWcaaWdaeaapeGaam4zaiabbckaGkaadsfacaWGibGaam4q aaWdaeaapeGaam4zaiabbckaGkaadsfacaWGibGaam4qaiabgkHiTi aadoeacaWGpbGaam4taiaadIeaaaGaey41aq7aaSaaa8aabaWdbiaa igdaa8aabaWdbiaaicdacaGGUaGaaGymaiaaikdaaaWaaSaaa8aaba WdbiaadEgacqqGGcaOcaWGJbGaamyyaiaad6gacaWGUbGaamyyaiaa dkgacaWGPbGaam4CaaWdaeaapeGaam4zaiabbckaGkaadsfacaWGib Gaam4qaaaacqGHxdaTcaaIZaGaaG4naiab=vSixlaaigdacaaIWaWd amaaCaaaleqabaWdbiaaiAdaaaGccqqGGcaOcaWGWbGaamyzaiaad+ gacaWGWbGaamiBaiaadwgaa8aabaaabaGaeyypa0dabaWdbiaaioda caaIXaWaaSaaa8aabaWdbiaadshacaWGVbGaamOBaiaad6gacaWGLb Gaam4CaiabbckaGkaadogacaWGHbGaamOBaiaad6gacaWGHbGaamOy aiaadMgacaWGZbaapaqaa8qacaWG3bGaamyzaiaadwgacaWGRbaaai abgEna0oaalaaapaqaa8qacaaIZaGaaGOnaiaaiwdadaWcaaWdaeaa peGaamizaiaadggacaWG5bGaam4CaaWdaeaapeGaamyEaiaadwgaca WGHbGaamOCaaaaa8aabaWdbiaaiEdadaWcaaWdaeaapeGaamizaiaa dggacaWG5bGaam4CaaWdaeaapeGaam4DaiaadwgacaWGLbGaam4Aaa aaaaaapaqaaaqaaiabg2da9aqaa8qacaaIXaGaaGOnaiaaicdacaaI WaGaeeiOaa6aaSaaa8aabaWdbiaadshacaWGVbGaamOBaiaad6gaca WGLbGaam4CaiabbckaGkaad+gacaWGMbGaeeiOaaQaam4yaiaadgga caWGUbGaamOBaiaadggacaWGIbGaamyAaiaadohaa8aabaWdbiaadM hacaWGLbGaamyyaiaadkhaaaaaaaaa@321E@

Cette estimation est élevée comparativement aux estimations de la consommation de cannabis qui sont fondées sur les données d’enquête. La plupart des estimations récentes de la consommation nationale de cannabis sont fondées sur l’Enquête sur la santé dans les collectivités canadiennes – Santé mentale de 2012 et sont mises à jour au moyen de différentes méthodes. Par exemple, le Bureau du directeur parlementaire du budget a estimé que la consommation de cannabis en 2018 se situait entre 378 tonnes par année et 1 017 tonnes par année, l’estimation ponctuelle étant de 655 tonnes par année (DPB, 2016). Macdonald et Rotermann (2017) estiment que 700 tonnes ont été consommées en 2015; si l’on extrapole la tendance à la hausse du volume annuel de consommation, nous pourrions nous attendre à une consommation de cannabis variant entre 750 et 850 tonnes en 2018. Selon les estimations provisoires des Comptes économiques provinciaux et territoriaux sur le cannabis, 21,1 grammes de cannabis par habitant ont été consommés en 2017, ce qui représente quelque 770 tonnes de cannabis consommées en 2017 (Comptes économiques provinciaux et territoriaux sur le cannabis, 2018). Enfin, d’après les données du deuxième trimestre de 2018 du Compte économique sur le cannabis, la taille estimée du marché (5,7 milliards de dollars par année) et le prix du cannabis (6,74 $ le gramme) supposent ensemble une consommation annuelle totale de 850 tonnes en 2018 (Compte économique sur le cannabis, 2018).

Il ne faut pas oublier que notre estimation fondée sur les eaux usées est très sensible à certains des paramètres incertains, et en particulier à la grande incertitude du taux d’excrétion. Lorsque l’urine et les matières fécales sont combinées en tant que voies d’excrétion dans les eaux usées, le taux d’excrétion dans les eaux usées est vraisemblablement supérieur à 0,5 %. Bien que ce taux soit actuellement inconnu pour le cannabis inhalé, il pourrait raisonnablement être de 2 % ou plus, étant donné le taux élevé d’excrétion fécale du cannabis ingéré. Un taux d’excrétion combiné de 2 % réduirait notre estimation nationale à 400 tonnes de cannabis par année. Cette sensibilité fait ressortir la nécessité de mener de nouvelles recherches sur les taux d’excrétion du cannabis.

Nous pouvons éviter le facteur de l’excrétion en validant la CMH. Notre CMH estimée de 560 μg par personne×semaine, ou de 80 μg par personne×jour, est conforme aux charges typiques mesurées en Europe, qui varient généralement de 30 μg par personne×jour à 150 μg par personne×jour (SCORE, 2017). Cela semble indiquer que nos procédures et nos analyses sont fiables et nous donne l’assurance de pouvoir comparer nos données au fil du temps et d’une ville à l’autre pour discerner les tendances.

Conclusions

La gestion des eaux usées est une vieille science (par exemple, on peut remarquer des systèmes de drainage dans les ruines grecques), toutefois, l’épidémiologie fondée sur les eaux usées est relativement récente. Elle a été utilisée à l’origine dans les années 1990 pour la surveillance des répercussions environnementales des déchets ménagers liquides. L’analyse des eaux usées a démontré son potentiel en tant que complément utile aux outils établis de surveillance de la consommation de drogues illégales. Elle présente des avantages évidents par rapport à d’autres approches, car elle n’est pas sujette à des biais dans les réponses ou à des biais dus à la non-réponse et elle permet de mieux cerner la véritable gamme de drogues consommées, car les consommateurs mêmes ignorent souvent le mélange réel de substances qu’ils consomment. Cette méthodologie est également susceptible de fournir rapidement des données actuelles sur les tendances géographiques et temporelles (Observatoire européen des drogues et des toxicomanies, 2018). Dans le présent article, nous tâchons de faire preuve d’une pleine transparence quant aux méthodes que nous utilisons et envisageons d’utiliser. Nous invitons les lecteurs à nous faire part de leurs commentaires et nous encourageons les chercheurs à mener d’autres recherches pour aider à améliorer nos estimations et la science du rétrocalcul de la consommation de cannabis. Nous aimerions en particulier lancer un appel au milieu scientifique pour qu’il fournisse de meilleures données sur les taux d’excrétion du cannabis, sa puissance, sa consommation selon la méthode et le type de produit, et sa dégradation dans les réseaux d’égouts.

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