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par Guillaume Dubé,
Division de la statistique du commerce
Résumé
Les épiciers canadiens dament le pion à leurs homologues américains
Les magasins d’alimentation canadiens vers la diversification
Les magasins d’alimentation conservent leur part du gâteau
L’investissement des magasins d’alimentation est plus élevé au Canada
Les aliments font toujours le poids
Il n’y a pas si longtemps, faire l’épicerie voulait dire une chose seulement : aller au supermarché. Ce n’est plus le cas aujourd’hui.
Les magasins de marchandises diverses pratiquent maintenant une concurrence envers les magasins d’alimentation en mettant en vente des aliments. Le phénomène s’est intensifié et étendu ces dernières années avec l’entrée dans le marché de nouveaux magasins de marchandises diverses à escompte, qui vendent de plus en plus une vaste gamme de produits alimentaires. Ceci signifie que deux grandes stratégies de commercialisation s’affrontent présentement au Canada pour remplir le panier d’épicerie du consommateur.
Comment les épiciers canadiens font-ils face à cette concurrence? La situation au Canada est-elle différente de celle aux États-Unis?
Dans le présent article on montre que les épiciers canadiens se tirent bien d’affaire, beaucoup mieux que leurs homologues américains. En effet, les magasins d’alimentation canadiens détiennent toujours la part du lion des dépenses alimentaires alors que les épiciers américains perdent du terrain face aux magasins de marchandises diverses.
La tendance chez les consommateurs à faire leurs emplettes à un seul endroit rejoindrait bien moins d’adeptes de ce côté–ci de la frontière. En effet, les Canadiens, comparativement aux Américains, font bien moins leurs épiceries dans les magasins de marchandises diverses. Les Canadiens achètent les aliments dans les magasins d’alimentation et les marchandises diverses dans les magasins de marchandises diverses.
Les magasins d’alimentation canadiens semblent offrir de nouveaux produits alimentaires qui reflètent les goûts des consommateurs. Certains de ces détaillants vendent des téléviseurs, des médicaments, des matelas et ainsi de suite, mais ils ont surtout grugé des parts de marché dans les produits de santé et de soins personnels.
La stratégie commerciale semble très différente dans les deux pays. En effet, aux États-Unis, les magasins de marchandises diverses ont investi massivement, alors qu’au Canada, ce sont les magasins d’alimentation qui ont investi davantage.
Les magasins d’alimentation canadiens ont amélioré leur part des profits de l’ensemble du commerce de détail. Il semble que la diversification de l’offre de produits et l’investissement dans leurs commerces aient contribué à la meilleure performance de leurs ventes et de leur rentabilité financière.
Dans la présente étude, on examine les ventes au détail et la rentabilité par type de magasins de 1997 à 2004. L’analyse se concentre sur la concurrence entre les magasins d’alimentation et de boissons et les magasins de marchandises diverses pour les ventes d’aliments et de boissons non alcoolisées. De plus, on compare la situation de ces deux types de magasins au Canada et aux États-Unis.
Un groupe de commerce (GC) représente une agrégation spéciale de différents magasins au détail tel que défini par le Système de classification des industries de l’Amérique du Nord.
L’utilisation de l’expression magasins d’alimentation sera employée pour désigner le regroupement de trois groupes de commerce. Ainsi, les magasins d’alimentation regroupent les supermarchés (GC 90), les dépanneurs et les magasins d’alimentation spécialisés (GC 100) et les magasins de bière, de vin et de spiritueux (GC 110).
Les magasins de marchandises diverses incluent les grands magasins (GC 170) et les autres magasins de marchandises diverses (GC 180).
Tous les autres secteurs combinés font référence au secteur de l’automobile – les concessionnaires d’automobiles neuves (GC 010), les concessionnaires de véhicules automobiles d’occasion, de plaisance et pièces (GC 020) et les stations-service (GC 130) ; aux magasins de meubles (GC 030), d’accessoires de maison (GC 040), d’ordinateurs et de logiciels (GC 050), d’appareils électroniques et d’électroménagers (GC 060) ; aux magasins de matériaux de construction et de produits extérieurs pour la maison qui incluent les centres de rénovation et quincailleries (GC 070) et les magasins de matériaux de construction spécialisés et de jardinage (GC 080) ; aux pharmacies et magasins de produits de soins personnels (GC 120) ; aux magasins de vêtements (GC 140) et magasins de chaussures, d’accessoires vestimentaires et bijouteries (GC 150) ; et aux détaillants divers qui comprennent les magasins d’articles de sport, de passe-temps, de musique et les librairies (GC 160) et les magasins de détail divers (GC 190).
Les ventes d’aliments correspondent au total des ventes de viande et de volaille fraîches, de poisson et d’autres fruits de mer frais, de fruits et de légumes frais, de produits laitiers et d’œufs, de produits de boulangerie (maison et commercial), de bonbons, de confiserie et d’autres aliments à grignoter, de charcuterie, des comptoirs à salades et d’autres aliments préparés pour emporter, d’aliments congelés et de tous les autres produits alimentaires, de même que les boissons gazeuses, les boissons alcoolisées et les autres boissons non alcoolisées. Par contre, les ventes de boissons alcoolisées ont été exclues du total des marchandises vendues pour le secteur des magasins d’alimentation (GC 90, 100 et 110) afin de mieux refléter l’activité principale de ce secteur.
Les Canadiens, comparativement aux Américains, font bien plus leur épicerie dans les magasins d’alimentation. De plus, les magasins d’alimentation canadiens ont conservé la part du lion du marché des ventes d’aliments, contrairement à ce qui s’est passé aux États-Unis.
Les consommateurs canadiens ont dépensé 61,6 milliards de dollars au chapitre des aliments en 2004. D’une part, pour chaque tranche de 100,00 $ dépensée, les consommateurs canadiens ont déboursé 83,90 $ dans les magasins d’alimentation, soit un montant à peu près inchangé comparativement à 85,10 $ en 1998. D’autre part, ils ont déboursé seulement 10,60 $ en achat d’aliments dans les magasins de marchandises diverses, à peine un peu plus que les 9,00 $ déboursés en 1998.
Depuis 1998, les ventes d’aliments représentent environ 15 % des ventes totales des magasins de marchandises diverses au Canada.
Par contre, pour chaque tranche de 100,00 $ dépensée en aliments par les Américains, en 2002, à peine 70,40 $ l’a été dans les magasins d’alimentation, contre 76,90 $ en 1997. Cette perte a été comblée par les magasins de marchandises diverses américains qui ont enregistré le cinquième de toutes les ventes d’aliments en 2002, une proportion qui serait passée à près du tiers pour l’année 20041.
Autrement dit, selon ces estimations, les consommateurs américains auraient dépensé proportionnellement trois fois plus en alimentation dans les magasins de marchandises diverses que les Canadiens en 2004.
Aux États-Unis, les ventes d’aliments par les magasins de marchandises diverses représentaient 19,8 % de leurs ventes totales en 20022, une augmentation appréciable comparativement à cinq années auparavant où elles atteignaient seulement 14,4 %. Pour les magasins de marchandises diverses américains, la croissance des ventes d’aliments a été six fois plus élevée que dans les magasins d’alimentation pendant la même période.
Les épiciers canadiens ont conservé la part du lion dans les dépenses alimentaires, pas les épiciers américains
Tableau
Répartition des ventes de groupes de marchandises choisies par secteur de groupe de commerce, Canada, 1998 et 2004
Les magasins d’alimentation canadiens ont bien réagi aux changements des préférences des consommateurs. Les produits alimentaires se sont diversifiés pour répondre de façon adéquate au nouveau rythme de vie des Canadiens. De nombreux magasins d’alimentation offrent aussi des produits non alimentaires.
Les ventes de charcuteries, des comptoirs à salades et d’autres aliments préparés pour emporter ont affiché une progression de 6,6 % par année entre 1998 et 2004. Les ventes d’aliments congelés ont augmenté aussi rapidement (+5,9 %). Ces deux groupes de marchandises ont contribué à faire passer le taux de croissance annuel moyen des ventes d’aliments de 2,6 % en 1998 à 3,0 % en 2004.
La demande à l’égard de ces produits s’est renforcée, entre autres à cause de l’accroissement rapide du taux d’activité des femmes ayant des enfants d’âge préscolaire sur le marché du travail, soit de 1,0 point de pourcentage par année depuis 2000 après la stabilité des années 1990. Parallèlement, la commercialisation de biens ménagers comme les micro-ondes a été aussi rapide, la hausse ayant été d’environ 1,0 % par année.
Pour garder leur clientèle, les détaillants canadiens en alimentation ont aussi davantage accru leur offre d’articles non alimentaires comparativement aux détaillants d’alimentation américains. Entre 1998 et 2004, la proportion des ventes non alimentaires dans les magasins d’alimentation a progressé de 5,1 points de pourcentage au Canada. Il s’agit d’une croissance pratiquement cinq fois plus rapide que celle de 1,1 point de pourcentage observée aux États-Unis. Les ventes d’articles non alimentaires consistent principalement en produits de première nécessité comme les articles de santé et de soins personnels. Les ventes de ces articles ont bondi de plus de 10 % par année et elles ont eu plus de succès à retrancher des parts de marché aux autres détaillants.
Au Canada, les magasins d’alimentation ont accru leur part de marché des ventes d’articles de santé et de soins personnels, qui est passée de 13,9 % des ventes totales en magasin en 1998 à 16,8 % en 2004. Ce sont pour les médicaments (avec et sans ordonnance), les vitamines, les plantes médicinales et les autres suppléments de santé que les magasins d’alimentation ont gagné le plus de parts de marché (de 10,3 % des ventes totales en 1998 à 14,1 % en 2004). Ces augmentations importantes sont en partie le résultat de la présence accrue de pharmacies dans les supermarchés conjuguée à la croissance de la consommation de médicaments. Les magasins d’alimentation ont vendu proportionnellement plus de ces articles de santé que les magasins de marchandises diverses.
Tableau
Répartition des ventes de principaux groupes de marchandises par secteur de groupe de commerce, Canada, 1998 et 2004
En 2004, les médicaments (sur ordonnance ou non) représentaient la majorité (53,9 %) des ventes d’articles de santé et de soins personnels dans les magasins d’alimentation, suivis par les ventes d’articles de toilette et de soins personnels (excluant cosmétiques et parfums) avec 42,9 %. En 1998, la situation contraire prévalait.
Les magasins d’alimentation ont aussi augmenté leurs parts de marché, celles-ci étant passées de 9,3 % en 1998 à 13,6 % en 2004, dans les ventes de produits, d’équipement et de plantes pour pelouse et jardin et de fleurs coupées. Les ventes dans le groupe de marchandises de la quincaillerie et des produits pour pelouse et jardin ont progressé de 16,1 % en moyenne par année depuis 1998. Les meubles pour pelouse, jardin et patio ont affiché l’une des meilleures croissances annuelles (+41,0 %) des ventes de marchandises dans les magasins d’alimentation.
Tableau
Ventes des magasins d’alimentation par principal groupe de marchandises, Canada, 1998 à 2004
Les détaillants en alimentation n’ont pas tous adopté la même stratégie, mais globalement, la décision de diversifier la gamme de produits offerts semble avoir profité à toute l’industrie. La rentabilité des magasins d’alimentation s’est accrue pendant les quatre dernières années. Les revenus sont en hausse, de même que les profits réalisés (bénéfices d’exploitation). Également, les magasins d’alimentation ont fait preuve d’un meilleur contrôle des coûts des marchandises vendues.
Malgré l’arrivée des magasins de marchandises diverses dans les ventes d’aliments, la proportion des profits de l’ensemble du commerce de détail qu’ont réalisés les magasins d’alimentation au Canada a augmenté.
Proportionnellement, pour 100,00 $ du total des profits du commerce de détail en 2004 les magasins d’alimentation se sont accaparé la deuxième part la plus importante (15,40 $), suivis du secteur des magasins de marchandises diverses (11,60 $). En comparaison, ceux-ci ont récolté respectivement 12,20 $ et 10,10 $ des profits en 2000. Autrement dit, l’augmentation en dollars des profits des magasins d’alimentation (+3,20 $) a été le double de celle enregistrée par les magasins de marchandises diverses (+1,50 $) entre 2000 et 2004.
Les magasins d’alimentation ont mis la main sur 3,12 milliards de dollars de profits en 2004, soit une croissance de 14,6 % depuis 2000. Quant aux magasins de marchandises diverses, leurs profits ont augmenté de 12,0 % depuis 2000, pour se chiffrer à 2,36 milliards de dollars en 2004.
D’autres indicateurs de rendement sont importants pour comprendre la situation financière de ces secteurs. Le ratio des bénéfices d’exploitation3 nous renseigne sur l’efficacité de la structure financière. Il montre combien de cents rapporte chaque dollar de vente réalisée. Le ratio de la marge brute4 nous indique le succès avec lequel l’entreprise contrôle ses coûts d’exploitation.
Les magasins d’alimentation ont enregistré un ratio des bénéfices d’exploitation de 4,3 % en 2004, soit une augmentation de 1,6 point de pourcentage depuis 2000. De plus, les magasins d’alimentation ont vu le ratio de leur marge brute augmenter. Celui-ci s’est amélioré passant de 23,3 % à 24,6 %, ce qui indique que les magasins d’alimentation ont réussi ainsi à mieux contrôler leurs coûts d’exploitation.
Les magasins d’alimentation ont en gros conservé leurs parts de marché dans le domaine de la vente des aliments où les marges brutes sont faibles, mais les volumes élevés. Ils ont aussi réussi à accroître leur position dans la vente d’articles de santé et de soins personnels de première nécessité où les marges brutes et le roulement sont plus élevés.
Les magasins de marchandises diverses ont subi une baisse du ratio de leur marge brute. Ce ratio représente le pourcentage des revenus d’exploitation qui restent après avoir soustrait le coût des biens vendus. En 2004, ce ratio s’élevait à 26,6 % comparativement à 27,0 % en 2000. C’est en partie probablement parce que les magasins de marchandises diverses ont tenté de mettre les bouchées doubles dans un secteur, celui des aliments, où les ratios de la marge brute sont plus faibles (les magasins d’alimentation ont affiché les ratios de la marge brute parmi les plus faibles de l’ensemble du commerce de détail)5.
Tableau Estimations financières par secteur de groupe de commerce, Canada, 2000 et 2004
Une des raisons possibles du succès des magasins d’alimentation au Canada est qu’ils investissent beaucoup plus en construction de nouveaux magasins que les magasins de marchandises diverses. L’inverse est vrai aux États-Unis.
Au Canada, les magasins d’alimentation investissaient 1,1 milliard de dollars dans des édifices commerciaux en 2005, alors que les magasins de marchandises diverses investissaient 189 millions de dollars. En d’autres termes, les magasins d’alimentation représentaient 85,8 % de l’investissement dans ces deux secteurs.
Aux États-Unis, les magasins de marchandises diverses américains investissaient 7,5 milliards de dollars américains (69,3 % du total) dans la construction d’édifices commerciaux alors que leurs concurrents en alimentation investissaient 3,3 milliards de dollars américains (30,7 % du total).
L’investissement en bâtiment des magasins d’alimentation est beaucoup plus forte au Canada qu’aux États-Unis
L’investissement des détaillants s’est accru initialement plus rapidement aux États-Unis qu’au Canada grâce à la robustesse des dépenses des ménages américains dans les années 1990. Au cours de cette période, la consommation au Canada était limitée par une longue récession et la croissance du magasinage transfrontalier.
C’est ainsi qu’il a fallu attendre les années 2000 pour voir l’investissement des détaillants augmenter rapidement au Canada grâce à une croissance des dépenses des consommateurs soutenue et à la baisse du dollar qui a ramené les consommateurs canadiens ici. Par la suite, les restrictions plus grandes à traverser la frontière après les événements de septembre 2001 ont contribué au maintien de cette tendance, malgré un dollar canadien qui prenait de la valeur6.
De plus, les stratégies d’entreprise mises de l’avant par certains magasins de marchandises diverses différaient des deux côtés de la frontière7.
Les détaillants en alimentation au Canada comptent sur le poids important des dépenses en alimentation dans le budget des ménages.
C’est que la proportion du budget des ménages allouée à l’alimentation est demeurée importante, à 11,1 %, soit sensiblement la même proportion que cinq ans plus tôt (11,5 %). Les ménages ont consacré un montant de 6 800 $ en moyenne pour l’alimentation en 2003, comparativement à 5 900 $ en 1998.
Les magasins d’alimentation ont pu aussi profiter du fait que les ménages ont récemment cessé de relever leurs dépenses dans les restaurants par rapport à celles dans les magasins après des décennies d’augmentation. Les ménages ont consacré 77,6 % de leurs dépenses pour l’alimentation en 2003 en aliments achetés au magasin comparativement à 21,9 % en aliments achetés au restaurant. En 1998, les proportions des dépenses des ménages consacrées aux aliments achetés au magasin et au restaurant étaient semblables. Durant les années 1980 et 1990, les dépenses dans les restaurants augmentaient beaucoup plus rapidement que celles dans les magasins d’alimentation.
Par ailleurs, les prix des aliments achetés en magasin ont suivi le coût général de la vie. L’indice des prix à la consommation des aliments achetés au magasin a progressé à un taux annuel moyen de 2,1 % entre 1998 et 2004 comparativement à 2,3 % pour l’indice d’ensemble. Cela a soutenu la croissance des recettes des magasins d’alimentation.
Les magasins d’alimentation peuvent aussi profiter du fait que même si certains aliments comme les bonbons, les confiseries et d’autres aliments à grignoter présentent de fortes variations saisonnières, on observe une tendance d’étalement des ventes d’aliments au cours de l’année. Cet étalement assure aux magasins d’alimentation une entrée régulière de recettes et pourrait leur permettre de rentabiliser leur main-d’œuvre et d’offrir de meilleures conditions de travail. Ainsi, la saison des fêtes de fin d’année enregistre une proportion des ventes à peine légèrement plus élevée qu’au cours des trois autres saisons dans l’alimentation. Dans certains secteurs, la saison des fêtes procure pratiquement tous les revenus de l’année. Les dépenses en aliments présentent donc une faible saisonnalité contrairement au reste du commerce de détail.