Section 3 : Étude spéciale

Avertissement Consulter la version la plus récente.

Information archivée dans le Web

L’information dont il est indiqué qu’elle est archivée est fournie à des fins de référence, de recherche ou de tenue de documents. Elle n’est pas assujettie aux normes Web du gouvernement du Canada et elle n’a pas été modifiée ou mise à jour depuis son archivage. Pour obtenir cette information dans un autre format, veuillez communiquer avec nous.

La population active canadienne : tendances projetées à l'horizon 2031

Par Laurent Martel*, Éric Caron Malenfant*, Jean-Dominique Morency*, André Lebel*, Alain Bélanger**, Nicolas Bastien** 1 

Faits saillants

  1. La population active du Canada devrait continuer de croître selon les cinq scénarios de projection inclus dans cette analyse. De 18,5 millions de personnes en 2010, elle pourrait atteindre entre 20,5 et 22,5 millions de personnes en 2031.
  2. La part que représente la population active au sein de la population totale âgée de 15 ans et plus pourrait diminuer dans les prochaines années selon tous les scénarios de projection. De 67,0 % en 2010, le taux global d'activité pourrait atteindre entre 59,7 % et 62,6 % en 2031, soit un niveau observé pour la dernière fois dans les années 1970.
  3. Selon trois des cinq scénarios inclus dans cette analyse, près d'un actif sur quatre serait âgé de 55 ans ou plus en 2021. Cette proportion était de 16,9 % en 2010.
  4. En 2031, le nombre d'actifs pour chaque personne âgée inactive serait inférieur à trois selon tous les scénarios de projection. Il était près de cinq pour un en 2010.
  5. En 2031, environ trois actifs sur dix seraient nés à l'étranger. Cette proportion serait plus élevée encore en Ontario et en Colombie-Britannique.
  6. Environ un actif sur trois appartiendrait à un groupe de minorité visible en 2031 au Canada. Cette proportion était de 15,7 % en 2006. Elle pourrait atteindre environ 40 % en Ontario et en Colombie-Britannique en 2031.

Introduction

La population active, au même titre que la productivité, est un déterminant important du produit intérieur brut (PIB) du Canada. Son évolution, au cours des prochaines années, est donc importante, particulièrement dans le contexte actuel d'une reprise suivant la récession de 2008-2009 et pour comprendre les répercussions qu'elle aura sur le déficit.

Projeter la population active est toutefois complexe puisque plusieurs éléments doivent être considérés. L'un des plus importants est sans conteste le vieillissement démographique qui touche déjà la population active dans la mesure où la proportion d'actifs de 55 ans ou plus a rapidement augmenté depuis quelques années. De récentes projections démographiques réalisées par Statistique Canada ont montré que le vieillissement démographique s'accélérera dès 2011 2  , les générations issues du baby-boom avançant en âge, avec pour effet des départs à la retraite progressivement plus nombreux.

D'autres facteurs démographiques doivent également être pris en compte, notamment l'immigration qui, depuis la fin des années 1980, demeure à des niveaux élevés et a principalement pour origine des pays asiatiques 3  . Si les immigrants peuvent contribuer à soutenir la croissance démographique de la population active et combler certains besoins de main-d'oeuvre du Canada, ils présentent également des taux d'activité habituellement inférieurs à ceux du reste de la population 4  . Ces immigrants modifient également rapidement la composition ethnoculturelle de la population active canadienne, la proportion de personnes appartenant à un groupe de minorités visibles étant à la hausse depuis plusieurs années déjà.

D'autres facteurs auront également un effet sur l'évolution future de la population active. Par exemple, la hausse de l'activité des femmes sur le marché du travail 5  de même que celle de l'activité des personnes âgées de 50 ans ou plus 6  pourraient contribuer à atténuer l'effet attendu des départs à la retraite des générations du baby-boom. Enfin, la hausse constante, observée depuis des années déjà, du niveau de scolarité de la population canadienne pourrait aussi avoir un effet, les personnes plus scolarisées présentant en moyenne des taux d'activité plus élevés mais aussi une entrée et une sortie d'activité plus tardives.

Le but de cet article est de présenter les principaux résultats de projections mises à jour de la population active du Canada jusqu'en 2031, projections réalisées au moyen du modèle par microsimulation Demosim 7  de Statistique Canada lequel permet de considérer simultanément les composantes démographiques mais aussi la scolarité et les différences qui séparent immigrants et personnes appartenant à un groupe de minorités visibles quant à leur participation au marché du travail. Analysées sous l'angle de cinq scénarios d'évolution différents, ces projections, utiles à des fins de planification et réalisées dans le cadre d'un projet financé par trois ministères fédéraux 8 , mettent également en contexte les défis économiques et sociaux auxquels fera face le Canada au cours des prochaines décennies, que ce soit en matière de croissance économique, de retraites, de transferts des connaissances, de capital humain, de politiques à l'égard des travailleurs âgés, d'intégration économique des immigrants, d'équité en matière d'emploi, de reconnaissance des titres de compétences étrangers et de formation professionnelle.

Les résultats sont présentés en deux parties qui succèdent à une section portant sur les scénarios de projection. La première partie met l'accent sur les tendances projetées en matière de taille, de croissance et de structure par âge de la population active 9  . La deuxième partie présente ce que pourrait être la composition ethnoculturelle de la main-d'oeuvre canadienne en 2031. Une description du modèle de microsimulation Demosim ainsi que des méthodes qui sous-tendent ces projections est disponible dans l'annexe.

Scénarios de projection

Cinq scénarios possibles ont été élaborés pour ces projections (Tableau 3.1), ceci afin de mesurer l'effet de changements possibles quant à la démographie et aux taux d'activité ainsi que de refléter l'incertitude inhérente à tout exercice de projection. Ces scénarios combinent trois hypothèses portant sur la croissance démographique future à trois hypothèses d'évolution des taux d'activité. Tous les scénarios tiennent par ailleurs compte des tendances à la hausse du niveau de scolarité de la population canadienne, de même que les différences existant dans la participation au marché du travail des immigrants et des personnes de minorité visible (voir l'annexe).

Les trois hypothèses de croissance démographique ont été formulées pour chaque province 10  et offrent une fourchette quant à l'évolution future possible de la population. Une description détaillée de ces hypothèses peut être consultée dans le document Projections de la diversité de la population canadienne, 2006 à 2031 11  . Le scénario de croissance démographique moyenne suppose, pour le Canada, une fécondité de 1,7 enfant par femme devant être atteinte dès la première année de projection et constante sur toute la période, une espérance de vie à la naissance en 2031 que l'on prévoit être de 83,1 ans chez les hommes et de 86,6 ans chez les femmes, un taux d'immigration de 7,5 pour mille correspondant à la moyenne observée entre 1990 et 2008 ainsi que des migrations internes reposant sur les schèmes migratoires moyens des périodes 1995-1996, 2000-2001 et 2005-2006.

Les hypothèses de croissance démographique faible et forte diffèrent de l'hypothèse de croissance moyenne quant à la fécondité, la mortalité et l'immigration et sont identiques au niveau des migrations internes. Le taux de fécondité atteint 1,5 ou 1,9 enfant par femme en 2013 et demeure constant par la suite selon l'hypothèse de croissance faible ou forte, respectivement. L'espérance de vie à la naissance n'est que de 81,7 ans chez les hommes et 85,4 ans chez les femmes en 2031 selon l'hypothèse de croissance faible et atteint 84,5 ans et 87,7 ans selon l'hypothèse de croissance forte. Le taux d'immigration diminue à 6,0 pour mille selon l'hypothèse de croissance faible et reflète le taux le plus bas observé depuis 1990 ; il augmente à 9,0 pour mille dans l'hypothèse de croissance forte, soit le taux le plus élevé observé depuis 1990 également.

En comparant les scénarios A, C et D qui ne diffèrent que par leurs hypothèses de croissance démographique, il est possible d'isoler l'effet que des changements en matière de fécondité, de mortalité et d'immigration pourraient avoir sur la population active dans l'avenir.

Trois hypothèses quant à l'évolution future des taux d'activité ont été formulées 12  . La première, appelée « taux d'activité constants », maintient constants sur toute la période de projection les taux d'activité des hommes selon le groupe d'âge, la province et le niveau de scolarité tels qu'observés en 2008 13  . La deuxième, appelée hypothèse « tendances court terme des taux d'activité », extrapole, au cours des dix prochaines années, les changements observés au niveau national au cours des dix dernières, soit entre 1999 et 2008. Ainsi, pour tous les groupes d'âge entre 15 et 79 ans 14  , une extrapolation linéaire des tendances, habituellement à la hausse, a été effectuée. Dans cette hypothèse, les variations annuelles sont appliquées jusqu'en 2018. Par la suite, les taux sont maintenus constants au niveau atteint en 2018 jusqu'à la fin de la période de projection. La troisième hypothèse, appelée « tendances long terme des taux d'activité », est en tout point semblable à la deuxième à l'exception près que l'extrapolation est basée sur une période observée plus longue, soit entre 1990 et 2008. Cette hypothèse présente des taux d'activité habituellement à la baisse, surtout pour les groupes d'âge avant 60 ans, puisque la période de référence inclut le début des années 1990 où les taux d'activité étaient à la baisse. En conséquence, ces deux dernières hypothèses proposent un large éventail quant aux évolutions futures possibles.

Pour les femmes et dans les trois hypothèses, les taux d'activité projetés sont dérivés des taux projetés pour les hommes au moyen de ratios qui comparent, pour un groupe d'âge et un niveau de scolarité donnés, les taux d'activité des hommes à ceux des femmes. Ces ratios sont calculés en utilisant les données de l'Enquête sur la population active (EPA) pour la période allant de 2006 à 2010. Ils sont maintenus constants pour toute la période de projection pour les groupes d'âge inférieurs à 50 ans. Pour les autres groupes d'âge, c'est plutôt le ratio de la génération qui est maintenu constant durant la projection, ceci afin d'éliminer progressivement un effet de génération, les femmes nées plus tard au cours du 20e siècle ayant une participation sur le marché du travail de plus en plus proche de celle des hommes. Par exemple, le ratio de 0,91 observé entre le taux d'activité des femmes âgées de 45 à 49 ans et celui des hommes du même âge est utilisé pour le groupe d'âge des 50 à 54 ans cinq ans plus tard (2013), et ainsi de suite.

En comparant les scénarios B, C et E, qui ne diffèrent que par leurs hypothèses portant sur les taux d'activité, il est possible s'isoler l'effet de ces changements sur la population active dans l'avenir.

Résultats : entre 20 et 23 millions d'actifs en 2031 mais une croissance à la baisse

En 2010, la population active du Canada comptait environ 18,5 millions de personnes. Selon tous les scénarios élaborés dans le présent exercice, la population active devrait continuer de croître au cours des deux prochaines décennies et pourrait atteindre entre 20,5 et 22,5 millions de personnes en 2031 (Figure 3.1). Le scénario C, dit « Tendances court terme des taux d'activité », suggère que la population active du Canada pourrait compter 21,5 millions de personnes à ce moment et le scénario E, dit « Tendances long terme des taux d'activité », 20,5 millions de personnes.

Ces résultats constituent une légère révision à la hausse des niveaux publiés dans un précédent article 15  . L'essentiel des différences s'expliquent par la mise à jour des hypothèses de projection qui tiennent compte de la conjoncture récente. Depuis 2005 en effet, la croissance démographique canadienne s'est légèrement appréciée, notamment à la faveur d'une hausse de la fécondité et des taux d'activité de plusieurs groupes d'âge.

S'il est projeté que la population active canadienne continuera de croître en nombre absolu au cours des deux prochaines décennies, tous les scénarios de projection suggèrent cependant un ralentissement important de la croissance de la population (Figure 3.2), principalement sous l'effet du départ à la retraite des baby-boomers.

Ainsi, la croissance annuelle moyenne de la population active entre 2006 et 2010 a été d'environ 1,4 %. Dès 2016, cette croissance serait inférieure à 1 % dans tous les scénarios et pourrait varier entre 0,2 % et 0,7 % au cours de la période 2021-2026. En comparaison, la variation annuelle de la population active avait atteint un peu plus de 4 % durant la période 1971-1976, alors que les générations nombreuses issues du baby-boom intégraient le marché du travail. Le ralentissement de la croissance de la population active serait terminé après 2026 dans quatre scénarios sur cinq, alors que la majorité des baby-boomers auront alors quitté la population active.

Il est intéressant de noter que les scénarios B, C et E, qui ne diffèrent que par leurs hypothèses sur les taux d'activité, présentent des résultats très similaires en 2031 même si, sur la période 2011-2026, la décroissance est plus prononcée dans les scénarios B et E. Il s'agit d'une indication que la poursuite de la hausse de l'activité, pris en compte dans le scénario C, permettrait, à court terme, d'atténuer les répercussions de la décroissance attendue de la population. En revanche, les diverses hypothèses démographiques conduisent à des résultats très différents autant à court qu'à long termes, indiquant que la taille et la croissance de la population active au cours des deux prochaines décennies sont sensibles à des facteurs comme l'immigration et, dans une moindre mesure, à la fécondité. En fait, si le Canada ne recevait aucun immigrant au cours des deux prochaines décennies, les effectifs de la population active commenceraient à décroître en 2017 et ne compterait plus que 17,8 millions de personnes en 2031. De même, une faible fécondité entrainerait un ralentissement de la croissance de la population active sur toute la période de projection.

Le taux global d'activité est également à la baisse dans tous les scénarios

Alors même que la croissance de la population active ralentira, la population âgée de 65 ans et plus croîtra plus rapidement au cours des deux prochaines décennies en raison du vieillissement des baby-boomers. Conséquemment, la part que représente la population active dans la population totale âgée de 15 ans et plus – aussi appelé taux global d'activité 16 – diminuera au cours des deux prochaines décennies et ce, selon tous les scénarios de projection (Figure 3.3).

De 67,0% en 2010, il est projeté que le taux global d'activité serait à la baisse d'ici 2031 et pourrait varier, à ce moment, entre 59,7 % à 62,6 %. Il s'agirait, à ce moment, des niveaux les plus faibles observés depuis la fin des années 1970.

Si tous les scénarios retenus dans le cadre de ces projections indiquent une baisse du taux global d'activité, des taux d'activité plus élevés dans l'avenir pourraient en limiter l'ampleur puisque le scénario B, qui suggère des taux d'activité constants, et le scénario E, qui suggère une baisse des taux d'activité dans l'avenir, conduisent à des taux global d'activité plus faibles en 2031. Les phénomènes démographiques tels que le vieillissement des baby-boomers, une fécondité sous le seuil de remplacement des générations ainsi que l'allongement de l'espérance de vie expliquent dans une large mesure la diminution attendue du taux global d'activité au cours des deux prochaines décennies. C'est toutefois l'évolution des comportements liés à l'activité, plus que des changements dans les composantes (fécondité, immigration, mortalité) de la croissance démographique, qui pourra limiter l'ampleur de cette diminution dans l'avenir. Outre la poursuite de la hausse de l'activité, la réduction des différences dans la participation au marché du travail entre immigrants ou groupes de minorité visible et le reste de la population pourrait aussi contribuer à limiter la baisse attendue dans les prochaines années. Dans un scénario où l'activité des immigrants et des groupes de minorités visibles serait équivalente à celle du reste de la population par exemple, le taux global d'activité atteindrait 63,9 % en 2031.

Il est enfin intéressant de remarquer que, depuis quelques années, le taux global d'activité du Canada est élevé, se situant en moyenne à environ 67 %. Ce niveau avait été rarement atteint dans le passé. Des comparaisons internationales montrent également que le taux global d'activité du Canada était, en 2010, plus élevé que celui des principaux pays industrialisés (Figure 3.4). La perspective à long terme que procurent les projections permet, dans ce contexte, deux constats : d'une part, l'économie canadienne jouit présentement d'un taux de participation de la population active élevé, la grande majorité des baby-boomers étant encore sur le marché du travail. D'autre part, même s'il sera plus faible qu'aujourd'hui, le taux global d'activité attendu au Canada en 2031 pourrait demeurer supérieur à celui de 2010 dans de nombreux pays industrialisés.

Près d'un actif sur quatre serait âgé de 55 ans ou plus d'ici 2021

Le vieillissement des baby-boomers, à l'origine d'une grande part de la baisse attendue du taux global d'activité dans les années à venir, a déjà un impact important sur le vieillissement de la population active. D'environ 10 % en 2001, la proportion d'actifs âgés de 55 ans ou plus atteignait 17 % en 2010, soit une hausse de 7 points de pourcentage en seulement neuf ans, alors que les premiers-nés du baby-boom atteignaient l'âge de 55 ans.

Cette hausse se poursuivra au cours de la période allant de 2010 à 2021, alors que les dernières générations de baby-boomers atteindront elles aussi 55 ans. En 2021, près d'un actif sur quatre (environ 24%) pourrait avoir 55 ans ou plus selon trois des cinq scénarios, une proportion jamais observée dans le passé au Canada. Seuls les scénarios suggérant des taux d'activité constants à leur niveau de 2008 ou extrapolant les tendances à long terme (1990 à 2008) des taux d'activité conduisent à une hausse moins rapide de la proportion d'actifs âgés de 55 ans ou plus (21 % et 22 % respectivement en 2021), les taux d'activité projetés des personnes âgées de 50 ans ou plus étant plus faibles dans ces scénarios. L'absence de différences dans les résultats des scénarios A, C et D, qui diffèrent l'un de l'autre par leurs hypothèses de fécondité, d'immigration et de mortalité, montrent le faible effet que pourraient avoir d'éventuels changements démographiques sur le taux de participation, du moins à court terme. Héritage du passé démographique, notamment du baby-boom entre 1946 et 1965, le vieillissement de la population active, au même titre que celui de la population canadienne dans son ensemble, est inéluctable.

On projette que le ratio actifs-retraités diminuerait de moitié en 50 ans

Le ratio de l'ensemble des actifs par rapport aux inactifs de 65 ans et plus – essentiellement des retraités – est un indicateur pertinent à l'égard de plusieurs enjeux importants comme l'avenir des systèmes publics de retraite au Canada, en particulier pour ceux étant en totalité ou en partie basés sur le système des cotisations déterminées.

En 1981, on comptait environ six actifs pour chaque personne âgée de 65 ans ou plus inactive. Ce ratio avait déjà diminué à environ 4,6 en 2010. Selon tous les scénarios de projection, il serait inférieur à trois en 2031 (Figure 3.6), soit une division par deux sur une période de 50 ans. Ni une croissance démographique plus rapide, ni une hausse des taux d'activité ne permettraient d'éviter cette baisse significative au cours des deux prochaines décennies.

Dans vingt ans, un actif sur trois serait né à l'étranger

Si une immigration soutenue dans les prochaines années ne pourrait ni empêcher le taux global d'activité de décroître, ni atténuer le vieillissement de la population active, elle présenterait toutefois l'avantage de contribuer significativement au maintien de la croissance de cette population tout en comblant certains besoins spécifiques en main-d'oeuvre. Elle contribuerait également à modifier la composition ethnoculturelle de la population active qui a déjà beaucoup changé depuis le début des années 1990.

La proportion d'actifs nés à l'étranger 17  a en effet augmenté depuis 1991, passant de 18,5% à 21,2% en 2006, dernières données disponibles à ce sujet. Si les niveaux d'immigration récemment observés devaient se poursuivre, cette proportion pourrait presque atteindre 33% en 2031 selon les scénarios C et E (Figure 3.7). Autrement dit, environ un Canadien actif sur trois pourrait être issu de l'immigration d'ici deux décennies.

Les scénarios de projection A et D conduisent à des hausses similaires dans l'avenir, notamment parce que les hypothèses d'immigration, qui sont basées sur les minima et maxima observés au cours des vingt dernières années, ne diffèrent pas suffisamment pour engendrer d'importantes différences. Sans apport annuel d'immigrants d'ici 2031, la proportion d'actifs nés à l'étranger diminuerait pour atteindre 17,4% en 2031. Il est enfin intéressant de noter que si les immigrants du Canada présentaient des taux d'activité équivalents à ceux des personnes nées au Canada, la proportion d'actifs nés à l'étranger en 2031 serait de 33,3%.

Plus de 30 % des actifs en 2031 appartiendraient à un groupe de minorité visible

Depuis plus de vingt ans, l'immigration canadienne provient principalement de pays asiatiques. Par conséquent, la proportion d'actifs appartenant à un groupe de minorités visibles a augmenté entre 1996 et 2006, passant de 10% à 15%. Le scénario C des projections indique que cette proportion pourrait atteindre 32% en 2031 (Figure 3.8), soit le double de ce qu'elle était 25 ans plus tôt. Cette proportion varie peu dans les autres scénarios (Tableau 3.4), indiquant que près d'un actif canadien sur trois en 2031 pourrait appartenir à un groupe de minorité visible 18  .

Tous les scénarios présentés dans cette étude conduisent à une hausse significative de cette proportion, et ce malgré le fait que les projections tiennent pour constantes les différences qui séparent les groupes de minorités visibles et les immigrants récents quant à leur participation au marché du travail. Même en l'absence d'immigration sur la période de 2009 à 2031, la proportion d'actifs appartenant à un groupe de minorité visible augmenterait à environ 23,1% en 2031, principalement en raison d'une structure par âge plus jeune de cette population qui ferait en sorte que peu de personnes de minorité visible partiraient à la retraite d'ici 2031 alors qu'on observerait l'entrée progressive sur le marché du travail des enfants des immigrants récents.

Une proportion en hausse entre 2006 et 2031 de personnes actives appartenant à un groupe de minorité visible seront en fait nées au Canada (Figure 3.8). Ces personnes représentaient environ 17 % de tous les actifs de minorité visible en 2006 et cette proportion pourrait passer à environ 25 % en 2031 selon le scénario C. Cette hausse résulte principalement de la combinaison de deux facteurs : d'une part, l'arrivée progressive, sur le marché du travail, des enfants d'immigrants arrivés depuis le début des années 1990 et, d'autre part, du fait que les personnes de minorités visibles nées au Canada 19  ont tendance à avoir une scolarisation plus élevée, ce qui fait en sorte qu'ils participent davantage à la population active.

D'importantes variations d'une province à l'autre

Le modèle de projection Demosim permet de prolonger l'analyse à l'échelon des provinces. Les résultats provinciaux sont sujets à des variations importantes selon les hypothèses concernant les migrations internes qui peuvent varier significativement d'une année à l'autre. Cette partie ne présente par conséquent que des résultats qui sont robustes à l'évolution future de la migration interne, conclusion que l'élaboration d'un scénario « zéro migration interne » a permis de réaliser. Si les résultats de ce scénario ne sont pas présentés dans cet article, il sera évoqué à quelques endroits dans cette section afin de permettre une meilleure compréhension du caractère inéluctable des évolutions mises en lumière.

Selon tous les scénarios présentés dans cette étude, le taux global d'activité est appelé à diminuer dans toutes les provinces d'ici 2031 (Tableau 3.2), quoique à des rythmes divers. La baisse serait beaucoup plus rapide à l'est du pays (Québec et provinces Atlantiques) qu'à l'ouest. Il en résulterait, à terme, un accroissement de l'écart qui sépare déjà l'est et l'ouest du pays à l'égard du taux global d'activité. En l'absence de migrations internes, le taux global d'activité diminuerait également, mais un peu moins : par exemple, il atteindrait 52,6% à Terre Neuve et Labrador et 68,0% en Alberta.

Au même moment, le ratio des personnes actives sur le nombre de personnes inactives de 65 ans ou plus serait lui aussi à la baisse dans chacune des provinces selon tous les scénarios (Tableau 3.3), y compris le scénario zéro migration interprovinciale. En 2010, ce ratio se situait à l'intérieur d'un intervalle dont les extrêmes étaient de 3,8 (à Terre Neuve et Labrador) et de 6,4 (en Alberta). En 2031, selon tous les scénarios, le nombre d'actifs pour chaque personne âgée inactive varierait entre 1,4 (à Terre Neuve et Labrador) et 3,7 (en Alberta). Il n'est que marginalement différent selon le scénario zéro migration interne. Comme pour le taux d'activité, cet indicateur serait inférieur en 2031 dans toutes les provinces de l'est par rapport à ce qu'il serait dans les provinces de l'ouest du pays.

Ces différences entre provinces sont largement tributaires des tendances passées en matière de fécondité de chacune des provinces qui ont façonné la structure par âge actuelle de leur population. Avec une fécondité plus élevée jusqu'à la fin du baby-boom (vers 1965) puis une fécondité plus faible par la suite, les provinces de l'est du pays ont vu leur structure par âge être marquée d'un écart plus important que dans l'ouest entre les effectifs des générations du baby-boom (et pré-baby-boom) et les effectifs des générations suivantes (nées après 1965). Or, les derniers nés du baby-boom atteindront l'âge de 65 ans en 2031, précisément. Les cohortes qui ont été appelées à les remplacer ayant été moins nombreuses dans l'est, le poids démographique des personnes âgées y sera alors plus élevé, affectant également leur taux global d'activité et le ratio des personnes actives sur les personnes âgées inactives.

Même si toutes les provinces verront leur population active vieillir au cours des deux prochaines décennies, des différences importantes devraient demeurer et ce, pour les mêmes raisons. Le Québec, par exemple, pourrait présenter une population active plus jeune qu'ailleurs en 2031 en raison du faible nombre de personnes de 55 ans et plus à ce moment, une situation liée à la faible fécondité observée dans les années 1970 dans cette province.

Enfin, et comme c'est le cas dans l'ensemble du Canada, la diversité ethnoculturelle de la population active serait en forte hausse dans toutes les provinces, même si d'importantes différences continueraient de se manifester d'un endroit à l'autre du pays (Tableau 3.4). En Ontario en 2031 par exemple, environ 41% des actifs pourraient être nés à l'étranger, soit une proportion nettement plus élevée que celle qu'on pourrait observer dans les provinces Atlantiques (7%) 20  . Parallèlement, c'est en Ontario et en Colombie-Britannique où la proportion d'actifs appartenant à un groupe de minorité visible serait la plus importante en 2031, à près de deux actifs sur cinq. Elle serait beaucoup plus modeste dans les provinces Atlantiques. Ces variations sont essentiellement liées à l'importance de l'immigration dans l'accroissement démographique des provinces : celles qui attirent davantage d'immigrants, comme l'Ontario et la Colombie-Britannique, présenteraient, en 2031, une population active plus diversifiée sur le plan ethnoculturel que les autres.

Conclusion

Le présent article a dressé un portrait de ce que pourrait être la population active canadienne de 2010 à 2031 selon cinq scénarios de projection. Selon ces scénarios, le nombre absolu de personnes actives devrait poursuivre sa hausse au cours des deux prochaines décennies. Il est cependant attendu que cette hausse sera de moins en moins rapide, puis qu'elle ne saura suffire à compenser les nombreux départs à la retraite qui devraient survenir d'ici 2031. En conséquence, le taux global d'activité devrait décliner significativement, tout comme le ratio de personnes actives aux personnes âgées inactives.

L'arrivée progressive à la retraite des générations du baby-boom, lesquelles ont été suivies de générations beaucoup moins nombreuses, expliquent la plus large part de ces résultats. Ni une hausse de l'immigration, de la fécondité, ni la scolarisation accrue de la population ne modifient significativement ces tendances. Une poursuite de la hausse des taux d'activité chez les personnes plus âgées pourrait cependant atténuer, voire retarder la baisse du taux global d'activité. Il s'ensuit donc que la croissance économique canadienne devra reposer davantage, à l'avenir, sur des gains potentiels en productivité, du moins jusqu'en 2031. Après cette date en effet, tous les baby-boomers auront atteint l'âge de 65 ans, et le rythme des sorties à la retraite devrait par conséquent se réduire considérablement.

Les projections présentées dans cet article montrent également que si les tendances récentes devaient se poursuivre, la population active serait de plus en plus diversifiée au plan ethnoculturel à l'avenir. On y compterait une proportion croissante de personnes nées à l'étranger et de minorités visibles. L'importance pour le marché du travail de l'évolution future de la participation et de l'intégration de ces groupes à la population active n'en sera que plus grande.

Il convient enfin de noter que malgré le fait que cet exercice de projections ait été effectué en tenant compte explicitement du vieillissement démographique, de la scolarisation grandissante de la population, de l'évolution des taux d'activité dans le temps puis des différences qui séparent, à l'égard de l'activité, les immigrants, puis les divers groupes de minorités visibles du reste de la population, d'autres facteurs d'importance n'ont pu être considérés. L'offre de travail n'est en effet pas indépendante de la demande de travail, des cycles économiques ou de politiques publiques, notamment à l'égard des travailleurs âgés. Pour cela, il faut considérer ces projections comme un ensemble d'hypothèses plausibles visant à informer la prise de décision et la planification plutôt que comme des prédictions de ce que sera l'avenir.

Appendix

Demosim, un modèle de projections démographiques par microsimulation

Les projections de la population active de 2006 à 2031 présentées dans cet article ont été obtenues au moyen d'un modèle de projection par microsimulation appelé Demosim. Le recours à la microsimulation permet de projeter simultanément un grand nombre de caractéristiques de la population comme le statut d'immigrant, le lieu de naissance, le statut de minorité visible, le niveau de scolarité et la participation au marché du travail. Elle permet également de facilement tenir compte d'une quantité accrue de comportements différentiels d'un sous-groupe de la population à un autre, par exemple du fait que les personnes les plus scolarisées présentent des taux d'activité plus élevés et les immigrants récents des taux moins élevés. Elle permet enfin d'élaborer plusieurs scénarios d'évolution future.

La population de départ de Demosim provient du fichier de microdonnées de l'échantillon 20 % du questionnaire long du Recensement de 2006, ajustée pour tenir compte du sous-dénombrement net. Ce fichier contient près de 7 millions d'individus avec certaines de leurs caractéristiques pertinentes aux projections, notamment le niveau de scolarité, le statut d'immigrant ainsi que l'appartenance à un groupe de minorité visible. Le modèle de microsimulation projette un individu à la fois et ajoute, en cours de simulation, de nouvelles personnes lorsque surviennent des naissances ou arrivent des immigrants, qu'ils soient au Canada de façon permanente ou temporaire.

Chaque individu simulé dans Demosim est soumis au risque de vivre plusieurs événements démographiques dont les principaux sont les suivants : naissance d'un enfant, décès, migration d'une région à l'autre du pays, émigration, changement de niveau de scolarité, changement d'état matrimonial et changement de statut d'activité. Lorsque survient un événement, les probabilités sont recalculées afin de tenir compte de la nouvelle situation de l'individu simulé.

La description du calcul de toutes les probabilités associées aux événements simulés dans Demosim dépasse le cadre de cet article. Les lecteurs sont invités à se référer au document intitulé Projections de la diversité de la population canadienne, 2006 à 2031 publié le 9 mars 2010 et disponible gratuitement sur le site Internet de Statistique Canada pour obtenir des informations plus détaillées à ce sujet 21  . Il est toutefois pertinent de décrire sommairement la façon dont le niveau de scolarité et la participation au marché du travail ont été modélisés dans Demosim.

Modélisation de la scolarité

Quatre niveaux de scolarité sont définis dans Demosim : moins qu'un diplôme secondaire, diplôme secondaire seulement, diplôme postsecondaire inférieur au baccalauréat et baccalauréat universitaire ou plus.

La scolarité est modélisée sur la base de probabilités de graduer. Ces probabilités varient en fonction de la cohorte de naissance, de l'âge, du sexe, du lieu de naissance et du groupe de minorité visible. Elles ont été calculées sur la base de données provenant à la fois de l'Enquête Sociale Générale de 2001 ainsi que du Recensement de 2006.

La modélisation des probabilités de graduer suppose un ralentissement graduel de la hausse de la scolarisation de la population canadienne d'ici 2031, la hausse, au cours des dernières décennies, ayant été trop importante pour qu'elle puisse être soutenue pendant encore deux décennies, du moins pour certains groupes de la population. Une deuxième hypothèse est formulée, celle du maintien des différences de scolarité entre groupes ethnoculturels dans l'avenir. Les personnes appartenant à des groupes de minorités visibles présentent habituellement des probabilités de graduer supérieures à celles du reste de la population. La remarquable stabilité dans le temps de ces différences justifie cette hypothèse.

Modélisation de la participation au marché du travail

La participation au marché du travail est simulée en imputant annuellement à chaque individu vivant dans une province canadienne un statut d'activité. L'imputation se fait sur la base de taux d'activité constitués en deux étapes. Dans un premier temps, on sélectionne un taux d'activité selon l'âge, le sexe, le plus haut niveau de scolarité atteint et la province de résidence de l'individu simulé. Ces taux d'activité proviennent de l'EPA et sont l'objet d'hypothèses quant à leur évolution future (voir section scénarios de projection).

Dans un second temps, on accroît ou on diminue ce taux grâce à l'usage d'un ratio afin de tenir compte d'autres caractéristiques de l'individu, soit le statut d'immigrant, la période d'immigration ainsi que le groupe de minorité visible. Les ratios sont calculés en utilisant les données sur l'activité du Recensement de 2006 et varient pour chaque combinaison d'âge, de sexe et de niveau de scolarité. Les ratios sont calculés pour le Canada dans son ensemble puis appliqués à chacune des provinces, sous l'hypothèse que l'écart entre les personnes appartenant à un groupe de minorité visible et le reste de la population, par exemple, ne varie pas d'une province à une autre.

Les projections de la population active présentées dans cet article tiennent donc explicitement compte de l'évolution future de la composition de la population en matière de niveau de scolarité et de diversité ethnoculturelle.

Suivant | Précédent