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Le recensement et l’évolution des rôles masculins et féminins au début du XXe siècle au Canada

par Derrick Thomas

Introduction
Ce qu’il faut savoir au sujet de la présente étude
Quelle place les femmes occupaient-elles au sein du ménage et de la famille?
Comment la fécondité de la femme était-elle perçue?
Les antécédents ethniques de la mère étaient-ils reconnus?
Comment la citoyenneté des femmes était-elle traitée?
Le travail des femmes était-il reconnu?
Résumé

Introduction

La société canadienne a changé à bien des égards au cours du siècle dernier. Les rôles masculins et féminins et les relations hommes-femmes, tout particulièrement, se sont radicalement transformés. De nos jours, l’égalité juridique et sociale entre les sexes représente un objectif de société explicite presque incontesté. Peu de jeunes d’aujourd’hui reconnaîtraient le Canada des années 1911 ou 1921. Il y a une génération à peine, il existait des distinctions sociales marquées entre les deux sexes. Le Recensement du Canada fait partie de cette histoire et a évolué au rythme de la société dans son ensemble. Les collectes de données et les rapports des recensements du début du siècle dernier sont, dans une large mesure, le reflet du contexte social de l’époque.

Outre les caractéristiques physiques et les fonctions reproductives qui différencient les hommes des femmes, des ensembles distincts de normes de comportement et de rendement définis par la société sont associés à chacun des sexes. Ces normes, par exemple, peuvent dicter ce qui est acceptable au chapitre de l’habillement ou de la profession. Les conventions sociales peuvent aussi attribuer des rôles différents au sein de la famille ou établir une hiérarchie quant au partage des tâches, à la répartition des ressources ou à la prise de décisions dans le ménage et au-delà de cette sphère.

La construction sociale des rôles masculins et féminins peut être démontrée par l’examen de ces rôles dans différentes sociétés et à différentes époques. La diversité observée tend à indiquer que les rôles ne sont pas innés. Ceux-ci doivent être définis et maintenus par un consensus plus ou moins général. Au Canada, ce consensus évolue, croit-on, du moins à long terme, pour passer d’un modèle patriarcal à un modèle plus égalitaire1.

On examine dans le présent article certaines transformations des rôles masculins et féminins au cours de la première moitié du XXe siècle. Plus précisément, on montre comment le recensement s’est adapté à ces changements pour rendre compte de la nouvelle réalité. Le Recensement du Canada est mené depuis la Confédération et permet de décrire l’évolution de la société canadienne à la lumière de l’information recueillie au fil des ans sur un ensemble relativement constant de caractéristiques. La présente étude s’appuie sur les données recueillies dans le cadre des recensements décennaux du Canada réalisés entre 1911 et 1951. C’est la première fois que les microdonnées informatisées sont disponibles pour ces années de recensement.

Les constructions sociales sont presque invisibles pour les acteurs sociaux contemporains et peuvent former une partie importante de ce que l’on considère comme la réalité2. La compréhension de ces constructions doit généralement s’inscrire dans une perspective historique. Les attentes et les rôles associés à chacun des sexes représentent un mode de pensée et de comportement et constituent une des dimensions de l’identité personnelle ou des relations de l’individu avec lui-même ou avec autrui3. Non seulement ces constructions conditionnent-elles le comportement, mais elles influent aussi sur ce qui, selon nous, présente un intérêt scientifique, et sur ce qui mérite d’être étudié et documenté par la collecte de renseignements. Les renseignements recueillis et la présentation des résultats reflètent les rôles joués par les membres du ménage et sont l’expression de ce que l’on juge important à différentes époques. Ces renseignements fournissent les données de base qui permettent de formuler les politiques sociales et de cerner la transformation de la société visée par la collecte d’information.

Les instructions destinées aux recenseurs chargés de recueillir les données lors de ces premiers recensements indiquent qui doit être interrogé, quels renseignements doivent être recueillis en priorité, et quelles réponses doivent être rejetées. Les employés du Bureau fédéral de la statistique (BFS) à Ottawa — comme s’appelait alors Statistique Canada — recodaient les renseignements consignés par les recenseurs et les préparaient en vue de leur publication. Le rôle de ces employés est moins bien documenté, mais les rapports administratifs et les catégories employées dans les publications du recensement en donnent une idée. Les instructions fournies, de même que les opérations de classification et de recodage effectuées par les recenseurs témoignent des attitudes et des normes sociales de l’époque.

Entre 2003 et 2009, dans le cadre du projet de l’Infrastructure de recherche sur le Canada au XXe siècle (IRCS), on a réuni et numérisé les données des recensements de la première moitié du XXe siècle, offrant ainsi une nouvelle perspective sur l’information recueillie de 1911 à 1951 (consulter l’encadré « Ce qu’il faut savoir au sujet de la présente étude »)4. L’examen des documents administratifs et des questionnaires des recensements et la comparaison entre les données publiées par le BFS et les données estimées à partir des échantillons de l’IRCS mettent en lumière les perceptions sociales des rôles masculins et féminins.

 

Ce qu’il faut savoir au sujet de la présente étude

Recensement

Avant 1971, les questionnaires du recensement n’étaient pas remplis par les membres du ménage comme on le fait aujourd’hui. Statistique Canada et son prédécesseur, le Bureau fédéral de la statistique (BFS), embauchaient des milliers de recenseurs qui rendaient visite à presque tous les ménages du pays. En 1951, le statisticien en chef du Canada décrivait le recenseur comme « l’homme le plus important de l’organisation », bien que les femmes formaient 40 % de l’effectif des recenseurs cette année-là. Ces recenseurs posaient des questions aux membres du ménage, remplissaient les formules et soumettaient les données aux commissaires du recensement et au personnel du BFS à Ottawa à des fins d’examen et de contrôle. Le même ensemble de questions était posé à chacun des ménages.

Infrastructure de recherche sur le Canada au XXe siècle

L’Infrastructure de recherche sur le Canada au XXe siècle (IRCS) est une initiative de cinq ans visant la création d’une base de données complète sur le Canada du début du XXe siècle, base de données qui devrait permettre d’aborder des questions de recherche dans une diversité de disciplines1. Le projet est soutenu par la Fondation canadienne pour l’innovation, les gouvernements fédéral et provinciaux, diverses universités canadiennes et Statistique Canada. Le projet qui s’appuie sur une importante équipe d’universitaires, de chercheurs et de spécialistes est lié à des initiatives internationales analogues.

Une partie importante du projet consiste à informatiser et à rajeunir les microdonnées recueillies dans le cadre des recensements décennaux du Canada de 1911 à 1951. Les données de ces recensements de l’ère préinformatique n’avaient jamais été numérisées et n’existaient que sous la forme de questionnaires du recensement sur microfilm tels qu’ils avaient été remplis par les recenseurs. Les contraintes de coûts sont telles qu’il n’a été possible de saisir qu’un échantillon (formé d’environ 5 % des formules remplies) pour chacun des recensements. Si cette saisie de données ne peut être considérée comme une nouvelle opération de collecte, il s’agit assurément d’un nouveau dépouillement. Le personnel affecté à l’entrée des données a travaillé à partir de ce qui constitue essentiellement des photos des documents originaux. Il a fallu réinventer, dans une large mesure, la structure, les règles et les décisions de codage en raison d’une mémoire organisationnelle déficiente et d’une documentation incomplète.

Le personnel de l’IRCS a effectué la saisie au clavier de toutes les réponses telles qu’elles avaient été inscrites par les recenseurs. Il s’est employé à numériser l’information textuellement ou au niveau le plus bas d’agrégation. Lorsque des corrections avaient été apportées au moment du recensement original par les commissaires ou le personnel du BFS à Ottawa, les opérateurs de saisie de l’IRCS inscrivaient la réponse initiale consignée par le recenseur. Pour certaines variables, les opérateurs enregistraient les corrections du BFS dans un second champ connexe, de sorte que les chercheurs peuvent examiner les effets de telles « corrections ».
 
Échantillon de l’IRCS

Les équipes de l’IRCS dans cinq universités du pays ont travaillé à partir des tableaux sur microfilm consignés à la main par les recenseurs de l’époque. Statistique Canada leur a donné accès aux microfilms à des conditions assurant la protection des renseignements personnels des répondants au recensement. Les centres universitaires ont fait appel à des logiciels modernes de saisie des données pour visualiser les bobines de microfilm et pour saisir les images lisibles par ordinateur. L’échantillonnage a été effectué dans la strate géographique correspondant aux sous-districts de recensement (soit les secteurs de dénombrement dans le jargon d’aujourd’hui). En fonction de certains paramètres définis par l’opérateur, le logiciel a sélectionné des logements à partir d’un point de départ aléatoire, selon un intervalle prédéterminé. L’intervalle ou fraction de sondage diffère selon la taille du logement et, dans le cas de grands logements, selon que ceux-ci abritaient plusieurs unités ou ménages, ou encore un groupe de personnes en dortoir ou en établissement institutionnel. Les logements comptant 30 occupants ou moins ont été échantillonnés au taux de 1 pour 20 en 1911, 1 pour 25 en 1921, et 1 pour 33 en 1931, 1941 et 1951. En 1911, tous les logements comptant plus de 30 occupants ont été sélectionnés. Un ménage sur 5 (1 sur 4 en 1911) pour chaque immeuble à logements multiples a été retenu et 1 occupant sur 10 a été sélectionné dans chaque logement collectif de grande taille2. L’inverse de ces fractions d’échantillonnage de même que l’information sur la taille et le genre des logements ont été utilisés pour calculer les poids.


  1. Gaffield, C. (2007). Conceptualizing and constructing the Canadian Century Research Infrastructure. Historical Methods, 40(2).
  2. Darroch, G., Smith, R. B., et Gaudreault, M. (2007). CCRI sample designs and Sample Point Identification, Data Entry, and Reporting (SPIDER) software, Historical Methods, 40(2), 65-75.

Quelle place les femmes occupaient-elles au sein du ménage et de la famille?

Au Canada, la grande majorité des femmes au début du XXe siècle vivaient dans une relation conjugale reconnue par la loi. Les unions libres étaient peu fréquentes et n’ont commencé à être recensées qu’en 1981. Selon les données réunies par l’IRCS, à chaque recensement de 1911 à 1951, près de 90 % des femmes s’étaient mariées avant l’âge de 50 ans. La plupart d’entre elles avaient élevé leurs enfants et avaient maintenu ces liens familiaux pendant la majeure partie de leur vie, les séparations et les divorces étant alors très rares. Seulement 2 275 divorces ont été prononcés au Canada entre 1881 et 19215. Selon les données établies par l’IRCS, seulement une femme sur 1 000 environ était divorcée ou séparée à chacun des recensements menés entre 1911 et 1941. En 1951, le taux de divorce ou de séparation avait atteint 4 sur 1 000. En 2006, toutefois, plus de 120 femmes âgées de 15 ans ou plus sur 1 000 étaient divorcées ou séparées.

Au début du siècle dernier, l’homme était apparemment considéré comme le chef de famille. Le recensement l’illustre bien. Les recenseurs employaient le terme « chef du ménage » lors de la collecte et de l’organisation des renseignements obtenus auprès des familles. Les autres membres du ménage étaient définis par leur relation avec le chef du ménage, et les renseignements sur le logement étaient recueillis uniquement par référence avec celui-ci. Ainsi, la propriété du logement était consignée en fonction du chef du ménage, indépendamment du propriétaire réel du logement. Les renseignements publiés sur l’emploi et la rémunération se rapportaient aussi le plus souvent au chef du ménage.

Bien qu’il n’existait pas de directive explicite à cet effet, on considérait clairement l’homme ou l’époux comme le « chef » du ménage. La place occupée par l’homme était implicite dans les instructions aux recenseurs, instructions qui sont restées à peu près inchangées tout au long de la période allant de 1911 à 1941. Conformément à ces instructions, les membres de la famille ou du ménage « doivent être inscrits dans l’ordre suivant : le chef de famille d’abord, puis son épouse, et ensuite les fils et les filles dans l’ordre de leur âge, et enfin les parents, domestiques, pensionnaires, locataires ou autres personnes vivant dans la famille ou le ménage6 ». La distinction entre le chef de ménage et l’épouse apparaît aussi dans les tableaux publiés7. La femme n’était considérée comme chef du ménage que dans les familles monoparentales ou dans les ménages comptant uniquement des femmes.

Graphique 1 D'un recensement à l'autre, la proportion de femmes chefs du ménage allait en augmentant Graphique 1  D'un recensement à l'autre, la proportion de femmes chefs du ménage allait en augmentant

Les données montrent que les hommes formaient la grande majorité des chefs de ménage. Cependant, la proportion des chefs de ménage de sexe féminin a augmenté à chaque recensement entre 1911 et 1951 (graphique 1). Cette progression peut être attribuable à l’absence des époux et des pères, particulièrement au moment de la Seconde Guerre mondiale. Selon les données numérisées par l’IRCS, les femmes n’ont été désignées « chefs de ménage » par les recenseurs que dans quelques milliers de cas lorsque le ménage comptait un conjoint de sexe masculin.

En 1951, les instructions du recensement révélaient une nouvelle réalité, produit d’une société en évolution. Pour la première fois, il y était explicitement indiqué que l’époux serait considéré comme le chef du ménage. Toutefois, aucun rapport hiérarchique ou statut social n’était sous-entendu, et les manuels du recensement indiquaient que la désignation du chef de ménage servait uniquement à des fins d’organisation des données recueillies. Selon le Manuel de dénombrement du neuvième recensement du Canada, « Aux fins du recensement, tout ménage doit avoir un chef. Dans les ménages qui comprennent l’époux et l’épouse avec ou sans enfants, l’époux sera inscrit comme étant le "chef" ».

On a continué de considérer l’époux comme le chef du ménage jusqu’à l’adoption de l’autodénombrement en 1971. En 1976, l’époux ou l’épouse pouvait être considéré comme le chef du ménage. Ce terme a été abandonné lors du Recensement de 1981.

Comment la fécondité de la femme était-elle perçue?

Au début du siècle dernier, la procréation et l’éducation des enfants constituaient les rôles principaux de la femme au sein de la famille de type patriarcal. Le Recensement de 1941 a recueilli des renseignements détaillés sur la procréation. On demandait aux femmes mariées ou qui avaient été mariées si elles avaient donné naissance à un enfant. Plus de 83 % de ces femmes âgées de 15 ans ou plus avaient donné naissance à un enfant et 1 sur 5 avait donné naissance à six enfants ou plus. Si, de nos jours, à peu près la même proportion de femmes en couple ont des enfants, très peu d’entre elles donnent naissance à six enfants ou plus (moins de 3 % de ces femmes en 20068).

L’un des changements de taille se rapporte à l’attitude à l’égard de la procréation chez les femmes seules. Par exemple, en 2006, près de 12 % des femmes célibataires de 15 ans ou plus (excluant les femmes en union libre) avaient donné naissance à au moins un enfant. Parce que la procréation hors du mariage était peu fréquente, cette question n’était pas posée aux femmes célibataires en 1941. Il se peut que les stigmates sociaux associés à la procréation hors des liens du mariage étaient si importants qu’ils empêchaient les recenseurs de poser cette question. Il n’en reste pas moins que les naissances hors mariage étaient une réalité. Selon les données réunies aux fins de l’IRCS, quelque 6 000 naissances hors mariage ont été consignées, mais non publiées, en 1941.

Les antécédents ethniques de la mère étaient-ils reconnus?

Bien que les femmes portaient et élevaient les enfants, l’ascendance des enfants était établie en fonction du père. L’appartenance ancestrale de la mère n’était pas prise en compte dans la classification de l’ascendance de l’enfant. Ce n’est qu’en 1981 que l’on a commencé à consigner l’ascendance des deux parents.

Les instructions aux recenseurs pour la collecte des données sur l’ascendance lors du Recensement de 1931 représentent bien l’esprit de l’époque : « Un individu dont le père est Anglais et la mère Française doit être inscrit comme d’origine anglaise, tandis qu’un autre dont le père est Français et la mère Anglaise doit être inscrit comme d’origine française et il en est de même pour toutes les autres combinaisons … ». Ces instructions s’appliquaient à la majorité des répondants ayant des origines européennes ou « blanches ». Les Autochtones et les membres de minorités visibles étaient traités autrement9.

La logique de l’attribution de l’ascendance par la lignée paternelle suppose apparemment des origines uniques pour chaque personne. De fait, les instructions données aux recenseurs ne permettaient pas la consignation d’origines multiples. Le Bureau fédéral de la statistique (BFS) n’a publié, entre 1911 et 1951, aucun chiffre sur les personnes faisant état de plus d’une origine. Cependant, les données réunies par l’IRCS montrent clairement que les recenseurs consignaient parfois des ascendances multiples. Les données indiquent une augmentation graduelle des ascendances multiples, celles-ci passant d’environ 1 répondant sur 300 en 1921 et en 1931, à environ 1 sur 200 en 1941, et à plus de 1 sur 150 en 1951. À partir du Recensement de 1981, les Canadiens pouvaient inscrire autant d’origines ethniques qu’ils le jugeaient nécessaire et pouvaient dès lors faire état de leur ascendance maternelle.

Comment la citoyenneté des femmes était-elle traitée?

Les femmes ne jouissaient pas des droits de citoyenneté de façon pleine et entière au début du XXe siècle au Canada. Ainsi, elles n’ont obtenu le droit de vote aux élections fédérales qu’en 1920. En vertu du droit canadien, la femme, avant 1932, prenait la nationalité de son mari au moment du mariage. Une femme née au Canada ou naturalisée qui épousait un « étranger »10 perdait sa nationalité canadienne. Les femmes renonçaient juridiquement à leur droit de vote et au passeport canadien lorsqu’elles épousaient un étranger, sauf un sujet britannique, ou si leur mari devenait un étranger au cours du mariage. À l’inverse, une femme de nationalité étrangère obtenait la citoyenneté canadienne lorsqu’elle épousait un Canadien11. En 1921 et en 1931, on pouvait lire dans les instructions destinées aux recenseurs : « Une femme mariée doit être inscrite de la même citoyenneté que son mari. »

Les citoyens, indépendamment de leur sexe, pouvaient perdre leur citoyenneté pour diverses raisons, notamment en y renonçant ou en prêtant allégeance à un autre pays. Il n’est pas possible de déterminer, à partir des données du recensement, combien de personnes nées au Canada ont perdu leurs droits. Néanmoins, selon les données des recensements de 1921 à 1941 réunies par l’IRCS, le nombre de femmes nées au Canada ou en Grande-Bretagne et vivant au Canada sans citoyenneté dépassait largement celui de leurs homologues de sexe masculin (graphique 2). La perte du statut de citoyen en raison d’un mariage à un étranger, hormis un sujet britannique, reste l’explication la plus vraisemblable de cet écart entre les sexes.

Graphique 2 Les femmes nées au Canada sont plus susceptibles de ne pas avoir la citoyenneté canadienneGraphique 2  Les femmes nées au Canada sont plus susceptibles de ne pas avoir la citoyenneté canadienne

Entre 1932 et 1947, la citoyenneté de la femme mariée dépendait de la loi sur la nationalité du pays d’allégeance de son mari. Si elle obtenait, en droit, la citoyenneté de celui-ci, elle perdait sa citoyenneté canadienne et, dans les autres cas, elle la conservait. La Loi sur la citoyenneté de 1947 a éliminé une grande partie de la discrimination fondée sur le sexe au regard de la citoyenneté, et les pratiques de collecte des données du recensement ont rapidement emboîté le pas. En 1951, l’écart entre le nombre d’hommes et le nombre de femmes nés au Canada et n’ayant pas la citoyenneté canadienne était beaucoup moindre (graphique 2).

Le travail des femmes était-il reconnu?

Le domaine qui présente le plus d’intérêt pour ce qui est de l’évolution des conventions sociales au cours du XXe siècle est peut-être celui du travail rémunéré, de la profession et du revenu des femmes. Au début du XXe siècle, la plupart des femmes ne faisaient pas partie de la population active rémunérée. En 1931, par exemple, seulement 16 % des femmes occupaient un emploi rémunéré comparativement à près de 70 % des hommes. En 2006, par contre, le taux d’emploi des femmes atteignait presque 60 %. On continue d’observer des différences entre les hommes et les femmes au chapitre de l’emploi. Ainsi, les obstacles que les femmes doivent surmonter sur le marché du travail et les disparités salariales entre les sexes sont bien documentés12 et ont donné lieu à l’adoption de lois et de règlements fédéraux et provinciaux sur l’équité en matière d’emploi.

Si les travaux ménagers ou familiaux non rémunérés étaient importants, les gouvernements et les entreprises au début du XXe siècle s’intéressaient davantage à l’activité sur le marché du travail13. Avant le Recensement de 1931, les femmes travaillant à la maison étaient considérées comme des femmes sans profession. Par exemple, on pouvait lire ce qui suit dans le manuel de dénombrement de 1921 sous la rubrique des professions : « Dans le cas d’une femme qui fait les travaux de ménage de sa propre maison, sans gages ni salaire et qui n’a pas d’autre emploi, l’entrée sera "aucun". » Bien que le Bureau fédéral de la statistique ne publiait pas cette information, les recenseurs consignaient souvent la réponse « ménagère » ou « femme au foyer » dans de telles situations. À partir de 1931, le manuel de dénombrement exigeait l’emploi du terme « maîtresse du foyer » pour les femmes travaillant à la maison. Le personnel de l’IRCS a enregistré la réponse « maîtresse du foyer/maître du foyer » pour quelque 2,45 millions de femmes et 12 600 d’hommes lors du nouveau dépouillement des données du Recensement de 1941 à partir des formules originales. Les chiffres se rapportant aux hommes n’ont pas été publiés par le BFS.

Il subsiste peu de documents officiels sur les structures de codage employées par ceux qui dépouillaient et totalisaient les données du recensement au début du siècle dernier. Le personnel de l’IRCS a codé de nouveau les professions à partir de l’information initialement consignée par les recenseurs. Il va sans dire que les emplois et les catégories professionnelles ont changé durant les cinquante dernières années et que la classification des professions utilisée par l’IRCS diffère de celle employée à l’origine par le BFS.

Par exemple, les codeurs de l’IRCS indiquent un nombre de femmes occupant un emploi rémunéré nettement supérieur aux chiffres initiaux du recensement publiés par le BFS. En effet, les données du Recensement de 1941 dépouillées de nouveau par l’IRCS font état de trois fois plus de travailleurs familiaux non rémunérés que ne le font les comptes publiés de l’époque (données non présentées). Il semble que les codeurs d’aujourd’hui soient plus enclins que les codeurs initiaux à décrire certaines ménagères et les femmes vivant dans une ferme comme des « travailleuses familiales non rémunérées ». Aux fins du recensement, le terme « travailleur familial non rémunéré » s’applique uniquement aux personnes qui font, au sein d’une entreprise, un travail pour lequel un des membres de la famille reçoit une rémunération. Bien que le recensement recueille maintenant de l’information sur les soins prodigués aux personnes âgées et aux enfants et sur d’autres travaux effectués à la maison, les personnes au foyer ne sont toujours pas considérées comme étant sur le marché du travail.

Les femmes qui occupaient des emplois normalement réservés aux hommes peuvent avoir été omises dans les premiers recensements. Les recenseurs avaient la consigne explicite de traiter avec scepticisme toute déclaration d’une profession inhabituelle déclarée pour une femme. De tels cas devaient faire l’objet d’une vérification et d’une correction. Le manuel de dénombrement de 1931, par exemple, prescrivait ce qui suit aux recenseurs : « Il y a un grand nombre d'occupations, telles que celles de charpentier et forgeron, que les femmes ne suivent pas généralement. En conséquence, si vous êtes informé qu'une femme suit une telle occupation qui n'est pas ordinaire à son sexe vous devez vérifier la chose ».

Des consignes analogues figurent dans les manuels de 1921 et de 1941. Selon les données sur les professions publiées par le BFS après chaque recensement de 1911 à 1951, il n’y avait aucune femme dans de telles professions. En revanche, les données codées par l’IRCS semblent indiquer que, même après avoir effectué des vérifications rigoureuses, les recenseurs avaient dénombré des centaines de femmes travaillant comme charpentières et forgeronnes. Ces réponses semblent avoir été codées de nouveau par le personnel du bureau central lors de la préparation des totalisations officielles.

Relativement peu de femmes occupaient traditionnellement des emplois dans les métiers, et ce phénomène est encore observé de nos jours. Ainsi, même en 2005, les femmes ne représentaient que 3 % des effectifs des programmes d’apprentissage des métiers de la construction14. Le recensement moderne n’établit plus de distinction entre les femmes et les hommes lorsque sont recueillies les données sur la profession et, lorsque le nombre le justifie, ces données sont publiées.

Les données sur la rémunération des femmes n’ont pas toujours été publiées. Les rapports des recensements du début du XXe siècle présentaient essentiellement la rémunération des chefs de ménage. Après le Recensement de 1921, par exemple, de nombreux tableaux sur la rémunération ont été produits uniquement pour les chefs de ménage de sexe masculin. Les données complètes ont toutefois été consignées par les recenseurs et peuvent être totalisées à partir de l’échantillon de l’IRCS.

Graphique 3 Au début du siècle dernier, la rémunération des femmes atteignait un peu plus de la moitié de celle des hommesGraphique 3  Au début du siècle dernier, la rémunération des femmes atteignait un peu plus de la moitié de celle des hommes

Lorsque les données sur la rémunération des femmes ont été publiées par le BFS, elles correspondent à celles obtenues par l’IRCS. Pour les années de recensement à l’étude, une travailleuse touchait, en moyenne, cinquante cents pour chaque dollar que gagnait un travailleur15. Cet écart ne s’est pas considérablement modifié entre 1921 et 1941. La persistance des disparités salariales entre les hommes et les femmes a fait l’objet de nombreuses analyses et publications de Statistique Canada au cours des dernières décennies16.

Résumé

Le rôle principal de la plupart des femmes adultes durant la première moitié du XXe siècle était de s’occuper de la famille et du foyer. Les hommes travaillaient plus souvent hors du foyer contre rémunération et assumaient le rôle de chef du ménage. La collecte des données du recensement était conçue en fonction de cette réalité sociale. Les époux étaient considérés comme les chefs du ménage aux fins du recensement, et les autres membres du ménage étaient définis par leur relation avec le chef de sexe masculin.

Conformément aux règles de l’époque, l’ascendance ou l’ethnicité était consignée dans le recensement selon la lignée paternelle. Les enfants se voyaient donc attribuer les antécédents culturels du père. Jusqu’en 1947, la citoyenneté de la femme était liée à celle de son mari, tant sur le plan juridique qu’aux fins du recensement.

Les femmes travaillant à la maison n’étaient pas considérées comme « occupant un emploi rémunéré ». Avant 1931, elles étaient considérées comme sans profession. En outre, les femmes dans certaines professions non traditionnelles ou « peu usuelles » n’étaient pas comptabilisées dans les publications du recensement.

La collecte des données du recensement s’attachait au travail rémunéré et, dans certains cas, les renseignements sur la rémunération n’étaient publiés que pour les chefs de ménage. Les données réunies par l’IRCS révèlent des écarts importants entre la rémunération hebdomadaire moyenne des femmes et celle des hommes sur le marché du travail pour les années de recensement à l’étude. En moyenne, les femmes sur le marché du travail touchaient à peu près la moitié du salaire des hommes en 1921, 1931 et 1941. Fait intéressant, bien que l’écart salarial se soit resserré, la rémunération hebdomadaire moyenne des femmes en 2008 restait inférieure à celle des hommes — ce qui montre la persistance des différences entre les sexes au chapitre de l’expérience du marché du travail.

Les recensements étaient planifiés et réalisés dans un contexte historique et social. Les attentes des recenseurs coloraient l’information qu’ils cherchaient à obtenir et les résultats qu’ils obtenaient. Les données recueillies et publiées avaient tendance à refléter et à renforcer les normes de l’époque. Les données initiales et rajeunies, la documentation et les manuels d’instructions des recensements du début du XXe siècle permettent aux chercheurs d’examiner l’évolution et la transformation des rôles masculins et féminins au rythme des changements survenant dans la société.

Derrick Thomas est analyste principal à la Division de la statistique sociale et autochtone de Statistique Canada.


  1. Bakker, I. (Publié sous la direction de). (1996). Rethinking Restructuring: Gender and Change in Canada. Toronto: University of Toronto Press.
  2. Berger, P. L., et Luckman, T. (1966). The Social Construction of Reality: A Treatise in the Sociology of Knowledge. Garden City: Doubleday & Co.
  3. Foucault, M. (1984). Histoire de la sexualité, tome II, L’usage des plaisirs. Gallimard.
  4. Les données du Recensement de 1961 sont informatisées, mais ne sont pas accessibles en raison de changements technologiques et autres. Ces données sont aussi en cours de rajeunissement, mais elles ne sont pas encore disponibles.
  5. Bureau fédéral de la statistique. (1925). Population, âge, état matrimonial, lieu de naissance, immigration, citoyenneté, langue, instruction, fréquentation scolaire, cécité et surdité-mutité. Ottawa : Bureau fédéral de la statistique. Sixième recensement du Canada, 1921, volume II.
  6. Bureau du recensement. (1911). Instructions à l’intention des fonctionnaires, commissaires et recenseurs. Ottawa : Bureau du recensement. Cinquième recensement du Canada, 1911.
  7. Bureau fédéral de la statistique. (1927). Population, habitations, familles, état civil des chefs de famille, enfants, orphelinage, travailleurs. Ottawa : Bureau fédéral de la statistique. Sixième recensement du Canada, 1921, volume III.
  8. Totalisation spéciale tirée de l’Enquête sociale générale, cycle 20. Les données n’ont pas été corrigées pour tenir compte des effets attribuables à l’âge.
  9. L’histoire de la question du recensement portant sur les origines ou l’ascendance est aussi complexe et riche que celle du sexe dans sa dimension sociale. Cette question, elle aussi, illustre l’évolution des attitudes sociales durant cette période. Les premiers recensements s’attachaient aux « origines raciales ou tribales ». Ces termes ont été abandonnés après la Seconde Guerre mondiale. En 1951, une question posée à la même place et comportant à peu près les mêmes termes se limitait aux « origines ». Avant 1951, les personnes ayant des origines mixtes — blanches et d’une autre ascendance visible — se voyaient attribuer les origines du parent ayant l’ascendance visible, indépendamment du sexe de celui-ci. Les enfants ayant un parent blanc et un parent autochtone se voyaient attribuer l’ascendance de la mère.
  10. Étaient exclus de la catégorie des étrangers, les sujets britanniques nés au Royaume-Uni ou ailleurs dans l’Empire britannique.
  11. Loi sur les ressortissants canadiens de 1921. Une loi  ayant pour objet de définir l'expression « ressortissants du Canada » et de statuer sur la renonciation à la nationalité canadienne. Chapitre 21. Lois révisées du Canada (1927). Voir aussi les Lois sur l’immigration de 1910 et de 1927.
  12. Par exemple, Statistique Canada. (2005). Femmes au Canada : rapport statistique fondé sur le sexe, 5e édition. No 89-503-XPF au catalogue. Ottawa : Statistique Canada.
  13. Statistique Canada. (1995). Travail non rémunéré des ménages : mesure et évaluation. No 13-603F au catalogue. Ottawa : Statistique Canada. Études de comptabilité nationale, n3.
  14. Statistique Canada. (2007, 15 novembre). Programmes de formation des apprentis inscrits. Le Quotidien. Site consulté le 22 février 2010 à /daily-quotidien/071115/dq071115b-fra.htm
    Watt-Malcolm, B., et Young, B. (2003). Canadian women in the industrial trades: a historical perspective. Dans les actes de la conférence The Changing Fact of Work and Learning, septembre, Edmonton, Alberta. Consulté le 11 février 2010 à http://wln.ualberta.ca/papers/pdf/47.pdf.
  15. Ces moyennes globales ne tiennent pas compte de l’expérience, du niveau de scolarité, des heures travaillées et de la profession.
  16. Statistique Canada. (2005). Femmes au Canada : rapport statistique fondé sur le sexe, 5e édition. No 89-503-XPF au catalogue. Ottawa : Statistique Canada.