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Travailler dans une langue non officielle : incidence sur les professions et les gains des immigrants au Canada

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par Derrick Thomas

L’activité sur le marché du travail et l’emploi diffèrent selon la langue utilisée au travail
Les immigrants qui utilisent des langues autres que l’anglais ou le français sont plus concentrés dans des professions moins spécialisées
Vingt branches d’activité emploient plus de 40 % des immigrants qui travaillent dans une langue non officielle
Le travail autonome est plus courant chez les immigrants qui utilisent une langue non officielle au travail que chez ceux qui utilisent seulement les langues officielles
Les gains baissent avec l’augmentation de la fréquence d’utilisation des langues non officielles au travail
Résumé
Ce qu’il faut savoir au sujet de la présente étude

Il est généralement reconnu que la langue joue un rôle important dans l’intégration des immigrants, que ce soit sur le marché du travail ou en général1. Ces derniers doivent souvent s’adapter à des sociétés dont la culture et la langue sont différentes de celles qu’ils ont connues.

La langue de la population majoritaire dans les régions où les migrants s’établissent est généralement celle des marchés et de la plupart des milieux de travail. En outre, le Canada est doté d’une législation en matière de langues officielles. Diverses lois fédérales et provinciales comportent des dispositions régissant l’utilisation de la langue. Elles prévoient, par exemple, que les personnes recevront des services gouvernementaux dans la langue officielle de leur choix, que l’enseignement financé par l’État sera disponible dans une langue officielle ou que les langues officielles sont la ou les langues de travail dans une région ou un établissement donné.

Aux fins du présent article, « langues officielles » s’entend de l’anglais et du français2. L’expression « langue non officielle » s’entend d’une langue autre que l’anglais ou le français.

De nombreux chercheurs au Canada se sont appuyés sur les données du recensement pour examiner l’incidence de la connaissance des langues officielles sur l’intégration économique des immigrants3. Jusqu’en 2001, le recensement fournissait des données seulement sur la capacité autodéclarée de mener une conversation dans l’une des langues officielles. Cependant, la compétence linguistique est une question plus complexe qu’il n’y paraît.

Il y a divers niveaux de connaissance de la langue, allant du niveau de base essentiel pour pouvoir fonctionner à la capacité de parler couramment. En outre, on peut faire la distinction entre la capacité de comprendre, de parler, de lire et d’écrire. Le niveau de littératie dans les langues officielles est plus faible chez les immigrants, même lorsqu’il est fait abstraction de ceux qui ne parlent pas l’anglais ou le français4. Le fait d’avoir un accent peut également avoir une incidence5. Les immigrants peuvent fort bien être désavantagés pendant un certain temps même après qu’ils aient déclaré pouvoir soutenir une conversation dans la langue du marché du travail dominant.

Il existe maintenant une autre mesure qui peut s’ajouter aux données sur la capacité autoévaluée de soutenir une conversation en anglais ou en français. Depuis 2001, le Recensement du Canada6 comprend également des questions au sujet de la langue de travail (voir « Ce qu’il faut savoir au sujet de la présente étude »). Nous examinons, ici, l’utilité de cette nouvelle mesure comme prédicteur de l’adaptation des immigrants sur le plan économique, comparativement à la connaissance autodéclarée seulement ou à la combinaison des deux. Dans une certaine mesure, la langue au travail reflète l’évaluation du marché du travail de la compétence et du niveau de littératie des travailleurs dans la langue officielle. Ce faisant, elle nous permet de mieux expliquer l’emploi, la profession et les gains.

Les immigrants représentent une part croissante de la population ainsi que de la population active du Canada. Selon le Recensement de 2006, la population active expérimentée comptait plus de 3,8 millions d’immigrants7, ce qui représente une augmentation d’environ un demi‑million par rapport à 2001. L’utilisation des langues non officielles augmente dans les milieux de travail et les marchés au Canada. Le nombre d’immigrants travaillant au Canada dans une langue non officielle est passé de 538 000 en 2001 à 611 400 en 2006. Il s’agit d’une augmentation de 73 400 personnes ou de près de 14 %.

Le présent article porte sur plusieurs questions. Entre autres, dans quelle mesure les immigrants qui travaillent dans une langue non officielle le font à cause de l’avantage que leur procure l’accès à plus de marchés. Certains immigrants peuvent aussi travailler dans une langue non officielle parce que leur faible connaissance des langues officielles limite leurs choix et les cantonnent dans des emplois moins valorisants. Le travail dans un segment du marché délimité par la langue (enclave8,9) pourrait être un important point de départ permettant à certains immigrants de gagner leur vie pendant qu’ils s’adaptent à la vie au Canada. Le présent article examinera ces questions en s’appuyant sur les données du Recensement de 2006 sur la langue de travail. Il porte plus particulièrement sur les immigrants faisant partie de la population active expérimentée.

L’activité sur le marché du travail et l’emploi diffèrent selon la langue utilisée au travail

Les immigrants qui ne peuvent soutenir une conversation en anglais ou en français sont plus susceptibles d’être en chômage ou inactifs. Les questions sur la langue de travail dans le Recensement de 2006 n’ont pas été posées à ceux qui n’occupaient pas un emploi en 2005 ou en 2006, de sorte qu’ils sont exclus de la présente analyse. Les taux de chômage et d’activité peuvent être calculés pour ceux qui ont occupé un emploi à un moment donné. Toutefois, ces taux sous‑estiment l’inactivité et le chômage chez les personnes incapables de soutenir une conversation dans l’une des langues officielles.

Malgré cela, les taux d’inactivité et de chômage sont plus élevés chez les immigrants qui ont déclaré utiliser une langue autre que l’anglais ou le français au travail à un moment donné entre le 1er janvier 2005 et le 16 mai 2006. Comparativement à ceux qui n’utilisaient pas une langue non officielle, les taux sont particulièrement élevés chez ceux qui utilisaient une langue officielle exclusivement, suivis de ceux qui en utilisaient une la plupart du temps. Les taux étaient légèrement plus faibles, toutefois, chez ceux qui utilisaient une langue officielle la plupart du temps, mais qui utilisaient aussi régulièrement une langue non officielle (tableau 1).

Tableau 1 Taux d'inactivité et de chômage des immigrants durant la semaine de référence du recensement, selon la fréquence à laquelle ils ont utilisé une langue non officielle dans un quelconque emploi dans les 16 mois précédents

Tableau 1
Taux d'inactivité et de chômage des immigrants durant la semaine de référence du recensement, selon la fréquence à laquelle ils ont utilisé une langue non officielle dans un quelconque emploi dans les 16 mois précédents

Un profil semblable s’observe en ce qui a trait au travail à temps partiel. Les emplois à temps partiel sont plus courants chez ceux qui utilisent « seulement » une langue non officielle au travail. Ils sont moins courants, toutefois, chez ceux qui en utilisent une de concert avec une langue officielle. Il faut en conclure qu’utiliser une langue non officielle peut ouvrir des portes lorsqu’on y ajoute une certaine connaissance des langues officielles.

Les immigrants qui utilisent des langues autres que l’anglais ou le français sont plus concentrés dans des professions moins spécialisées

Les immigrants qui utilisent des langues autres que l’anglais ou le français au travail occupent souvent des emplois qui exigent peu de formation et qui sont généralement moins bien rémunérés10. Le graphique 1 illustre les 20 principales professions réunissant la plus forte proportion d’immigrants qui utilisent une langue non officielle au travail. Aux fins de comparaison, il montre également la proportion d’immigrants qui n’utilisent pas régulièrement une langue non officielle dans ces mêmes professions.

Graphique 1 Répartition professionnelle des travailleurs immigrants selon leur langue au travail

Graphique 1
Répartition professionnelle des travailleurs immigrants selon leur langue au travail

Les immigrants qui utilisent une langue non officielle au travail comprennent un nombre relativement plus élevé de cuisiniers, de travailleurs dans les restaurants, préposés à l’entretien, opérateurs de machines à coudre, ouvriers et travailleurs en garderie. Toutefois, ils comprennent également plus de « directeurs — commerce de détail », de « directeurs du marketing » et de « représentants de commerce ». Le plus souvent, dans ces professions de gestion, les immigrants utilisaient à la fois une langue officielle et une langue non officielle. Toutefois, chez ceux employant une langue non officielle au travail, la proportion occupant de tels emplois diminuait en fonction de l'utilisation croissante de la langue non officielle au travail. Cette proportion était la plus élevée chez ceux qui utilisaient une langue officielle la plupart du temps (5,2 %), suivis de ceux qui utilisaient une langue non officielle la plupart du temps (5 %) et elle était la plus faible chez ceux qui utilisaient seulement une langue non officielle (2,9 %).

En outre, les immigrants qui travaillent dans une langue autre que l’anglais ou le français sont concentrés dans un plus petit nombre de professions. Environ 36 % se retrouvent dans les 20 emplois énumérés au graphique 1. En revanche, les 20 professions principales des travailleurs immigrants qui n’utilisent pas une langue non officielle reflètent des professions plus spécialisées et comptent seulement 31 % de ces travailleurs.

La concentration est la plus élevée (53 %) chez ceux qui utilisent régulièrement « seulement » une langue non officielle. Le quart de ce groupe se retrouve dans cinq professions seulement, à savoir, cuisiniers, opérateurs de machines à coudre, serveurs au comptoir et aides de cuisine, gardiens et gouvernantes d’enfants et préposés à l’entretien. En outre, les directeurs du marketing et les représentants de commerce ne figurent pas sur la liste des professions les plus importantes pour les immigrants qui utilisent seulement une langue non officielle.

Vingt branches d’activité emploient plus de 40 % des immigrants qui travaillent dans une langue non officielle

Chez les immigrants qui utilisent une langue non officielle au travail, la concentration selon la branche d’activité est plus évidente que celle selon la profession (graphique 2). La situation y est toutefois fort semblable.

Graphique 2 Répartition des travailleurs immigrants selon la branche d'activité et la langue au travail

Graphique 2
Répartition des travailleurs immigrants selon la branche d'activité et la langue au travail

Une forte proportion d’immigrants qui travaillent dans une langue non officielle sont employés dans les restaurants, suivis des exploitations agricoles, de la construction résidentielle, des services relatifs aux immeubles, de la confection de vêtements et des magasins d’alimentation. Les 20 branches d’activité principales attirent plus de 40 % de ces travailleurs. Plus de 10 % travaillent dans des restaurants à service complet et des établissements de restauration à service restreint.

Même si les cuisiniers, les opérateurs de machines à coudre et les concierges n’ont pas besoin de grandes compétences en communications, un certain nombre de branches d’activité dans lesquelles travaillent de nombreuses personnes qui utilisent une langue non officielle et d’emplois occupés par elles semblent exiger de telles compétences. Une bonne ou une excellente capacité de communication peut être exigée des vendeurs et des directeurs des ventes dans le commerce de gros et de détail, des travailleurs et des directeurs en publicité et en marketing ainsi que des agents immobiliers. Ces personnes peuvent occuper leur emploi précisément parce qu’elles parlent une langue non officielle et donc peuvent atteindre des consommateurs immigrants dont le nombre s’accroît. Toutefois, relativement peu d’immigrants employés dans les domaines des ventes, du marketing ou de l’immobilier parlent une langue non officielle mais ne parlent ni l’anglais, ni le français. Ils peuvent utiliser une autre langue assez régulièrement, mais ils doivent aussi utiliser l’une des langues officielles.

À mesure que se prolonge la durée de leur séjour au Canada, les immigrants semblent être moins concentrés dans les branches d’activité typiques des nouveaux arrivants qui travaillent dans des langues non officielles (graphique 3). Cela est particulièrement vrai dans le cas de ceux qui n’utilisent aucune autre langue que l’anglais ou le français au travail. Pour les immigrants dans ce cas, le nombre de branches d’activité et d’emplois possibles peut s’élargir au fur et à mesure qu’ils améliorent leurs compétences en langues officielles.

Graphique 3 Concentration des travailleurs immigrants dans les branches d'activité, selon la langue qu'ils utilisent au travail et le temps passé au Canada

Graphique 3
Concentration des travailleurs immigrants dans les branches d'activité, selon la langue qu'ils utilisent au travail et le temps passé au Canada

Le travail autonome est plus courant chez les immigrants qui utilisent une langue non officielle au travail que chez ceux qui utilisent seulement les langues officielles

La proportion de travailleurs autonomes est plus élevée parmi les immigrants qui utilisent des langues non officielles au travail que chez ceux qui n’en utilisent pas. En général, environ 14 % des travailleurs immigrants sont des travailleurs autonomes. Le taux grimpe à 21 % chez ceux qui utilisent une langue non officielle au travail. Il est le plus élevé (23 %) chez ceux qui utilisent une langue non officielle la plupart du temps et de 22 % chez ceux qui l’utilisent régulièrement. Il est de 15 % chez ceux qui utilisent seulement une langue non officielle et de 12,5 % chez ceux qui n’utilisent pas régulièrement une langue autre que l’anglais ou le français.

La proportion de travailleurs immigrants qui sont des travailleurs autonomes et qui emploient d’autres personnes est environ deux fois plus grande chez ceux qui utilisent une langue non officielle que de ceux qui n’utilisent pas une langue non officielle (10,8 % contre 5,4 %). Le taux est inférieur à 8 % pour ceux qui utilisent « seulement » une langue non officielle.

Certains immigrants peuvent lancer leur propre entreprise pour servir leur collectivité dans leur propre langue11,12. Ces entreprises peuvent également créer des emplois dans ces collectivités. Les travailleurs autonomes sont mieux en mesure d’exercer un contrôle sur la langue qu’ils utilisent au lieu de travail. Toutefois, lancer une entreprise peut être plus facile pour ceux qui ont une certaine connaissance de l’anglais et du français et qui utilisent ces langues une partie du temps.

Les gains baissent avec l’augmentation de la fréquence d’utilisation des langues non officielles au travail

Les immigrants qui utilisaient une langue non officielle au travail étaient près de deux fois plus susceptibles de vivre dans un ménage à faible revenu13,14 que ceux qui n’utilisaient pas une langue non officielle au travail (une proportion de 22 % contre 12 %). En 2006, près de 30 % de ceux qui n’utilisaient pas régulièrement l’anglais ou le français au travail vivaient dans des ménages à faible revenu.

En 2005, les gains des immigrants qui utilisaient régulièrement une langue autre que l’anglais ou le français au travail15 étaient en moyenne de 11 000 $ inférieurs à ceux des immigrants qui n’utilisaient pas régulièrement une langue autre que l’anglais ou le français au travail. Ceux qui utilisaient seulement des langues non officielles au travail gagnaient moins de la moitié de ce que gagnaient ceux qui n’utilisaient pas régulièrement une langue non officielle.

Même lorsque le capital humain et les caractéristiques des travailleurs sont maintenus constants (niveau de scolarité, pays d’études, connaissance des langues officielles, nombre d’années passées au Canada, état matrimonial, âge et sexe), une différence persiste entre ceux qui utilisent des langues non officielles au travail et ceux qui n’en utilisent pas (voir le tableau A.1). Lorsque ces facteurs sont pris en compte, toutefois, la langue utilisée au travail semble être un prédicteur des gains au moins aussi puissant que la connaissance des langues officielles16 (voir « Ce qu’il faut savoir au sujet de la présente étude » pour une description du modèle utilisé; les coefficients de régression sont présentés au tableau A.1).

Dans le graphique 4, on compare les revenus d’emploi en 2005 selon l’âge des travailleurs immigrants qui : 1) n’utilisent pas une langue non officielle au travail; 2) utilisent des langues non officielles régulièrement mais utilisent plus souvent l’anglais ou le français; 3) utilisent des langues non officielles la plupart du temps; et 4) les utilisent presque exclusivement. D’autres facteurs sont maintenus constants. Le graphique porte sur les hommes mariés titulaires d’un diplôme universitaire obtenu à l’extérieur du Canada, des États‑Unis ou de l’Europe qui parlent l’une des langues officielles. Cette comparaison est limitée aux immigrants qui sont arrivés avant 2005 et qui ont travaillé et gagné un revenu d’emploi en 2005. L’effet important qu’on observe pour l’âge est lié aux immigrants arrivés à un âge plus avancé et n’ayant pas de compétences en langues officielles17.

Graphique 4 Gains prédits pour un immigrant marié établi au Canada depuis cinq ans et ayant obtenu un titre universitaire ailleurs qu'au Canada, aux États-Unis ou en Europe, selon l'utilisation d'une langue non officielle au travail

Graphique 4
Gains prédits pour un immigrant marié établi au Canada depuis cinq ans et ayant obtenu un titre universitaire ailleurs qu'au Canada, aux États-Unis ou en Europe, selon l'utilisation d'une langue non officielle au travail

Comme le montre le graphique 4 , les gains diminuent à mesure que les langues non officielles sont utilisées plus souvent au travail18. Cela laisse supposer que de nombreux immigrants qui travaillent dans des langues autres que l’anglais ou le français sont cantonnés dans un certain nombre limité de professions et de branches d’activité où ils sont moins bien rémunérés. Les gains annuels augmentent avec le temps, mais un écart persiste entre ceux qui utilisent et ceux qui n’utilisent pas une langue officielle au travail (tableau A.1).

Il semble également que de nombreux travailleurs qui parlent des langues non officielles au travail ne puissent utiliser pleinement toutes leurs autres compétences. Par exemple, lorsque le capital humain et les caractéristiques des travailleurs sont maintenus constants (comme ci‑dessus), le gain salarial (valeur plus élevée ou paiement supplémentaire) d’un travailleur de 43 ans titulaire d’un diplôme universitaire comparativement à son homologue non titulaire d’un tel diplôme est de plus de 14 250 $, à la condition qu’il travaille dans l’une des langues officielles. Si le travailleur utilise régulièrement une autre langue, le gain salarial est seulement d’environ 5 800 $ (voir les détails au tableau A.2).

Tableau A.1 Modèles prédisant le logarithme des gains annuels provenant d'un emploi en 2005 chez les immigrants arrivés au pays avant le 1er janvier 2005

Tableau A.1
Modèles prédisant le logarithme des gains annuels provenant d'un emploi en 2005 chez les immigrants arrivés au pays avant le 1er janvier 2005

Table A.2 Modèle prédisant le logarithme des gains annuels provenant d'un emploi en 2005 chez les immigrants arrivés au pays avant le 1er janvier 2005 et montrant l'interaction entre la langue au travail et le niveau de scolarité

Tableau A.2
Modèle prédisant le logarithme des gains annuels provenant d'un emploi en 2005 chez les immigrants arrivés au pays avant le 1er janvier 2005 et montrant l'interaction entre la langue au travail et le niveau de scolarité

Même si travailler dans une langue autre que l’anglais ou le français semble avoir des répercussions négatives sur les gains des travailleurs immigrants, les collectivités ou les marchés délimités par la langue peuvent fort bien offrir des possibilités à ceux qui ont des compétences linguistiques limitées. Les emplois dans leur langue maternelle peuvent permettre aux immigrants de gagner leur vie pendant qu’ils apprennent une langue officielle et adaptent leurs compétences au marché canadien.

Résumé

Même lorsque d’autres caractéristiques comme la connaissance de l’anglais ou du français, le niveau de scolarité et l’âge sont maintenues égales, il semble que la plupart des immigrants qui travaillent dans des langues non officielles soient désavantagés par rapport aux autres travailleurs. Leurs taux de chômage sont plus élevés, leurs professions requièrent généralement moins de formation et ils font plus souvent partie des ménages à faible revenu. En outre, ils ont moins de possibilités de faire valoir leurs titres scolaires et d’utiliser leurs autres compétences (voir l’effet d’interaction au tableau A.2).

L’emploi dans des professions relativement peu spécialisées et sur des marchés délimités par la langue se traduit par des possibilités plus limitées pour la plupart des travailleurs immigrants. Il importe de souligner toutefois que, dans de nombreux cas, ces professions et marchés semblent offrir un milieu protégé dans lequel les nouveaux arrivants peuvent gagner leur vie pendant qu’ils apprennent les langues officielles et s’adaptent aux exigences particulières des marchés canadiens.

Certains travailleurs continuent d’utiliser les langues minoritaires dans leur travail pendant un certain temps, mais quelques-uns d’entre eux utilisent également l’une des langues officielles. Les communautés linguistiques en situation minoritaire peuvent également offrir des possibilités d’emploi aux professionnels, travailleurs autonomes et hommes d’affaires immigrants sous forme de marchés et d’une main‑d’œuvre qui ne sont peut‑être pas accessibles à l’ensemble du milieu des affaires.

Ce qu’il faut savoir au sujet de la présente étude

Le présent article est fondé principalement sur les données recueillies au moyen du formulaire 2B du Recensement de la population de 2006. Il s’appuie également sur certains des mêmes renseignements recueillis dans le Recensement de 2001. Le questionnaire plus détaillé 2B est envoyé à un ménage sur cinq au Canada.

Le questionnaire complet du recensement comprend deux questions à l’intention de toute personne de 15 ans ou plus qui occupe ou qui a occupé un emploi rémunéré ou un emploi autonome au cours de l’année civile en cours ou de celle la précédant. Les questions portent sur leur emploi actuel, l’emploi auquel elles ont travaillé le plus grand nombre d’heures (si elles avaient plus d’un emploi) ou l’emploi qu’elles ont occupé le plus longtemps si elles ne travaillaient pas le jour du recensement. Ces questions sont les suivantes : a) Dans cet emploi, quelle langue cette personne utilise‑t‑elle le plus souvent? et b) Cette personne utilisait‑elle régulièrement une autre langue dans cet emploi? Les répondants pouvaient cocher anglais ou français ou préciser une autre langue.

Seuls les immigrants qui sont arrivés avant le 1er janvier 2005 et qui avaient des gains positifs cette année‑là sont inclus. Toutes les personnes qui ont répondu à la question sur la langue utilisée au travail dans le questionnaire du recensement ont par définition occupé un emploi à un moment donné dans le passé récent. Environ 50 000 immigrants qui habitaient au Canada en 2006 ont apparemment travaillé à l’extérieur du Canada. En 2001, c’était le cas d’environ 46 000 immigrants. Ces personnes ont fourni des précisions dans le recensement sur des emplois qu’elles ont occupés dans un autre pays. Certaines d’entre elles ont peut‑être décrit un emploi qu’elles occupaient avant d’immigrer au Canada, mais en 2006 plus des trois cinquièmes de ces immigrants ont fourni des renseignements sur l’emploi qu’ils occupaient le jour du recensement. Ces travailleurs occupant un emploi à l’étranger représentent de nombreuses professions et divers pays de naissance. Ils comprennent une forte proportion d’ingénieurs et de consultants en informatique, de même que de chauffeurs de camions et de pilotes. Bon nombre d’entre eux sont nés en Chine, aux États‑Unis, en Inde ou au Royaume‑Uni. À chaque recensement, environ la moitié ont déclaré travailler dans une langue non officielle. Comme ils travaillent ailleurs qu’au Canada, ces immigrants sont exclus de la présente analyse.

On peut distinguer entre eux les immigrants qui travaillent au Canada d’après l’intensité de leur utilisation des langues non officielles au travail. Les emplois diffèrent quant à l’importance du volet communication, mais la proportion de cette communication qui a lieu dans une langue non officielle peut être utilisée pour construire une échelle.

À une extrémité de l’échelle se trouvent les immigrants qui utilisent « seulement » des langues non officielles (2,8 %); viennent ensuite ceux qui utilisent « la plupart du temps » des langues non officielles mais qui utilisent aussi l’une des langues officielles assez régulièrement (4,2 %); puis viennent ceux qui utilisent surtout l’une des langues officielles mais qui utilisent « aussi » régulièrement une langue non officielle (9 %); et à l’autre extrémité se trouvent ceux qui « n’utilisent pas » une langue non officielle au travail régulièrement (84 %).

L’auteur procède à une analyse de régression par les moindres carrés ordinaires (MCO) pour déterminer l’incidence de la langue de travail ainsi que de divers types de capital humain sur les gains annuels. La variable dépendante est en fait le logarithme naturel des gains, parce qu’il apporte une correction pour tenir compte de l’asymétrie dans la mesure brute. Les termes quadratiques sont inclus de même que les termes originaux pour l’âge et les années au Canada, puisque ces effets ne sont pas linéaires et ont tendance à s’estomper au fil du temps. La plupart des autres termes sont des dichotomies qui reflètent la présence ou l’absence d’une caractéristique. La méthode a été initialement utilisée par Mincer dans son étude du capital humain (Mincer, 1974). Les modèles de Mincer ont été adaptés par Chiswick (Chiswick, 1978, Chiswick et Miller, 1998, 2000 et 2002) aux fins de l’étude des résultats des immigrants sur le marché du travail et de l’examen des compétences linguistiques. Ils sont utilisés couramment dans les ouvrages publiés sur l’immigration.

Les mesures indépendantes prises en compte sont le sexe, l’âge, le nombre d’années passées au Canada, le niveau de scolarité, l’état matrimonial et le lieu des études (ou le pays où chaque sujet a obtenu son plus haut niveau de scolarité). L’auteur examine également l’interaction entre la langue de travail et le niveau de scolarité et conclut qu’elle est significative. Toutes les relations examinées dans le document sont significatives au niveau de 0,01 et les tests de signification sont fondés sur des poids qui ont été normalisés de manière à ce que leur moyenne soit égale à 1.

Derrick Thomas est analyste principal à la Division de la statistique sociale et autochtone de Statistique Canada.

Notes

  1. Chiswick, B. R. (1991). Speaking, reading, and earnings among low-skilled immigrants. Journal of Labour Economics, 9(2), 149‑170.
    Chiswick. B. R., Miller, P. W. (2002). Immigrants earnings: language skills, linguistic concentration and the business cycle. Journal of Population Economics, 15(1), 31-57.
    Pendakur, K. and Pendakur, R. (2002). Language as both human capital and ethnicity. International Migration Review, 36, 147-177.
  2. Dans certains territoires du Canada, les langues autochtones disposent d’un statut officiel. Dans le présent article cependant, les langues officielles correspondent aux langues officielles du Canada, soit l’anglais et le français. Très peu d’immigrants utilisent des langues autochtones.
  3. Chiswick, B. R. et Miller, P. W. (1988). Earnings in Canada: The role of immigrant generations, French ethnicity and language. Publié sous la direction de T.P. Schultz dans Research in Population Economics, 6 (pp. 183-228).
    Greenwich, CT: JAI.Chiswick, B. R. et Miller, P. W. (2000). The complementarity of language and other human capital. Economics of Education Review, 22(2003), 469-480.
    Pendakur et Pendakur. (2002).
  4. Ferrer, A., Green, D. et Riddell, C. (2006). L’effet de la littératie sur les gains des immigrants. No 89-552-MIF, no 12 au catalogue de Statistique Canada et Ressources humaines et Développement des compétences Canada. Ottawa : ministre de l’Industrie.
  5. Conseil économique du Canada. (1991). Incidence économique et sociale de l’immigration. Ottawa : Conseil économique du Canada.
    Creese, G. et Kambere, E. N. (2003). What colour is your English. Canadian Review of Sociology and Anthropology, 40(5), décembre, 565-573.
  6. Statistique Canada. (2008). L’utilisation des langues en milieu de travail au Canada, Recensement de 2006. No 97-555-X au catalogue. Ottawa : ministre de l’Industrie.
  7. La main-d’oeuvre expérimentée se compose des travailleurs qui avaient une emploi le jour du recensement et de ceux qui ont occupé un emploi à un moment donné entre le 1er janvier 2005 et le 16 mai 2006.
  8. Wilson, K. et Portes, A. (1980). Immigrant enclaves: An analysis of the labour market experiences of Cubans in Miami. American Journal of Sociology, 86, 295-319.
    Sanders, J. M. et Nee, V. (1987). Limits of ethnic solidarity in the enclave economy. American Sociological Review, 52, 745-767.
    Hou, F. et Picot, G. (2002). Enclaves de minorités visibles dans les quartiers et résultats sur le marché du travail des immigrants.  Document de recherche no 11F0019MIF au catalogue de Statistique Canada.
  9. Depuis l’article fondamental de Wilson et Portes en 1980 décrivant l’expérience des Cubains à Miami, de telles collectivités ou marchés segmentés ont été appelés des enclaves dans la documentation sur le sujet. Les enclaves consistent en des établissements, des réseaux, des marchés et des voisinages où les travailleurs peuvent fonctionner et parfois même réussir dans une autre langue. Ces communautés ou marchés délimités sur le plan linguistique dépendent de la concentration de personnes qui partagent non seulement une langue mais aussi souvent un horizon ethnique, une expérience commune et des goûts semblables.
  10. Blishen, B. R., Carroll, W. K. et Moore, C. (1987). The 1981 socio-economic index for occupations in Canada. The Canadian Review of Sociology and Anthropology, 24, 465-488.
  11. Portes, A. et Jensen, L. (1987). What’s an ethnic enclave? The case for conceptual clarity. American Sociological Review, 52, 768‑773.
    Wilson et Portes. (1980)
    Portes et Jensen. (1987).
  12. Selon  Portes et Jensen (1987) l’un des bienfaits les plus importants de l’enclave est de fournir aux nouveaux venus plus d’occasions de travailler à leur compte. Ce que confirment nos données.
  13. Les ménages à faible revenu, tels que définis dans la définition de seuil de faible revenu de Statistique Canada correspondent à une unité familiale dont le revenu est sous le seuil de faible revenu selon la taille de la famille et la classification urbaine. On parle de seuils annuels de faible revenu quand les familles dépensent 20 points de pourcentage de plus de leur revenu que la moyenne canadienne pour l’alimentation, le logement et l’habillement.
  14. Statistique Canada. (1999). Seuils de faible revenu. No 13-551-X au catalogue de Statistique Canada. Ottawa: ministre de l’Industrie.
  15. Ces résultats doivent être interprétés avec prudence. Les données du recensement sont un instantané des Canadiens pris à un point précis dans le temps. Il est donc difficile de distinguer les effets attribuables au changement de situation de chaque immigrant au fur et à mesure qu’ils s’adaptent à la vie au Canada des effets des caractéristiques changeantes des immigrants selon leur moment d’arrivée au Canada.
  16. La langue au travail semble supplanter les compétences langagières lorsqu’elles sont employées dans le même modèle. Lorsqu’elles sont testées séparément, il en résulte un modèle légèrement meilleur.
  17. Les données du recensement sont un instantané des Canadiens pris à un point précis dans le temps. Il est donc difficile de distinguer les effets attribuables au changement de situation de chaque immigrant au fur et à mesure qu’ils s’adaptent à la vie au Canada des effets des caractéristiques changeantes des immigrants selon leur moment d’arrivée au Canada, soit l’âge, le nombre d’années au Canada ou l’âge à l’arrivée.
  18. Plusieurs immigrants incapables de parler le français ou l’anglais peuvent avoir été exclus de l’analyse parce qu’ils n’avaient pas d’emploi en 2005 ni en 2006 et n’ont pas répondu à la question sur la langue au travail, n’avaient pas d’emploi à déclarer et pas de gains provenant d’un emploi non plus. Certains peuvent avoir été incapables de trouver un emploi. D’autres peuvent, par exemple, avoir étudié l’anglais ou le français sans faire de recherche d’emploi.