Cadre d'analyse de la production d'un revenu

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La présente section propose un simple cadre d'analyse de la production d'un revenu et de sa relation aux capacités cognitives. Ce cadre de travail nous permettra de comprendre le rôle que jouent ces compétences dans les gains des travailleurs immigrants et ceux des travailleurs nés au Canada. Il est fondé sur celui qu'utilisent Green et Riddell (2003) dans une étude de la littératie et des gains des non-immigrants. Les auteurs établissent une distinction entre les attributs (caractéristiques personnelles que le travailleur peut acquérir pour améliorer ses gains), les compétences (caractéristiques personnelles qui favorisent la productivité de certaines tâches et que le travailleur peut acquérir) et les capacités (caractéristiques innées et productives). Dans cette taxinomie, les compétences constituent un sous-ensemble des attributs, les premières étant axées sur la facilité à accomplir des tâches données, alors que les deuxièmes englobent aussi des caractéristiques comme la persévérance et la disposition à exécuter des ordres. Les capacités sont semblables aux attributs, mais elles sont innées, alors que les attributs peuvent s'acquérir. Dans la présente étude, nous regroupons les attributs et les compétences sous l'appellation de compétences. La distinction essentielle oppose donc les compétences et les capacités.

Supposons, pour le moment, qu'un travailleur possède trois compétences, et ce, à divers degrés. Nous commençons par trois compétences, ce qui nous permet de faire ressortir des points essentiels. On peut facilement étendre le cadre de travail au scénario plus vraisemblable prévoyant plus de trois compétences. Les gains individuels sont déterminés en fonction des compétences qu'une personne possède et dont elle se sert, selon l'équation suivante :

formula 1

Ici, Ei représente les gains de la personne i, Gki est la quantité de compétences k que cette personne i vend sur le marché et ei est un terme de perturbation indépendant des compétences. Le terme de perturbation cerne soit l'erreur de mesure liée aux gains, soit des événements particuliers indépendants des niveaux de compétence. On peut considérer que la fonction de production d'un revenu f(.) est calculée d'après des conditions marginales de produit liées à une fonction de production globale qu'on peut séparer en d'autres intrants (non liés aux compétences). Ou alors, on peut considérer qu'elle représente les capacités des travailleurs d'obtenir des parts de loyer auprès des entreprises (par ex., Bowles, Gintis et Osborne, 2001). Nous ne préconisons ni l'une ni l'autre de ces interprétations. Dans un cas comme dans l'autre, en caractérisant la fonction f(.), nous pouvons arriver à comprendre l'importance des diverses compétences et leur interaction dans la production d'un revenu. Pour préciser notre démarche, nous considérons G1 comme le type de capacités cognitives mesuré par les tests de littératie, de numératie et de résolution de problèmes, G2 comme d'autres compétences (peut-être manuelles) qui ne sont pas cernées par ces tests et qu'on peut acquérir grâce à l'expérience de travail, et G3 comme des caractéristiques non cognitives telles que la persévérance.

Dans l'équation (1), la fonction des gains est très générale. Toutefois, il s'avère plus aisé de travailler avec une forme fonctionnelle plus spécifique. Dans nos recherches empiriques, nous constatons que les données sont bien caractérisées par des polynômes de premier ou de deuxième ordre dans les variables observables. Dans notre démarche empirique, nous formulons donc l'équation suivante1 :

formula 1¹

Nous cherchons à caractériser la fonction f(.) et à obtenir des estimations des paramètres γ et d. Nous obtiendrons ainsi des renseignements sur l'importance relative des diversescompétences dans la production d'un revenu et découvrirons si les compétences se complètent ou se remplacent pour produire ce revenu.

Il serait relativement aisé de caractériser la fonction des gains si nous observions les compétences Gki. Ordinairement, bien sûr, nous ne les observons pas. Nous observons plutôt une partie des intrants servant à produire les compétences. Pour voir comment ils entrent dans notre cadre de travail, prenons un ensemble de fonctions de production de compétences :

formula 2

Ici, k indexe le type de compétence, edn correspond à un ensemble de variables fictives représentant différents niveaux de formation scolaire, exp est le nombre d'années d'expérience de travail et θk est une capacité spécifique à la production de la compétence k. Naturellement, on pourrait construire une fonction h de telle sorte qu'une compétence corresponde exactement à une capacité (par ex., la persévérance peut être une caractéristique innée plutôt que produite).

Comme dans le cas de la fonction f(.), nous pouvons simplifier la formulation des caractéristiques des fonctions hk(.) en considérant une version quadratique :

formula 2¹

Ici, les indices e, s et θ des α correspondent aux variables liées respectivement à l'expérience, à la scolarité et aux capacités. Notons que edn correspond à un vecteur des variables fictives liées à l'éducation et que, partant, les á correspondent à des paramètres scalaires ou à des vecteurs de paramètres, selon le cas.

Si nous n'observons pas directement les Gki, nous pouvons néanmoins obtenir une équation d'estimations en remplaçant l'équation (1) par l'équation (2). On obtient ainsi une spécification des gains sous forme réduite en fonction de la scolarité et de l'expérience. Comme les variables liées aux capacités ne sont pas observées, elles se retrouvent dans le terme d'erreur. En examinant les équations (1') et (2'), on constate que dans l'équation des gains sous forme réduite, le coefficient d'une variable observable comme le niveau de scolarité devient une combinaison des paramètres α, γ et δ. Plus précisément, ce coefficient dénote la combinaison de l'apport de chaque variable explicative à la production de chacune des compétences et de l'apport de ces compétences à la production d'un revenu.

Nous nous intéressons à ce que nous pouvons apprendre sur la structure des fonctions dans les équations (1) et (2) lorsque nous observons l'une des compétences. En étiquetant l'ensemble de compétences observées, G1, et en le faisant correspondre à un vecteur des capacités cognitives, on obtient une régression des gains sous forme quasi réduite qui comprend G1 (les capacités cognitives observées) ainsi que les variables liées à l'expérience et à la scolarité. Notre régression d'estimation générale prend donc la forme suivante :

formula 3

Ici, G1i correspond à notre mesure des capacités cognitives, edn est encore une fois un vecteur des variables fictives liées à l'éducation, les β sont des paramètres scalaires ou des vecteurs de paramètres, selon le cas, et u est une erreur. Notons que le terme d'erreur comprend les interactions des variables liées à la capacité et des variables observables. Il conviendrait donc de définir un estimateur à coefficients aléatoires. Dans une première étape, nous faisons abstraction de cette complication et présentons des résultats fondés sur une régression des moindres carrés (mais en corrigeant les erreurs types des formes générales d'hétéroscédasticité). Étant donné le modèle établi plus haut, ces estimations ne sont pas pleinement efficaces et ne permettent d'expliquer qu'en partie l'interaction des diverses compétences. Néanmoins, comme nous allons le voir, il reste beaucoup à apprendre des régressions des moindres carrés et ces dernières ont l'avantage d'être faciles à interpréter et à comparer aux résultats qu'on trouve dans la documentation existante.

On pourrait considérer le cadre de travail établi jusqu'ici comme le modèle pertinent de production d'un revenu pour une personne née au Canada. Nous supposons que les immigrants utilisent les mêmes ensembles de compétences pour produire un revenu sur le marché du travail canadien. Les immigrants pourraient différer des personnes nées au Canada à l'égard des deux composantes de base du modèle, soit le rendement qu'ils obtiennent d'un ensemble donné de compétences (les immigrants pourraient donc avoir une fonction f(.) différente) et les fonctions de production servant à créer des compétences individuelles (les immigrants pourraient donc avoir des fonctions h(.) différentes).

Dans ce modèle, les différences entre la fonction f(.) des immigrants et celle des personnes nées au Canada correspondent à une discrimination, car elles représentent des écarts entre les gains des immigrants et ceux des travailleurs nés au Canada alors que les deux groupes sont tout aussi productifs. Si nous pouvions observer directement toutes les compétences pertinentes, nous pourrions donc déterminer si le désavantage salarial des immigrants par rapport aux personnes nées au Canada découle de la discrimination. Il est tentant de penser que les différences entre les immigrants et les natifs du Canada dans les coefficients des termes G1i sans interaction (soit β5 et β6) peuvent fournir une preuve directe de l'existence d'une discrimination (c.-à-d. d'un écart entre la rémunération des travailleurs immigrants et celle des travailleurs nés au Canada possédant les mêmes capacités cognitives observées). Toutefois, si les interactions de G1i avec les variables exp et edn sont significatives, cette interprétation n'est pas nécessairement valable. Une interaction non nulle de exp et G1i, par exemple, supposerait que la fonction f(.) comporte une interaction de G1i et d'une autre compétence (par ex., G2i ) et que exp favorise la production de G2i. Dans ce cas, le rendement de G1i est une fonction compliquée qui varie selon les différents niveaux de exp, et β5 et β6 représentent l'effet de G1i sur les gains au niveau de base de l'expérience. Par conséquent, on pourrait observer différents coefficients liés à G1i entre les immigrants et les personnes nées au Canada parce que la variable exp a une productivité différentielle lorsqu'elle crée d'autres compétences pour les deux groupes, et non parce qu'il existe de la discrimination. Les coefficients β5 et β6 ne nous renseignent donc sur la discrimination que si les coefficients des interactions de G1i et d'autres variables (soit β7 et β8) sont nuls.

Étant donné les résultats de recherches antérieures menées au Canada et ailleurs, il semble très probable que les fonctions de production de compétences diffèrent entre les immigrants et les personnes nées au Canada. Dans le cas des immigrants, nous reformulons donc ces fonctions de production comme suit :

formula 4

Ici, edn et exp correspondent à l'éducation et à l'expérience acquises au Canada, alors que fedn et fexp représentent l'éducation et l'expérience acquises à l'étranger. Dans la documentation sur les gains des immigrants, on affirme souvent que les problèmes liés à la reconnaissance des titres de compétence et la disparité des exigences technologiques supposent que l'éducation et l'expérience acquises dans la plupart des autres pays sont moins productives au Canada que l'éducation et l'expérience acquises au Canada. Si cette affirmation est erronée, l'équation (4) se réduit à l'équation (2) et les écarts entre les gains des immigrants et ceux des personnes nées au Canada découlent soit des différences de niveau de scolarité, d'expérience et de capacité, soit de la discrimination. Souvent, les études ne disposent pas de mesures particulièrement fiables de fedn et de fexp; il est donc difficile de vérifier directement les écarts dans le rendement de ces compétences. Toutefois, les données de l'EIACA comprennent des questions directes sur l'éducation acquise à l'étranger et permettent de calculer l'âge au moment de l'immigration comme variable continue. Nous pouvons donc construire des versions fiables de fedn et de fexp. Grâce à ces variables, la spécification des gains des immigrants, G1i compris, devient la suivante :

formula 5

L'équation (5) comprend un grand nombre d'interactions de fexp et de fedn entre elles et avec d'autres variables2. La spécification permet donc des interactions complexes entre les intrants acquis à l'étranger dans la production des compétences. Par exemple, l'interaction de fexp et de exp représente la possibilité que les immigrants soient mieux en mesure de tirer des gains de l'expérience acquise dans leur pays d'origine après avoir acquis davantage d'expérience au Canada.

L'une des principales conclusions de la documentation antérieure sur les gains des immigrants au Canada veut que les gains des cohortes récentes d'immigrants soient inférieurs à ceux des cohortes antérieures et des travailleurs nés au Canada possédant les mêmes niveaux mesurés de scolarité et d'expérience. Dans notre cadre de travail, cette situation découlerait soit d'une discrimination accrue envers les cohortes récentes (par exemple, à cause d'une plus grande présence des minorités visibles), soit du fait que les cohortes récentes possèdent des compétences inférieures. Comme nous disposons d'un seul échantillon représentatif, nous ne pouvons pas établir de distinction entre les effets de l'évolution des cohortes d'immigrants et les effets de l'adaptation graduelle des nouveaux immigrants au marché du travail canadien. Or, les coefficients de l'expérience acquise au Canada que nous estimons dans le cas des immigrants combinent les effets réels de l'assimilation et l'influence des écarts entre les cohortes sur les gains. Nous ne pouvons donc pas décomposer cette caractéristique de l'adaptation des immigrants, mais nous pouvons quand même en apprendre beaucoup sur le vécu des immigrants et sur son lien avec les compétences telles qu'elles sont mesurées.

            Dans la présente analyse, les capacités cognitives jouent un rôle important. Comme nous l'avons mentionné plus haut, nous supposons que les notes obtenues aux tests de l'EIACA fournissent des mesures directes de ces compétences, ce qui nous permet d'examiner G1i et ses interactions avec des intrants comme l'expérience et l'éducation pour comprendre le rôle de diverses compétences dans la production d'un revenu. Dans l'équation (5), les interactions des capacités cognitives avec fexp et fedn revêtent une importance particulière. Les coefficients non nuls de ces interactions dénotent peut-être la mesure dans laquelle les capacités cognitives permettent aux immigrants de transférer sur le marché du travail canadien leur capital humain acquis à l'étranger. Notons que dans notre cadre de travail, cet effet équivaudrait à une amélioration des capacités cognitives, lesquelles augmenteraient la production de G2i et de G3i à des niveaux donnés de fexp et fedn; on arriverait à ce résultat en incluant G1i dans les fonctions de production de compétences G2i et G3i.

Nous n'avons pas encore mentionné une composante essentielle de l'assimilation des immigrants : les compétences linguistiques. En employant diverses approches pour tenir compte des risques d'endogénéité et d'erreurs de mesure, Chiswick (1991), Chiswick et Miller (1995), Dustmann et Fabbri (2003) et Berman, Lang et Siniver (2003) constatent des effets marqués de l'acquisition de la langue du pays d'accueil sur les gains des immigrants. Dans notre cadre de travail, la maîtrise de la langue du pays d'accueil peut entrer comme compétence en soi (nous ajouterions alors G4i à l'équation (1)) ou comme intrant dans la production d'autres compétences. Dans ce dernier cas, les employeurs s'intéressent uniquement aux quantités utilisables de chaque compétence qu'un travailleur possède. Un ingénieur qui possède une solide formation mais qui est incapable de communiquer avec son employeur ou ses collègues passerait donc pour n'avoir aucune compétence utilisable en génie. Les compétences linguistiques en français ou en anglais entrent alors comme intrant dans la production de compétences utilisables; plus elles sont élevées, plus les compétences utilisables sont importantes, quel que soit le niveau des autres intrants. Dans leurs régressions des gains, Chiswick (1991) et Dustmann et Fabbri (2003) incluent les compétences autodéclarées en lecture ainsi que la maîtrise de la langue du pays d'accueil et interprètent la maîtrise de la lecture et de la langue parlée comme des compétences distinctes. À partir d'un échantillon d'immigrants illégaux entrés aux États-Unis, Chiswick (1991) constate que la maîtrise de la lecture a, sur les gains, un effet beaucoup plus marqué que la maîtrise de la langue parlée lorsque toutes deux sont prises en compte. À partir de données sur la population immigrante du Royaume-Uni, Dustmann et Fabbri (2003) constatent que la maîtrise de la lecture constitue un déterminant important de l'emploi, mais que la maîtrise de la langue parlée constitue un déterminant important des gains. En nous inspirant de ces études et de celles d'autres auteurs, nous neutralisons la maîtrise de la langue dans notre analyse.

Enfin, le cadre de travail nous permet d'aborder les questions d'endogénéité. Dans les équations (4) et (5), le terme d'erreur comprend des facteurs liés aux capacités et, éventuellement, l'interaction de ces facteurs avec des intrants des compétences, comme l'éducation et l'expérience. Tout comme dans les analyses courantes de l'endogénéité de la scolarité, si ces facteurs liés aux capacités sont aussi des intrants dans les choix concernant les niveaux de scolarité et de compétences, G1i et edni sont alors endogènes. Il est intéressant d'envisager les hypothèses selon lesquelles ce problème d'endogénéité n'existe pas. Supposons que la capacité cognitive ne soit qu'un intrant dans la production des capacités cognitives (c.-à-d. qu'elle entre dans la fonction de production G1i, mais pas dans celles de G2i et G3i) et que d'autres types de capacité ne favorisent pas la production des capacités cognitives. Ainsi, par exemple, les aptitudes sociales ne favorisent pas la production des capacités cognitives et les capacités cognitives ne favorisent pas la production des aptitudes sociales. Dans ce cas, θ1i n'entre pas dans le terme d'erreur; elle est pleinement intégrée à la variable G1i comprise. Puis, il suffit de supposer l'absence de corrélation entre les divers types de capacité pour déduire que G1i est exogène. En outre, si les choix concernant la scolarité sont liés uniquement à la production des capacités cognitives (par ex., la scolarité peut favoriser l'acquisition d'aptitudes sociales, mais ce n'est pas pour cette raison qu'on choisit de fréquenter l'école), alors l'éducation est également exogène. Ces hypothèses sont audacieuses, mais pas plus que celles des chercheurs qui incluent des mesures de la capacité dans les régressions des gains pour résoudre le problème de l'endogénéité de la scolarité, et nous ne les considérons pas comme complètement déraisonnables.


Notes

  1. Nous omettons les paramètres d'interaction d'ordre supérieur, car ils n'entrent pas dans nos spécifications.
  2. Nous avons toutefois écarté d'autres interactions de l'éducation acquise au Canada avec les variables liées au pays d'origine, car elles s'avèrent sans importance dans notre analyse empirique.