5 Examen et conclusion

Avertissement Consulter la version la plus récente.

Information archivée dans le Web

L’information dont il est indiqué qu’elle est archivée est fournie à des fins de référence, de recherche ou de tenue de documents. Elle n’est pas assujettie aux normes Web du gouvernement du Canada et elle n’a pas été modifiée ou mise à jour depuis son archivage. Pour obtenir cette information dans un autre format, veuillez communiquer avec nous.

Tant au Canada qu'aux États-Unis, la montée de l'emploi chez les mères seules plus âgées (40 ans et plus) a principalement eu lieu pendant les années 1980 et par variation de composition dans une large mesure. En revanche, l'évolution qu'ont connue les mères seules plus jeunes s'est surtout limitée aux niveaux d'emploi par opposition aux niveaux de gains; elle s'est opérée pendant les années 1990 et n'avait guère à voir avec l'évolution de la scolarité ni avec les autres variations de composition. La progression des gains annuels chez les mères seules plus âgées ayant un emploi s'explique avant tout par une meilleure capacité de gains grâce à des niveaux de scolarité supérieurs, plutôt que par une offre accrue de travail. Dans le cas des mères seules plus jeunes, la progression modeste constatée tient dans une large mesure à une augmentation du nombre de semaines travaillées.

Ces vastes similitudes nous cachent toutefois deux grandes différences d'ordre de grandeur de ces effets. Les variations de composition sont prédominantes dans le cas des mères seules plus âgées, mais ces effets ont été bien plus marqués au Canada qu'aux États-Unis, bien que les variations de composition aient eu un peu plus d'ampleur chez notre voisin du sud. La proportion de mères seules plus âgées ayant fait des études postsecondaires ou obtenu un grade universitaire a monté de 32 points de pourcentage aux États-Unis et de 28 points au Canada. Les différences de tendances dans ce groupe s'expliquent plutôt par une plus forte augmentation au Canada de ses taux d'emploi plus généralement. Au cours des deux décennies, l'emploi chez les mères mariées a monté de 58 % à 80 % (variation de 22 points de pourcentage) au Canada et de 59 % à 73 % (variation de 14 points de pourcentage) aux États-Unis.

Le tableau est inverse dans le cas des mères seules plus jeunes. Dans le groupe des moins de 30 ans, les niveaux initiaux d'emploi étaient plus élevés, mais l'emploi a progressé deux à trois fois plus aux États-Unis qu'au Canada surtout à cause de différences de changement de « comportement ». Bien que nos données ne permettent pas de cerner les causes de ces différences, l'effet de comportement bien plus marqué aux États-Unis rejoint le simple constat de politiques sociales nationales qui donnent des possibilités différentes de demeurer au foyer aux Américaines et aux Canadiennes qui sont des mères seules.

De tout temps, les deux pays ont destiné aux pères et mères seuls un régime de bien-être qui créait une sérieuse désincitation à l'emploi parce que l'aide financière apportée diminuait de dollar à dollar à mesure qu'augmentait le revenu d'emploi. Il reste que des transferts sociaux nettement plus élevés auront sans doute fait de la non-accession à l'emploi une possibilité un peu plus viable au Canada qu'aux États-Unis. Les simulations effectuées par Blank et Hanratty (1993) avec des données de 1986 indiquent que les mères et les pères seuls aux États-Unis seraient bien moins pauvres s'ils avaient droit à un régime de transferts sociaux semblable à celui du Canada. Ajoutons que, durant les années 1980, les transferts de revenu aux mères seules ont décru aux États-Unis, alors qu'ils croissaient au Canada (Hanratty et Blank, 1992).

Au cours des années 1990, les deux pays ont réformé leur régime de bien-être social et accru les encouragements au travail à l'intention des mères seules. Aux États-Unis, il s'agissait cependant de réformes instituées au niveau national par la Personal Responsibility Act de 1996. Au Canada, il appartenait aux provinces de réduire nettement l'aide sociale et de changer les critères d'admissibilité; les baisses importantes de régime se sont largement limitées à l'Ontario et à l'Alberta 8 .

Aspect tout aussi important, les deux pays ont joint la « carotte au bâton » comme incitation à l'emploi (Myles et Pierson, 1997). Aux États-Unis, le Earned Income Tax Credit (EITC) créé par Richard Nixon a été bonifié par tous les présidents qui ont suivi, sauf par le dernier gouvernement. La version canadienne a évolué depuis 1978, culminant dans l'adoption du régime de la Prestation nationale pour enfants (PNE) en 1997, mais à une grande différence près. Comme l'accès au EITC dépend des gains, les mères seules doivent avoir un emploi pour y être admises. Le régime de la PNE fournit également des prestations en fonction du revenu aux non-travailleurs pauvres. Ce sont en fait les mères au foyer sans revenu du travail qui ont eu droit aux prestations les plus élevées (Mendelson, 2003). Comparativement aux normes internationales, les prestations ne sont généreuses ni aux États-Unis ni au Canada (Rainwater et Smeeding, 2003), mais aux États-Unis les incitatifs au travail sont sans doute bien supérieurs (en niveau et en variation) pour les mères seules.

On sait depuis longtemps que le comportement des mères seules, jeunes et moins jeunes, sur le marché du travail n'est pas du tout le même pour une même politique sociale. Dooley (1999) signale des différences tranchées de taux d'activité sur le marché du travail entre mères seules de moins et de plus de 35 ans. Analysant l'évolution de 1973 à 1991 de l'utilisation du régime de bien- être par les mères seules au Canada, cet auteur constate que les mères seules de moins de 35 ans ont dépendu de plus en plus de l'aide sociale dans un contexte de stagnation des salaires et de recul de l'activité. Chez les mères seules de plus de 35 ans par ailleurs, la dépendance a diminué dans un contexte de montée des salaires et du revenu du travail. Les femmes qui sont devenues mères seules plus tard dans leur vie auront sans doute une grande expérience du marché du travail et, au moment de rompre leur union, des gains familiaux considérablement supérieurs. Juby, Le Bourdais et Marcil-Gratton (2003 : 20) indiquent que la situation financière des mères seules après la séparation est étroitement liée au revenu familial intact, c'est-à-dire au revenu d'avant la séparation. Celles qui sont le plus à l'aise viennent, par exemple, des familles intactes les plus fortunées et qui étaient déjà pleinement présentes surle marché du travail avant la séparation.

À la fin des années 1990, on a vu d'un bon œil la montée de l'emploi chez les mères seules en grande partie à cause de la baisse concomitante des taux de pauvreté de ce groupe. D'après les mesures de la pauvreté de l'« Étude sur le revenu du Luxembourg » (familles dont le revenu est de moins de la moitié du revenu médian), le taux de pauvreté des mères seules s'établissait à 52 % aux États-Unis et à 49 % au Canada à la fin des années 1970. Pendant les années 1980, le taux a augmenté aux États-Unis (jusqu'à 61 % en 1991) pour ensuite retomber à 49 % en l'an 2000 (chiffres principaux de l'étude précitée). Au Canada, le taux a été plus ou moins stable au cours des années 1980, mais il n'était plus que de 41 % en 2000.

Il serait néanmoins naïf de conclure que la décroissance des taux de pauvreté pendant les années 1990 serait révélatrice d'une tendance à plus long terme destinée à se prolonger. À 82 %, le taux d'activité sur le marché du travail des mères seules parvenait au niveau de saturation aux États- Unis en 1999 et l'emportait nettement sur le taux correspondant (73 %) des mères mariées ayant des enfants. De plus, la majorité des mères seules occupant un emploi dans ce pays travaillaient presque à l'année (40 semaines et plus). On ne peut guère s'attendre à de futurs avantages si on favorise ou force une plus grande activité sur le marché du travail par de nouvelles baisses de prestations 9 . De nouveaux gains sont plus à prévoir pour les mères seules au Canada dont les niveaux d'emploi atteignaient 73 % en 2000 (le taux était de 80 % pour les mères mariées). Il est cependant improbable qu'on retrouve dans l'avenir la progression d'origine démographique dont ont profité les mères seules depuis un quart de siècle au Canada. Le vieillissement de la génération du baby- boom est un événement ponctuel qui éveille seulement un faible écho lorsque sa progéniture arrive à son tour à l'âge de procréer.

9 . De 1994 à 2003, les prestations mensuelles maximales des programmes Aid to Families with Dependent Children et Temporary Assistance for Needy Families aux mères et pères seuls ont diminué dans tous les États américains, sauf dans 5. Elles ont baissé de 18 % dans 25 États (Green Book, tableau 7-10). Depuis 1970, la prestation maximale est en baisse de 40 % et plus dans 42 États (Green Book, tableau 7-13).

8 . Des analyses distinctes consacrées à ces deux provinces dégagent aussi une tendance qui s'écarte quelque peu des tendances nationales. Durant les années 1990, les niveaux d'emploi se sont respectivement élevés de 8,8 et 7,5 points de pourcentage chez les mères seules en Alberta et en Ontario. Au Québec cependant, les mères seules présentaient le plus haut taux de croissance de l'emploi dans les années 1990 (9,4 points de pourcentage) et, en 2000, les niveaux d'emploi de ce groupe dépassaient de 4 points de pourcentage ceux du reste du Canada. Les variations de composition ont été à l'origine de 28 % seulement de la progression observée dans les années 1990. Ces résultats sont fidèles aux conclusions concernant la libéralisation du régime des garderies dans cette province (Baker, Gruber et Milligan, 2005; Lefebvre et Merrigan, 2005).