Rapports sur la santé
Insécurité alimentaire du ménage chez les personnes ayant une incapacité au Canada : résultats de l’Enquête canadienne sur le revenu de 2021

Résumé

Contexte

L’insécurité alimentaire liée au revenu est un déterminant de la santé important. Les personnes ayant une incapacité sont exposées à un risque plus élevé d’insécurité alimentaire du ménage (IAM) que les personnes sans incapacité. Les principaux objectifs de la présente étude étaient d’estimer la prévalence de l’IAM chez les personnes dont les types d’incapacité, le nombre d’incapacités ainsi que leur gravité diffèrent et d’examiner les corrélations sociodémographiques de l’IAM pour ce groupe. 

Données et méthodes

Les données de l’Enquête canadienne sur le revenu (ECR) de 2021 ont été utilisées. La situation vis-à-vis de l’incapacité a été déterminée à l’aide de la version abrégée du module Questions d’identification des incapacités pour un répondant par ménage sélectionné au hasard. Le Module d’enquête sur la sécurité alimentaire des ménages a permis de mesurer l’IAM selon la gravité (marginale, modérée ou grave). Des analyses descriptives et multivariées pondérées ont été menées pour estimer la prévalence de l’IAM et pour analyser la corrélation entre divers facteurs socioéconomiques et l’IAM dans l’échantillon de l’étude.

Résultats

En tout, 26 %  des participants à l’ECR ayant une incapacité (30 % de l’échantillon total de l’ECR : 31 millions de personnes), ont déclaré un certain niveau d’IAM et 8 % d’entre eux ont déclaré vivre en situation d’IAM grave. La prévalence de l’IAM était de 13 % chez les personnes sans incapacité. La prévalence de l’IAM était la plus élevée chez les personnes ayant des incapacités liées à l’apprentissage, à la mémoire, ou à la vision (environ 36 % pour chaque type d’incapacité). Les niveaux d’IAM étaient plus élevés chez les personnes ayant des incapacités plus graves et celles ayant un plus grand nombre d’incapacités. Chez les personnes ayant une incapacité, les probabilités de connaître de l’IAM étaient deux fois plus élevées comparativement à celles observées chez les personnes sans incapacité (rapport de cotes ajusté [RCA] : 2,5; intervalle de confiance [IC] de 95 % : 2,2 à 2,7), après correction pour tenir compte d’un éventail de covariables sociodémographiques. Les personnes ayant une incapacité qui figuraient dans le quintile de revenu inférieur (RCA : 4,0; IC de 95 % : 3,2 à 4,9) et qui étaient âgées de 45 à 54 ans (RCA : 2,9; IC de 95 % : 2,1 à 4,1) avaient la plus forte probabilité de se trouver en situation d’IAM, comparativement aux personnes ayant une incapacité qui vivaient dans des ménages plus riches et celles qui étaient âgées de 65 ans et plus, respectivement. D’autres facteurs de risque comprenaient le fait de vivre dans un ménage monoparental, de vivre dans les Prairies et de vivre dans un logement qui n’appartient pas au ménage.

Interprétation

La prévalence de l’IAM chez les participants à l’ECR ayant une incapacité était supérieure à celle observée chez les personnes sans incapacité, même après la prise en compte des facteurs de risque sociodémographiques bien documentés. La surveillance continue de l’IAM chez les personnes ayant une incapacité peut aider à orienter toute stratégie en cours ou nouvellement établie visant à réduire la pauvreté pour cette population.

Mots-clés

Canada, déterminants sociaux de la santé, épidémiologie, études transversales, incapacité, insécurité alimentaire, pauvreté.

Auteurs

Shikha Gupta, Daphne Fernandes, Nicole Aitken et Lawson Greenberg travaillent au Centre de l’intégration des données sur la santé de la Direction de la statistique de la santé de Statistique Canada.

 

Ce que l’on sait déjà sur le sujet

• L’insécurité alimentaire est un problème de santé publique chronique et est associée à divers mauvais résultats sur le plan de la santé et sur le plan social. 
• Les personnes ayant une incapacité sont vulnérables à l’insécurité alimentaire du ménage (IAM).

Ce qu’apporte l’étude

• L’étude permet d’estimer la prévalence de l’IAM chez les personnes ayant une incapacité qui ont participé à l’Enquête canadienne sur le revenu (ECR) selon les types d’incapacité, le nombre d’incapacités ainsi que leur gravité, ce qui n’a jamais été examiné auparavant dans un échantillon de Canadiens.
• L’étude révèle que les participants à l’ECR ayant des incapacités étaient 2,5 fois plus susceptibles de connaître une IAM que ceux sans incapacité, même après la prise en compte de divers facteurs sociodémographiques, comme l’âge, le sexe, l’état matrimonial, le niveau de scolarité du ménage, la région de résidence et le revenu.

Introduction

L’insécurité alimentaire est un problème de santé publique chronique au Canada. Elle est définie comme étant l’incapacité de se procurer ou de consommer des aliments de qualité, ou en quantité suffisante, ou encore l’incertitude d’être en mesure de le faire en raison de contraintes financières^Note 1. Elle est à la fois un indicateur de défavorisation et de pauvreté et un important déterminant social de la santé^Note 2. L’insécurité alimentaire du ménage (IAM) serait associée à une mauvaise santé physique et mentale autodéclarée, à des pensées suicidaires et à des tentatives de suicide, à une grande utilisation des services de soins de santé et à la mortalité^Note 3, ^Note 4, ^Note 5, ^Note 6, ^Note 7, ^Note 8. Plus de 6,9 millions de personnes au Canada ont habité dans un ménage ayant connu divers niveaux d’insécurité alimentaire de 2021 à 2022^Note 9.

Des études ont démontré que certaines populations, y compris les personnes ayant une incapacité, sont plus susceptibles que d’autres de connaître de l’insécurité alimentaire. Un examen de 106 études menées dans divers pays a révélé que le fait d’avoir une incapacité a constamment augmenté de 1,18 à 5,21 fois les probabilités de vivre de l’IAM, selon le type d’incapacité^Note 10. Dans d’autres études menées aux États-Unis et au Royaume-Uni, on a conclu que chaque incapacité supplémentaire augmentait les probabilités de vivre de l’insécurité alimentaire^Note 11, ^Note 12. Les résultats de l’Enquête canadienne sur le revenu (ECR) de 2019 indiquaient que les personnes ayant une incapacité affichaient des niveaux considérablement plus élevés d’IAM modérée ou grave, comparativement à la population générale (17,5 % par rapport à 10,0 % de toutes les personnes de 16 ans et plus)^Note 13. Toutefois, cette analyse ne mesurait pas l’IAM selon les types d’incapacité ou leur gravité.

À l’échelle mondiale, les personnes ayant une incapacité sont en situation de pauvreté multidimensionnelle, laquelle est mesurée au moyen du revenu, du niveau de scolarité, des biens et des dépenses^Note 14. Les personnes ayant une incapacité ont plus de besoins économiques, mais moins de ressources économiques, comparativement aux personnes sans incapacité, et elles doivent souvent rationner leurs ressources consacrées aux aliments ou aux médicaments pour s’acquitter des frais de subsistance de base^Note 15, ^Note 16, ^Note 17. Une étude du Canada a révélé que, en 2015, les personnes de 25 à 64 ans ayant une incapacité étaient plus susceptibles de vivre dans la pauvreté (de 14 % à 28 %, selon la gravité des incapacités) que leurs homologues sans incapacité (10 %)^Note 18. Une autre étude récente a démontré que les familles dans lesquelles une personne ayant une incapacité était le principal soutien économique étaient plus susceptibles de déclarer vivre de l’insécurité alimentaire : 30 % par rapport à 18 % pour l’ensemble des familles canadiennes^Note 19.

Bien que l’insécurité alimentaire soit une préoccupation pertinente pour les personnes ayant une incapacité, peu de recherches ont été menées pour examiner l’insécurité alimentaire dans le contexte de l’incapacité et en fonction des déterminants sociaux au Canada. Des études antérieures ont permis d’examiner l’insécurité alimentaire chez les familles de personnes ayant une incapacité, mais elles omettaient souvent de faire une différenciation selon les types d’incapacité ou leur gravité. En outre, les études antérieures n’adoptaient pas une approche multivariée pour comprendre les corrélations entre divers déterminants sociaux associés à l’IAM pour les personnes ayant une incapacité. Par conséquent, la présente étude repose sur les données de l’ECR de 2021 et vise à : 1) estimer la prévalence de l’IAM marginale, modérée et grave chez les personnes ayant une incapacité; 2) examiner les variations dans les niveaux d’IAM pour les personnes dont les types d’incapacité, le nombre d’incapacités ainsi que leur gravité diffèrent; 3) analyser la corrélation entre divers facteurs socioéconomiques et l’IAM chez les personnes ayant une incapacité.

Méthodes

Source des données et concepts

L’ECR est une enquête transversale annuelle conçue pour brosser un portrait du revenu et des sources de revenu des Canadiens de 16 ans et plus, en fonction de leurs caractéristiques individuelles et de celles de leur ménage. L’ECR est menée auprès d’un sous-échantillon de répondants à l’Enquête sur la population active (EPA). L’EPA est une enquête obligatoire et son échantillon est sélectionné à l’aide d’une méthode d’échantillonnage probabiliste stratifié à plusieurs degrés. L’ECR est menée à l’échelle nationale, mais les personnes qui vivent dans les réserves et dans d’autres peuplements autochtones des provinces, ainsi que les pensionnaires d’établissements institutionnels et les ménages situés dans des régions extrêmement éloignées où la densité de population est très faible en sont exclus. Le taux de réponse pour l’ECR de 2021 était de 70,8 %, ce qui a donné lieu à un échantillon définitif d’environ 55 000 ménages. Les données de l’ECR ont été recueillies de janvier à juin 2022 pour l’année de référence 2021. L’ECR prend en compte les territoires, mais les données de 2022 concernant les territoires n’étaient pas encore disponibles au moment de l’élaboration du présent document.

Le questionnaire de l’ECR est rempli par un membre du ménage qui est responsable de tous les membres de son ménage, puis le module Questions d’identification des incapacités (QII) est rempli par une personne du ménage de 16 ans ou plus qui a été sélectionnée au hasard. Par conséquent, la présente étude a été réalisée au moyen d’un sous-échantillon de répondants à l’ECR de 2021 ayant répondu au module QII. Des poids d’enquête précis ont été créés pour que l’on effectue une analyse axée sur les incapacités et ces poids font en sorte que l’échantillon est représentatif de toutes les personnes de 16 ans et plus au Canada. Des renseignements détaillés sur la méthodologie d’enquête, les poids d’enquête et la réalisation de l’enquête se trouvent sur la page Web de l’ECRde Statistique Canada. Il convient de mentionner que l’Enquête canadienne sur l’incapacité (ECI) de 2022 est considérée comme étant la source officielle des estimations sur la prévalence de l’incapacité. Selon l’ECI de 2022, 27 % des Canadiens de 15 ans et plus avaient une ou plusieurs incapacités.

L’unité d’analyse pour l’étude était les personnes. Bien que l’insécurité alimentaire soit mesurée au niveau des ménages, les personnes ont été sélectionnées comme unité d’analyse au lieu des ménages pour deux raisons : 1) l’incapacité, qui est le point de mire de l’étude, est mesurée au niveau individuel; 2) les poids d’enquête, qui ont été créés précisément pour l’analyse axée sur les incapacités, peuvent seulement être utilisés pour les estimations au niveau individuel.

L’ECR repose sur la version abrégée du module QII pour cerner les personnes ayant un ou plusieurs des types d’incapacité ciblant les limitations d’activité liées à l’ouïe, la vision, la mobilité, la flexibilité, la dextérité, la douleur, l’apprentissage, la santé mentale, la mémoire le développement, et incapacités inconnues. Le module QII définit l’incapacité selon l’approche liée à un modèle social et prend en considération le niveau de difficulté fonctionnelle d’une personne et son évaluation subjective de l’effet de cette incapacité sur ses activités quotidiennes^Note 20. La définition de l’incapacité fait référence aux difficultés ou aux limitations qui ont duré ou qui devraient durer six mois ou plus.

Dans la présente étude, l’« insécurité alimentaire » désigne l’insécurité alimentaire marginale, modérée ou grave^Note 21. Le Module d’enquête sur la sécurité alimentaire des ménages (MESAM) compris dans l’ECR est une mesure validée de l’IAM. Il contient 18 questions conçues pour mesurer l’insécurité alimentaire attribuable à des ressources financières limitées. Les questions du MESAM se rapportent à l’expérience du ménage au cours des 12 derniers mois^Note 21. Selon l’expérience du ménage, l’insécurité alimentaire est classée en trois catégories :

• Insécurité alimentaire marginale : préoccupation liée au manque de nourriture ou choix limité d’aliments en raison d’un manque d’argent;
• Insécurité alimentaire modérée : compromis sur la qualité ou la quantité des aliments en raison d’un manque d’argent;
• Insécurité alimentaire grave : repas manqués, consommation alimentaire réduite et, dans les cas extrêmes, incapacité de se nourrir pendant une journée ou plus.

Les variables indépendantes utilisées dans l’analyse sont associées à la personne du ménage sélectionnée au hasard pour répondre au module QII. Ces variables comprennent l’âge, le sexe, l’état matrimonial, le statut d’immigrant, l’identité autochtone, le type de ménage, le nombre de membres dans le ménage, le niveau de scolarité le plus élevé du ménage, le quintile de revenu, la source de revenu, la situation par rapport au marché du travail, le sexe du principal soutien économique du ménage, le type de logement, la propriété du logement, la région provinciale et la résidence en région urbaine ou rurale. La sélection des variables indépendantes a été effectuée en s’inspirant de la littérature portant sur les déterminants de l’IAM dans la population générale ainsi que parmi les personnes ayant des incapacités.

Les personnes autochtones sont définies comme étant celles qui ont déclaré être membres des Premières Nations, Métis ou Inuit. Une approche panautochtone est utilisée dans l’analyse en raison des contraintes de taille d’échantillon. Les résultats ne pouvaient pas être ventilés en fonction des membres des Premières Nations, des Métis et des Inuit. L’Enquête auprès des peuples autochtones est la source officielle des données sur l’incapacité pour les membres des Premières Nations vivant hors réserve, les Métis et les Inuit.

La famille économique renvoie à un groupe de deux personnes ou plus habitant dans le même logement et apparentées par le sang, par alliance, par union libre, par adoption ou par une relation de famille d’accueil.

Les quintiles de revenu ont été créés en fonction du revenu disponible ajusté de la famille économique. Le revenu disponible a été utilisé, car il tient compte des dépenses non discrétionnaires, comme les frais médicaux et les frais de garde d’enfants, ainsi que les frais de logement annuels ajustés selon le type de mode d’occupation. Le revenu disponible a été ajusté en fonction de la taille de la famille économique.

Désigne les personnes qui sont immigrantes reçues au Canada ou l'ont été. Un immigrant reçu est une personne à qui les autorités de l'immigration ont accordé le droit de résider au Canada en permanence. Les citoyens canadiens de naissance et les résidents non permanents (étrangers vivant au Canada avec un permis de travail ou d'études, ou qui réclament le statut de réfugié, ainsi que les membres de leur famille vivant avec eux) ne sont pas considérés comme des immigrants reçus.

Les variables liées aux incapacités comprennent la situation vis-à-vis de l’incapacité du répondant, le type d’incapacité, la gravité de l’incapacité et le nombre d’incapacités. La gravité de l’incapacité réfère à une échelle fondée sur la présence et la gravité de types distincts d’incapacité liés à un problème de santé ou à un état qui dure depuis au moins six mois ou qui pourrait durer six mois ou plus. Le degré de gravité augmente selon la fréquence de la limitation et le niveau de difficulté. Plus une personne présente de types d’incapacité, plus son niveau de gravité global sera élevé. Il convient de souligner que le nom attribué à chaque classe sert uniquement à faciliter l’utilisation du score de sévérité. Il ne sert pas à juger le niveau d’incapacité de la personne.

Analyse statistique

Les estimations des proportions et des intervalles de confiance (IC) de 95 % ont été calculées pour examiner les niveaux d’IAM au sein de la population à l’étude. Des IC qui ne se chevauchaient pas ont été utilisés pour obtenir des estimations prudentes permettant de cerner les écarts importants. La régression logistique multivariée a été utilisée pour examiner la corrélation entre l’IAM et les facteurs de risque sociodémographiques courants. Quant aux analyses multivariées, les réponses sur l’insécurité alimentaire marginale, modérée et grave ont été combinées afin de créer une variable de résultat binaire codée de la façon suivante : « oui » (présence d’IAM) et « non » (absence d’IAM). Deux modèles multivariés ont été mis à l’essai. Le premier modèle portait sur tous les participants (c.-à-d. ceux ayant des incapacités et ceux sans incapacité). Le deuxième modèle permettait d’examiner les corrélations sociodémographiques de l’insécurité alimentaire pour les personnes ayant des incapacités seulement. Des poids d’enquête au niveau individuel et 1 000 poids bootstrap créés précisément pour l’analyse axée sur les incapacités ont été utilisés afin d’assurer la représentativité de la population et d’estimer la variance échantillonnale. Toute donnée manquante pour les variables clés, y compris la situation vis-à-vis de la sécurité alimentaire, a été imputée à l’aide de la méthode du plus proche voisin. Toutes les analyses ont été effectuées au moyen de la version 9.4 de SAS.

Résultats

La taille totale de l’échantillon pondéré pour la présente étude était d’environ 31 millions, ce qui comprend 9,3 millions de personnes ayant une incapacité (30 % de l’échantillon total de l’ECR) et 21,8 millions de personnes sans incapacité. Les caractéristiques de l’échantillon de l’ECR des personnes ayant une incapacité sont fournies dans le tableau 1.



Dans l’échantillon total de l’ECR des répondants ayant une incapacité, 26,4 % vivaient dans un ménage en situation d’insécurité alimentaire, comparativement à 12,5 % des répondants sans incapacité (tableau 2). Près de 8 % des personnes ayant une incapacité ont déclaré se trouver en situation d’IAM grave par rapport à 2 % des personnes sans incapacité.



Selon le type d’incapacité, la prévalence de l’IAM chez les personnes ayant une incapacité variait de 16 % à 36 % en 2021 (tableau 3). Les répondants ayant une incapacité liée à l’apprentissage, à la mémoire, ou à la vision affichaient la plus forte prévalence de l’IAM globale (environ 36 % pour chaque type d’incapacité). Les personnes ayant une incapacité liée au développement avaient le niveau le plus élevé d’IAM grave (20 %) . Aucun écart n’a été observé dans la prévalence de l’IAM marginale entre les sous-groupes de gravité de l’incapacité. Toutefois, plus la gravité de l’incapacité augmentait, plus la prévalence de l’IAM grave augmentait. La prévalence de l’IAM pour les personnes ayant trois incapacités ou plus était presque le double de la prévalence de l’IAM pour les personnes ayant seulement une incapacité. La prévalence de l’IAM grave était 2,8 fois plus élevée chez les personnes ayant trois incapacités ou plus que chez les personnes ayant une seule incapacité (13,6 % par rapport à 4,8 %). La prévalence de l’IAM marginale était semblable chez les personnes ayant différents nombres d’incapacités.



Le tableau 4 présente la prévalence de l’IAM marginale, modérée et grave chez les personnes ayant des incapacités selon les caractéristiques démographiques et socioéconomiques. Certains sous-groupes sociodémographiques de personnes ayant une incapacité ont connu des niveaux plus élevés d’IAM grave, y compris les personnes de moins de 65 ans, celles séparées, divorcées ou célibataires, celles vivant seules, celles dont les transferts gouvernementaux sont la principale source de revenu, celles ayant déclaré être autochtones, celles habitant dans les Prairies, celles vivant dans un appartement ou un logement dont elles ne sont pas propriétaires, celles faisant partie d’une famille monoparentale, celles ayant des niveaux de revenu disponible plus faibles, celles sans emploi et celles vivant dans les centres de population urbains. Aucune différence significative n’a été relevée au chapitre de l’IAM entre les hommes et les femmes. Toutefois, une proportion plus élevée de ménages où le principal soutien économique était une femme au lieu d’un homme vivaient en situation d’IAM marginale (8,2 % par rapport à 5,1 %) ou modérée (14,3 % par rapport à 10,5 %). De plus, une proportion plus élevée d’immigrants ayant une incapacité, comparativement à des non-immigrants ayant une incapacité, ont déclaré connaître de l’IAM marginale (9,7 % par rapport à 5,4 %) ou modérée (14,9 % par rapport à 11,3 %), mais une proportion plus faible a déclaré vivre une IAM grave (5,0 % par rapport à 8,7 %).



Outre l’analyse descriptive, deux analyses multivariées ont été menées. Le premier modèle multivarié, fondé sur l’échantillon analytique intégral, a révélé que les probabilités de vivre de l’IAM étaient 2,5 fois plus élevées chez les personnes ayant une incapacité que chez celles sans incapacité, après la prise en compte de tous les facteurs sociodémographiques à l’étude (tableau 5, modèle 1). L’âge, le revenu, la situation par rapport au marché du travail, le statut d’Autochtone, le niveau de scolarité le plus élevé du ménage et la source de revenu étaient des prédicteurs importants de l’IAM dans l’ensemble de la population, en plus d’autres facteurs énumérés dans le tableau 5. Toutefois, d’autres covariables (y compris le sexe, l’état matrimonial, le statut d’immigrant, le sexe du principal soutien économique et la résidence en région urbaine ou rurale) n’étaient plus significatives.



Le modèle 2, qui comprenait seulement les personnes ayant une incapacité, a révélé que l’âge et le revenu étaient les prédicteurs les plus puissants d’IAM pour ce groupe. Les personnes ayant des incapacités qui se situaient dans les quintiles de revenu inférieurs et qui avaient moins de 65 ans étaient plus susceptibles d’être en situation d’IAM, comparativement à celles vivant dans des ménages plus riches et celles de 65 ans et plus, respectivement. Les personnes ayant des incapacités très graves (rapport de cotes ajusté [RCA] : 1,8) et celles ayant plus de trois incapacités (RCA : 1,7) étaient plus susceptibles de connaître de l’IAM. Parmi les autres facteurs associés à l’IAM pour les personnes ayant des incapacités, il y avait le type de famille économique, la propriété de son logement et la région de résidence. Les personnes ayant une incapacité qui vivaient dans un ménage monoparental (RCA : 2,1) et celles qui vivaient dans un logement n’appartenant pas au ménage (RCA : 1,8) étaient considérablement plus susceptibles de connaître de l’IAM que les couples non âgés sans enfant ou personne apparentée et les personnes qui sont propriétaires de leur logement, respectivement. Pour les personnes ayant des incapacités, les corrélations entre l’IAM et d’autres covariables (comme l’état matrimonial, le statut d’immigrant, le statut d’Autochtone, le type de logement, le niveau de scolarité le plus élevé du ménage, la situation par rapport au marché du travail, la principale source de revenu, le sexe du principal soutien économique et la résidence en région urbaine ou rurale) n’étaient plus significatives lorsque d’autres facteurs ont été pris en compte dans le modèle.

Discussion

La présente étude visait à : estimer la prévalence de l’IAM marginale, modérée et grave chez les répondants de l’ECR ayant une incapacité; examiner les variations dans les niveaux d’IAM pour les personnes dont les types d’incapacité, le nombre d’incapacités ainsi que leur gravité diffèrent; analyser la corrélation entre les divers facteurs démographiques et socioéconomiques et l’IAM chez les personnes ayant une incapacité. Les résultats ont démontré que l’incapacité est associée à une plus forte prévalence (et à des formes plus graves) de l’IAM au Canada. Plus d’un quart des répondants à l’ECR ayant une incapacité vivaient dans un ménage en situation d’insécurité alimentaire marginale, modérée ou grave. Cela signifie que les adultes ou les enfants, ou les deux, vivant dans un ménage où habitait une personne ayant une incapacité ont connu un certain niveau d’insécurité alimentaire en raison de contraintes financières. Une telle insécurité peut, par exemple, comprendre avoir peur de manquer de nourriture, avoir à réduire les portions ou à sauter des repas, avoir à choisir des aliments de moins bonne qualité, ou avoir à passer une journée entière sans manger. Selon les estimations tirées de l’ECR, les taux d’IAM chez les personnes ayant une incapacité sont demeurés systématiquement plus élevés que les taux d’IAM observés pour la population générale. En 2019, 18 % des personnes ayant une incapacité ont connu une insécurité alimentaire modérée ou grave dans leur ménage^Note 13 et, en 2021, ce taux était de 20 %. À titre de comparaison, le taux d’IAM modérée ou grave pour la population générale au Canada se chiffrait à 10,8 % en 2019 et à 12,9 % en 2021^Note 22.

Les constatations de la présente étude cadrent avec celles d’études menées dans d’autres pays pour examiner l’IAM chez les personnes ayant une incapacité. Une étude reposant sur une enquête représentative menée auprès d’adultes de 16 ans et plus au Royaume-Uni a révélé que les adultes ayant des incapacités étaient deux à sept fois plus susceptibles d’être en situation d’IAM, comparativement aux adultes sans incapacité^Note 12. Aux États-Unis, 33 % des ménages comptant un membre inactif en raison d’une incapacité ont connu de l’insécurité alimentaire en 2018^Note 23. Une autre étude, qui est basée sur l’enquête européenne sur la qualité de vie, laquelle est menée auprès d’adultes vivant dans des ménages privés dans 35 pays européens, a révélé que la prévalence de l’insécurité alimentaire chez les répondants ayant une incapacité était de 16,4 % en 2007, comparativement à 8,1 % chez les répondants sans incapacité^Note 24. Il est à noter que les estimations de l’IAM ne peuvent pas être comparées directement avec les données d’autres études en raison des différences dans la période de référence, la taille de l’échantillon ainsi que la définition et la mesure de l’insécurité alimentaire et de l’incapacité.

La présente étude a aussi permis de déterminer que les personnes ayant certains types d’incapacité, y compris les incapacités liées à l’apprentissage, à la mémoire, au développement et à la vision, étaient liés aux niveaux les plus élevés d’IAM. Ces constatations cadrent avec celles de recherches antérieures. Par exemple, Brucker et Nord (2016) ont constaté que les adultes ayant des incapacités intellectuelles et des incapacités de développement avaient des niveaux bien plus élevés d’insécurité alimentaire, comparativement aux adultes sans incapacité, et ce, même après correction en fonction de la pauvreté^Note 25. Heflin et ses collègues ont déterminé que les limitations cognitives en lien avec la gestion d’argent étaient associées à une plus forte probabilité de vivre de l’insécurité alimentaire^Note 26. Un récent examen systématique a également révélé une relation bidirectionnelle entre l’insécurité alimentaire et de moins bonnes fonctions cognitives et exécutives, ainsi que la dépression^Note 26, ^Note 27. Une étude a permis de conclure que les adultes ayant une incapacité liée à la vision affichaient des taux d’activité sur le marché du travail inférieurs à ceux de la population générale^Note 28. Dans une autre étude, les troubles de vision étaient liés à une probabilité accrue de vivre de l’insécurité alimentaire pour les personnes en âge de travailler^Note 26.

Par ailleurs, la présente étude a révélé qu’un revenu plus faible chez les personnes ayant une incapacité accroît les probabilités d’être en situation d’IAM. Toutefois, même après correction en fonction du revenu, de l’emploi, du niveau de scolarité et d’autres caractéristiques démographiques, les adultes ayant une incapacité étaient nettement plus susceptibles de connaître de l’insécurité alimentaire que les adultes sans incapacité. Cette constatation laisse croire qu’il pourrait y avoir d’autres facteurs, indépendants du revenu, qui font en sorte que l’incapacité influe sur l’insécurité alimentaire. Par exemple, les personnes ayant une incapacité ont souvent des coûts de soins de santé plus élevés, ce qui peut grever leur budget et faire en sorte qu’il n’y a pas suffisamment de fonds pour les dépenses alimentaires. Les problèmes de mobilité peuvent nuire à leur capacité d’accéder aux épiceries et aux ressources communautaires, aggravant ainsi l’insécurité alimentaire^Note 29, ^Note 30. Certaines personnes ayant une incapacité doivent suivre des régimes alimentaires particuliers ou ont des besoins nutritionnels précis, ce qui peut être coûteux et plus difficile à respecter, surtout lorsque les choix d’aliments abordables, accessibles et adéquats sont limités. En outre, les personnes ayant une incapacité peuvent être moins susceptibles d’avoir un réseau social qui peut leur offrir un soutien lorsqu’elles en ont besoin^Note 31. Des recherches antérieures ont permis de déterminer que tous ces facteurs ont une forte corrélation avec l’insécurité alimentaire^Note 10, ^Note 32.

Les résultats de l’analyse multivariée ont aussi démontré que, même si la situation par rapport au marché du travail, le niveau de scolarité le plus élevé du ménage et la source de revenu étaient d’importants prédicteurs de l’IAM dans la population générale, ces facteurs ne s’avèrent pas statistiquement significatifs dans le modèle 2. Ces résultats cadrent avec ceux d’autres recherches, qui ont révélé que le revenu des personnes en emploi ayant une incapacité est inférieur à celui des personnes en emploi sans incapacité. Une étude de She et Livermore (2007), reposant sur des données d’une enquête nationale menée aux États-Unis, a démontré que le revenu des personnes ayant une incapacité devait être au moins trois fois plus élevé pour réduire la prévalence des difficultés financières au niveau observé chez les personnes touchant un revenu égal au seuil de pauvreté^Note 33. Par ailleurs, de nombreuses personnes en emploi ayant une incapacité travaillent habituellement à temps partiel et gagnent le salaire minimum^Note 34. D’après les résultats d’une récente étude canadienne, les personnes ayant une incapacité étaient moins susceptibles de travailler à temps plein et plus susceptibles de travailler à temps partiel, comparativement aux personnes sans incapacité. De plus, les travailleurs à temps plein ayant une incapacité gagnaient, en moyenne, moins que leurs homologues sans incapacité 34.

Une autre constatation pertinente de la présente étude était que les personnes autochtones vivant hors réserve étaient nettement plus susceptibles de connaître de l’IAM, comparativement à d’autres personnes. Des études nationales antérieures ont démontré que la prévalence de l’IAM est considérablement plus élevée chez les membres des Premières Nations, les Métis et les Inuit qui vivent dans des régions urbaines^Note 35, ^Note 36, ^Note 37. Les coûts plus élevés des aliments dans les communautés autochtones, les difficultés à accéder aux aliments traditionnels, le changement climatique et les craintes de contamination ont entravé l’accès aux aliments nutritifs et contribué à l’insécurité alimentaire^Note 36. De plus, l’héritage du colonialisme a contribué à la défavorisation sociale et économique des personnes autochtones, ce qui se manifeste par l’insécurité alimentaire^Note 38. 

Les constatations de la présente étude auront diverses répercussions sur les recherches à venir. Étant donné la nature exploratrice et transversale de l’étude, les recherches à venir devraient reposer sur une approche fondée sur la distinction pour examiner les recoupements entre l’incapacité, l’IAM et d’autres déterminants de la santé sociaux, structurels et culturels. La surveillance continue de l’IAM chez les personnes ayant une incapacité pourrait orienter l’élaboration, l’évaluation et l’amélioration de programmes sociaux dans l’ensemble des secteurs de compétence. Par exemple, la Prestation canadienne pour les personnes handicapées est en cours de révision.

Limites de l’étude

L’étude comporte des limites qui devraient être prises en considération lors de l’interprétation des constatations. Dans le cadre de l’ECR, une personne du ménage est choisie au hasard pour répondre au module QII. Par conséquent, on ne peut pas déterminer si un autre membre du ménage avait une incapacité. En raison de l’approche d’échantillonnage utilisée pour le module QII de l’ECR, les personnes qui ont été sélectionnées pour y participer surreprésentaient les ménages composés d’une seule personne. Ces ménages avaient un revenu et des taux d’emploi plus faibles. Toutefois, des poids propres aux incapacités ont été créés dans le dossier pour tenir compte de cette limite. De plus, les taux d’IAM déclarés étaient semblables entre les personnes sélectionnées au hasard pour participer au module QII et les personnes qui n’ont pas été sélectionnées. Les données de l’ECR de 2021 pour les territoires n’étaient pas encore disponibles au moment de l’élaboration du présent document. Puisque l’analyse est fondée sur des données transversales, les changements temporels ou les inférences causales ne peuvent pas être déterminés. L’ECR ne comprend pas de questions sur l’identité de genre ou l’orientation sexuelle. Il n’était donc pas possible d’examiner la corrélation de ces facteurs avec l’insécurité alimentaire chez les personnes ayant une incapacité. Enfin, il n’était pas possible d’effectuer divers niveaux d’analyse désagrégée, surtout pour les différents groupes autochtones et les différents groupes racisés de personnes ayant une incapacité. Pour s’affranchir de cette limite, les auteurs ont envisagé de regrouper des données de plusieurs années. Toutefois, les cycles de l’ECR antérieurs à l’année de référence 2020 ne comprenaient pas de variables détaillées sur les incapacités.

Conclusion

La réduction de l’insécurité alimentaire est reconnue comme étant un indicateur clé pour mesurer l’efficacité de la première Stratégie canadienne de réduction de la pauvreté, et elle fait aussi partie des objectifs de développement durable et du Cadre de qualité de vie pour le Canada. D’après la présente étude, plus de 26 % des personnes de 16 ans et plus ayant une incapacité qui ont participé à l’ECR de 2021 vivaient dans un ménage en situation d’insécurité alimentaire (marginale, modérée ou grave). Parmi les personnes ayant une incapacité, celles de moins de 65 ans, celles ayant un revenu plus faible et celles ayant une incapacité plus grave ou plusieurs incapacités ont déclaré des niveaux d’IAM particulièrement élevés. La surveillance continue de l’IAM chez les personnes ayant une incapacité peut aider à orienter toute stratégie en cours ou nouvellement établie visant à réduire la pauvreté pour cette population.