Rapports sur la santé
Perte auditive non perçue chez les Canadiens de 40 à 79 ans

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par Pamela L. Ramage-Morin, Rex Banks, Dany Pineault et Maha Atrach

Date de diffusion : le 21 août 2019

DOI : https://www.doi.org/10.25318/82-003-x201900800002-fra

La perte auditive figure invariablement parmi les cinq principales causes des années de vie vécues avec une incapacitéNote 1Note 2Note 3. Au Canada, environ 19 % des adultes (4,6 millions de personnes) présentent au moins une perte auditive légère dans la gamme des fréquences vocales (0,5 kHz, 1 kHz, 2 kHz et 4 kHz)Note 4. Un pourcentage encore plus élevé de la population adulte, 35 % (8,4 millions de personnes), présente un certain degré de perte auditive dans la bande de hautes fréquences (3 kHz, 4 kHz, 6 kHz et 8 kHz)Note 4, soit la bande où la perte auditive liée à l’âge commence généralementNote 5. En plus du processus de vieillissement, la perte auditive peut également découler de facteurs héréditaires, de certaines maladies chroniques, d’une exposition au bruit, d’une exposition à des substances ototoxiques, de la prise de médicaments ototoxiques ou d’autres facteursNote 6Note 7Note 8Note 9. La capacité réduite de traiter de l’information acoustique peut gêner la communication. Par exemple, il peut se révéler difficile d’entendre ou de comprendre les paroles d’une autre personne, de dialoguer dans des environnements bruyants et de détecter la provenance d’un bruitNote 5Note 10.

Des conséquences sur la vie sociale et sur la santé sont liées à la surdité, y compris l’embarras, la fatigue, l’anxiété, la dépression et la détresseNote 9Note 10Note 11Note 12Note 13; l’isolation sociale et les restrictions à la participationNote 5 Note 11 Note 14; les problèmes de mobilité, les chutes et d’autres blessuresNote 15Note 16Note 17; une baisse de la qualité de vieNote 12Note 16Note 18; le déclin cognitif et la démenceNote 9Note 17Note 19Note 20Note 21Note 22; la mortalitéNote 23Note 24. La fatigue qui est souvent déclarée par les personnes ayant une perte auditive pourrait refléter les niveaux de concentration plus intenses qui sont nécessaires pour traiter l’information verbale. Cette augmentation de la charge cognitive est une explication possible des associations entre la perte auditive et la démence, puisque les ressources cognitives supplémentaires qui sont nécessaires à la communication sont utilisées au détriment de celles qui servent normalement à la mémoire et à d’autres processus cognitifsNote 21Note 25Note 26. Le risque de déclin cognitif et de démence existe même pour les personnes présentant des niveaux légers de perte auditiveNote 27. Les problèmes d’acuité auditive ont été associés à d’autres états comorbides, y compris le diabète et des maladies cardiovasculairesNote 9Note 13Note 17. Les défis et les conséquences associés à la perte auditive peuvent également s’étendre au-delà de la personne et toucher les membres de la famille et les autres partenaires de communication puisqu’ils adaptent leurs interactionsNote 18Note 28Note 29Note 30Note 31.

Étant donné les conséquences de la perte auditive, la détection et l’intervention précoces se révèlent importantesNote 11Note 13Note 18. Toutefois, la nature souvent insidieuse de la perte auditive peut représenter un obstacle, car les personnes et leurs partenaires de communication peuvent s’adapter au changement graduel de l’acuité auditive de sorte que l’évolution de la perte auditive passe inaperçueNote 32. Contrairement à la prévalence de la perte auditive chez les adultes canadiens, seulement 4 % des adultes canadiens (867 000 personnes) ont déclaré un certain degré de déficience auditiveNote 4. Même si une personne soupçonne avoir une perte auditive, il y a tout de même un délai moyen de sept ans ou plus avant qu’elle demande de l’aideNote 33Note 34. Ayasse et coll.Note 10 ont décrit ce délai comme représentant un grave problème de santé publique. Une perte auditive non traitée ou le retard de son traitement peuvent constituer des occasions ratées, puisqu’il a été démontré que les interventions (comme la fourniture d’appareils auditifs) ont un effet positif sur la qualité de vieNote 11Note 12. En outre, les personnes qui prennent conscience d’une perte auditive prématurée peuvent prendre des précautions supplémentaires pour protéger leur audition et prévenir ou retarder sa détérioration.

Deux cycles de l’Enquête canadienne sur les mesures de la santé (ECMS) comprenaient une évaluation audiométrique, qui représente la norme idéale pour mesurer l’acuité auditiveNote 35Note 36Note 37, ainsi que des questionsNote 38Note 39 sur la capacité auditive évaluée à l’aide de l’indice de l’état de santé (Health Utilities Index Mark 3 [HUI3])Note 40Note 41. Les données autodéclarées sont moins coûteuses et plus faciles à recueillir que les données provenant des tests audiométriques; par conséquent, elles offrent un potentiel d’utilisation dans la pratique clinique et les études épidémiologiquesNote 42Note 43Note 44. Un certain nombre d’études ont permis d’examiner les associations entre la perte auditive mesurée par audiométrie et l’état auditif autodéclaré principalement afin d’évaluer la correspondance entre les deuxNote 35Note 42Note 44Note 45Note 46Note 47. La présente étude repose sur ce travail : l’ECMS offre l’occasion unique d’examiner les caractéristiques de la population qui présente une perte auditive non perçue – le terme fait référence aux personnes qui ne déclarent pas une déficience auditive malgré un certain degré de perte auditive mesuré par audiométrieNote 48. La sensibilisation accrue à la perte auditive non perçue peut renforcer les avantages éventuels d’un dépistage régulier de la perte auditive ainsi que de la détection et de l’intervention précocesNote 11Note 12Note 13Note 30Note 34Note 37.

On a combiné les données des cycles 3 (de 2012 à 2013) et 4 (de 2014 à 2015) de l’ECMSNote 49 pour examiner la population adulte âgée de 40 à 79 ans qui présente une perte auditive non perçue. On a limité les analyses à ce groupe d’âge pour veiller à la qualité des données – la taille de l’échantillon était insuffisante pour obtenir des estimations fiables sur la déficience auditive autodéclarée chez les personnes de moins de 40 ans. L’analyse décrit la prévalence de la perte auditive mesurée par audiométrie et de la déficience auditive autodéclarée. La prévalence de la perte auditive non perçue a été examinée selon, entre autres, certaines caractéristiques sociodémographiques et liées à la santé.

Méthodes

Source des données

L’ECMS est une enquête transversale permanente dans le cadre de laquelle on échantillonne les ménages de cinq régions canadiennes (l’Atlantique, le Québec, l’Ontario, les Prairies et la Colombie-Britannique). Les participants fournissent des renseignements démographiques et socioéconomiques ainsi que des renseignements sur leur santé et leur mode de vie dans le cadre d’une interview en personne qui a lieu à domicile et qui est assistée par ordinateur, puis d’une visite à un centre d’examen mobile (CEM) où l’on recueille des mesures physiques directes. Sont exclus du champ de l’ECMS les membres à temps plein des Forces armées canadiennes, les résidents des trois territoires, des réserves des Premières Nations, d’autres peuplements autochtones et de certaines régions éloignées ainsi que la population vivant en établissement comme les établissements de soins infirmiers. Ensemble, ces exclusions représentent environ 4 % de la population cible. Les interviews par personne interposée étaient admises dans les cas de déficience physique ou intellectuelle.

Les données des cycles 3 et 4 (de 2012 à 2013 et de 2014 à 2015) ont été combinées aux fins de la présente analyse. Lors de chaque cycle, on a recueilli les données de janvier (de la première année) à décembre (de la deuxième année) à 16 emplacements, qui ont été sélectionnés au hasard parmi l’ensemble des cinq régions et où deux CEM ont été installés. Le taux de réponse combiné des cycles 3 et 4 pour les composantes des ménages et des CEM était de 52,7 %. Les renseignements détaillés sur le plan d’échantillonnage, la collecte des données et le calcul des taux de réponse figurent dans les guides de l’utilisateur des données de l’ECMSNote 38Note 39 et dans les Instructions pour la combinaison de multiples cycles de l’Enquête canadienne sur les mesures de la santé (ECMS)Note 49. De plus amples renseignements sur la base de sondage et la collecte de données sont disponibles à l’adresse http://www23.statcan.gc.ca/imdb/p2SV_f.pl?Function=getInstanceList&Id=251160.

Échantillon de l’étude

La présente étude est fondée sur un échantillon de 3 964 participants (1 989 hommes et 1 975 femmes) de 40 à 79 ans qui présentaient des résultats audiométriques valides pour les deux oreilles. Une fois les poids appliqués à l’échantillon des cycles 3 (n = 1 990) et 4 (n = 1 974), les participants représentaient une population de 15,2 millions de CanadiensNote 38Note 39Note 49.

Définitions

La mesure de la perte auditive était établie à l’aide d’un test audiométrique; elle était définie comme une moyenne unilatérale ou bilatérale des sons purs supérieure à 25 dB dans la moins bonne oreille sur des hautes fréquences (3 kHz, 4 kHz, 6 kHz et 8 kHz). Le degré de la perte pour les estimations de la prévalence était défini soit comme léger (supérieure à 25 dB et allant jusqu’à 40 dB) ou comme moyen à profond (supérieure à 40 dB). Les seuils de la perte auditive étaient fondés sur les lignes directrices de l’American Speech-Language-Hearing AssociationNote 50Note 51. La moyenne des sons purs aux hautes fréquences a servi de variable continue pour vérifier le degré de la perte auditive dans les modèles de régression logistique. De plus amples renseignements sur le test audiométrique de l’ECMS sont disponibles ailleursNote 4.

Les participants à l’enquête qui présentaient une perte auditive mesurée par audiométrie et qui répondaient aux trois critères suivants étaient classés comme ayant une perte auditive non perçue (Annexe Figure A) :

a) Ils n’ont pas déclaré la déficience auditive. Cela a été établi à l’aide de l’attribut auditif de l’indice HUI3Note 40Note 52. L’indice HUI3 est une mesure générique de l’état de santé fonctionnel fondée sur les préférences. On a demandé aux participants à l’enquête s’ils peuvent habituellement suivre une conversation dans un groupe d’au moins trois personnes sans se servir d’une prothèse auditive. Les personnes ayant répondu « Non » se sont vues poser des questions de suivi, y compris si elles peuvent habituellement suivre une conversation dans un groupe d’au moins trois personnes avec l’aide d’une prothèse auditive, si elles peuvent entendre quoi que ce soit, si elles peuvent habituellement tenir une conversation avec une autre personne dans une pièce silencieuse sans se servir d’une prothèse auditive, et si elles peuvent habituellement tenir une conversation avec une autre personne dans une pièce silencieuse avec l’aide d’une prothèse auditive. Les réponses étaient notées selon un algorithme établi avant d’être catégorisées. Une variable dichotomique permettait de déterminer les personnes qui ne déclaraient pas de déficience auditive (niveau 1) par rapport à celles qui déclaraient une certaine déficience auditive ou qui ne pouvaient rien entendre (niveaux 2 à 6).

b) Ils ne possédaient pas d’appareil auditif. On demandait aux participants à l’enquête s’ils avaient une prothèse auditive et, dans l’affirmative, s’ils en avaient une pour l’oreille gauche, l’oreille droite ou les deux oreilles. La possession d’un appareil auditif, qu’il soit utilisé ou non, était considérée comme un indicateur de la conscience de la perte auditive. Par conséquent, ces participants étaient exclus du groupe de personnes présentant une perte auditive non perçue.

c) Ils n’avaient reçu aucun diagnostic antérieur de problème auditif. On a demandé aux participants à l’enquête qui ont déclaré avoir subi des examens auditifs si un professionnel de la santé leur avait déjà diagnostiqué un problème d’audition. On a présumé que ceux qui ont répondu « Oui » avaient une certaine conscience de la perte auditive et ils ont été exclus du groupe de personnes ayant une perte auditive non perçue.

En résumé, les personnes étaient classées comme ayant une perte auditive non perçue si elles présentaient une perte auditive mesurée par audiométrie, n’avaient déclaré aucune déficience auditive, ne possédaient aucun appareil auditif et n’avaient reçu aucun diagnostic de problème auditif.

Les groupes d’âge (40 à 59 ans et 60 à 79 ans) étaient fondés sur le plan de sondage de l’ECMSNote 38Note 39. On a divisé le groupe d’âge des personnes plus âgées (60 à 69 ans et 70 à 79 ans) lorsque le nombre d’échantillons était suffisant. L’âge était inscrit comme variable continue dans les modèles de régression logistique.

On a regroupé les participants qui étaient mariés ou qui vivaient avec un partenaire en union libre et on les a comparés à ceux qui étaient séparés, veufs, divorcés ou célibataires (jamais mariés).

On a comparé les résidents des ménages de deux personnes ou plus à ceux qui vivaient seuls.

L’état de santé général autodéclaré a été catégorisé en deux groupes : bon, très bon ou excellent, et passable ou mauvais.

Les gens déclaraient la présence ou non d’acouphènes, qui était décrit comme « la perception d’un sifflement, d’un bourdonnement, d’un tintement ou d’un son strident ou assourdissant dans les oreilles quand il n’y a pas d’autres sons autour de vous ».

On demandait aux participants à l’enquête s’ils avaient un médecin de famille et on regroupait les participants selon leur réponse « Oui » ou « Non ».

On demandait également aux participants s’ils avaient travaillé dans un environnement bruyant (dans le passé ou actuellement), qui était défini comme un environnement où le bruit était si fort que la personne et ses collègues devaient parler d’une voix élevée pour être compris par quelqu’un ou pour communiquer avec quelqu’un se trouvant à la distance d’un bras. Les personnes qui répondaient « Oui » se voyaient ensuite demander si elles devaient porter des protecteurs d’oreilles au travail. Une variable dichotomique a été utilisée pour les estimations de prévalence. On a créé une seconde variable pour le port obligatoire de protège-oreilles; elle comprenait une catégorie « n’ayant pas lieu de figurer » pour qu’on puisse l’inclure dans les modèles de régression logistique. Les données pour ce groupe ne sont pas présentées.

Techniques d’analyse

On a calculé des fréquences pondérées et produit des tableaux croisés pour examiner la prévalence de la perte auditive, de la déficience auditive autodéclarée et de la perte auditive non perçue selon le sexe, le groupe d’âge ainsi que certaines caractéristiques sociodémographiques et liés à la santé et au travail. Une régression logistique a servi à examiner la cote exprimant le risque d’avoir une perte auditive non perçue avec les variables qui étaient significatives dans l’analyse bivariée. Les modèles ajustés ont servi à tenir compte du sexe, de l’âge et du degré de la perte auditive (moyenne des sons purs aux hautes fréquences). Le modèle 1 comprenait des variables liées à la santé, alors que les deux variables liées au travail constituaient le centre d’intérêt du modèle 2. Pour tenir compte du plan de sondage complexe, on a estimé la variance, calculé les coefficients de variation et effectué un test de signification (intervalles de confiance [IC] à 95 %) à l’aide de la méthode bootstrap avec 22 degrés de libertéNote 53. Les poids de sondage tiennent compte de la non-réponse pour que les estimations représentent la population canadienne à domicile moyenne âgée de 40 à 79 ans au cours de l’enquête (de 2012 à 2015). Les analyses ont été effectuées à l’aide de la version 9.3 de SAS et de la version 11.0 exécutable par SAS du logiciel SUDAAN.

Résultats

Perte auditive mesurée par audiométrie

Environ 54 % des Canadiens de 40 ans ou plus (8,2 millions de personnes) présentaient au moins une perte auditive légère dans la bande de hautes fréquences selon un test audiométrique (figure 1). Les hommes étaient plus susceptibles que les femmes de présenter une perte auditive (63 % contre 46 %) tout comme l’étaient les adultes plus âgés comparativement à ceux de 40 à 59 ans. Par exemple, 93 % des personnes de 70 à 79 ans présentaient une perte auditive, alors que ce chiffre était de 38 % dans le groupe des adultes plus jeunes.

Déficience auditive autodéclarée

En général, 6 % des personnes de 40 à 79 ans (971 000 personnes) étaient classées comme ayant une déficience auditive selon les données autodéclarées obtenues en réponse aux questions de l’ECMS. Les estimations de la déficience auditive étaient toujours inférieures aux estimations de la perte auditive mesurée par audiométrie, bien que des tendances similaires par sexe et groupe d’âge aient été observées.

Perte auditive non perçue

Parmi les 8,2 millions d’adultes ayant une perte auditive mesurée par audiométrie, la majorité (77 % ou 6,3 millions de personnes) ne percevait pas la perte auditive (tableau 1). Ce phénomène était plus commun chez les personnes dont la perte mesurée était unilatérale (86 %) plutôt que bilatérale (74 %) et chez celles dont la perte auditive mesurée était légère (93 %) plutôt que moyenne à profonde (65 %).

Facteurs associés à une perte auditive non perçue

Le tableau 2 présente la prévalence de la perte auditive non perçue en fonction de certaines caractéristiques. Selon ces caractéristiques, aucune différence n’a été observée dans la prévalence de la perte auditive non perçue chez les personnes ayant une perte auditive mesurée légère.

Parmi les personnes présentant une perte auditive moyenne à profonde mesurée par audiométrie, celles qui ont déclaré avoir une santé bonne à excellente étaient plus susceptibles de présenter une perte auditive non perçue (66 %) que celles qui évaluaient leur santé comme passable ou mauvaise (56 %). Les personnes qui avaient eu des acouphènes étaient moins susceptibles de présenter une perte auditive non perçue que celles qui n’avaient jamais eu ce problème (56 % contre 72 %). Les personnes qui n’avaient jamais travaillé dans un environnement bruyant étaient plus susceptibles d’avoir une perte auditive non perçue que celles qui avaient une expérience de travail dans un milieu bruyant. Parmi les personnes qui avaient travaillé dans un environnement bruyant, celles qui avaient déclaré que le port de protège-oreilles était obligatoire étaient plus susceptibles d’avoir une perte auditive non perçue. À part ces caractéristiques liées à la santé et au travail, aucune différence n’a été observée dans les estimations de la prévalence de la perte auditive non perçue qui étaient fondées sur les facteurs sociodémographiques suivants : le sexe, le groupe d’âge, l’état matrimonial et les modalités de vie.

Le tableau 3 présente les cotes exprimant le risque d’avoir une perte auditive non perçue selon certaines caractéristiques. Le vieillissement était associé à des cotes moins élevées (0,97) d’avoir une perte auditive non perçue lorsqu’on en tenait compte séparément. Toutefois, cette association significative disparaissait dans les modèles ajustés. Tant dans les modèles de régression logistique non ajustés que dans les modèles ajustés, le degré de la perte auditive était significatif – plus la moyenne des sons purs aux hautes fréquences des personnes augmentait, plus les cotes exprimant le risque d’avoir une perte auditive non perçue diminuaient. Après avoir tenu compte de la moyenne des sons purs, de l’âge et du sexe, les cotes exprimant le risque de présenter une perte auditive non perçue étaient moins élevées chez les personnes qui avaient eu des acouphènes (0,5) que chez la population n’ayant pas d’acouphènes (modèle 1), et elles étaient beaucoup plus élevées chez les personnes qui n’avaient jamais travaillé dans un environnement bruyant (1,6) que chez celles ayant une expérience de travail dans des environnements bruyants. Malgré ces différences de cotes exprimant le risque d’avoir une perte auditive non perçue, la prévalence de la perte auditive aux hautes fréquences était similaire chez les personnes ayant des antécédents d’acouphènes (57 %; IC de 95 % : 53 à 60) et celles sans antécédents (52 %; IC de 95 % : 49 à 55), ou chez les personnes qui avaient travaillé dans un environnement bruyant (57 %; IC de 95 % : 52 à 61) et celles dont ce n’était pas le cas (53 %; IC de 95 % : 49 à 56).

Discussion

La présente étude, représentative à l’échelle nationale, repose sur des recherches antérieures qui exploraient la concordance entre l’acuité auditive mesurée par un test audiométrique et des données autodéclaréesNote 35Note 44Note 46. Les données provenant de l’ECMS ont révélé que les estimations de la prévalence de la perte auditive mesurée par audiométrie (dans la bande de hautes fréquences) étaient invariablement supérieures aux estimations subjectives de la déficience auditive autodéclarée, ce qui a permis de trouver un segment de la population caractérisé comme ayant une perte auditive non perçue – les personnes dont l’acuité auditive est diminuée, mais qui n’ont pas déclaré de déficience auditive.

Perte auditive légère

De nombreuses raisons expliquent pourquoi la perte auditive peut passer inaperçue. Une raison évidente est que si la perte est minimale, elle peut rester non détectée, ce qui reflète l’apparition souvent insidieuse de la perte auditiveNote 32Note 54. Les résultats de l’étude appuient cette possibilité, puisque la perte auditive non perçue était plus commune chez les personnes dont la perte auditive mesurée était classée comme légère et, dans les modèles de régression logistique, le degré de la perte fondé sur la moyenne des sons purs était associé de manière significative à la perte auditive non perçue. Toutefois, chez les personnes ayant une perte auditive modérée à profonde, près des deux tiers présentaient une perte auditive non perçue, ce qui indique que d’autres facteurs que le degré de la perte peuvent également être importants.

Compensation et adaptation

Les personnes dont la perte auditive apparaît graduellement peuvent compenser et s’adapter de sorte que la perte passe toujours inaperçue et que les personnes continuent de « bien entendre »Note 32Note 47. La présente étude a démontré que les personnes présentant une perte auditive unilatérale étaient plus susceptibles d’avoir une perte non perçue, ce qui semble indiquer qu’elles compensent la perte en se fiant à leur bonne oreille. Les gens peuvent s’adapter graduellement en lisant sur les lèvres, en se rapprochant pour communiquer et en augmentant le volume sur leurs dispositifs d’écouteNote 55.

Prise de conscience

Il se pourrait qu’avoir un problème émotionnel ou social soit nécessaire pour prendre conscience de la perte auditive et, ainsi, réduire le taux de perte auditive non perçueNote 30Note 47. Cette prise de conscience pourrait être déclenchée par des membres de la famille, des amis ou des collègues exprimant une inquiétude à propos de l’audition de la personneNote 28. Ils peuvent être témoins de comportements inadaptés chez la personne ayant d’une déficience auditive, y compris faire semblant d’entendre, essayer de deviner ce qu’on vient de dire et éviter les endroits comme les restaurants bruyants qui présentent des défis sur le plan de l’auditionNote 55. En revanche, les partenaires de communication peuvent faciliter ou prolonger la perte auditive non perçue d’une personne en l’aidant à réduire toute restriction associée au problème d’auditionNote 56Note 57. Les données de l’ECMS n’ont révélé aucune association entre l’état matrimonial ou les modalités de vie et la perte auditive non perçue. Il est possible que ce constat reflète les dispositions contraires prises par les partenaires de communication des personnes malentendantes : certains partenaires peuvent remarquer des signes de perte auditive et les signaler à la personne alors que d’autres partenaires peuvent s’adapter et compenser la perte eux-mêmes, ce qui réduit la prise de conscience du problème. Cela pourrait se solder par une absence d’association à l’échelle de la population.

Acouphènes

Avoir des acouphènes peut également réduire la perte auditive non perçue, car les personnes qui vont chercher de l’aide pour les acouphènes passeront vraisemblablement une évaluation audiométrique, ou bien les sons des acouphènes pourraient suffire à attirer l’attention d’une personne sur son acuité auditive. Selon les données de l’ECMS, les personnes qui ont eu des acouphènes étaient moins susceptibles de présenter une perte auditive non perçue. Ce constat est cohérent avec les résultats d’une vaste étude coréenneNote 58 qui a trouvé que la cote exprimant le risque d’avoir une perte auditive non perçue était moins élevée chez les personnes ayant des acouphènes.

Déni et stigmatisation

Le déni pourrait contribuer à la perte auditive non perçue, en particulier à un plus jeune âge quand les exigences en matière de communication qui proviennent de la famille, du travail et d’autres situations sont plus élevéesNote 30Note 59. Une perte auditive peut être stigmatisanteNote 47Note 60Note 61; par conséquent, les gens peuvent rejeter tout ce qui est associé au problème ainsi qu’aux stéréotypes sur le vieillissement qui l’accompagnentNote 30Note 54. Le déni et la peur de la stigmatisation sont compréhensibles, puisque les personnes ayant une déficience auditive peuvent subir des conséquences importantesNote 54Note 60Note 61. Dalton et coll.Note 18 ont souligné les conséquences économiques potentielles de la perte auditive lorsqu’ils ont révélé la probabilité réduite d’occuper un emploi à temps plein chez les hommes présentant une perte auditive comparativement à ceux ayant une audition normale. Erler et GarteckiNote 59 ont trouvé que, chez les femmes, l’âge était un facteur important dans le développement des attitudes et des sentiments de stigmatisation associés à la perte auditive. Ils ont suggéré que la perte auditive et l’utilisation d’appareils auditifs devenaient plus communes avec l’âge et que la familiarité favorise une plus grande sensibilisation, une meilleure acceptation et une diminution de la stigmatisation.

Perte auditive inattendue

Il est possible que la perte auditive passe inaperçue parce qu’elle est inattendue, par exemple, chez les gens plus jeunes que l’âge de la préretraiteNote 30. La perte auditive est associée au vieillissement et à une santé déclinante et, par conséquent, peut être inattendue parmi les personnes en bonne santé. Selon les données de l’ECMS, les personnes qui évaluaient leur santé d’un œil très positif étaient plus susceptibles d’avoir une perte auditive non perçue, même si l’association était atténuée lorsqu’on prenait d’autres facteurs en compte, un résultat qui correspond à ceux de l’enquête coréenne sur la santé et la nutrition (Korea National Health and Nutrition Examination Survey [KNHANES])Note 58. La perte auditive des personnes qui n’ont jamais travaillé dans un environnement bruyant peut également être inattendue et, ainsi, non perçue. Selon les données de l’ECMS, la cote exprimant le risque d’avoir une perte auditive non perçue était plus élevée chez ces personnes, ce qui concorde également avec l’enquête KNHANES qui a examiné les personnes ayant été exposées au bruit dans leur milieu de travailNote 58. Ce groupe de personnes présentant une perte auditive inattendue est important pour la sensibilisation à la perte auditive, puisque les données de l’ECMS montrent que la prévalence de la perte auditive aux hautes fréquences chez les personnes qui avaient travaillé dans un environnement bruyant ne présentait pas de différence significative par rapport à celle observée chez les personnes qui n’avaient pas travaillé dans un environnement bruyant.

Dépistage

La plus forte prévalence de la perte auditive non perçue parmi les personnes qui ne s’y attendent peut-être pas semble indiquer que le dépistage proactif serait avantageuxNote 11Note 32. Prendre conscience d’une perte auditive non perçue est un processus qui prend du tempsNote 30Note 62. JenningsNote 30 place les personnes ayant une perte auditive non perçue au stade de la précontemplation du modèle transthéorique. Une personne doit être consciente de sa perte auditive pour passer au stade de la contemplation, où ils peuvent penser à prendre des mesures, comme la consultation d’un professionnel de la santé auditive. La détection et le traitement précoces de la perte auditive pourraient aider à prévenir la croissance de l’isolement social, le développement de la dépression, la diminution de la qualité de vie ainsi que d’autres conséquences de la perte auditive non traitéeNote 11Note 63.

Forces et limites

La présente étude est fondée sur un vaste échantillon représentatif de la population canadienne. Elle comprend les résultats d’un test audiométrique ainsi qu’une mesure subjective de la déficience auditive reposant sur l’indice HUI3.

Toutefois, cette approche comporte un certain nombre de limites. La limite supérieure d’âge de l’ECMS est fixée à 79 ans, ce qui exclut un segment plus âgé de la population qui est plus susceptible d’avoir une perte auditive. L’ECMS est limitée aux personnes vivant dans des ménages privés, ce qui exclut les personnes qui vivent dans des établissements de soins de longue durée ou dans d’autres types d’établissements. Le début et la durée de la perte auditive sont inconnus. Certaines enquêtes comportent des questions subjectives conçues pour remplacer une mesure par audiométrieNote 44Note 46, comme « Sentez-vous que vous avez une perte auditive ? », ce qui donne une estimation adéquate de la mesure de la perte auditive dans la population plus âgéeNote 44. L’ECMS comprend l’attribut auditif de l’indice HUI3, qui a été conçu pour mesurer les limites fonctionnelles ou les capacités dans diverses circonstances (p. ex. si les gens peuvent suivre une conversation de groupe avec au moins trois autres personnes sans porter d’appareil auditif) et non comme solution de rechange à la mesure de la perte auditive par audiométrieNote 40Note 41. Certaines personnes peuvent remarquer leur perte d’acuité auditive au moment de déclarer qu’ils n’ont pas de difficulté à entendre. Par conséquent, le groupe classé comme ayant une perte auditive non perçue peut comprendre des personnes qui ne sont pas du tout conscientes de la diminution de leur acuité auditive ainsi que celles qui en sont conscientes, mais qui ne déclarent aucune difficulté. On pourrait considérer cela comme un manque d’acceptation de la perte auditive plutôt que comme une perte non perçueNote 30. Finalement, l’ECMS est pondérée pour représenter la population et ajustée pour la non-réponse. Toutefois, on ne sait pas si les personnes ayant une perte auditive ou des problèmes auditifs étaient plus susceptibles ou moins susceptibles de répondre à l’enquête.

Conclusion

Bien que le terme « perte auditive non perçue » soit précédemment apparu dans la littératureNote 48, il n’est pas d’usage courant en audiologie. Toutefois, c’est un terme utile pour désigner un phénomène commun chez les Canadiens d’âge moyen ou avancé. La forte prévalence de la perte auditive non perçue indique qu’il est nécessaire de mieux sensibiliser les personnes qui présentent une perte et les fournisseurs de soins de santéNote 32. Prendre conscience d’une perte auditive est un processusNote 62, et un dépistage régulier est une stratégie qui a été proposée pour aider à réduire la perte auditive non perçueNote 11Note 64Note 65. Un dépistage régulier offre une occasion supplémentaire de détection des états comorbides associés à la perte auditiveNote 65. Un dépistage régulier pourrait mener à une détection et une intervention plus précoces qui pourraient ultimement améliorer la qualité de vie des personnes qui ont une perte auditive.

Références
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