Rapports sur la santé
Problèmes auditifs et sentiment d’isolement social chez les Canadiens âgés de 45 ans et plus
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par Pamela L. Ramage-Morin
Les personnes qui ont tendance à s’épanouir au fur et à mesure qu’elles avancent en âge sont celles qui demeurent actives sur le plan socialNote 1. Elles ont un réseau de parents et d’amis qui leur permet de participer à la vie sociale et d’avoir un sentiment d’appartenance et d’utilitéNote 2Note 3. Parallèlement, les personnes peuvent être « isolées socialement », manquer de contacts sociaux et de soutien et ne pas éprouver de sentiment d’appartenanceNote 4Note 5Note 6. Le terme « isolement social » ne réfère pas aux personnes qui ont rompu volontairement les liens sociaux, mais plutôt aux personnes isolées socialement, qui ont un besoin non comblé d’interactions sociales sincères, que l’ont décrit souvent comme de la solitudeNote 4Note 7. Les personnes qui sont isolées socialement sont plus susceptibles de connaître une mauvaise qualité de vie et d’être touchées par la morbidité et la mortalitéNote 2Note 8Note 9Note 10Note 11Note 12Note 13Note 14. L’isolement social chez les personnes âgées constitue une préoccupation particulièreNote 13Note 15, étant donné que l’on estime que plus de 30 % des personnes âgées au Canada présentent un risque élevéNote 7.
La perte auditive et les difficultés de communication qui en découlent peuvent nuire aux activités sociales et à l’intégrationNote 16. En 2012-2013, on estime que 4,5 millions d’adultes (19 %) présentaient une perte auditive dans la fourchette associée au niveau normal de la parole; 8,4 millions (35 %) affichaient une perte auditive aux hautes fréquences, ce qui est souvent lié au vieillissementNote 17Note 18. À l’âge de 70 à 79 ans, 65 % des personnes affichaient une perte auditive dans les fréquences vocales, et presque toutes (94 %), une perte auditive aux hautes fréquencesNote 17. En raison de la tendance à nier ou à minimiser la perte auditive et de la nature insidieuse du problème, seule une fraction de personnes présentant une perte auditive ont déclaré connaître dans les faits des difficultés auditives ou de communication, soit 4 % des adultes, ou moins d’un million de personnesNote 16Note 17Note 19. Étant donné que la population canadienne vieillit et qu’elle devrait passer d’environ 6 millions en 2015 à 9 millions en 2030, on s’attend à ce que le nombre de personnes ayant des problèmes auditifs augmenteNote 20.
Dans la présente étude, on examine les associations entre les problèmes auditifs et l’isolement social. La présence de problèmes est fondée sur la capacité autodéclarée à comprendre une conversation et, par conséquent, rend compte d’une limitation fonctionnelle, plutôt que d’une perte biologique d’acuité auditive. Les problèmes auditifs sont par la suite classés de la façon suivante : corrigés (capable d’entendre avec un appareil auditif) ou non corrigés (incapacité d’entendre dans certaines situations, même avec un appareil auditif)Note 21.
L’isolement social a été conceptualisé et mesuré9 de différentes façonsNote 6Note 7Note 9Note 22Note 23. Pour les besoins de la présente analyse, l’accent est mis sur l’isolement social perçu ou subjectif, mesuré comme la combinaison d’un sentiment de solitude et d’un faible sentiment d’appartenance à la communauté, plutôt que sur des mesures objectives, comme la taille du réseau ou la fréquence de la participation. L’isolement social perçu rend compte de la façon dont les personnes se sentent au sujet de leurs rapports sociaux et participation sociale, et de l’écart entre la situation souhaitée et la situation réelle, le cas échéantNote 4Note 22Note 24.
Les associations entre les problèmes auditifs et l’isolement social ou la solitude ont été explorées dans une gamme variée de populations, mais pas au Canada, et souvent à partir de tailles d’échantillon plus petitesNote 5Note 16Note 25Note 26Note 27. La présente étude examine la problématique chez les Canadiens âgés de 45 ans et plus, sur la base d’un échantillon important représentatif de la population à domicile des 10 provinces.
Méthodes
Source des données
Les données sont tirées de l’Enquête sur la santé dans les collectivités canadiennes – Vieillissement en santé (ESCC–VS) de 2008-2009, une enquête transversale qui vise les personnes âgées de 45 ans et plus vivant dans des logements privés dans les 10 provinces. Étaient exclus du champ de l’enquête les habitants des trois territoires, des réserves des Premières Nations et de certaines régions éloignées, les résidents d’établissements ainsi que les membres à temps plein des Forces canadiennes. Les données ont été recueillies du 1er décembre 2008 jusqu’au 30 novembre 2009 inclusivement, principalement au moyen d’interviews sur place assistées par ordinateur. Le taux de réponse combiné au niveau du ménage et de la personne a été de 74,4 %. Les participants à l’enquête qui ont répondu par personne interposée étaient au nombre de 689 et constituaient 2,2 % de l’échantillon (tableau A en annexe). Étant donné que l’isolement social a été déterminé à partir de questions subjectives qui n’étaient pas administrées à ces participants, ils ont été exclus de l’échantillon. Ainsi, l’échantillon définitif d’étude comptait 30 176 personnes. Des détails concernant l’ESCC–VS sont disponibles dans le site Web de Statistique Canada (www.statcan.gc.ca).
Mesures
Les niveaux de déficit fonctionnel pour l’audition, la vision, l’élocution, la mobilité, la dextérité, la douleur, l’émotion et la cognition ont été fondés sur le Health Utilities Index Mark 3 (HUI3)Note 28Note 29. Chaque attribut du HUI3 comporte cinq ou six niveaux, auxquels correspondent des scores d’indice de l’état de santé allant de 0,00 (le plus déficient) à 1,00 (aucune déficience). Des variables continues pour chaque attribut ont été créées au moyen des scores d’indice de l’état de santé respectifs pour les modèles de régression logistique. Les estimations de la prévalence pour les difficultés auditives ont été fondées sur une variable ordinale comportant une distinction entre aucune déficience (niveau 1), déficience légère (niveau 2) et déficience modérée/grave (niveaux 3 à 6)Note 30. Les autres types de déficience fonctionnelle ont été dichotomisés comme absence de déficience/déficience légère (niveaux 1, 2), comparativement à déficience modérée/grave (niveaux supérieurs à 2), sauf dans le cas de la cognition, où les niveaux 1 à 3 correspondaient à l’absence de déficience/une déficience légère, et les niveaux supérieurs à 3, à une déficience modérée/graveNote 30.
En reprenant l’approche de Corna et coll.Note 21, la capacité auditive a été classée comme aucune difficulté, corrigée, non corrigée, ou ne peut pas entendre du tout, au moyen des modèles de réponse (1 = oui, 2 = non, 6 = sans objet) aux questions sur l’audition du HUI3 : « Habituellement, pouvez-vous suivre une conversation dans un groupe d’au moins trois personnes sans vous servir d’une prothèse auditive? » (Q1); « Avec l’aide d’une prothèse auditive? » (Q2); « Pouvez-vous entendre quoi que ce soit? » (Q3); « Habituellement, pouvez-vous tenir une conversation avec une autre personne dans une pièce silencieuse sans vous servir d’une prothèse auditive? » (Q4); « Avec l’aide d’une prothèse auditive? » (Q5) (tableau explicatif 1).
L’incontinence a été établie au moyen de la question suivante : « Êtes-vous atteint(e) d’incontinence urinaire? » On a demandé aux participants à l’enquête de répondre « oui » si leur problème avait été diagnostiqué par un professionnel de la santé et persistait depuis six mois, ou devait persister pendant au moins six mois.
La peur de tomber a été fondée sur une réponse positive à la question « Êtes-vous inquiet (inquiète) ou préoccupé(e) par la possibilité que vous pourriez tomber à l’avenir? », qui a été posée aux participants à l’enquête âgés de 65 ans et plus. On a présumé une réponse négative pour les participants plus jeunes.
Le stress au quotidien a été classé comme élevé (la plupart des journées sont assez ou extrêmement stressantes) ou faible (la plupart des journées ne sont pas du tout stressantes, pas tellement stressantes ou sont un peu stressantes).
Outre l’âge et le sexe, les variables sociodémographiques de l’analyse étaient le niveau de scolarité du ménage, à savoir, le niveau de scolarité le plus élevé atteint par un membre du ménage (diplôme d’études postsecondaires ou niveau supérieur d’études, pas de diplôme d’études postsecondaires); l’état matrimonial; les modalités de vie (vivant seul(e) ou avec d’autres, les « autres » pouvant être le conjoint, les enfants, un ami ou une autre personne); la conduite régulière d’un véhicule automobile définie comme le fait de détenir un permis de conduire valide et d’avoir conduit au moins une fois au cours du dernier mois. La situation d’activité a été fondée sur la semaine précédente : travaillait à un emploi/était absent(e) du travail/ne travaillait pas, mais cherchait un emploi. Les questions n’étaient posées qu’aux participants à l’enquête de moins de 75 ans. Les personnes de 75 ans et plus ont été classées comme inactives.
L’isolement social a été établi à partir de deux variables mesurant la solitude et l’appartenance à la communauté. À partir de l’échelle de solitude à trois items (Three-Item Loneliness Scale), qui est fondée sur l’échelle révisée de l’UCLANote 31, on a posé la question suivante aux participants à l’enquête : « À quelle fréquence vous arrive-t-il de ressentir un manque de compagnie? D’avoir l’impression d’être tenu(e) à l’écart? D’éprouver le sentiment d’être isolé(e) des autres? » Les valeurs des catégories de réponse (1 = à peu près jamais; 2 = parfois; 3 = souvent) ont été additionnées. Les participants à l’enquête qui ont obtenu un score de 3 ont été classés comme ne souffrant pas de solitude, comparativement à ceux dont le score allait de 4 à 9.
Le sentiment d’appartenance à la communauté a été déterminé à partir d’une question : « Comment décririez-vous votre sentiment d’appartenance à votre communauté locale? Diriez-vous qu’il est très fort? Plutôt fort? Plutôt faible? Très faible? » Les participants à l’enquête ont été classés comme isolés socialement s’ils souffraient de solitude et avaient un sentiment d’appartenance à la communauté plutôt faible ou très faible (tableau explicatif 2).
La corrélation tétrachorique entre la solitude et le sentiment d’appartenance à la communauté était de 0,2, ce qui appuie la notion selon laquelle il est possible de se sentir seul mais d’avoir un sentiment d’appartenance à la communauté en même temps, et vice versa. D’autres groupes s’excluant mutuellement (seul(e), solitaire et en relation) ont été établis à partir des deux variables.
Techniques d’analyse
Les hommes et les femmes ont été analysés séparément. Des totalisations croisées pondérées et des modèles de régression logistique ont servi à examiner les associations entre les variables indépendantes et l’isolement social. Un modèle logistique préliminaire a permis de déterminer s’il existait une association entre les problèmes auditifs et l’isolement social, conditionnelle à l’âge du participant à l’enquête. Le terme d’interaction n’était pas significatif (données non présentées). Dans les modèles subséquents, on a regroupé les participants à l’enquête et on a tenu compte de l’âge. Les modèles de régression logistique multiple, corrigés des facteurs confusionnels potentiels dont on sait qu’ils sont associés à l’isolement social, ont en outre été corrigés de l’âge (continu) et de l’âgeNote 2 en raison du rapport non linéaire entre l’isolement social et l’âge (figure 1). Une variation minimale de 0,05 du score du HUI3 à l’égard d’un attribut unique a été considérée comme significativeNote 32Note 33. L’état matrimonial et le stress ont été exclus de la régression logistique, en raison de leurs corrélations respectives avec les modalités de vie et le trouble émotionnel. Les données ont été pondérées en fonction du groupe d’âge, du sexe et de la province, puis corrigées pour tenir compte de la non-réponse. Afin de tenir compte des effets du plan de sondage de l’ESCC–VS, on a calculé les coefficients de variation et les valeurs p et effectué des tests de signification à l’aide de la méthode du bootstrapNote 34Note 35.
Résultats
Caractéristiques de la population étudiée
L’échantillon de l’étude, constitué de 30 176 participants à l’enquête, a été pondéré pour représenter 13,3 millions de personnes âgées de 45 ans et plus, dont l’âge moyen était de 60,4 ans (tableau A en annexe). Près de la moitié de ces personnes (48 %) étaient des hommes, et la majorité (69 %) d’entre elles vivaient dans un ménage où au moins une personne détenait un diplôme d’études postsecondaires.
Problème auditif
En 2008-2009, on estime que 864 000 personnes (7 %) âgées de 45 ans et plus ont déclaré avoir un problème auditif. Chez la moitié d’entre elles, le problème était léger plutôt que modéré ou grave (tableau 1). Environ 5 % des personnes avaient une déficience auditive corrigée, tandis que 2 % ne pouvaient pas toujours entendre ce qui se disait, même avec une prothèse auditive. La déficience auditive était plus répandue aux âges plus avancés, touchant 21 % des personnes de 75 ans et plus. Les hommes étaient généralement plus susceptibles que les femmes d’avoir une déficience auditive (8 % par rapport à 5 %), même si des différences significatives entre les sexes ne ressortaient que dans les groupes les plus âgés.
Isolement social perçu
On estime que 1,9 million de personnes, soit 12 % des hommes et 16 % des femmes, s’étaient senties isolées socialement, du fait qu’elles ont déclaré souffrir de solitude et avoir un sentiment faible ou plutôt faible d’appartenance à la communauté (tableau 2).
L’isolement social était plus répandu chez les 45 à 59 ans que chez les personnes appartenant à presque tous les autres groupes d’âge plus avancé (tableau 2), même si les données continues laissent supposer que l’isolement social peut augmenter de nouveau à des âges plus avancés (figure 1).
Dans l’ensemble, la participation à la population active n’était pas associée à l’isolement social, même si les 45 à 59 ans qui n’étaient pas actifs étaient significativement plus susceptibles que les personnes du même âge qui travaillaient ou qui cherchaient activement du travail de se sentir isolés.
Des niveaux élevés de stress au quotidien étaient associés à l’isolement social, et 28 % (IC de 95 %, 26 à 29) des 45 à 59 ans ont déclaré que la plupart des journées étaient assez ou extrêmement stressantes, ce qui est significativement plus élevé que les estimations pour les personnes de 60 à 74 ans (14 %; IC de 95 %, 13 à 15) ou de 75 ans et plus (10 %; IC de 95 %, 9 à 11) (données non présentées).
Les femmes étaient systématiquement plus susceptibles que les hommes d’être isolées socialement (sauf les femmes veuves, séparées ou divorcées, ou celles vivant seules). L’isolement social était associé à un faible niveau de scolarité (hommes), au fait de vivre seul(e) et de ne pas avoir de conjoint(e), à l’incontinence (femmes), à la peur de tomber, au niveau élevé de stress au quotidien et à certaines déficiences fonctionnelles — vision (femmes), mobilité, douleur, émotion et cognition. Les deux dernières déficiences sont dignes de mention, les hommes et les femmes éprouvant ces difficultés étant effectivement de deux à quatre fois plus susceptibles d’être isolés socialement que les personnes n’ayant pas ces types de déficiences. Les personnes qui conduisaient régulièrement étaient moins susceptibles que celles qui ne conduisaient pas d’être isolées socialement.
Problèmes auditifs et isolement social perçu
Chez les hommes, les problèmes auditifs n’étaient pas associés à l’isolement social (tableau 2), même une fois les caractéristiques sociodémographiques et les autres problèmes pris en compte (tableau 3). Par contre, 23 % des femmes ayant un problème auditif ont déclaré se sentir isolées socialement, comparativement à 16 % des femmes n’en ayant pas. Cette association subsistait même une fois les autres facteurs pris en compte. Au fur et à mesure que les problèmes auditifs augmentaient, la cote exprimant le risque d’être isolé socialement augmentait aussi (1,04).
Même si les estimations ponctuelles pour les femmes laissent supposer un gradient de prévalence de l’isolement social — les femmes sans déficience auditive présentant les taux de prévalence les plus faibles, suivies de celles ayant un problème corrigé, puis de celles ayant un problème non corrigé —, la différence entre les deux derniers groupes n’était pas significative (tableau 2, figure 2). Les hommes ayant des problèmes auditifs corrigés étaient plus susceptibles que ceux n’en ayant pas d’être isolés socialement.
Discussion
Selon la présente étude, les problèmes auditifs étaient associés à l’isolement social chez les femmes, mais non chez les hommes. Ces résultats se sont maintenus, même une fois corrigés des facteurs sociodémographiques, d’autres limitations fonctionnelles, de l’incontinence et de la peur de tomber. Des associations entre les problèmes auditifs et l’isolement social ont été observées dans d’autres recherches, mais les résultats n’ont pas été stratifiés selon le sexeNote 5Note 25Note 36Note 37. Par exemple, après avoir déclaré que la prévalence de l’isolement social ne variait pas entre les hommes et les femmes de 60 ans et plus, Hawthorne et coll.Note 5 ont mené une analyse des deux sexes confondus. En revanche, dans la présente étude, lorsque les deux sexes ont été examinés ensemble, il en est ressorti clairement un rapport significatif entre les problèmes auditifs et l’isolement social. Selon l’analyse stratifiée, ce rapport était attribuable principalement à l’association chez les femmes. Dans chaque groupe d’âge, les femmes étaient significativement plus susceptibles que les hommes d’être isolées socialement.
Les problèmes auditifs peuvent mener à l’isolement social si les personnes se retirent pour éviter d’avoir à suivre une conversation ou d’éprouver de l’embarras suscité par la perte auditive ou l’utilisation d’une prothèse auditiveNote 37Note 38. La perte auditive a aussi été associée à un faible degré de mobilité et aux chutes, à un moins bon état de santé, ainsi qu’à un déclin cognitif, problèmes pouvant tous contribuer à l’isolement socialNote 39Note 40Note 41Note 42. Même si ces associations étaient évidentes dans la présente analyse, les problèmes auditifs étaient associés indépendamment à l’isolement social chez les femmes.
En dépit de progrès considérables réalisés dans l’industrie des accessoires et appareils fonctionnelsNote 43, la plupart des adultes canadiens (88 %) présentant une perte auditive n’utilisent pas de prothèse auditiveNote 17. Parmi les raisons de cela figurent le coût des appareils et le fait de croire qu’ils ne sont pas nécessairesNote 38. La présente étude a comparé l’isolement social parmi les personnes dont la prothèse auditive leur permettait de comprendre ce qui se disait dans une conversation (problème auditif corrigé) et celles qui, malgré qu’elles se servent d’une prothèse, ne pouvaient pas toujours entendre ce qui se disait (problème auditif non corrigé). Même si les estimations de l’isolement social parmi les personnes ayant un problème corrigé et celles ayant un problème non corrigé ne variaient pas de façon significative, les estimations ponctuelles pour les femmes ont fait ressortir le gradient auquel on s’attendait. Le contraire était vrai pour les hommes. Ainsi, ceux ayant un problème auditif corrigé semblaient plus susceptibles que ceux ayant un problème non corrigé d’être isolés socialement. Schneider et coll.Note 44 ont mentionné que la perte auditive était associée à une plus grande dépendance à l’égard des membres de la famille et de la communauté. Il est possible que les hommes ayant un problème auditif non corrigé soient plus dépendants, et que cette dépendance donne lieu à des interactions sociales qui contribuent à leur tour à protéger contre l’isolement. Dawes et coll.Note 36 ont eux aussi trouvé une association positive entre l’utilisation d’une prothèse auditive et l’isolement social.
Dans le cadre de la présente étude, on a établi le niveau de déficience auditive au moyen du HUI3, qui permet d’évaluer la capacité autodéclarée de comprendre ce qui se dit au cours d’une conversation, selon différentes situations. Dans d’autres études qui se sont basées sur la situation auditive autodéclarée, les mesures et les situations étaient différentes. Par exemple, on a évalué si les participants comprenaient bien ce qui se disait dans une voix forte ou dans une voix chuchotée, en parlant au téléphone, ou lorsqu’ils étaient dans une pièce bruyanteNote 5Note 25. D’autres chercheurs, quant à eux, ont mesuré la perte auditive biologique au moyen de tests divers, dont audiométriquesNote 16Note 36. Monzani et coll.Note 45 ont fait la distinction entre les deux lorsqu’ils ont décrit le problème auditif autodéclaré comme étant l’expérience subjective de l’incapacité découlant de la perte auditive réelle. Les autodéclarations sur les problèmes auditifs sous-estiment la prévalence réelle de la perte auditiveNote 16Note 17. Les personnes fournissant des déclarations sont peut-être celles qui connaissent les déficiences auditives les plus graves ou dont les activités exigent une très grande acuité auditive (p. ex. les musiciens, les ornithologues)Note 25. En dépit des différences, la perte auditive établie à partir de tests audiométriques et celle fondée sur des autodéclarations sont toutes deux associées à de mauvais résultats sur le plan socialNote 16 et en ce qui a trait à la mortalitéNote 11Note 39.
L’isolement social a été défini et mesuré de nombreuses façonsNote 4Note 6Note 13Note 22Note 23Note 46. Dans la présente étude, on utilise l’isolement social perçu ou subjectif, qui reflète la façon dont les participants perçoivent leur situation ainsi que la qualité de leurs relations, plutôt que d’évaluer objectivement des attributs, comme le nombre de contacts, la fréquence de participation ou les modalités de vieNote 5Note 6Note 8Note 12Note 22Note 47Note 48. La mesure subjective saisit des sentiments intimes, relationnels et collectifs de solitude — les trois éléments sous-jacents de l’échelle de solitude révisée de l’UCLANote 31 — et englobe le sentiment d’appartenance à la communauté. L’isolement social subjectif ne dépend pas d’une décision arbitraire au sujet de la taille du réseau ou de la fréquence de participation qui convient. La satisfaction à l’égard de ses réseaux et la taille de ceux-ci sont des concepts distincts qui ne sont pas forcément corrélésNote 8. La mesure subjective reflète le mieux la question clé, à savoir si les personnes qui éprouvent des difficultés à communiquer en raison de problèmes auditifs se sentent isolées des personnes qui les entourent.
De nombreuses transitions liées à l’âge peuvent entraîner des perturbations sociales, y compris dans les réseaux sociaux et sur le plan de l’engagement social : la retraite et les changements concomitants de rôle et dans les contacts sociaux; le fait de devenir un aidant; l’évolution de l’état de santé; les changements touchant les déplacements (p. ex., la personne ne peut plus ou ne veut plus conduire); le décès d’un conjoint; le déménagement et l’adoption d’autres modalités de vieNote 13Note 22Note 49. Il se peut que la génération du baby-boom soit plus à risque d’isolement social que les générations antérieures, ses membres étant plus susceptibles de vivre seuls, de ne s’être jamais mariés et d’avoir moins d’enfantsNote 50.
Les résultats de la présente étude montrent que l’isolement social était plus répandu chez les 45 à 59 ans que chez les 60 ans et plus, ce qui concorde avec les travaux de Cacioppo et coll.Note 51. Il se peut que les adultes plus âgés qui prennent leur retraite aient plus de temps pour faire du bénévolat ou s’adonner à d’autres activités qui favorisent les liens sociaux, tandis que nombre des membres de la cohorte plus jeune ont des responsabilités concurrentes liées au travail, aux soins des enfants et aux soins des personnes âgées qui créent du stress et limitent le temps et l’énergie nécessaires à l’établissement de liensNote 52Note 53. Dans la présente étude, un niveau élevé de stress au quotidien était associé à l’isolement social. En outre, les personnes de 45 à 59 ans étaient plus susceptibles que les personnes plus âgées de déclarer avoir une vie au quotidien assez ou extrêmement stressante. Les personnes en âge de travailler qui n’appartenaient pas à la population active étaient plus susceptibles d’être isolées socialement. HawthorneNote 54 a déterminé que les chômeurs, les personnes ayant subi une blessure au travail, les étudiants et les personnes au foyer étaient plus susceptibles d’être isolés que les personnes employées à temps plein. Il se peut que les activités liées à l’emploi offrent une protection contre l’isolement, ou que les adultes d’âge moyen ne faisant pas partie de la population active aient des problèmes de santé ou des responsabilités familiales qui concourent à l’isolement social.
Les interventions visent souvent à augmenter les interactions sociales dans le cadre d’activités de groupeNote 55Note 56. Il se peut toutefois que les personnes ayant des problèmes auditifs évitent les situations exigeantes sur le plan social et se sentent défavorisées du fait de leur capacité de participation réduiteNote 45. Les interventions favorisant les échanges entre deux personnes ainsi que l’utilisation de la technologie pour la communication non verbale (p. ex. Internet) sont peut-être plus efficaces pour combattre l’isolement social chez les personnes ayant une déficience auditiveNote 55.
La présente étude illustre l’importance d’évaluer les hommes et les femmes séparément. À l’avenir, les recherches pourraient mettre l’accent sur les différences entre les sexes dans la relation entre la perte auditive et l’isolement social. Elles pourraient servir à examiner plus à fond le rôle des accessoires et appareils fonctionnels, y compris les services d’appareil téléscripteur (ATS), les fonctionnalités téléphoniques améliorées et les ordinateurs personnels aux fins de communication non verbale, comme par courriel et par messages textesNote 5Note 16Note 25. On pourrait explorer les pathologies connexes, étant donné que plusieurs problèmes de santé et incapacités se multiplient avec l’âge et pourraient concourir à l’isolement social et nuire à l’adoption de technologies qui facilitent les contacts sociauxNote 57. Enfin, on pourrait se pencher sur d’autres facteurs atténuants, comme le rôle de la famille et des amis, et le niveau de soutien social.
Limites
Les données transversales représentent une limite de la présente étude. L’ordre temporel de la perte auditive et de l’isolement social n’a pu être établi. Les personnes ont été classées selon leur situation auditive actuelle, sans prise en compte de leurs antécédents à l’égard de la perte auditive. Or, la déficience auditive peut être présente à la naissance ou survenir au cours de la vie, et elle peut commencer de manière soudaine ou graduellement. Le moment où survient la perte auditive et la rapidité à laquelle elle évolue peuvent avoir des répercussions sur la capacité d’adaptation de la personne atteinte et sur son sentiment d’isolement social.
L’ESCC–VS ne permet pas de repérer les personnes ayant une déficience auditive qui utilisent le langage gestuel pour communiquer et il n’y a aucune raison de croire qu’elles pourraient présenter un risque d’isolement social plus grand que les personnes n’ayant pas de problème auditif.
On ne disposait pas de renseignements sur les implants cochléaires ou sur la qualité et l’utilisation des prothèses auditives. Les transitions associées au vieillissement, qui peuvent concourir à l’isolement social, n’ont pu être saisies. Parmi celles-ci figurent la modification des rôles, la perte d’êtres chers, l’adoption de nouvelles modalités de vie qui perturbent les réseaux sociaux et la manifestation de problèmes de santé qui nuisent aux rapports sociaux.
L’exclusion des participants à l’enquête qui ont répondu par personne interposée, lesquels constituaient 2,2 % de l’échantillon de l’ESCC–VS, pourrait affaiblir les estimations de l’association entre les déficiences fonctionnelles et l’isolement social. Ces participants étaient plus susceptibles d’être des hommes, d’avoir des problèmes auditifs, d’être plus âgés et d’avoir une plus grande déficience fonctionnelle que les participants qui n’ont pas répondu par personne interposée (tableau A en annexe).
Les résultats de l’étude montrent que l’isolement social diminue quelque peu avec l’âge, ce qui pourrait refléter un effet de survivant en santé, selon lequel les personnes ayant des rapports sociaux et étant plus susceptibles de demeurer en santé ou d’avoir du soutien sont représentées dans l’étude, tandis que les personnes isolées pourraient connaître une mortalité précoce ou déménager en établissement. Les résidents d’établissements de soins de longue durée, qui pourraient être plus susceptibles d’avoir une perte auditive et de souffrir d’isolement social, ont été exclus du champ de l’ESCC–VS.
Mot de la fin
L’étude dégage une association entre la déficience auditive et l’isolement social chez les femmes canadiennes de 45 ans et plus, mais pas chez les hommes, différence que l’on pourrait examiner de façon plus poussée dans les recherches futures. À mesure que la population vieillit et que le pourcentage de la population présentant une déficience auditive augmente, le taux de prévalence de l’isolement social pourrait augmenter au Canada. Le faible taux d’utilisation d’une prothèse auditive parmi les personnes ayant un problème auditif pourrait guider les recherches futures, qui pourraient à leur tour explorer la possibilité que les accessoires et appareils fonctionnels atténuent l’isolement que vivent les personnes atteintes d’une incapacité auditive.
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