Bisphénol A et comportement des enfants et des jeunes : Enquête canadienne sur les mesures de la santé, 2007 à 2011
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par Leanne C. Findlay et Dafna E. Kohen
Le bisphénol A (BPA) est un produit chimique industriel synthétique couramment utilisé dans les produits de consommation, comme les bouteilles réutilisables, les jouets et la vaisselle en plastique, les résines époxydes qui tapissent l’intérieur des contenants d’aliments en métal, ainsi que les composites et les scellants dentairesNote 1. Les données de biosurveillance tirées de l’Enquête canadienne sur les mesures de la santé (ECMS) montrent une exposition généralisée chez les enfants et les jeunes, 93 % des 6 à 11 ans et 94 % des 12 à 19 ans ayant des niveaux détectables de bisphénol A urinaireNote 2. Même si les preuves ne sont pas concluantesNote 3,Note 4, des niveaux même faibles d’exposition au bisphénol A peuvent être associés à des résultats négatifs pour la santé chez les enfants, y compris des problèmes de comportementNote 4.
Un certain nombre de facteurs de risque démographiques et socioéconomiques ont été liés aux concentrations urinaires de bisphénol A. En général, les hommes (comparativement aux femmes)Note 5 et les personnes des ménages à faible revenu (comparativement à celles des ménages à revenu élevé)Note 6,Note 7 affichent des concentrations plus fortes. Arbuckle et coll.Note 8 ont signalé des concentrations urinaires de bisphénol A significativement plus élevées chez les femmes enceintes à faible revenu et à faible niveau de scolarité que chez les autres, ainsi que chez les mères indiquant avoir fumé pendant leur grossesse. Toutefois, d’autres recherches n’ont pas détecté d’association entre le niveau de scolarité et les concentrations urinaires de bisphénol ANote 6,Note 9. On a noté que les personnes d’origine mexicaine-américaine et de race blanche non hispaniques avaient des concentrations urinaires de bisphénol A plus faibles que les personnes de race noire non hispaniquesNote 5. L’obésité a été liée aux niveaux de bisphénol ANote 7,Note 10,Note 11, en particulier chez les garçons de race blanche non hispaniques (associations non significatives chez les garçons d’origine hispanique et chez les filles d’une ethnicité comme de l’autre).
La recherche a démontré des liens entre l’exposition prénatale au bisphénol A et les résultats comportementauxNote 12. Toutefois, le sexe de l’enfant est peut-être un facteur modérateur des associations entre l’exposition intra-utérine au bisphénol A et les difficultés comportementalesNote 9,Note 13-15.
Les concentrations (environnementales) debisphénol A chez les enfants ont également été liées au comportement, y compris à l’anxiété, la dépression, l’hyperactivité et l’inattentionNote 9. Des niveaux même peu élevés peuvent porter à conséquence, comme le montrent les associations non linéaires entre le bisphénol A et les problèmes d’extériorisationNote 4. L’exposition aux composites dans les matériaux dentaires (dont le bisphénol A est une composante commune) a aussi été associée à des résultats psychosociaux chez les enfants de 6 à 10 ans, y compris aux symptômes émotionnels plus prononcés et à l’ensemble des problèmes comportementauxNote 16. Maserejian et coll.Note 16 ont avancé que le bisphénol A peut être libéré par suite de la dégradation des composites dentaires au fil du temps, ce qui donne lieu à une exposition à long terme, mais des données plus récentes portent à croire que cette dégradation est minime et bien inférieure aux niveaux quotidiens recommandésNote 17.
Les associations entre l’exposition au bisphénol A chez l’enfant et le comportement peuvent varier selon le sexe. Harley et coll.Note 9 ont déclaré que l’exposition des enfants au bisphénol A est liée au comportement d’extériorisation déclaré par la mère (par exemple les troubles de la conduite) chez les filles uniquement, tandis que d’après les résultats déclarés par les enseignants, il n’y a aucune corrélation avec le sexe. D’autres études ont trouvé que le sexe de l’enfant n’était pas un facteur modérateur des associations significatives entre les concentrations de bisphénol A et les problèmes comportementauxNote 4,Note 18, bien que la petite taille des échantillons peut avoir empêché de déceler des corrélations importantesNote 18.
Étant donné que la recherche sur le rapport entre l’exposition au bisphénol A et le comportement de l’enfant n’en est qu’à ses débuts, il est nécessaire de faire porter celle-ci sur des ensembles de données et des populations variésNote 14,Note 19. La présente étude se fonde sur les données de l’ECMS pour explorer les associations entre les concentrations urinaires de bisphénol A et les résultats comportementaux chez les enfants de 6 à 11 ans et les jeunes de 12 à 17 ans, y compris les différences selon le sexe.
Méthodes
Source des données
Les données sont tirées des deux premiers cycles de l’ECMS (2007 à 2009 et 2009 à 2011), une enquête sur la santé fondée sur des mesures directes, qui visent les membres des ménages de 6 à 79 ans. L’enquête est menée par Statistique Canada, en collaboration avec l’Agence de la santé publique du Canada et Santé Canada, dans le but d’obtenir des estimations représentatives de la population nationale. L’approbation déontologique pour l’enquête a été obtenue du Comité d’éthique de la recherche de Santé CanadaNote 20.
L’ECMS comporte une interview sur place ayant pour objet de recueillir des données sociodémographiques et des données sur la santé et sur le mode de vie, ainsi qu’une visite subséquente à un centre d’examen mobile où des mesures physiques directes sont prises, y compris le prélèvement d’échantillons localisés de sang et d’urine. De mars 2007 à la fin de février 2009, dans le cadre du cycle 1, on a recueilli des données auprès de 5 604 participants à l’enquête âgés de 6 à 79 ans qui vivaient dans les logements privés dans 15 emplacements au Canada.D’août 2009 à la fin de novembre 2011, dans le cadre du cycle 2, on a recueilli des données pour 6 395 participants à l’enquête âgés de 3 à 79 ans qui vivaient dans les logements privés dans 18 emplacements. Étaient exclus les habitants des territoires, des réserves indiennes et d’autres établissements autochtones des provinces, les membres à temps plein des Forces canadiennes, les résidents d’établissements et les habitants de certaines régions éloignées. On peut trouver des détails concernant la base d’échantillonnage et la collecte des données ailleursNote 21.
Pour l’étude, on a groupé les données provenant des cycles 1 et 2, ce qui a permis d’obtenir un échantillon plus grand et, par conséquent, d’accroître la précision des estimations. Les taux de réponse combinés (aux niveaux du ménage, de la personne et des mesures directes) ont été de 51,7 % au cycle 1 et de 55,5 % au cycle 2. La présente analyse porte sur un échantillon de 2 802 participants à l’enquête qui étaient âgés de 6 à 17 ans au moment de l’interview (cycle 1 ou 2), pondéré pour représenter environ 4,7 millions d’enfants et de jeunes. Au total, 2 730 participants à l’enquête ont fourni un échantillon localisé d’urine prélevé en milieu de jet; des niveaux de bisphénol A ont été détectés pour 2 554 d’entre eux.
Biomarqueurs
Les échantillons de sang et d’urine ont été prélevés selon des méthodes normaliséesNote 22. Lorsque les concentrations urinaires de bisphénol A étaient inférieures à la limite de détection (LDD = 0,2μg/L), on leur imputait une concentration égale à la moitié de la limite détectable (LDD/2 = 0,1)Note 23. Étant donné que la demi-vie du bisphénol A est relativement courteNote 24 et que les échantillons localisés d’urine ne représentent qu’une approximation de la valeur quotidienne d’expositionNote 25, le moment de la journée de la collecte d’urine constituait une variable de contrôle dans la présente étude. Afin de compenser la dilution des urines, la concentration de créatinine urinaire a été mesurée et incluse comme covariable dans les analyses. Les analyses ont également été corrigées des niveaux de plomb dans le sang, qui sont associés aux résultats pour la santé chez les enfantsNote 26 (tous les participants à l’enquête avaient une concentration de plomb dans le sang supérieure à la limite de détection).
Résultats comportementaux
On a évalué les résultats comportementaux au moyen du Questionnaire sur les points forts et les points faibles (Strengths and Difficulties Questionnaire, en anglais)de GoodmanNote 27, une mesure uniformisée et validée des difficultés d’intériorisation et d’extériorisation chez les enfants, lesquelles ont été associées à la santé mentale chez l’adulteNote 28,Note 29. Pour tous les enfants et les jeunes, les parents ont évalué 25 caractéristiques comportementales sur une échelle à trois points : 0 (pas vrai), 1 (un peu vrai), ou 2 (certainement vrai). Les valeurs ont été additionnées de manière à obtenir un score pour chaque sous-échelle du questionnaire (qui en compte cinq, chacune comportant cinq questions) : hyperactivité/inattention (par exemple, « agité, ne tient pas en place », α de Cronbach = 0,79); symptômes émotionnels (par exemple, « paraît souvent soucieux », α = 0,66); troubles de la conduite (par exemple, « se bagarre souvent avec les autres enfants/jeunes ou les tyrannise », α = 0,62); problèmes avec les pairs (par exemple, « a tendance à jouer seul », α = 0,59); et comportement prosocial (par exemple, « est attentif aux autres, tient compte de ce qu’ils ressentent », α = 0,64). Les scores de cohérence interne étaient similaires aux scores fondés sur les déclarations des parents obtenus par GoodmanNote 28. On a calculé un score pour la catégorie « ensemble des problèmes comportementaux » en additionnant les scores pour quatre des sous-échelles (le comportement prosocial non compris). On a d’abord examiné les cas de niveaux élevés (à risque) de problèmes comportementaux en fonction de seuils établis par l’auteur de l’échelleNote 28, ainsi que de normes propres au sexeNote 30. En raison de la petite taille des échantillons pour le faible comportement prosocial, on a également établi des valeurs propres au sexe sur la base du 90e centile à partir des données de l’ECMS, créant ainsi des valeurs seuils propres à l’échantillon/aux Canadiens (tableau 1). Ces seuils étaient similaires (à une unité près pour chaque sous-échelle) mais non identiques à ceux établis par GoodmanNote 28, et sont utilisés dans la présente étude pour repérer les groupes qui sont à risque de problèmes comportementaux (troubles de la conduite : garçons ≥ 3, filles ≥ 3; symptômes émotionnels : garçons ≥ 4, filles ≥ 5; hyperactivité : garçons ≥ 7, filles ≥ 6; comportement prosocial : garçons ≤ 7, filles ≤ 8; problèmes avec les pairs : garçons ≥ 4, filles ≥ 2; ensemble des problèmes comportementaux : garçons ≥ 15, filles ≥ 13).
Covariables
On a examiné plusieurs caractéristiques démographiques et socioéconomiques en tant que covariables, à la lumière de travaux de recherche sur l’exposition aux neurotoxines et les résultats chez l’enfantNote 5,Note 6,Note 31, ainsi que des associations connues entre ces corrélats et les problèmes comportementaux des enfantsNote 32. Les parents des enfants de 6 à 11 ans et des jeunes de 12 à 17 ans ont indiqué l’âge qu’avait l’enfant au moment de l’interview (6 à 8 ans, 9 à 11 ans, 12 à 14 ans et 15 à 17 ans), le sexe et l’ethnicité. Étant donné le nombre relativement faible d’unités dans les groupes de race non blanche, toutes les autres ethnicités ont été combinées en une seule catégorie (non-Blanc).
Un indicateur de l’exposition à la fumée secondaire de tabac a été créé en combinant les réponses aux deux questions, à savoir si une personne fumait à la maison, et(ou) si l’enfant était exposé à la fumée secondaire hors du foyer chaque jour ou à peu près, comparativement à une fois par semaine ou moins.
Le revenu du ménage a été déclaré en dollars (les valeurs manquantes ont été imputéesNote 33) et classé en fonction de trois groupes — inférieur et moyen-inférieur, moyen-supérieur, et supérieur — selon le revenu total du ménage et le nombre de personnes dans le ménage. Faisaient partie de la catégorie inférieure de revenu les ménages composés de une ou deux personnes et ayant un revenu annuel total inférieur à 30 000 $; les ménages comptant trois ou quatre personnes ayant un revenu total inférieur à 40 000 $; et les ménages composés de cinq personnes ou plus et ayant un revenu total inférieur à 60 000 $. La catégorie supérieure de revenu englobait les ménages comptant une ou deux personnes et dont le revenu annuel total était de 60 000 $ ou plus, ainsi que les ménages de trois personnes ou plus et dont le revenu annuel total était de 80 000 $ ou plus.
Le niveau le plus élevé de scolarité dans le ménage a été dichotomisé : diplôme d’études secondaires ou moins, comparativement à études postsecondaires au moins partielles. La taille et le poids mesurés par l’intervieweur ont servi à calculer l’indice de masse corporelle (IMC), qui a été réparti selon trois catégories : ni embonpoint, ni obésité, embonpoint, et obésitéNote 33. Dans le cas des enfants de 11 ans et moins, le parent ou le tuteur a indiqué le poids de l’enfant à la naissance, l’âge de la mère lorsque l’enfant est né et si la mère avait fumé au cours de la grossesse.
Analyse
La moyenne géométrique de la concentration urinaire de bisphénol A a été examinée dans l’ensemble et selon les corrélats démographiques ou socioéconomiques. Afin d’estimer les moyennes géométriques par les moindres carrés ajustées des concentrations de bisphénol A, on a exécuté des régressions distinctes pour l’ethnicité, le revenu du ménage, l’exposition à la fumée secondaire, le niveau de scolarité du ménage et l’IMC, en tenant compte des effets de l’âge de l’enfant, du sexe de l’enfant, de l’heure du prélèvement d’urine et de la créatinine urinaire.
Des corrélations de Spearman ont été examinées pour repérer des associations possibles entre le bisphénol A et le risque de problèmes comportementaux chez les enfants.
Six analyses de régression logistique multiple ont été effectuées pour explorer les associations entre la concentration de bisphénol A et le risque de chaque résultat (troubles de la conduite, émotion/anxiété, hyperactivité/inattention, problèmes avec les pairs, faible comportement prosocial et ensemble des problèmes comportementaux). À la première étape, des modèles préliminaires ont servi à examiner les associations entre les concentrations urinaires de bisphénol A et les résultats comportementaux chez l’enfant, en tenant compte de l’effet du plomb dans le sang, de la créatinine urinaire et du moment de la journée de la collecte d’urine (résultats disponibles sur demande).
Dans un deuxième ensemble de modèles, les covariables sociodémographiques ont été ajoutées en tant que variables de contrôle. Étant donné que la distribution des concentrations de plomb et de bisphénol A n’étaient pas normales, des transformations logarithmiques (base 2) ont été appliquéesNote 18,Note 34. Des résultats significatifs montrent la différence de cote exprimant le risque de résultats comportementaux associée à une concentration urinaire de bisphénol A deux fois plus élevée. La créatinine urinaire a été incluse comme covariable (plutôt que d’ajuster le bisphénol A expressément pour la créatinine), afin de tenir compte de l’éventualité de différences d’excrétion de créatinine liées à l’âge, à la race et au sexeNote 35,Note 36. Le moment de la collecte de l’échantillon d’urine (matin, après-midi ou soir) a aussi été inclus pour tenir compte des fluctuations des niveaux de bisphénol A pendant la journéeNote 2. Un ensemble final de modèles de régression a été ajusté pour les garçons et les filles séparément.
Les ouvrages publiés portent à croire qu’il existe peut-être des associations non linéaires entre la concentration de bisphénol A chez l’enfant et les résultats comportementauxNote 4. Par conséquent, on a examiné des quartiles d’exposition (en fonction des 25e, 50e et 75e centiles) dans des modèles subséquents. Les résultats étaient conformes à ceux des modèles linéaires et, par conséquent, ne sont pas présentés.
Des poids d’enquête et des degrés de liberté convenables ont été appliqués pour tenir compte de l’effet du plan de sondage complexe. Des poids bootstrap ont été appliqués au moyen de SUDAAN, v. 11.0, afin de compenser la sous-estimation des erreurs typesNote 37.
Résultats
Des caractéristiques descriptives de l’échantillon sont présentées au tableau 1. L’échantillon était constitué d’un nombre presque égal de garçons et de filles. Environ la moitié de ses membres appartenaient à un ménage de la catégorie supérieure de revenu. La race blanche était prédominante (75 %). Dans la plupart des ménages, au moins un membre avait fait des études postsecondaires au moins partielles (86 %). Environ le quart des membres faisaient de l’embonpoint ou étaient obèses. Un sur cinq (20 %) était exposé à la fumée à la maison ou hors du foyer chaque jour ou à peu près. À partir de seuils axés sur les données, les proportions d’enfants et de jeunes qui présentaient un risque à l’égard des résultats examinés étaient les suivantes : troubles de la conduite, 13 %; émotion/anxiété, 14 %; hyperactivité, 13 %; faible comportement prosocial, 16 %, et problèmes avec les pairs, 15 %. Dans l’ensemble, 11 % ont obtenu un score supérieur au seuil pour l’ensemble des problèmes comportementaux.
La concentration urinaire moyenne de bisphénol A était de 1,3 μg/L, les valeurs allant de 0,10 μg/L à 420 μg/L. Lorsque l’effet de la créatinine a été pris en compte, les 6 à 8 ans avaient des concentrations de bisphénol A plus élevées que leurs homologues plus âgés (tableau 2). Après prise en compte de l’âge, du sexe, de la créatinine et du moment de la journée de la collecte d’urine, les concentrations de bisphénol A étaient significativement plus élevées chez les enfants et les jeunes qui étaient exposés à la fumée secondaire chaque jour ou à peu près. Par ailleurs, les enfants et les jeunes provenant des ménages ayant un faible revenu et un revenu moyen-inférieur avaient des concentrations de bisphénol A significativement plus élevées que ceux des ménages appartenant à la catégorie supérieure de revenu. Cela étant dit, les concentrations de bisphénol A ne variaient pas selon le sexe, l’ethnicité, le niveau de scolarité du ménage ou l’IMC.
Des analyses de corrélation ont indiqué une association faible, quoique statistiquement significative, entre la concentration de bisphénol A et la plupart des résultats comportementaux : ensemble des problèmes comportementaux (r = 0,07, p ≤ 0,001); troubles de la conduite (r = 0,09, p ≤ 0,001); émotion/anxiété (r = 0,05, p = 0,02); hyperactivité (r = 0,05, p ≤ 0,01); et faible comportement prosocial (r = 0,04, p = 0,03). Dans un modèle préliminaire corrigé des effets de la créatinine urinaire, du moment de la collecte de l’échantillon d’urine et du plomb dans le sang, les concentrations élevées de bisphénol A étaient associées à des cotes élevées exprimant le risque d’hyperactivité et le risque de faible comportement prosocial. Les analyses corrigées de l’âge continu (années), du sexe, de l’ethnicité, de l’exposition à la fumée secondaire, des revenu et niveau de scolarité du ménage, de l’IMC, du moment de la journée, de la créatinine urinaire et du plomb dans le sang ont révélé une association entre la concentration de bisphénol A et le faible comportement prosocial (tableau 3), ainsi qu’une association tout juste significative (p = 0,06) avec l’hyperactivité.
D’autres analyses ont fait ressortir une interaction significative entre le sexe et le bisphénol A dans le cas du comportement prosocial (p ≤ 0,05) et une tendance à l’hyperactivité (p = 0,10). Des analyses distinctes pour les garçons et les filles du comportement prosocial et de l’hyperactivité ont trouvé une association significative entre la concentration de bisphénol A et une cote exprimant le risque d’hyperactivité plus élevée chez les filles, mais non chez les garçons, ainsi qu’une cote exprimant le risque de faible comportement prosocial plus élevée chez les garçons, mais non chez les filles (tableau 3). Avec chaque doublement de la concentration urinaire de bisphénol A, les filles affichaient une cote exprimant le risque d’hyperactivité 28 % plus élevée, et les garçons, une cote exprimant le risque de faible comportement prosocial 24 % plus élevée.
Lors des analyses de sensibilité, on a vérifié les régressions multidimensionnelles avec et sans plomb dans le sang, avec et sans valeurs aberrantes pour le bisphénol A (au-delà du 99e centile, ou > 22,0 μg/L, n = 26), avec et sans l’âge de l’enfant (qui était fortement corrélé à la créatinine, r = 0,73, p ≤ 0,05), ainsi qu’avec et sans créatinine. Les résultats significatifs pour l’hyperactivité et pour le comportement prosocial ont persisté dans ces modèles. On a vérifié s’il y avait une interaction entre le groupe d’âge (6 à 11 ans et 12 à 17 ans) et la concentration de bisphénol A, mais aucune association significative n’est ressortie. Les associations entre la concentration de bisphénol A et l’hyperactivité étaient similaires lorsque les seuils de comportement à risque étaient établis à partir des valeurs propres au sexe de GoodmanNote 30, plutôt qu’à partir des normes fondées sur les données. L’échantillon n’était pas de taille suffisante pour examiner le comportement prosocial.
Dans le cas des enfants de 6 à 11 ans, on a examiné des modèles multidimensionnels distincts, afin d’explorer les associations entre les résultats comportementaux et l’âge de la mère au moment de l’accouchement (M = 29 ans, ET = 0,38), le poids à la naissance (M = 3,377 g, ET = 27,12), et l’usage du tabac par la mère pendant la grossesse (n = 241, 16 %). Les modèles ont une fois de plus tenu compte du sexe, de l’ethnicité, du revenu du ménage et du niveau de scolarité du ménage. L’usage du tabac par la mère était associé de façon significative avec les troubles de la conduite (p ≤ 0,01), l’hyperactivité (p = 0,04) et l’ensemble des problèmes comportementaux (p ≤ 0,001). L’âge de la mère comportait une association négative avec les problèmes émotionnels (p = 0,03). Aucune association n’est ressortie entre le poids à la naissance et quelconque résultat comportemental. La concentration de bisphénol A ne comportait pas d’association significative avec quelque résultat que ce soit dans ces analyses (peut-être en raison de la faible taille des échantillons ou des associations plus marquées entre le comportement et les covariables prises en compte), même si les estimations de l’hyperactivité et du comportement prosocial allaient dans le même sens que dans l’analyse complète.
Discussion et limites
Conformément aux recherches antérieuresNote 5,Note 6, la présente étude a trouvé que les concentrations urinaires de bisphénol A différaient selon les caractéristiques démographiques et socioéconomiques, s’avérant les plus élevées chez les jeunes enfants, les enfants exposés à la fumée secondaire, et les enfants provenant des ménages appartenant aux catégories inférieures de revenu.
Les données provenant de l’ECMS révèlent un lien entre les concentrations de bisphénol A et le comportement chez les enfants, à l’instar de conclusions tirées récemment par Harley et coll.Note 9 et par Hong et coll.Note 4. D’autres recherches n’ont pas décelé d’associations significatives entre l’exposition au bisphénol A et le comportement chez l’enfantNote 14,Note 18, peut-être en raison du faible nombre d’unités dans les échantillons ou de circonstances particulières chez une population donnée (par exemple, un échantillon de personnes hispaniques ayant un faible revenu)Note 9. Même dans les études ayant dégagé un lien entre l’exposition au plomb (une neurotoxine communément étudiée) et les résultats comportementaux, les résultats ne sont pas toujours cohérentsNote 36.
Dans la présente étude, la concentration de bisphénol A présentait une association positive avec le faible comportement prosocial chez les garçons et une grande hyperactivité chez les filles, même après prise en compte de variables de contrôle telles que l’exposition à la fumée secondaire et le revenu du ménage. Même si les corrélations étaient relativement faibles, une association même mineure pourrait être pertinente pour la santé publique et justifier d’autres travaux de rechercheNote 13. Un petit effet au niveau de la population peut se traduire par des nombres importants d’enfants et de jeunes qui sont à risque de difficultés comportementales.
Les sources de bisphénol A ainsi que les voies d’exposition à celui-ci pourront faire l’objet de travaux de recherche à l’avenir. Le bisphénol A est présent dans l’air, sur les surfaces et dans les aliments liquides et solidesNote 38. Morgan et coll.Note 39 ont indiqué que la consommation d’aliments solides (comparativement à liquides) représentait un prédicteur important des doses absorbées de bisphénol A chez les enfants par suite de l’alimentation, provenant vraisemblablement des emballages et des contenants. Quant à Cao et coll.Note 40, ils ont suggéré que l’enduit des boîtes de conserve représente la principale source de bisphénol A dans les aliments.
Les enfants peuvent être particulièrement vulnérables aux effets du bisphénol A à cause de leur cerveau qui se développe, de leur interaction étroite avec leur environnement, de leur faible poids corporel et de leur organisme en voie de maturationNote 31. Le bisphénol A peut agir sur le fonctionnement du système endocrinienNote 41,Note 42 ainsi que les processus structurels et fonctionnels du jeune cerveauNote 34. Il peut perturber le système dopaminergique, duquel dépendent l’anxiété, l’hyperactivité et l’inattentionNote 9,Note 43. Ces mécanismes méritent d’être explorés davantage.
La présente étude comporte un certain nombre de limites. L’utilité d’un seul échantillon d’urine prélevé au même moment que le résultat d’intérêt (données transversales) est limitée pour tirer des conclusions concernant les associations entre l’exposition au bisphénol A et les résultats pour la santéNote 3. Par ailleurs, les données de l’ECMS ne permettent pas d’étudier l’exposition précoce au bisphénol A ou celle de longue durée qui se poursuit, ni l’exposition intra-utérine. Des données sur l’usage du tabac par la mère pendant la grossesse n’ont été recueillies pour personne dans la fourchette d’âges visés par l’échantillon. Enfin, même si les données fondées sur les déclarations parentales du comportement des enfants sont couramment utilisées comme marqueurs de risque précoce, il importe d’examiner les données provenant d’autres sources (par exemple, les enseignants).
Mot de la fin
Il s’agit de la première fois que les associations entre les concentrations de bisphénol A chez les enfants et les jeunes au Canada et les résultats sur le plan du comportement font l’objet d’une analyse d’envergure fondée sur la population. L’étude fournit des données probantes sur l’existence d’une association chez l’enfant entre la concentration urinaire de bisphénol A ainsi que la situation socioéconomique et les résultats comportementaux. Même si les données sont transversales, elles portent à croire que les jeunes enfants, les enfants exposés à la fumée secondaire chaque jour ou à peu près et les enfants vivant dans les ménages à faible revenu ont des concentrations urinaires de bisphénol A plus élevées que les autres enfants. En outre, les niveaux de bisphénol A étaient associés à l’hyperactivité chez les filles et à un faible comportent prosocial chez les garçons. D’autres recherches s’imposent pour comprendre les mécanismes par lesquels l’exposition des enfants au bisphénol A au Canada pourrait être liée aux résultats comportementaux. À l’avenir, les études pourraient se pencher sur l’exposition prénatale en parallèle avec les concentrations chez les enfants, sur d’autres indices du bien-être chez les enfants et les jeunes et sur l’exposition à d’autres composés chimiques.
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