Mortalité par cause selon la suffisance du revenu au Canada : une étude de suivi sur 16 ans

Warning Consulter la version la plus récente.

Information archivée dans le Web

L’information dont il est indiqué qu’elle est archivée est fournie à des fins de référence, de recherche ou de tenue de documents. Elle n’est pas assujettie aux normes Web du gouvernement du Canada et elle n’a pas été modifiée ou mise à jour depuis son archivage. Pour obtenir cette information dans un autre format, veuillez communiquer avec nous.

par Michael Tjepkema, Russell Wilkins et Andrea Long

Le revenu est un déterminant bien établi de la santé. En général, les personnes à faible revenu présentent des résultats en matière de santé moins favorables, y compris une moins bonne autoévaluation de l’état de santé, une plus forte prévalence de la maladie et une diminution de l’espérance de vie, que celles dont le revenu est plus élevéNote1-4. C’est par l’accès à des ressources matérielles, comme des aliments et un logement de meilleure qualité, que le revenu influe le plus directement sur la santéNote5.

Il existe aussi une association entre le revenu et l’exposition à un environnement favorable (ou risqué) pour la santé au foyer et au lieu de travail, de même que l’utilisation d’installations et de services qui ont une incidence sur la santé, comme les activités de loisirs, les activités éducatives et les services de santé offerts en dehors du système de soins de santé assuré par le régime public du CanadaNote6-8. Le faible revenu durant l’enfance peut influer sur les trajectoires de santé jusqu’à l’âge adulteNote9. L’exclusion sociale, le stress et le manque de confiance, qui sont souvent observés chez les personnes à faible revenu, peuvent également contribuer à une mauvaise santéNote10-12.

Puisqu’au Canada, les enregistrements de décès ne contiennent pas de renseignements sur le revenu de la personne décédée, les données de l’état civil ne permettent pas d’examiner les taux de mortalité selon le revenu au niveau de la personne. Pour contourner cet obstacle, une approche fondée sur la région géographique a été adoptée pour plusieurs études qui ont donné la preuve de l’existence de gradients de mortalité selon le revenu du quartierNote13-17. Cependant, l’utilisation de données d’études axées sur la région au lieu de données individuelles ne révèle habituellement pas la pleine portée des différences de mortalité selon le revenu qui sont manifestes au niveau de la personneNote18. En outre, les résultats des études fondées sur la région reflètent à la fois les caractéristiques de la population et les conditions physiques et sociales qui prévalent dans les régions géographiques où résident les personnesNote18.

 Les études de suivi de la mortalité par couplage d’enregistrements offrent la possibilité de compenser les limites associées à une approche fondée sur la région en produisant des données individuelles. Récemment, les données sur un large échantillon, représentatif de la population de Canadiens adultes âgés de 25 ans et plus à la date de référence, ont été appariées à des données sur la mortalité couvrant une période de près de 16 ansNote19, 20. Ces enregistrements appariés ont été utilisés pour examiner les gradients de mortalité toutes causes confondues en fonction de divers indicateurs socioéconomiques. Les résultats de l’étude de suivi initiale sur 11 ans (de 1991 à 2001) ont montré que le taux de mortalité toutes causes confondues diminuait pour les catégories successivement plus élevées de statut socioéconomique, que celui-ci soit défini par le revenu, le niveau de scolarité ou la professionNote19, 21. Cependant, ces données n’ont pas été utilisées pour évaluer les variations par cause de la mortalité selon le quintile de revenu.

La présente étude examine les taux de mortalité par cause selon le quintile de suffisance du revenu, y compris les causes de décès groupées en fonction de leur association avec trois facteurs comportementaux de risque (usage du tabac, consommation d’alcool et consommation de drogues), et les décès avant l’âge de 75 ans attribuables à une cause potentiellement traitable par des soins médicaux.

Méthodes

Les données proviennent de l’Étude canadienne de suivi de la mortalité et du cancer selon le recensement de 1991 à 2006 réalisée sur un échantillon de 15 % de la population adulte du Canada en 1991Note19, 20. Une personne était admissible dans la cohorte étudiée (« dans le champ de l’étude ») si 1) elle avait au moins 25 ans et était un résident habituel du Canada le jour du Recensement de 1991, soit le 4 juin, 2) elle n’était pas un résident à long terme d’un établissement tel qu’une prison, un hôpital ou une maison de soins infirmiers, et 3) elle avait répondu au questionnaire complet du recensement envoyé à un ménage privé sur cinq ainsi qu’à tous les résidents des logements collectifs non institutionnels et des réserves indiennes. Environ 3,6 millions de personnes satisfaisaient à ces critères et étaient donc dans le champ de l’étude.

La cohorte a été créée par appariement probabiliste des enregistrements du Recensement de 1991 compris dans le champ de l’étude aux données non financières sur les personnes ayant produit une déclaration de revenus pour 1990 et 1991, en se servant de la date de naissance et du code postal de la personne et de ceux de son époux(épouse) ou conjoint(e) de fait, le cas échéant. Les données sur environ les trois quarts des personnes comprises dans le champ de l’étude ont pu être appariées à des données non financières sur les déclarants, ce qui a créé une cohorte de 2,7 millions de personnes pour le suivi de la mortalité et de l’incidence du cancer. Une analyse antérieure avait révélé que les personnes ayant répondu au recensement qui étaient dans le champ de l’étude, dont les données avaient pu être appariées et qui étaient incluses dans la cohorte, étaient légèrement plus jeunes (moins de 65 ans), plus susceptibles d’avoir un emploi, de vivre dans un ménage à revenu élevé et de résider dans une région urbaine, et moins susceptibles d’avoir changé de lieu de résidence l’année précédente, comparativement aux autres personnesNote19.

Les données sur la cohorte ont été appariées à celles de la Base canadienne de données sur la mortalité (pour la période allant du 4 juin 1991 au 31 décembre 2006) par des méthodes probabilistes en se basant principalement sur le nom et sur la date de naissanceNote22. En cas d’absence d’appariement à un enregistrement de décès, le statut au suivi (en vie, décédé(e), émigré(e) ou perdu(e) de vue au suivi) a pu être déterminé d’après les données non financières sur les personnes ayant produit une déclaration de revenus couvrant la période de 1991 à 2006Note20. Une analyse mise à jour (données non présentées) a montré que les tables de mortalité construites à partir de la cohorte étaient semblables aux tables de mortalité pour le Canada pour le point médian de la période de suiviNote19.

Des 2,7 millions de personnes que comprenait la cohorte, 426 979 (16 %) sont décédées durant la période de suivi (tableau A en annexe). Les données sur la mortalité comprenaient la cause initiale du décès, codée conformément à la Classification internationale des maladies, neuvième révisionNote23 pour les décès survenus de 1991 à 1999, et conformément à la dixième révisionNote24 pour les décès survenus de 2000 à 2006. Les décès ont été groupés selon les catégories servant au calcul de la charge mondiale de morbidité (Global Burden of Disease)Note25, et selon des facteurs comportementaux de risque pour la santé, à savoir les maladies liées à l’usage du tabacNote26, à la consommation d’alcoolNote26 et à la consommation de droguesNote27. Les décès survenus avant 75 ans attribuables à une cause potentiellement traitable par des soins médicaux (par exemple, à une maladie cérébrovasculaire, à l’hypertension, au cancer du sein et à la pneumonie ou à la grippeNote26, 28) ont également été examinés. Le tableau B en annexe donne les codes correspondants de la CIM-9 et de la CIM-10.

Pour construire les quintiles de suffisance du revenu, pour chaque famille économique ou chaque personne seule, on a combiné le revenu total avant impôt et après transferts, en provenance de toutes les sources, de tous les membres de la famille. Le ratio du revenu total de la famille économique au seuil de faible revenu de Statistique Canada (avant impôt et après transferts) pour les catégories de taille de la famille et de taille de la collectivité pertinentes a été calculé en se servant des seuils de faible revenu figurant dans le Dictionnaire du Recensement de 1991Note29. Un même ratio par rapport au seuil de faible revenu a été attribué à tous les membres d’une famille donnée (y compris les personnes vivant dans les réserves indiennes). Les personnes ne vivant pas en établissement qui faisaient partie du champ de l’étude ont été classées en fonction de ce ratio, puis les quintiles ont été construits pour chaque région métropolitaine de recensement, agglomération de recensement ou région rurale et petite ville (résidu provincial). Les quintiles ont été produits par région afin de tenir compte des différences régionales de coût du logement, que ne reflètent pas directement les seuils de faible revenu. Le pourcentage de membres de la cohorte dans chaque quintile de revenu n’était pas exactement égal à 20 %, parce que les quintiles ont été fondés sur la population comprise dans le champ de l’étude plutôt que sur l’ensemble de la cohorte (dont le niveau de richesse était légèrement plus élevé).

Pour chaque membre de la cohorte, on a calculé le nombre de jours-personnes de suivi à partir du jour du recensement (le 4 juin 1991) jusqu’à la date du décès, de l’émigration, de la perte de vue au suivi ou du dernier jour de la période d’étude (le 31 décembre 2006). Le nombre de jours-personnes de suivi a été divisé par 365,25 pour obtenir le nombre d’années-personnes à risque. Les taux de mortalité selon l’âge à la date de référence, le sexe, et le quintile de revenu, groupés par tranches d’âge de cinq ans, ont été utilisés pour calculer les taux de mortalité normalisés selon l’âge (TMNA) en se basant sur la répartition de la population de la cohorte (années-personnes à risque), hommes et femmes confondus. Les intervalles de confiance à 95 % correspondants pour les TMNA ont également été calculésNote30.

Les inégalités relatives ont été évaluées en fonction des rapports de taux (RT) et de la surmortalité en pourcentage. Pour calculer les RT, on a divisé le TMNA des personnes appartenant à un quintile de faible revenu (Q1 à Q4) par le TMNA de celles appartenant au quintile de revenu le plus élevé (Q5). Un RT supérieur à 1,00 indique un risque accru de mortalité. Pour calculer la surmortalité en pourcentage, on a soustrait le TMNA des personnes appartenant au quintile de revenu le plus élevé (Q5) du TMNA calculé pour l’ensemble de la cohorte, puis on a divisé le résultat par le TMNA calculé pour l’ensemble de la cohorte et on l’a multiplié par 100.

Les inégalités absolues ont été évaluées en fonction des différences de taux (DT) et de la surmortalité absolue. Pour calculer les DT, on a soustrait le TMNA des personnes appartenant au quintile de revenu le plus élevé (Q5) du TMNA de celles d’un quintile de revenu plus faible (Q1 à Q4). Une DT supérieure à 0,00 indique une surmortalité. Pour calculer la surmortalité absolue, on a soustrait le TMNA des personnes appartenant au quintile de revenu le plus élevé (Q5) du TMNA calculé pour l’ensemble de la cohorte. La différence représente le nombre de décès (pour 100 000 années-personnes à risque) qui auraient hypothétiquement pu être évités si tous les membres de la cohorte avaient présenté le taux de mortalité des personnes appartenant au quintile le plus élevé.

Résultats

Tant pour les hommes que pour les femmes de la cohorte, les TMNA toutes causes de décès confondues présentaient un gradient selon le quintile de suffisance du revenu (tableau 1). Ainsi, comparativement aux hommes du quintile le plus élevé, le rapport des taux (RT) était égal à 1,12 (12 % plus élevé) pour ceux de l’avant-dernier quintile le plus élevé, à 1,21 (21 % plus élevé) pour ceux du quintile médian, à 1,35 (35 % plus élevé) pour ceux de l’avant-dernier quintile le plus faible, et à 1,67 (67 % plus élevé) pour ceux du quintile le plus faible. Le profil était similaire pour les femmes, chez lesquelles les RT étaient égaux à 1,07, 1,14, 1,25 et 1,52, respectivement.

La différence de taux (DT) entre les quintiles de revenu le plus faible et le plus élevé était de 744 décès pour 100 000 années-personnes à risque dans le cas des hommes, et de 378 décès pour 100 000 années-personnes à risque dans celui des femmes. Chez les membres des deux sexes, l’écart entre quintiles adjacents le plus important était celui entre le quintile le plus faible et l’avant-dernier quintile le plus faible.

Des gradients de mortalité selon le revenu ont été relevés pour la plupart des causes de décès. Chez les hommes, les RT du quintile le plus faible au quintile le plus élevé étaient supérieurs à 2,00 pour les décès par troubles liés à la consommation d’alcool (5,76), par VIH/SIDA (3,57), par cirrhose du foie (2,74), par bronchopneumopathie chronique obstructive (2,73), par diabète sucré (2,49), par cancers de la trachée, des bronches et du poumon (2,12) et par suicide (2,04) (tableau 2). Pour les décès par cancer de la prostate, le gradient selon le revenu n’était pas statistiquement significatif (1,07).

Chez les femmes, les RT du quintile de revenu le plus faible au quintile le plus élevé étaient supérieurs à 2,00 pour les décès par VIH/SIDA (11,13), par troubles liés à la consommation d’alcool (4,59), par cirrhose du foie (3,18), par diabète sucré (2,64), par cancer du col de l’utérus (2,61), par bronchopneumopathie chronique obstructive (2,49) et par suicide (2,24) (tableau 3). Aucun gradient de mortalité selon le revenu n’était évident pour les décès par cancer du sein (1,01) ni de l’ovaire (1,01).

Les DT les plus grandes entre les quintiles de revenu le plus élevé et le plus faible ont été observées pour les maladies non transmissibles (82 % de la DT toutes causes confondues pour les hommes et 81 % de la DT toutes causes confondues pour les femmes), et les DT les plus petites, pour les maladies transmissibles (5 % de la DT toutes causes confondues pour les hommes ainsi que pour les femmes). Dans le cas des maladies non transmissibles, celles contribuant principalement aux DT étaient la cardiopathie ischémique, les cancers de la trachée, des bronches et du poumon, et la bronchopneumopathie chronique obstructive.

La dernière colonne des tableaux 2 et 3 donne la surmortalité liée au revenu en pourcentage de la mortalité totale. Si tous les membres de la cohorte avaient affiché les TMNA de ceux qui appartenaient au quintile de revenu le plus élevé, le TMNA toutes causes confondues aurait été 19 % plus faible pour les hommes et 17 % plus faible pour les femmes, ce qui représente 267 et 144 décès de moins pour 100 000 années-personnes à risque, respectivement. Environ 40 % de cette surmortalité était attribuable aux décès par cardiopathie ischémique et par cancers de la trachée, des bronches et du poumon.

Les inégalités relatives et absolues de mortalité selon le revenu avaient tendance à être élevées pour les maladies associées à des facteurs comportementaux de risque (usage du tabac, consommation d’alcool et consommation de drogues). Dans le cas des maladies liées au tabac, les RT étaient de 2,27 pour les hommes et de 2,02 pour les femmes du quintile de revenu le plus faible, comparativement à ceux et celles du quintile le plus élevé. Les RT correspondants pour les maladies liées à la consommation d’alcool et de drogues (3,81 et 4,31 pour les hommes; 3,63 et 5,01 pour les femmes) étaient encore plus élevés que pour l’usage du tabac. Cependant, comme un nombre nettement plus grand de personnes meurent de maladies liées à l’usage du tabac, les DT étaient beaucoup plus importantes (179 pour les hommes, 73 pour les femmes) que dans le cas des maladies liées à la consommation d’alcool (27 pour les hommes, 9 pour les femmes) ou de drogues (11 pour les hommes, 10 pour les femmes).

Les décès avant l’âge de 75 ans que des soins médicaux auraient peut-être permis d’éviter ont également été considérés comme un groupe. Les RT comparant les TMNA des membres du quintile de revenu le plus faible à ceux du quintile de revenu le plus élevé étaient de 2,52 pour les hommes et de 1,58 pour les femmes. La surmortalité liée au revenu exprimée en pourcentage de la mortalité totale était de 28 % chez les hommes et de 14 % chez les femmes.

Les décès avant l’âge de 75 ans dus à une cause qui n’était pas considérée comme potentiellement traitable par des soins médicaux ont également été examinés comme un groupe. Ici, les RT comparant les membres du quintile de revenu le plus faible à ceux du quintile de revenu le plus élevé étaient de 2,19 pour les hommes et de 2,20 pour les femmes.

Discussion

La réduction des inégalités de santé liées au statut socioéconomique est un objectif explicite des politiques en matière de santé au CanadaNote2. La présente étude avait pour objectif d’examiner les taux de mortalité par cause détaillée selon le quintile de suffisance du revenu chez un large échantillon représentatif de la population nationale.

Les gradients de mortalité selon le revenu observés pour la plupart des causes de décès ont montré que l’association n’était pas limitée aux personnes se trouvant à l’extrémité inférieure de la distribution du revenu. Un taux de mortalité plus élevé a été observé pour chaque catégorie de revenu successivement plus faible. L’écart entre quintiles adjacents le plus important était celui observé pour les deux quintiles de revenu les plus faibles. Ces résultats corroborent, d’une manière générale, ceux d’autres études menées au CanadaNote13-17.

Si tous les membres de la cohorte avaient présenté les taux de mortalité par âge observés dans le quintile de revenu le plus élevé, le TMNA toutes causes confondues aurait été 19 % plus faible pour les hommes et 17 % plus faible pour les femmes. Si l’on extrapole les chiffres à l’ensemble de la population adulte ne vivant pas en établissement, cela représente environ 40 000 décès de moins par année (25 000 de moins chez les hommes et 15 000 de moins chez les femmes), ce qui équivaut à l’élimination de tous les décès par cardiopathie ischémique.

Les résultats de la présente étude montrent que la force de l’association entre le revenu et la mortalité varie selon la cause du décès, comme l’ont indiqué d’autres étudesNote31. Les rapports de taux les plus élevés ont été observés pour les causes les plus étroitement associées aux comportements posant un risque pour la santé (par exemple l’usage du tabac et la consommation excessive d’alcool), et les rapports les plus faibles ou nuls, pour les causes qui n’étaient pas associées fortement à ces comportements (comme les cancers du sein et de la prostate). Ces constatations sont en harmonie avec les études indiquant que, comparativement aux personnes appartenant aux catégories socioéconomiques élevées, celles des catégories socioéconomiques faibles sont plus susceptibles de s’adonner à des comportements posant un risque pour la santéNote6,32-34. Toutefois, les comportements à risque n’expliquent pas entièrement le gradient des résultats en matière de santé; d’autres études laissent entendre que des différences socioéconomiques persistent même si l’on neutralise l’effet des facteurs comportementaux de risqueNote35-37.

Un gradient de mortalité selon le revenu a été mis en évidence pour les causes de décès que des soins médicaux auraient peut-être permis d’éviter, constatation qui va dans le sens des résultats d’une étude antérieure portant sur la mortalité évitable selon le revenu du quartierNote15,. Selon d’autres études, les inégalités en matière de mortalité évitable pourraient être attribuables, en partie, à des différences d’accessibilité, d’utilisation ou de qualité des soins médicauxNote15,38-40, mais les résultats de la présente étude ne permettent pas d’aborder directement ce genre de questions. Chez les hommes, l’étude indique que la mortalité relative était plus élevée pour les décès attribuables à une cause potentiellement traitable par des soins médicaux que pour ceux qui ne l’étaient pas. L’inverse est observé chez les femmes, la mortalité relative étant plus élevée pour les décès dus à une cause non traitable par des soins médicaux. Ce dernier résultat pourrait refléter dans une certaine mesure la mortalité par cancer du sein, un élément clé de la mortalité féminine évitable, pour laquelle on n’a pas observé de gradient selon le revenu.

Points forts et limites

Un important point fort de la présente étude tient au large échantillon représentatif de la population qui permet de calculer les différences de mortalité selon le quintile de suffisance du revenu pour une gamme de groupes de causes de décès et de déceler de petits effets.

Au lieu de mesures axées sur la région, la présente analyse porte sur des données au niveau de la personne, qui révèlent plus clairement les différences de mortalité selon le revenu. Par exemple, comparativement aux résultats sur la mortalité selon le revenu du quartier dans les régions urbaines au CanadaNote13, (totalisations spéciales pour 2001, limitées aux personnes de 25 ans et plus), les rapports de taux (RT) interquintiles pour les hommes (et pour les femmes) de la présente étude étaient  22 % (39 %) plus élevés pour la cardiopathie ischémique, 21 % (23 %) plus élevés pour le cancer du côlon et du rectum, 46 % (68 %) plus élevés pour le diabète sucré, 55 % (63 %) plus élevés pour les maladies respiratoires et 53 % (70 %) plus élevés pour les traumatismes dus aux accidents de la circulation.

Afin de tenir compte de certaines différences de pouvoir d’achat selon la région géographique ou d’autres facteursNote41,, on a défini les quintiles de revenu pour la présente étude dans chaque région métropolitaine de recensement ou agglomération de recensement au lieu d’utiliser un seul ensemble de seuils pour toutes les régions.

Une limite importante tient au fait que les données sur le revenu sont celles pour l’année de création de la cohorte (1991) et qu’elles pourraient avoir changé au cours de la période de suivi (de 1991 à 2006). Comparativement à d’autres indicateurs socioéconomiques, le revenu varie plus fréquemment et son effet sur la santé peut être cumulé au cours de la vieNote7,41. Des mesures faites à un moment particulier dans le temps ne permettent pas de saisir l’information sur les fluctuations du revenu au fil des ans.

La présente étude fournit des données de référence au niveau de la personne sur la nature et sur la portée des différences de mortalité selon le revenu, mais elle n’indique pas si ces différences sont restées les mêmes, ont augmenté ou ont diminué au fil du temps. L’analyse était fondée sur le revenu des membres de la cohorte durant l’année qui a précédé le Recensement de 1991. Au cours de la période de suivi, la courbe de distribution du revenu des Canadiens a évolué vers un pourcentage plus élevé du revenu total concentré chez un pourcentage plus faible de la population, même après impôt et transfertsNote42,. Cette situation aurait tendance à accroître la surmortalité liée au revenu, si l’on suppose que les risques relatifs n’ont pas changé.

Les analyses fondées sur le revenu de la famille économique reposent sur l’hypothèse d’une répartition équitable du revenu entre les membres de la famille, ce qui n’est pas forcément le cas.

Comme l’information sur les facteurs de risque (tel l’usage du tabac) susceptibles d’avoir contribué à la mortalité n’était pas disponible, l’effet direct du revenu sur la mortalité pourrait être surestimé. Pour déterminer la mesure dans laquelle les comportements et les facteurs de risque individuels expliquent (ou n’expliquent pas) les taux de mortalité plus élevés chez les personnes appartenant aux quintiles de faible revenu, il faudrait effectuer un suivi de la mortalité à long terme au moyen d’enquêtes sur la santé qui recueillent des données sur les facteurs comportementaux de risque et sur les indicateurs socioéconomiques.

Mot de la fin

Les taux de mortalité diffèrent selon le niveau de revenu pour la plupart des causes de décès. Les causes les plus étroitement associées à des comportements posant un risque pour la santé ont tendance à présenter un gradient de mortalité particulièrement prononcé. Ces résultats étoffent ceux d’études antérieures en fournissant des données par groupe de causes de décès et confirment l’existence d’un gradient de mortalité selon le revenu systématique pour la plupart des causes de décès.

Remerciements

La présente analyse a été financée par l’Agence de la santé publique du Canada. L’Étude canadienne de suivi de la mortalité et du cancer selon le recensement a été financée par l’Initiative sur la santé de la population canadienne de l’Institut canadien d’information sur la santé (étude originale), la Direction générale de la santé environnementale et de la sécurité des consommateurs de Santé Canada (prolongations de l’étude) et la Division de l’analyse de la santé de Statistique Canada. Les auteurs remercient les registraires provinciaux et territoriaux de la statistique de l’état civil qui ont fourni les données sur les décès pour la Base canadienne de données sur la mortalité, ainsi que la population du Canada dont les réponses au questionnaire complet du Recensement de 1991 ont servi de fondement à ces analyses.

Date de modification :