Dynamique du renoncement au tabac et qualité de vie liée à la santé chez les Canadiens
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par Margot Shields, Rochelle E. Garner et Kathryn Wilkins
Plusieurs dizaines d’années de recherche ont permis d’établir la relation causale entre l’usage du tabac et divers effets néfastes sur la santé1. Il en est résulté des dispositions législatives antitabac (dont des interdictions de fumer et des exigences relatives à l’affichage de mises en garde sur les paquets de cigarettes), les normes sociales ont évolué et le pourcentage de fumeurs chez les Canadiens de 15 ans et plus a diminué, passant de 35 % en 1985 à 17 % en 20102.
Aujourd’hui, moins de gens deviennent des fumeurs et un nombre considérable de fumeurs cessent de fumer2. Les effets bénéfiques du renoncement au tabac sur la santé comprennent la réduction du risque de cancer du poumon et d’autres cancers, de crise cardiaque, d’accident vasculaire cérébral et de maladie pulmonaire chronique3. Toutefois, quantifier les améliorations de l’état de santé global qui en découlent est une tâche difficile et, jusqu’à ce jour, peu de recherches ont été effectuées à cette fin.
La dynamique du renoncement au tabac est complexe3. La lutte peut être prolongée et comprendre plusieurs tentatives (et rechutes) avant de parvenir (ou non) à cesser de fumer de façon permanente2,4. En outre, il faut parfois des années d’abstinence pour que le risque de maladie soit le même que chez les personnes n’ayant jamais fumé3. Par conséquent, les chercheurs qui visent à étudier la relation entre la situation d’usage du tabac et les résultats en matière de santé doivent suivre les sujets sur des périodes suffisamment longues et les évaluer assez fréquemment pour cerner les changements se rapportant à l’exposition et aux résultats.
La présente étude décrit les trajectoires de la qualité de vie liée à la santé (QVLS) en fonction de la situation d’usage du tabac. Plus particulièrement, nous y comparons les anciens fumeurs et les personnes n’ayant jamais fumé, dans le but de quantifier le temps qui s’écoule après l’abandon du tabac avant que la QVLS des anciens fumeurs soit semblable à celle des personnes n’ayant jamais fumé. La disponibilité de données longitudinales tirées de l’Enquête nationale sur la santé de la population (ENSP), dans le cadre de laquelle des renseignements ont été recueillis auprès des participants tous les deux ans sur une période de 16 ans, représentait un avantage non négligeable pour l’analyse.
Méthodes
Source des données
L’analyse est fondée sur les données longitudinales de neuf cycles de l’ENSP (1994-1995 à 2010-2011). La population cible de la composante des ménages de l’ENSP était constituée de la population à domicile des dix provinces du Canada en 1994-1995, à l’exclusion des habitants des réserves indiennes, des habitants des bases des Forces canadiennes et de certaines régions éloignées et des résidents des établissements de santé.
En 1994-1995, 20 095 ménages ont été sélectionnés pour faire partie du panel longitudinal de l’ENSP. Dans chacun d’entre eux, une personne a été sélectionnée de façon aléatoire; parmi ces personnes, 86 % (17 276) ont rempli la composante générale du questionnaire en 1994-1995. Depuis, des tentatives ont été faites pour interviewer les personnes sélectionnées tous les deux ans. Des renseignements plus détaillés sur le plan de sondage, l’échantillon et les méthodes d’interview de l’ENSP sont fournis ailleurs5,6.
Les analyses de la présente étude portent sur les renseignements recueillis auprès des participants qui étaient âgés de 40 ans ou plus en 1994-1995. Cette fourchette d’âge a été choisie parce que l’effet des problèmes de santé liés à l’usage du tabac sur les trajectoires de la QVLS y est plus évident que dans une population plus jeune.
Mesures
Health Utilities Index Mark 3 (HUI3)
La QVLS a été mesurée au moyen du Health Utilities Index Mark 3 (HUI3), une mesure générique fondée sur les préférences qui reflète les valeurs subjectives attribuées à des résultats particuliers liés à la santé7. L’HUI3 quantifie la QVLS d’après l’état fonctionnel d’une personne dans huit domaines (attributs), à savoir la vision, l’ouïe, la parole, la mobilité, la dextérité, l’émotion, la cognition et la douleur. Chaque attribut comporte cinq ou six niveaux allant de l’absence de déficience à la déficience grave. L’HUI est une mesure de la santé fonctionnelle qui reflète, au moins en partie, les maladies dont une personne peut être atteinte ou qu’elle pourrait être à risque de développer. De nombreuses preuves corroborent la validité des hypothèses de l’HUI3 pour les applications en santé des populations8-11. Les scores HUI3 globaux sont calculés à l’aide d’une fonction d’utilité multiattributs multiplicative basée sur les préférences des membres d’un échantillon aléatoire de la population canadienne7, en utilisant l’échelle classique selon laquelle décédé = 0,00 et en parfaite santé = 1,00; les scores inférieurs à zéro peuvent représenter les états de santé considérés comme pires que la mort. Un écart (ou une variation) de 0,03 ou plus du score est considéré comme significatif sur le plan clinique9,12,13. Ce critère est fondé en partie sur des comparaisons des scores moyens obtenus pour des groupes connus dans les études transversales et longitudinales.
Étant donné la nature fortement asymétrique de la distribution des scores HUI3, une transformation arcsinus de la mesure des résultats a été utilisée pour obtenir des résidus suivant une loi normale14.
Situation d’usage du tabac
Pour chaque cycle de l’ENSP, chaque participant à l’enquête a été classé comme étant un fumeur quotidien, un ancien fumeur—fumeur quotidien ayant cessé de fumer (au cours des derniers 4 ans, 5 à 9 ans, 10 à 19 ans ou depuis 20 ans ou plus)—ou une personne n’ayant jamais fumé quotidiennement. Si les données sur la situation d’usage du tabac étaient manquantes dans un cycle donné, mais disponibles dans des cycles précédents et subséquents, elles ont été utilisées pour imputer la situation d’usage du tabac pour le cycle pour lequel les données étaient manquantes. La situation d’usage du tabac a été imputée pour au moins un cycle pour 17 % des participants à l’enquête pris en compte dans la présente étude (11 % pour un cycle, 4 % pour deux cycles et 2 % pour trois cycles ou plus).
Âge
L’âge au moment de l’entrevue a été centré à 57 ans, qui était l’âge moyen des membres de l’échantillon en 1994-1995 (moyenne = 56,8 ans).
Covariables
Des variables représentant des facteurs reconnus comme étant des facteurs confusionnels possibles de l’association entre la situation d’usage du tabac et la QVLS ont été incluses dans les modèles préliminaires. Ces variables étaient le faible revenu du ménage (le 20e centile inférieur de la répartition en pourcentage), le niveau de scolarité (pas de diplôme d’études secondaires, diplôme d’études secondaires, ou diplôme d’études postsecondaires), l’état matrimonial (marié(e)/vit avec un(e) conjoint(e)) et l’obésité (indice de masse corporelle égal ou supérieur à 30 kg/m2).
On a envisagé d’inclure l’âge au début de l’usage du tabac et la durée de l’usage du tabac dans les modèles multivariés. Toutefois, les variables de l’âge au début de l’usage du tabac, l’âge lors de la période d’observation, la durée de l’usage du tabac et la durée de la période d’abstinence sont interdépendantes. Dans les divers groupes d’âge, l’âge au début de l’usage du tabac était semblable dans le cas des fumeurs et des anciens fumeurs. Par conséquent, l’inclusion de cette variable ne modifie pas les avantages observés du renoncement au tabac. Même si la durée de l’usage du tabac chez les anciens fumeurs est inférieure à celle chez les fumeurs (dans le même groupe d’âge), ce facteur est déjà pris en compte par le nombre d’années écoulées depuis le renoncement au tabac.
Analyse
Des mesures de la situation d’usage du tabac ont été utilisées pour prédire les scores HUI3 deux ans (un cycle) plus tard. Pour tenir compte de la nature non indépendante des mesures répétées (HUI3 et situation d’usage du tabac), nous avons eu recours à la modélisation multiniveaux des courbes de croissance. Cette méthode permet d’examiner les différences intra-individu et interindividus dans l’HUI3 en fonction de l’âge. Dans les modèles, les catégories de situation d’usage du tabac ont été utilisées comme covariables variant temporellement (la catégorie de situation d’usage du tabac d’une personne pouvant changer d’un cycle à l’autre). Pour chaque paire successive de cycles de l’ENSP (1994-1995 à 1996-1997; 1996-1997 à 1998-1999; etc.), un enregistrement a été créé comprenant la situation d’usage du tabac d’après les données de la première période de temps (temps 1) et l’HUI3 ainsi que l’âge d’après les données recueillies au suivi deux ans plus tard (temps 2). Les valeurs d’HUI3 au temps 2 (au lieu de celles au temps 1) ont été utilisées pour tenir compte du décalage entre l’exposition (usage du tabac) et le résultat (état de santé); l’âge au temps 2 a été utilisé à cause de la corrélation élevée entre l’HUI3 et l’âge.
Des 7 915 participants à l’enquête âgés de 40 ans ou plus en 1994-1995, 101 ont été exclus à cause de valeurs manquantes pour l’état d’usage du tabac dans tous les cycles. De plus, 330 personnes ont été exclues parce qu’aucune paire de cycles successive ne comprenait une réponse valide pour la situation d’usage du tabac au temps 1 et l’HUI3 au temps 2. Les 7 484 personnes restantes ont contribué au moins une observation au fichier d’analyse. Dans le cas des participants décédés au cours de la période de suivi, un enregistrement final a été créé incluant l’âge au moment du décès et un score HUI3 de 0,00. Lorsque la date du décès n’était pas connue, la valeur attribuée pour l’âge était celle de l’âge au temps 1 plus deux ans. Aucun autre enregistrement n’a été inclus pour ces personnes.
Pour chaque participant à l’enquête, le nombre maximal d’observations possible était huit (59 872 en tout). Les décès (après le cycle au cours duquel le décès a été déclaré) ont entraîné la perte de 8 381 observations possibles, laissant un nombre maximal possible de 51 491 observations. La non-réponse à la situation d’usage du tabac au temps 1 ou à l’HUI3 au temps 2 a entraîné une perte de 8 801 observations (17 %), laissant 42 690 observations dans le fichier d’analyse final. Parmi les 7 484 participants, 36 % ont contribué les huit observations possibles, 15 % en ont contribué sept, 10 %, six, 8 %, cinq, 7 %, quatre, 9 %, trois, 8 % deux et 7 %, une. Les participants à l’ENSP qui déménagent dans un établissement de santé font l’objet d’un suivi et sont inclus dans la présente étude.
Des études antérieures ont montré que les trajectoires normatives de l’HUI3 diffèrent chez les hommes et chez les femmes11; par conséquent, les modèles ont été exécutés séparément pour l’un et l’autre sexe. Un modèle à deux niveaux a été structuré de manière à ce que le temps (niveau 1) soit emboîté dans les personnes (niveau 2). L’HUI3 avec transformation arcsinus a été modélisé en fonction de l’âge (centré à 57 ans) et nous avons examiné les taux linéaire, quadratique et cubique de variation de la QVLS pour en déterminer la signification statistique et améliorer l’ajustement du modèle (mesuré par la variation de -2 de la log-vraisemblance). Dans les modèles pour les hommes ainsi que pour les femmes, nous avons constaté qu’un modèle cubique était le mieux ajusté aux données (données non présentées), saisissant l’association non linéaire entre l’âge et la QVLS (HUI3 avec transformation arcsinus).
Pour examiner l’association entre la situation d’usage du tabac et la QVLS au fil du temps, des variables nominales pour les catégories de situation d’usage du tabac ont été incluses dans les modèles, les personnes n’ayant jamais fumé quotidiennement constituant le groupe de référence. Nous avons utilisé les interactions entre la catégorie de situation d’usage du tabac et les paramètres de pente pour examiner les effets de la situation d’usage du tabac sur l’évolution des scores de QVLS au fur et à mesure du vieillissement. Tous les effets liés à la situation d’usage du tabac étaient fixes (ne pouvaient pas varier de façon aléatoire d’une personne à l’autre). Même si une seule trajectoire est présentée pour chaque catégorie d’usage du tabac, la catégorie d’usage du tabac d’une personne peut changer au fil du temps, selon les renseignements fournis à chaque entrevue.
Toutes les statistiques descriptives sont fondées sur des estimations pondérées. Pour la modélisation de la courbe de croissance, des poids normalisés ont été utilisés et appliqués au deuxième niveau des modèles (niveau de l’individu). Pour les statistiques descriptives, nous avons calculé les estimations de la variance par la méthode du bootstrap pour tenir compte du plan de sondage complexe de l’ENSP15. Les estimations de la variance pour les paramètres de modélisation de la courbe de croissance ont été gonflées au moyen d’un effet de plan de deux pour tenir compte du plan de sondage complexe de l’ENSP.
Résultats
Caractéristiques de la population étudiée
L’échantillon étudié comprenait 3 341 hommes et 4 143 femmes âgés de 40 ans ou plus en 1994-1995. Durant la période de suivi (1996-1997 à 2010-2011), 4 % des hommes et 7 % des femmes dans l’échantillon pondéré ont été placés en établissement, et 30 % des hommes ainsi que 25 % des femmes sont décédés (tableau 1).
En 1994-1995, les hommes étaient plus susceptibles que les femmes d’être des fumeurs quotidiens (27 % et 20 %, respectivement), et ils étaient également plus susceptibles d’être des anciens fumeurs quotidiens, sans égard au nombre d’années écoulées depuis l’abandon du tabac. Les transitions entre états d’usage du tabac (abandon ou rechute) d’une entrevue à l’autre étaient chose courante, particulièrement chez les personnes qui, en 1994-1995, fumaient quotidiennement ou avaient cessé de fumer récemment (depuis quatre ans ou moins). Plus de la moitié de ceux qui étaient des fumeurs quotidiens en 1994-1995 ont déclaré au moins un changement d’état d’usage du tabac pendant la période de suivi; chez les anciens fumeurs récents, environ le quart des hommes et le tiers des femmes ont déclaré au moins un changement d’état.
Le tableau 2 montre la répartition de l’état d’usage du tabac au temps 1 et l’HUI3 moyen au temps 2 sur l’ensemble de la période d’observation (1994-1995 à 2010-2011), selon le sexe et le groupe d’âge. La probabilité d’être un fumeur quotidien diminue fortement avec l’âge. En outre, les personnes de moins de 60 ans étaient moins susceptibles d’être des anciens fumeurs de longue date (20 ans ou plus) que ceux de 60 ans et plus. Les femmes de 80 ans et plus étaient beaucoup moins susceptibles d’avoir déjà fumé quotidiennement que celles dans les groupes d’âge plus jeunes.
Sur l’ensemble des groupes d’âge, le score HUI3 moyen était de 0,81 chez les hommes et de 0,78 chez les femmes. Une différence marquée du score HUI s’observe entre le groupe le plus âgé (80 ans et plus) et le groupe le plus jeune (moins de 50 ans), soit de 0,40 dans le cas des hommes et de 0,39 dans le cas des femmes.
Modèles de courbe de croissance
Le premier ensemble de modèles de courbe de croissance (tableau 3, modèle A) examiné transforme les scores HUI3 (tHUI3) par rapport à l’âge linéaire, au carré et au cube. Tant pour les hommes que pour les femmes, l’ajout de la situation d’usage du tabac a sensiblement amélioré les modèles pour ce qui est de la prédiction des scores tHUI3 (tableau 3, modèle B). Les paramètres d’ordonnée à l’origine reflètent les différences à 57 ans, l’âge étant centré sur 57 ans.
À 57 ans, les hommes qui étaient des fumeurs quotidiens avaient des scores tHUI3 sensiblement inférieurs à ceux des hommes qui n’avaient jamais fumé quotidiennement. Les hommes qui avaient cessé de fumer depuis moins de 20 ans avaient également des scores tHUI3 sensiblement inférieurs à ceux des hommes qui n’avaient jamais fumé quotidiennement. Les écarts semblent se rétrécir à mesure que le nombre d’années écoulées depuis l’abandon du tabac augmente; ainsi, le score tHUI3 des hommes ayant cessé de fumer depuis au moins 20 ans est semblable au score de ceux n’ayant jamais fumé quotidiennement. Aucune des interactions entre la situation d’usage du tabac et l’âge (linéaire, au carré ou au cube) n’est statistiquement significative, ce qui signifie que les scores tHUI3 ont changé de façon similaire dans le cas de tous les hommes à mesure qu’ils ont pris de l’âge, sans égard à leur situation d’usage du tabac.
Les femmes de 57 ans qui étaient des fumeuses quotidiennes ou d’anciennes fumeuses (sans égard au nombre d’années écoulées depuis l’abandon du tabac) avaient des scores tHUI3 inférieurs à ceux des femmes n’ayant jamais fumé quotidiennement, les différences étant plus petites toutefois dans le cas des femmes ayant cessé de fumer depuis au moins 10 ans que dans le cas de celles ayant cessé il y a moins longtemps. Chez les femmes uniquement, les interactions entre la situation d’usage du tabac et les taux de varaition des scores tHUI3 au fil du temps étaient statistiquement significatives (modèle C). Des associations négatives significatives se dégagent pour l’interaction entre l’âge et l’abandon du tabac depuis 4 ans ou moins et depuis 5 à 9 ans. Cela signifie que les scores tHUI3 des anciennes fumeuses qui ont cessé de fumer il y a moins de dix ans diminuent de façon plus marquée que ceux des fumeuses quotidiennes, des anciennes fumeuses ayant cessé de fumer depuis au moins dix ans et des femmes n’ayant jamais fumé quotidiennement. Aucune interaction significative ne s’observe entre la situation d’usage du tabac et l’âge au carré ou l’âge au cube.
Pour illustrer les résultats, nous avons rétrotransformé et représenté graphiquement les estimations des modèles finaux (le modèle B pour les hommes et le modèle C pour les femmes). Pour les hommes de 57 ans n’ayant jamais fumé quotidiennement, le score HUI3 prédit était de 0,94; ceux ayant cessé de fumer depuis au moins 20 ans avaient un score statistiquement semblable (0,93) (figure 1). Les scores HUI3 prédits étaient de 0,88 pour les fumeurs quotidiens, 0,87 pour ceux ayant cessé de fumer depuis moins de 4 ans, 0,90 pour ceux ayant cessé de fumer depuis 5 à 9 ans et 0,91 pour ceux ayant cessé de fumer depuis 11 à 19 ans. Des scores HUI3 significativement inférieurs s’observent dans le cas des fumeurs quotidiens et des anciens fumeurs ayant cessé de fumer depuis moins de 20 ans dans tous les groupes d’âge, sans changement significatif lié à l’âge de la QVLS selon la situation d’usage du tabac.
Dans le cas des femmes de 57 ans n’ayant jamais fumé quotidiennement, le score HUI3 prédit était de 0,92, comparativement à 0,86 pour les fumeuses quotidiennes, 0,85 pour celles ayant cessé de fumer depuis 0 à 4 ans et 0,87 pour celles ayant cessé de fumer depuis 5 à 9 ans (figure 1). Les scores des femmes ayant cessé de fumer depuis 10 à 19 ans ou depuis 20 ans ou plus étaient significativement plus élevés que le score des fumeuses quotidiennes (tableau 4, modèle A). Toutefois, l’écart entre les scores HUI3 pour ces groupes d’anciennes fumeuses et les scores pour les femmes n’ayant jamais fumé quotidiennement est de plus ou moins 0,03, ce qui montre que les différences (par rapport aux femmes n’ayant jamais fumé quotidiennement) ne sont pas significatives sur le plan clinique. Les interactions négatives avec l’âge observées pour les femmes ayant cessé de fumer depuis quatre ans ou moins ou depuis 5 à 9 ans se reflètent dans les plus grandes diminutions des scores HUI3 au fil du temps. Par exemple, l’écart entre les scores HUI3 des femmes ayant cessé de fumer depuis 4 ans ou moins et ceux des femmes n’ayant jamais fumé quotidiennement s’élargit, passant de 0,07 à 57 ans à 0,13 à 75 ans; chez les femmes ayant cessé de fumer depuis 5 à 9 ans, l’écart passe de 0,05 à 0,15.
L’inclusion des variables de contrôle (revenu du ménage, niveau de scolarité, état matrimonial et obésité) dans les modèles préliminaires a pour effet d’atténuer de façon minime les associations entre la situation d’usage du tabac et tHUI3, sans perte de signification (données non présentées).
Pour examiner la possibilité que les avantages du renoncement au tabac soient attribuables à une plus faible intensité de l’usage du tabac chez les anciens fumeurs que chez les personnes qui ont continué de fumer, nous avons exécuté des modèles supplémentaires tenant compte du nombre de cigarettes fumées par jour. Toutefois, comparativement aux scores tHUI3 pour les fumeurs, les valeurs plus élevées pour les personnes ayant cessé de fumer (tableau 4, modèle A) persistent lorsqu’il est tenu compte de l’intensité de l’usage du tabac chez les hommes et chez les femmes (modèle B).
Discussion
Le résultat principal de la présente étude est que le renoncement au tabac à long terme améliore la QVLS à tout âge. Chez les hommes qui étaient d’anciens fumeurs quotidiens, la QVLS 20 ans après le renoncement au tabac est semblable à celle des hommes n’ayant jamais fumé. Chez les femmes, dix ans après le renoncement au tabac, la QVLS des anciennes fumeuses ne diffère pas de façon significative sur le plan clinique de la QVLS de celles n’ayant jamais fumé.
Les scores HUI3 relativement faibles des anciens fumeurs récents (abandon du tabac depuis quatre ans ou moins) étaient attendus. Cesser de fumer est une réaction courante à l’apparition d’une maladie; par exemple, un nouveau diagnostic de maladie vasculaire est un prédicteur de renoncement au tabac2,3,16. Chez les femmes ayant cessé de fumer quotidiennement depuis quatre ans ou moins ou depuis 5 à 9 ans, la diminution liée à l’âge de l’HUI3 était plus prononcée que chez les femmes n’ayant jamais fumé quotidiennement (comme l’indique l’interaction significative avec l’âge pour ces groupes). En revanche, chez les hommes, même si les trajectoires de l’HUI3 pour ces groupes sont systématiquement en dessous de la trajectoire pour ceux qui n’ont jamais fumé quotidiennement, elles ne s’écartent pas avec l’âge.
Cette différence entre les hommes et les femmes peut tenir à des différences en matière de fréquence des problèmes de santé chroniques liés à l’usage du tabac et de réactions à ces problèmes de santé. Par exemple, un examen systématique mené récemment a permis de conclure que les femmes qui fument courent un plus grand risque relatif de maladie cardiaque coronarienne que les fumeurs de sexe masculin17. Pour examiner la possibilité de différences entre les sexes en ce qui a trait à l’effet de la maladie cardiaque sur la QVLS, nous avons examiné les différences selon l’âge des scores HUI3 chez les personnes souffrant de maladie cardiaque et celles n’en souffrant pas. Les différences sont systématiquement plus importantes chez les femmes que chez les hommes, ce qui laisse supposer une plus forte incidence de la maladie cardiaque sur la QVLS des femmes, ou du moins chez celles qui survivent en étant atteintes de cette maladie.
Lorsqu’il s’agit d’interpréter les trajectoires de l’HUI chez les anciens fumeurs récents (abandon du tabac depuis quatre ans ou moins), le taux élevé de mortalité chez les hommes et les femmes est pertinent. Comparativement aux personnes qui n’ont jamais fumé, pour les anciens fumeurs récents, le risque relatif de décès au cours des deux prochaines années corrigé en fonction de l’âge était de 2,8 pour les hommes et de 2,7 pour les femmes (données non présentées). Ainsi, des nombres considérables d’anciens fumeurs récents n’ont pas survécu assez longtemps pour jouir des bienfaits du renoncement au tabac à long terme.
En général, les résultats globaux de la présente étude sont conformes à ceux de plusieurs études transversales, ce qui donne à penser que les fumeurs actuels ont une moins bonne qualité de vie que les non-fumeurs18-22. Les recherches transversales comportant des renseignements recueillis auprès d’anciens fumeurs quant au délai écoulé depuis l’abandon du tabac montrent des associations modestes avec la qualité de vie23,24.
Les études utilisant une approche prospective de la mesure des associations entre la situation d’usage du tabac et la QVLS se sont habituellement limitées à une ou deux évaluations de suivi et le délai écoulé depuis le renoncement au tabac souvent n’a pas été pris en compte25-31. Néanmoins, certaines de ces études ont fait état d’une gradation des résultats en matière de QVLS, les personnes n’ayant jamais fumé et celles ayant cessé de fumer s’en tirant mieux que celles qui continuent de fumer25,28-30.
Toutes les recherches prospectives ne montrent pas que le renoncement au tabac a un effet positif sur la QVLS. Notamment, les études portant sur des patients atteints de maladie cardiovasculaire au début de la période d’observation26,27,31 ne montrent pas de différence dans la QVLS au moment du suivi entre les personnes qui ont cessé de fumer et celles qui continuent. Dans deux de ces études, le suivi s’est limité à un an, de sorte que les conclusions sont conformes aux résultats de la présente étude. Par ailleurs, une autre étude longitudinale fondée sur les données de l’ENSP a trouvé qu’il devait s’écouler 20 ans avant que le risque chez les anciens fumeurs d’être atteint de la maladie du cœur diminue, jusqu’à être comparable à celui chez les personnes n’ayant jamais fumé quotidiennement32.
Limites
Plusieurs facteurs limitent l’interprétation des résultats de la présente étude. Les personnes en relativement mauvaise santé peuvent être sous-représentées dans l’échantillon si elles étaient plus susceptibles de refuser de participer à l’enquête ou si elles ont été plus facilement perdues de vue au suivi comparativement aux personnes en meilleure santé5. Tout biais pouvant être causé par cette perte de vue au suivi est inconnu. De même, l’effet sur les résultats des suppressions d’enregistrements attribuables à la non-réponse est inconnu. Même si les renseignements sur la situation d’usage du tabac ont été recueillis tous les deux ans, aucune donnée n’était disponible sur les changements de comportement à l’égard de l’usage du tabac ayant pu survenir entre les entrevues de l’enquête. Par exemple, un participant à l’enquête qui a déclaré être un ancien fumeur dans deux cycles consécutifs peut avoir rechuté et être devenu un fumeur quotidien entre entrevues. Enfin, la mesure dans laquelle l’imputation de la situation d’usage du tabac a pu influer sur les résultats de l’étude est inconnue.
Conclusion
La nature longitudinale de l’ENSP, sa riche gamme de variables et la fréquence ainsi que le nombre d’années de suivi assurent de solides assises à la présente étude. Ces éléments permettent de combler les lacunes méthodologiques d’études précédentes, y compris les changements dans la situation d’usage du tabac dont il n’a pas été tenu compte, les erreurs de classification de la situation d’usage du tabac et le suivi inadéquat. La présente analyse fournit des preuves de ce que les personnes qui renoncent au tabac à long terme peuvent atteindre une QVLS semblable à celle des personnes qui n’ont jamais fumé. Ces résultats soulignent les bienfaits du renoncement au tabac et, plus particulièrement, les avantages liés à l’abandon du tabac à long terme par rapport à l’abandon à court terme.
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