Taux de mortalité chez les enfants et les adolescents vivant dans l'Inuit Nunangat, 1994 à 2008

Avertissement Consulter la version la plus récente.

Information archivée dans le Web

L’information dont il est indiqué qu’elle est archivée est fournie à des fins de référence, de recherche ou de tenue de documents. Elle n’est pas assujettie aux normes Web du gouvernement du Canada et elle n’a pas été modifiée ou mise à jour depuis son archivage. Pour obtenir cette information dans un autre format, veuillez communiquer avec nous.

Par Lisa N. Oliver, Paul A. Peters et Dafna E. Kohen

De nombreuses études récentes ont eu pour sujet l'espérance de vie, la mortalité, l'hospitalisation et d'autres indicateurs de la santé dans les quatre régions de l'Inuit Nunangat faisant l'objet d'une revendication territoriale1-5. L'espérance de vie à la naissance des résidents de ces régions est de 6 à 11 ans plus courte que celle des habitants du reste du Canada3,5, et le taux de mortalité infantile y est plus élevé5,6. Jusqu'à présent, les taux de mortalité des enfants et des jeunes qui résident dans l'Inuit Nunangat n'ont pas été calculés.

Comme les renseignements sur l'identité inuite ne sont pas recueillis par les bureaux de l'état civil de chaque province et territoire, il n'est pas possible de calculer des taux de mortalité spécifiques pour les Inuits. Toutefois, au Canada, les Inuits sont concentrés géographiquement – 78 % d'entre eux vivent dans l'Inuit Nunangat, et 82 % de la population de la région s'identifie comme étant Inuit (tableau 1). Une approche géographique, bien qu'elle comporte des limites, peut servir au calcul des taux de mortalité pour la population de cette région.

Tableau 1 Population totale, non autochtone et inuite, selon la région de résidence, Canada, 2006Tableau 1 Population totale, non autochtone et inuite, selon la région de résidence, Canada, 2006

Inuit Nunangat est un terme inuktitut qui signifie « patrie des Inuits », un territoire qui couvre plus du tiers de la masse terrestre du Canada et qui s'étend du nord du Labrador aux Territoires du Nord-Ouest. Il comprend les quatre régions faisant l'objet d'une revendication territoriale par les Inuits, à savoir le Nunatsiavut (côte nord du Labrador), le Nunavik (Nord-du-Québec), le territoire du Nunavut et la région désignée des Inuvialuit (Territoires du Nord-Ouest et Yukon).

La population de l'Inuit Nunangat est jeune et croît rapidement. De 1996 à 2006, la population de la région a augmenté de 14 %, alors que la population du reste du Canada a augmenté de 8 % (tableau 1). Le principal déterminant de cette augmentation dans l'Inuit Nunangat a été le taux élevé de croissance de la population inuite, soit de 18 %. Par conséquent, la structure par âge de la population inuite est déplacée vers des âges beaucoup plus jeunes que celle de la plupart des autres populations au Canada7. En 2006, 42 % de la population de l'Inuit Nunangat était âgée de 1 à 19 ans, comparativement à 24 % de la population vivant ailleurs au Canada.

L'objectif de la présente étude est d'examiner les différences8 de mortalité entre les jeunes de 1 à 19 ans vivant dans l'Inuit Nunangat et ceux résidant dans le reste du Canada durant la période allant de 1994 à 2008. Les taux de mortalité sont calculés par cause de décès.

Méthodes

Une approche géographique a été adoptée pour estimer les taux de mortalité chez les enfants et les adolescents de l'Inuit Nunangat et du reste du Canada. Une méthode semblable a été utilisée pour examiner l'espérance de vie, la mortalité, l'hospitalisation, l'incidence du cancer et la criminalité dans cette région1,5,9. Les décès d'enfants de moins d'un an, qui sont considérés comme représentant la mortalité infantile, ne sont pas inclus dans la présente analyse.

Une grande majorité (92 %) de la population de l'Inuit Nunangat âgée de 1 à 19 ans s'est identifiée comme étant Inuit au Recensement de 2006 (données non présentées). Le Nunavik et le Nunatsiavut affichent les pourcentages les plus élevés de personnes s'étant déclarées d'identité inuite, soit 96 %; dans la région désignée des Inuvialuit, 65 % de la population de  1 à 19 ans a déclaré être d'identité inuite.

Chaque enregistrement de décès de la Base de données sur les décès de la statistique de l'état civil contient le sexe, l'âge et le lieu habituel de résidence de la personne décédée (subdivision de recensement – SDR). Une seule cause initiale du décès est enregistrée, conformément à la Classification internationale des maladies, 9e révision (1994 à 1999) ou 10e révision (2000 et années suivantes) (CIM-9 et CIM-10).

Les analyses de la présente étude sont fondées sur les enregistrements de personnes âgées de 1 à 19 ans au moment de leur décès. Sont exclus les décès des non-résidents du Canada, les décès des résidents du Canada dont la province ou le territoire de résidence est inconnu, et les décès pour lesquels l'enregistrement ne contient pas de renseignements sur l'âge ou le sexe de la personne décédée. L'approche suivie pour l'analyse requiert que les enregistrements de décès contiennent des identificateurs géographiques. Pour la région désignée des Inuvialuit et le Nunatsiavut, le code de SDR complet était nécessaire; pour le Nunavik, le code de SDR ou le code de division de recensement (DR) était nécessaire, et pour le Nunavut, seul le code de territoire était requis.

Les causes initiales de décès, fondées sur les codes de la CIM-9 ou de la CIM-10, ont été regroupées conformément à la classification de la charge de morbidité globale (GBD, pour Global Burden of Disease)10. Le cadre de la GBD diffère de celui des chapitres de la CIM, dans lesquels les maladies sont classées en fonction des systèmes et appareils de l'organisme. Selon la classification GBD, les décès se répartissent en trois grands groupes : I – Affections transmissibles, maternelles, périnatales et nutritionnelles; II – Affections non transmissibles; III – Traumatismes. Les groupes I et II sont subdivisés en maladies ou affections particulières. Le groupe III est subdivisé en traumatismes non intentionnels et intentionnels, qui sont ensuite classés par type. Comme les traumatismes auto-infligés (suicides) représentaient la quasi-totalité des traumatismes intentionnels dans la présente étude, pour des raisons de confidentialité, les homicides n'ont pas pu être présentés séparément. D'autres renseignements sur la classification GBD, les codes de la CIM-9 et de la CIM-10, et l'utilisation de la GBD dans l'Inuit Nunangat peuvent être consultés ailleurs10,11.

Des estimations de population sur petits domaines ont été utilisées pour fournir des chiffres détaillés pour le groupe des 1 à 19 ans dans chaque SDR de l'Inuit Nunangat pour la période allant de 1996 à 200612. Ces estimations sont plus exactes que celles calculées d'après les données du recensement. Les estimations démographiques les plus approchantes disponibles ont servi de données de substitution. Les années-personnes à risque ont été calculées en agrégeant les cinq années entourant chaque année de recensement (1996 et 2006).

Les taux de mortalité normalisés selon l'âge (TMNA) (décès pour 100 000 années-personnes à risque) ont été calculés par la méthode de Chiang13 pour les intervalles de cinq ans autour des années de recensement 1996 et 2006 (pour 1994 à 1998 et pour 2004 à 2008) afin d'obtenir les chiffres minimaux nécessaires pour calculer les taux. Le nombre total de décès dans chaque intervalle de cinq ans a été divisé par le nombre d'années-personnes à risque. Les taux de mortalité ont été normalisés selon l'âge en prenant pour référence la structure par âge de la population de 2001 de l'Inuit Nunangat. Les intervalles de confiance à 95 % ont été calculés par la méthode de Spiegelman14. Les taux ont également été calculés pour chacune des quatre régions de l'Inuit Nunangat. Les rapports de taux ont été calculés afin de comparer l'Inuit Nunangat au reste du Canada.

Résultats

Taux globaux de mortalité

De 2004 à 2008, chez le groupe des 1 à 19 ans dans l'Inuit Nunangat, le TMNA était de 188,0 décès pour 100 000 années-personnes à risque; comparativement, le taux était de 35,3 décès pour 100 000 années-personnes à risque dans le reste du Canada (tableau 2). Pour les deux populations, ces TMNA représentaient une baisse par rapport à la période de 1994 à 1998, durant laquelle les taux étaient de 210,1 décès pour 100 000 années-personnes à risque dans l'Inuit Nunangat et de 44,7 dans le reste du Canada. Étant donné cette baisse simultanée des TMNA, les rapports de taux comparant les enfants et les adolescents de l'Inuit Nunangat à ceux du reste du Canada n'ont pas varié de manière significative au cours des deux périodes.

Tableau 2 Taux de mortalité normalisés selon l'âge (TMNA) pour 100 000 années-personnes à risque, selon le sexe, population de 1 à 19 ans, Canada, Inuit Nunangat et sous-régions inuites, 1994 à 1998 et 2004 à 2008Tableau 2 Taux de mortalité normalisés selon l'âge (TMNA) pour 100 000 années-personnes à risque, selon le sexe, population de 1 à 19 ans, Canada, Inuit Nunangat et sous-régions inuites, 1994 à 1998 et 2004 à 2008

Les TMNA globaux étaient élevés dans les sous-régions de l'Inuit Nunangat. Par exemple, durant la période  de 2004 à 2008, les taux étaient de 152,5 décès pour 100 000 années-personnes à risque au Nunavut, de 307,8 au Nunavik et de 269,1 au Nunatsiavut. Les taux pour la région désignée des Inuvialuit n'ont pas été calculés parce que les chiffres étaient trop faibles.

Causes de décès

Maladies transmissibles
Les maladies transmissibles sont des affections telles que la tuberculose et les infections respiratoires. De 2004 à 2008, le TMNA dû aux maladies transmissibles chez le groupe des 1 à 19 ans était de 35,6 décès pour 100 000 années-personnes à risque dans l'Inuit Nunangat, comparativement à 9,9 ailleurs au Canada (tableau 3). Le rapport de taux n'avait presque pas varié depuis 1994 à 1998, demeurant autour de 3,6 (tableau 4).

Tableau 3 Taux de mortalité normalisés selon l'âge (TMNA) pour 100 000 années-personnes à risque, selon le sexe et la cause de décès, population de 1 à 19 ans, Canada et Inuit Nunangat, 1994 à 1998 et 2004 à 2008Tableau 3 Taux de mortalité normalisés selon l'âge (TMNA) pour 100 000 années-personnes à risque, selon le sexe et la cause de décès, population de 1 à 19 ans, Canada et Inuit Nunangat, 1994 à 1998 et 2004 à 2008

Tableau 4 Rapport des taux de mortalité normalisés selon l'âge, selon le sexe et la cause de décès, population de 1 à 19 ans, Inuit Nunangat comparé au Canada†, 1994 à 1998 et 2004 à 2008Tableau 4 Rapport des taux de mortalité normalisés selon l'âge, selon le sexe et la cause de décès, population de 1 à 19 ans, Inuit Nunangat comparé au Canada†, 1994 à 1998 et 2004 à 2008

Maladies non transmissibles
Les maladies non transmissibles sont des infections telles que le cancer, les anomalies congénitales et les affections neurologiques. De 2004 à 2008, le TMNA lié aux maladies non transmissibles chez les enfants et les adolescents était de 22,4 décès pour 100 000 années-personnes à risque dans l'Inuit Nunangat et de 12,0 ailleurs au Canada. Depuis 1994 à 1998, le TMNA lié aux maladies non transmissibles a baissé tant dans l'Inuit Nunangat que dans le reste du Canada, si bien que le rapport de taux est demeuré relativement constant, de l'ordre de 2,0, au cours de la période.

Traumatismes
Ce sont les traumatismes qui contribuaient le plus à la mortalité des enfants et des adolescents en général, rendant compte d'une part nettement plus importante des décès dans l'Inuit Nunangat que dans le reste du Canada, soit 64 % par opposition à 36 % de 2004 à 2008 (données non présentées). Le TMNA tous traumatismes confondus était de 115,3 décès pour 100 000  années-personnes à risque dans l'Inuit Nunangat, comparativement à 10,9 ailleurs au Canada.

Les décès par traumatisme non intentionnel sont ceux ne comportant  aucune intention de faire ou de se faire du mal (collision accidentelle de véhicules à moteur, noyade accidentelle). Les décès par traumatisme intentionnel comprennent les suicides (décès auto-infligés) et les homicides.

De 2004 à 2008, dans l'Inuit Nunangat, les TMNA étaient de 40,4 décès par traumatisme non intentionnel et de 74,9 décès par traumatisme intentionnel pour 100 000 années-personnes à risque. Les taux étaient beaucoup plus faibles ailleurs au Canada, et ils étaient plus élevés pour les traumatismes non intentionnels (7,8) que pour les traumatismes intentionnels (3,1). Depuis 1994 à 1998, les rapports de taux n'avaient pas évolué de manière significative.

Chez les enfants et les adolescents de l'Inuit Nunangat ainsi que du reste du Canada, la majorité des décès par traumatisme intentionnel étaient des décès auto-infligés, c'est-à-dire des suicides; les TMNA par homicide ne peuvent pas être publiés en raison des nombres de décès très faibles. Les suicides représentaient une part beaucoup plus importante des décès chez les jeunes de l'Inuit Nunangat qu'ailleurs au Canada, soit 40 % par opposition à 8 %15-18.

Entre 1994 à 1998 et 2004 à 2008, le taux de suicide des filles ou des jeunes femmes de l'Inuit Nunangat était d'environ 40 décès pour 100 000 années-personnes à risque, tandis qu'il était de l'ordre de 2 décès pour 100 000 années-personnes à risque dans le reste du Canada. Les rapports de taux révèlent que les taux de suicide chez les filles et les jeunes femmes de l'Inuit Nunangat sont plus de 20 fois plus élevés que dans le reste du Canada.

Chez les garçons et les jeunes hommes de l'Inuit Nunangat, le taux de suicide était de 77,2 décès pour 100 000 années-personnes à risque de 1994 à 1998 et de 101,6 de 2004 à 2008, taux qui ne sont pas statistiquement différents. En revanche, chez les garçons et les jeunes hommes du reste du Canada, le taux de suicide a baissé considérablement, passant de 6,1 à 4,2 décès pour 100 000 années-personnes à risque. Par conséquent, le rapport des taux de suicide est passé de 15 à 35.

Entre 1994 à 1998 et 2004 à 2008, le pourcentage de suicides par pendaison/suffocation a augmenté chez les enfants et les adolescents de l'Inuit Nunangat (passant de 70 % à 85 %) ainsi que dans le reste du Canada (passant de 55 % à 72 %). Les rapports de taux indiquent que le taux de suicide par pendaison/suffocation était 38 fois plus élevé et le taux de suicide par arme à feu, 51 fois plus élevé dans l'Inuit Nunangat qu'ailleurs au Canada.

Discussion

Depuis 1994 à 1998, les taux de mortalité chez les jeunes de 1 à 19 ans ont diminué dans l'Inuit Nunangat, mais ils ont baissé aussi dans le reste du Canada. Par conséquent, les rapports de taux montrent que ceux observés dans l'Inuit Nunangat sont demeurés cinq fois plus élevés tout au long de la décennie.

L'écart le plus important est celui constaté pour les traumatismes, les rapports de taux de 2004 à 2008 indiquant que le taux était dix fois plus élevé chez les enfants et les adolescents de l'Inuit Nunangat que chez ceux du reste du Canada.

De 2004 à 2008, les enfants et les adolescents de l'Inuit Nunangat étaient plus de 30 fois plus susceptibles de mourir par suicide que ceux du reste du Canada. De même, des taux de suicide élevés ont été signalés pour l'ensemble de la population des régions inuites19,20. La moitié des décès survenus chez les jeunes de l'Inuit Nunangat étaient des suicides, comparativement à environ 10 % dans le reste du Canada.

Les rapports de taux les plus élevés sont ceux calculés pour les traumatismes, mais des écarts entre les taux de mortalité se dégagent aussi pour les maladies transmissibles. De 2004 à 2008, les enfants et les adolescents de l'Inuit Nunangat étaient 3,6 fois plus susceptibles d'être emportés par une maladie transmissible que ceux vivant ailleurs au Canada, constatation qui concorde avec d'autres données21. En outre, tout au long de la décennie, les enfants et les adolescents de l'Inuit Nunangat étaient environ deux fois plus susceptibles de mourir d'une maladie non transmissible que ceux vivant dans le reste du Canada.

Dans l'ensemble, aussi bien dans l'Inuit Nunangat que dans le reste du Canada, les TMNA étaient plus faibles chez les filles et les jeunes femmes que chez les garçons et les jeunes hommes.

Limites

Bien que l'emploi d'enregistrements de décès nationaux pour calculer les taux de mortalité dans l'Inuit Nunangat soit un point fort de la présente étude, cette source de données présente des limites intrinsèques. Comme les données de la statistique de l'état civil ne contiennent pas d'identificateurs des Inuits, l'analyse a été menée selon une approche géographique pour produire les taux de mortalité pour les régions inuites plutôt que pour la population inuite proprement dite. Donc, les taux présentés ici ne sont pas représentatifs de l'ensemble des Inuits au Canada.

En outre, les enregistrements de données de l'état civil ne contiennent que la cause initiale du décès, alors que certains décès pourraient avoir de multiples causes initiales.

Les taux de mortalité calculés pour les jeunes vivant dans l'Inuit Nunangat sont fondés sur de petites populations et de très petits nombres de décès. Les intervalles de confiance sont larges et se chevauchent souvent. Par conséquent, des écarts qui paraissent grands peuvent n'être fondés que sur quelques événements, de sorte que des variations qui semblent importantes ne sont pas significatives. En fait, les petits nombres de décès ont empêché de calculer séparément les TMNA par cause de décès pour les quatre régions de l'Inuit Nunangat faisant l'objet d'une revendication territoriale, et le nombre de décès dans la région désignée des Inuvialuit est tellement faible que des TMNA distincts n'ont pas pu être calculés.

Conclusion

L'analyse montre que les taux de mortalité chez les enfants et les adolescents sont plus élevés dans l'Inuit Nunangat que dans le reste du Canada. De 2004 à 2008, le taux global de mortalité était environ cinq fois plus élevé dans l'Inuit Nunangat, écart qui persiste depuis le milieu des années 1990. Les décès par traumatisme auto-infligé rendent compte de la part la plus importante de la mortalité chez les jeunes vivant dans l'Inuit Nunangat.