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Méthodes
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Discussion

Les fournisseurs de soins de santé sont exposés à un risque de subir des violences au travail particulièrement élevé et les infirmières courent le plus grand risque1-9. Les résultats de nombreuses études indiquent que l’exposition à la violence au travail peut avoir plusieurs conséquences négatives pour les infirmières, y compris la colère, la peur, la dépression, l’anxiété, les troubles du sommeil, la prise de congés de maladie, la manifestation de symptômes associés au trouble de stress post-traumatique et l’insatisfaction à l’égard du travail3, 10-20. En outre, la probabilité qu’elles voudront quitter leur emploi, voire même la profession, est plus élevée parmi les infirmières victimes de violences au travail14, 20‑24.

La violence envers les fournisseurs de soins de santé peut aussi affecter les bénéficiaires des soins. La plupart des études portant sur la relation entre la violence et la qualité des soins sont fondées sur la perception qu’ont les infirmières quant à leur capacité de prodiguer des soins à la suite d’incidents de violence. Or, parmi les effets des mauvais traitements subis, celles-ci notent généralement une perte d’efficacité ainsi que de productivité et une hausse du nombre d’erreurs professionnelles11, 20-22, 25.

L’Association des infirmières et infirmiers du Canada (AIIC) et le Conseil international des infirmières (CII) militent en faveur de la « tolérance zéro » en matière de violence au travail26, 27. Une meilleure compréhension des facteurs associés à cette forme de violence est une importante condition préalable à l’élaboration de politiques efficaces sur le milieu de travail.

Les modèles conceptuels des facteurs qui donnent lieu à la violence en milieu de travail dans le secteur de la santé comprennent généralement trois niveaux de variables, à savoir les caractéristiques individuelles de l’infirmière et du patient, les facteurs liés au milieu de travail et les influences sociétales28. Mais, les études fondées sur des données probantes portant sur des variables provenant des trois niveaux sont rares. Quelques études29‑32 s’appuient sur des modèles multivariés qui prennent en compte les facteurs personnels et les facteurs associés au milieu de travail, mais de telles études sont assez rares, même si certains pensent qu’elles pourraient éclairer l’élaboration de programmes visant à réduire les violences que subissent les infirmières en milieu de travail33.

La présente étude permet d’examiner dans quelle mesure les infirmières travaillant dans les hôpitaux et les établissements de soins de santé de longue durée au Canada sont exposées aux violences commises par des patients. Dans un deuxième temps, on y examine la violence en milieu de travail en fonction de trois groupes de variables, à savoir les caractéristiques personnelles de l’infirmière, les caractéristiques de l’emploi et les déterminants du climat de travail. Un dernier objectif consiste à établir si les déterminants du climat de travail – lesquels présentent un intérêt parce qu’il est possible de les modifier – sont associés à la violence, indépendamment des effets éventuellement confusionnels des caractéristiques personnelles et des caractéristiques de l’emploi. Les déterminants du climat de travail étudiés ici sont la suffisance de l’effectif ou des ressources, les relations de travail entre les infirmières et les médecins, le soutien offert par les collègues et le soutien offert par le superviseur.

Méthodes

Source des données

Les données proviennent de l’Enquête nationale sur le travail et la santé du personnel infirmier (ENTSPI) de 2005, une enquête exhaustive menée auprès des membres occupés de la profession infirmière réglementée au Canada (infirmières autorisées, infirmières auxiliaires autorisées, et infirmières psychiatriques autorisées) par Statistique Canada, en partenariat avec l’Institut canadien d’information sur la santé et Santé Canada34. L’enquête visait à recueillir des renseignements auprès des infirmières des dix provinces et trois territoires sur leur milieu de travail, leur charge de travail, leur perception quant à la qualité des soins offerts et leur état de santé physique et mentale. Certaines questions ont été prévues pour permettre des analyses axées sur les liens entre l’environnement dans lequel s’exerce la profession infirmière et divers résultats pour les infirmières et les patients.

L’échantillon de l’ENTSPI a été sélectionné au hasard à partir des listes des membres, remises à Statistique Canada, des 26 organismes provinciaux et territoriaux de représentation ou de réglementation de la profession infirmière au Canada. L’enquête a été réalisée par téléphone au cours de la période allant d’octobre 2005 à janvier 2006; la durée moyenne de l’entrevue était de 30 minutes.

Sur les 24 443 infirmières sélectionnées au départ pour faire partie de l’échantillon, 21 307 ont fait l’objet d’un contact et, de ce nombre, 1 015 étaient exclues du champ de l’enquête puiqu’elles ne travaillaient pas en soins infirmiers au moment de l’enquête. En outre, 1 616 personnes (soit 7,6 % des 21 307 personnes contactées) ont refusé de participer. On a ainsi obtenu des réponses complètes pour 18 676 infirmières, ce qui a donné un taux de réponse de 79,7 %.

Les données ont été pondérées afin d’être représentatives à l’échelle provinciale (et pour les trois territoires confondus) de chacune des trois catégories d’infirmières, soit les infirmières autorisées (IA), les infirmières auxiliaires autorisées (IAA) et les infirmières psychiatriques autorisées (IPA)34. Les taux de réponse selon la catégorie d’infirmière ont été de 80,8 % pour les IA, de 78,4 % pour les IAA et de 80,6 % pour les IPA. À l’échelle provinciale, les taux de réponse variaient de 77,0 % en Ontario à 82,8 % en Nouvelle‑Écosse. Le taux de réponse des trois territoires confondus a été de 65,6 %. L’utilisation de poids d’échantillonnage est nécessaire pour réduire la possibilité d’un biais causé par les différences dans les taux de réponse.

Les déclarations de violence par les infirmières sont beaucoup moins fréquentes dans certains milieux de travail, comme les services de santé communautaires, les cabinets de médecin et les établissements d’enseignement34. Ainsi, pour restreindre l’hétérogénéité de l’échantillon, notre analyse s’est limitée aux infirmières affectées aux soins directs dans un hôpital ou un établissement de soins de santé de longue durée, c’est-à-dire à 12 218 individus; grâce à l’application de poids de sondage, l’échantillon était représentatif des 218 300 membres de la profession infirmière au Canada ayant satisfait à ces critères à l’automne 2005.

Définitions

On a eu recours à deux questions à réponse « oui ou non » pour mesurer la violence au travail infligée par les patients :

  • Au cours des 12 derniers mois, avez‑vous été victime d’une agression physique de la part d’un patient?
  • Au cours des 12 derniers mois, avez‑vous été victime de violence émotionnelle (psychologique) de la part d’un patient?

Les deux questions ont été lues aux participantes à l’enquête sans qu’aucune autre explication ni définition de l’agression physique ou de la violence psychologique leur soit fournie.

Quatre variables ont été utilisées pour évaluer le climat de travail. Deux de ces variables, soit la suffisance de l’effectif ou des ressources et les relations de travail entre les infirmières et les médecins, sont dérivées de sous‑échelles de l’indice du travail en soins infirmiers (ITSI), qui est un ensemble de mesures élaborées pour étudier le milieu de travail dans lequel s’exerce la profession infirmière35. Les réponses reposaient sur une échelle de Likert de quatre points, allant de « tout à fait d’accord » (0 points) à « fortement en désaccord » (3 points), en passant par « quelque peu en accord » (1 point) et « quelque peu en désaccord » (2 points).

Les énoncés de la sous‑échelle de la suffisance de l’effectif ou des ressources sont présentées au tableau 1. Le score global de suffisance de l’effectif ou des ressources (pouvant varier de 0 à 12) a été obtenu en additionnant ensemble les scores enregistrés pour les quatre énoncés. La perception quant à la suffisance de l’effectif ou des ressources était d’autant plus faible que le score était élevé. Des seuils ont été choisis pour permettre de subdiviser la distribution pondérée des scores en quartiles. Dans le cas de l’ENTSPI, la valeur du coefficient de fiabilité (telle que mesurée par le coefficient alpha de Cronbach) de cette sous‑échelle était satisfaisante, soit de 0,84, et des statistiques de validité satisfaisantes avaient été publiées antérieurement36.

Tableau 1
Certaines caractéristiques des infirmières affectées aux soins directs dans les hôpitaux ou les établissements de soins de santé de longue durée, Canada, 2005

Trois énoncés ont servi à évaluer les relations de travail entre les infirmières et les médecins (tableau 1), dont le score global (pouvant varier de 0 à 9) a été obtenu en faisant la somme des trois scores. Les relations étaient d’autant moins favorables que les scores étaient élevés. La distribution pondérée des scores a été répartie en quartiles. La valeur du coefficient alpha de Cronbach de la sous‑échelle des relations de travail entre les infirmières et les médecins était de 0,82.

Afin de retenir le plus grand nombre possible de répondantes, une réponse « sans objet » ou « non précisé » a été acceptée pour la sous‑échelle de la suffisance de l’effectif ou des ressources et pour celle des relations de travail entre les infirmières et les médecins. Un score a été calculé à partir des énoncés auxquels correspondait une réponse, pour être ajusté par la suite en utilisant la méthode d’imputation par la moyenne pour compenser les réponses « sans objet ».

Deux énoncés ont servi à évaluer le soutien de la part des collègues :

  • Vous étiez exposé(e) à l’hostilité ou aux conflits de vos collègues.
  • Vos collègues facilitent l’exécution du travail.

Les choix de réponse étaient : « tout à fait d’accord », « d’accord », « ni en accord ni en désaccord », « en désaccord » ou « entièrement en désaccord ». Les participantes à l’enquête ont été classées comme bénéficiant d’un faible soutien de la part des collègues si ellles ont déclaré être « tout à fait d’accord » ou « d’accord » avec le premier énoncé, ou « en désaccord » ou « entièrement en désaccord » avec le second.

Le soutien de la part du superviseur a été évalué à l’aide de l’énoncé « Votre surveillant facilite l’exécution du travail ». Ont été classées comme bénéficiant d’un faible soutien de la part de leur superviseur les personnes qui ont déclaré être « en désaccord » ou « entièrement en désaccord » avec l’énoncé.

Les définitions détaillées et les éléments du questionnaire correspondant aux caractéristiques personnelles et aux caractéristiques de l’emploi incluses dans la présente étude peuvent être consultés dans un rapport déjà publié34.

Techniques d’analyse

Dans le cadre du traitement des données de l’ENTSPI, les méthodologistes de Statistique Canada ont créé des poids de sondage afin que les données soient représentatives de l’ensemble de la profession infirmière réglementée au Canada. La présente analyse porte sur des données pondérées représentatives de l’ensemble du personnel infirmier fournissant des soins directs aux patients dans les hôpitaux ou les établissements de soins de santé de longue durée. Nous avons calculé des estimations de fréquence pour examiner les caractéristiques de la population étudiée. Des estimations bivariées ont servi à examiner les facteurs associés à l’agression physique et à la violence psychologique infligées aux infirmières par les patients.

Des modèles de régression logistique nous ont permis d’examiner la violence en fonction des déterminants du climat de travail. Nous avons ajusté trois ensembles de modèles. Dans le premier ensemble, nous avons calculé les rapports de cotes non corrigés en vue d’examiner la relation entre chaque déterminant du climat de travail et la violence. Dans le deuxième, nous avons inclus les caractéristiques personnelles de l’infirmière et les caractéristiques de l’emploi comme variables de contrôle. Parmi les variables reflétant les caractéristiques personnelles, nous avons jugé que les facteurs attitudinaux, en particulier une attitude généralement morose, étaient importants à cause de leur influence éventuelle sur la perception de la violence au travail ou la probabilité qu’une infirmière déclare avoir été victime de violences au travail. En l’absence de variables mesurant directement l’affectivité négative, nous avons utilisé l’autodéclaration d’un mauvais état de santé mentale et d’une insatisfaction à l’égard du travail comme variables de contrôle. L’ensemble final de modèles contenait les quatre déterminants du climat de travail, de même que les caractéristiques personnelles et les caractéristiques de l’emploi; on voulait voir si ces déterminants, qui présentent un intérêt parce qu’il est possible de les modifier, étaient associés à la violence indépendamment des effets confusionnels éventuels des caractéristiques personnelles et des caractéristiques de l’emploi. Le choix des caractéristiques personnelles et des caractéristiques de l’emploi incluses comme variables de contrôle a été dicté par les données publiées et celles recueillies dans le cadre de l’ENTSPI.

Les erreurs‑types, les coefficients de variation et les intervalles de confiance à 95 % ont été calculés par la méthode du bootstrap37. On a vérifé la signification statistique des différences entre les estimations; le seuil de signification a été fixé au niveau de p < 0,05.

Résultats

Caractéristiques de la population étudiée

En 2005, on estimait à un peu plus de 218 000 le nombre d’infirmières prodiguant des soins directs aux patients dans les hôpitaux ou les établissements de soins de santé de longue durée, calculé en se fondant sur un échantillon pondéré de 12 218 répondants (tableau 1). La vaste majorité (94 %) était des femmes. En moyenne, les infirmières avaient 17 années d’expérience en soins infirmiers. Un peu moins du cinquième d’entre elles (19 %) étaient titulaires d’un baccalauréat ou d’un diplôme postbaccalauréal en sciences infirmières. La plupart étaient en bonne santé; 7 % seulement ont jugé leur état de santé général « passable » ou « mauvais », tandis que 6 % ont qualifié leur état de santé mentale de « passable » ou « mauvais ». La grande majorité se sont dites satisfaites de leur emploi puisque 35 % étaient très satisfaites et 51 %, plutôt satisfaites. Les IA, IAA et IPA composaient respectivement 75 %, 24 % et 1 % de la population étudiée.

Plus de la moitié des infirmières (58 %) ayant fait partie de l’étude étaient occupées à temps plein, et près des quatre cinquièmes (79 %) travaillaient dans un hôpital. Deux tiers d’entre elles (69 %) travaillaient d’autres quarts que le quart de jour exclusivement, tandis que le tiers (37 %) travaillaient habituellement un quart de 12 heures.

Climat de travail

Une part importante des infirmières ayant participé à l’étude considérait qu’il y avait un manque d’effectifs ou de ressources. Ainsi, la majorité d’entre elles, soit 56 % et 52 %, respectivement, se sont dites en désaccord avec les affirmations « L’effectif infirmier est suffisant pour offrir des soins de qualité aux patients » et « L’effectif infirmier est suffisant pour accomplir le travail ». Eu égard aux affirmations « Des services de soutien adéquats me permettent de consacrer du temps à mes patients » et « Il y a suffisamment de temps et d’occasions pour discuter des soins aux patients », les proportions s’étant dites en désaccord étaient légèrement inférieures, soit 47 % et 43 %, respectivement.

En revanche, les déclarations faisant état de mauvaises relations de travail infirmières-médecins étaient peu courantes. Ainsi, les infirmières ayant fait état d’un manque de travail d’équipe ou d’un manque de collaboration entre les infirmières et les médecins représentaient 19 % et 11 %, respectivement, de l’ensemble des infirmières. Quant à celles s’étant dites en désaccord avec l’affirmation « Les médecins et les infirmières ont de bonnes relations de travail », elles représentaient 13 %.

Un peu plus du quart de l’ensemble des infirmières (28 %) ont indiqué être en désaccord avec l’énoncé « Votre superviseur facilite l’exécution du travail ».

Si une très faible proportion d’infirmières (4 %) n’étaient pas d’accord pour dire que leurs collègues facilitaient l’exécution du travail, la proportion de celles ayant déclaré être exposées à l’hostilité ou aux conflits de leurs collègues frisait la moitié (46 %).

Facteurs associés à la violence

Parmi les infirmières travaillant dans les hôpitaux ou les établissements de soins de longue durée, 34 % ont déclaré avoir été agressées physiquement par un patient au cours de l’année qui a précédé l’enquête (tableau 2) et 47 % ont fait état de violence psychologique pour la même période (tableau 3). Les membres masculins du personnel infirmier et les membres les moins expérimentés étaient plus susceptibles que leurs homologues de déclarer l’une et l’autre forme de violence. La possession d’un baccalauréat ou d’un diplôme supérieur au baccalauréat en sciences infirmières était associée à une probabilité moindre de déclarer avoir fait l’objet d’une agression physique, mais ne présentait aucun lien avec la violence psychologique. Comparativement aux IA, les IAA et les IPA étaient plus susceptibles de déclarer avoir été victimes de violence. Le risque était marqué chez les IPA, dont 47 % ont fait état d’une agression physique et 72 %, de violence psychologique.

Tableau 2
Nombre et pourcentage ayant déclaré avoir été agressées physiquement par un patient au cours des 12 mois précédents, selon certaines caractéristiques, infirmières affectées aux soins directs dans les hôpitaux ou les établissements de soins de santé de longue durée, Canada, 2005

Tableau 3
Nombre et pourcentage ayant déclaré avoir subi de la violence psychologique venant d’un patient au cours des 12 mois précédents, selon certaines caractéristiques, infirmières affectées aux soins directs dans les hôpitaux ou les établissements de soins de santé de longue durée, Canada, 2005

Les infirmières travaillant d’autres quarts que celui de jour, et celles travaillant habituellement un quart de 12 heures ont été proportionnellement plus nombreuses à déclarer l’une et l’autre forme de violence.

La prévalence des cas de violence variait considérablement selon le domaine clinique de l’emploi. Ainsi, la proportion d’infirmières ayant déclaré avoir été victime d’une agression physique était particulièrement élevée en gériatrie/soins de longue durée (50 %), en soins palliatifs (47 %), en psychiatrie/santé mentale (44 %), en soins intensifs (44 %) ou au service d’urgence (42 %) (figure 1). Quant à elle, la violence psychologique était plus courante en psychiatrie/santé mentale (70 %), au service d’urgence (69 %), en soins intensifs (54 %), en médecine/chirurgie (52 %) ou en gériatrie/soins de longue durée (49 %) (figure 2).

Figure 1
Pourcentage ayant déclaré avoir été agressées physiquement par un patient au cours des 12 mois précédents, selon le domaine clinique d’emploi, infirmières affectées aux soins directs dans les hôpitaux ou les établissements de soins de santé de longue durée, Canada, 2005

Figure 2
Pourcentage ayant déclaré avoir subi de la violence psychologique venant d’un patient au cours des 12 mois précédents, selon le domaine clinique d’emploi, infirmières affectées aux soins directs dans les hôpitaux ou les établissements de soins de santé de longue durée, Canada, 2005

Climat de travail et violence

Les quatre déterminants du climat de travail étudiés, à savoir la suffisance de l’effectif ou des ressources, les relations de travail infirmières-médecins, le soutien de la part du superviseur et le soutien de la part des collègues, étaient tous associés de manière significative à l’agression physique (tableau 2) et à la violence psychologique (tableau 3). Les données semblent indiquer qu’il existe un gradient du risque de violence selon la suffisance de l’effectif ou des ressources. La prévalence des cas d’agression physique était la plus élevée (44 %) chez les infirmières ayant jugé le moins favorablement la suffisance de l’effectif ou des ressources (quatrième quartile) et la plus faible (23 %) chez celles l’ayant jugée le plus favorablement (premier quartile). Les estimations correspondantes pour la violence psychologique étaient de 58 % pour le quatrième quartile et de 32 % pour le premier quartile.

Un gradient de la violence s’observe également selon les relations de travail infirmières-médecins. La proportion d’infirmières ayant déclaré avoir été agressées physiquement variait de 28 % chez celles ayant jugé le plus favorablement ces relations à 39 % chez celles les ayant jugées le moins favorablement. Le gradient est plus prononcé dans le cas de la violence psychologique (39 % contre 57 %).

Les infirmières classées comme ayant un faible soutien de la part de leur superviseur étaient plus susceptibles de déclarer avoir été agressées physiquement que celles ayant mentionné des relations plus positives (40 % contre 32 %). Il en va de même pour la violence psychologique (55 % contre 44 %).

Des différences comparables se dégagent en ce qui concerne le soutien de la part des collègues : 40 % des infirmières ayant un faible soutien de la part de leurs collègues ont dit avoir été agressées physiquement, comparativement à 29 % de celles dont les collègues étaient d’un plus grand soutien. Dans le cas de la violence psychologique, les proportions sont de 53 % (faible soutien) contre 42 % (plus grand soutien).

Analyse multivariée

Nous avons examiné les déterminants du climat de travail séparément à l’aide de modèles multivariés qui neutralisaient les effets des caractéristiques personnelles des infirmières et des caractéristiques de l’emploi (tableau 4). Si la prise en compte des effets de ces variables éventuellement confusionnelles réduit dans une certaine mesure la force des associations entre les quatre déterminants du climat de travail et l’agression physique ainsi que la violence psychologique, celles-ci demeurent significatives. L’introduction simultanée des quatre déterminants du climat de travail, des caractéristiques personnelles et de celles de l’emploi affaiblit davantage les associations entre les déterminants du climat de travail et la violence à cause des corrélations entre ces déterminants. Néanmoins, le fait de considérer l’effectif ou les ressources inadéquates ou le soutien de la part des collègues ou du superviseur faible demeure associé positivement à l’une et l’autre forme de violence. Enfin, les mauvaises relations infirmières-médecins restent associées positivement à la violence psychologique, mais non à l’agression physique.

Tableau 4
Rapports de cotes reliant les déterminants du climat de travail à une agression physique/violence psychologique de la part d’un patient au cours des 12 derniers mois, infirmières affectées aux soins directs dans les hôpitaux ou les établissements de soins de santé de longue durée, Canada, 2005

Discussion

Fondée sur des données recueillies auprès d’un grand échantillon nationalement représentatif dont le taux de réponse a été exceptionnellement élevé, la présente étude mène à la conclusion que la violence infligée aux infirmières par les patients est courante au Canada. D’autres études ont également montré que le risque d’être victime de violence au travail est élevé parmi les infirmières, mais que celles-ci ont tendance à accepter cela comme « faisant partie de l’emploi »5‑8, 14, 38‑40. Bon nombre d’entre elles ne prennent pas la peine de signaler les incidents de violence parce qu’elles pensent soit qu’aucune mesure ne sera prise, soit qu’on les en tiendra responsables; à cet égard, on prétend qu’il existe une « culture du silence »3, 6, 7, 14, 41-44.

Comme les définitions de la violence diffèrent, il est difficile de comparer les estimations fondées sur les données de l’ENTSPI et celles d’autres études. Une exception digne de mention est l’enquête auprès du personnel des National Health Services (NHS) menée en Angleterre en 2005, qui comportait des questions semblables à celles posées dans le cadre de l’ENTSPI : « Au cours des 12 derniers mois, avez‑vous été victime d’une agression physique de la part d’un patient/utilisateur des services? » [traduction] et « Au cours des 12 derniers mois, avez‑vous été victime de harcèlement, d’intimidation ou d’abus de la part d’un patient/utilisateur des services? » [traduction]45.  Seize pour cent des personnes interrogées dans le cadre de l’enquête NHS ont déclaré avoir été victimes d’une agression physique tandis que 26 % ont dit avoir été victimes de harcèlement, d’intimidation ou d’abus. Ces estimations reposent sur l’ensemble du personnel infirmier, indépendamment du milieu de travail ou du profil de l’emploi. Dans le cs de l’ENTSPI, les personnes ayant dit avoir été victimes d’une agression physique ou de violence psychologique représentaient 25 % et 38 %, respectivement, de l’ensemble du personnel infirmier, après pondération des données. Même si ces comparaisons doivent être interprétées avec prudence à cause du libellé un peu différent des questions (surtout dans le cas de la violence psychologique), les estimations obtenues pour le Canada sont beaucoup plus élevées que celles observées pour l’Angleterre.

L’encouragement à la dénonciation des incidents de violence et la prise de mesures de suivi par les autorités expliquent peut‑être les taux plus faibles observés pour l’Angleterre. En effet, 69 % des participants à l’enquête NHS qui avaient été victimes d’une agression physique ont indiqué l’avoir signalée; chez les victimes de violence psychologique, 57 % l’avaient fait. Ces chiffres sont sensiblement plus élevés que ceux d’autres études. Par exemple, il ressort d’une enquête menée en 1998‑1999 auprès d’infirmières autorisées travaillant en milieu hospitalier en Alberta et en Colombie‑Britannique que seulement 36 % des cas d’agression physique déclarés et 28 % des cas de violence psychologique déclarés avaient été signalés aux autorités de l’hôpital31. Une constatation pertinente de l’enquête britannique est que très peu de personnes ont mentionné un manque d’« intervention efficace » à la suite d’incidents de violence physique ou psychologique. Le fait d’encourager la dénonciation de ces incidents, ainsi que la prise de mesures appropriées par les autorités sont peut-être des conditions essentielles à la réduction des violences que subissent les infirmières au travail.

Comme l’ont montré d’autres travaux de recherche, les estimations fondées sur l’ENTSPI indiquent que les membres peu expérimentés de la profession infirmière13, 21, 29-31, 46-48 et les membres de sexe masculin14, 21, 30, 46 sont plus susceptibles que les autres de déclarer avoir été victimes de violences physiques, comme d’avoir subi de la violence psychologique, de la part des patients. Il se peut que les infirmières débutantes n’aient pas la capacité de pressentir les manifestations d’agressivité, puis de les désamorcer. En revanche, du fait de leur jeune âge et de leur manque d’expérience, elles reconnaissent peut-être plus ouvertement les incidents de violence puisqu’elles sont moins aptes à les considérer comme « faisant partie de l’emploi »31. Parmi les membres masculin de la profession, le risque de faire l’objet de violence plus élevé tient peut-être au fait que ces derniers sont plus souvent exposés aux patients violents, ainsi qu’aux normes sociétales qui varient selon le sexe14, 21, 48. Une étude en particulier a révélé une tendance chez les membres masculins de la profession à vouloir protéger leurs homologues féminins et à assumer le rôle principal en ce qui a trait à la maîtrise des patients agressifs40.

Les caractéristiques de l’emploi associées aux déclarations de violence dans la présente étude sont le travail par quarts et le domaine clinique de l’emploi. Le travail par quarts, notamment le quart de nuit, a été lié à la violence dans d’autres études30, ce qui tient peut-être au fait de travailler dans des conditions plus isolées. Pour ce qui est du domaine clinique, et comme le montrent d’autres travaux de recherche, les infirmières travaillant principalement en psychiatrie, à l’urgence, en gériatrie, en soins de longue durée ou en soins intensifs sont particulièrement exposées à la maltraitance14, 15, 21, 29, 30, 32, 33.

Un résultat important de la présente étude est que la perception d’être confrontée à un manque d’effectifs ou de ressources est associée à la violence physique ainsi qu’à la violence psychologique, indépendamment des effets confusionnels éventuels des caractéristiques personnelles et des caractéristiques de l’emploi. Bien que peu d’études aient porté sur le rapport entre les déterminants du climat de travail et la violence au travail, des résultats comparables se dégagent d’autres travaux de recherche. Une enquête menée auprès du personnel infirmier provenant de huit pays européens montre que les contraintes de temps, c’est-à-dire ce qu’il manque de temps compte tenu des tâches à accomplir, sont associées à la violence au travail30. L’étude réalisée auprès d’infirmières autorisées travaillant en milieu hospitalier en Alberta et en Colombie‑Britannique révèle que le fait d’avoir manqué de temps pour terminer leurs tâches au cours du dernier quart de travail rendait les infirmières plus susceptibles de déclarer avoir fait l’objet de violence31. Or, lorsque certaines tâches demeurent inachevées en raison d’un manque d’effectifs ou de ressources, les patients peuvent devenir agités, et cela peut entraîner un plus grand risque de violence pour les infirmières.

Notre analyse révèle en outre qu’il existe un lien entre les relations interpersonnelles et la violence. Les infirmières ayant fait état de mauvaises relations de travail avec les médecins, d’un faible soutien de la part de leur superviseur ou d’un faible soutien de la part de leurs collègues étaient plus susceptibles de mentionner avoir été victimes d’agressions de la part des patients. Il existe une hypothèse selon laquelle les relations hostiles entre les travailleurs en soins de santé entraînent des niveaux élevés de détresse, ce qui peut ensuite compromettre les relations patients-infirmières30.

Limites

L’estimation de la mesure dans laquelle les infirmières sont victimes de violence au travail, de même que la comparaison d’estimations provenant d’enquêtes différentes, est rendue difficile par l’absence d’une définition uniforme sur la violence au travail49. Comme celles résultant d’autres travaux de recherche, les estimations de la prévalence de l’agression physique et de la violence psychologique calculées dans le cadre de la présente étude sont fondées sur des données autodéclarées. Les participantes à l’enquête n’ont reçu aucune autre explication ni définition de ces termes, et les estimations n’ont pas été validées contre d’autres sources plus objectives.

La prévalence de la violence a été mesurée sur une période d’un an, ce qui pourrait avoir donné lieu à un biais de remémoration. En outre, l’enquête ne contenait aucune question sur la fréquence ou la gravité des violences, alors que ces renseignements auraient permis de mieux comprendre les prédicteurs de la violence.

Une affectivité négative, ou une tendance générale au pessimisme, pourrait avoir influencé la probabilité d’éprouver des sentiments négatifs à l’égard des déterminants du climat de travail et de la déclaration des mauvais traitements. S’il en est ainsi, les associations entre les déterminants du climat de travail et la violence pourraient être exagérées. L’inclusion dans le modèle de la satisfaction au travail et de l’autoévaluation de la santé mentale en tant que variables de contrôle pourrait avoir partiellement compensé cette limite, selon la portée de la corrélation entre l’affectivité négative et la satisfaction au travail ainsi que la santé mentale.

Les associations qui se dégagent de l’analyse s’expliquent peut-être en partie par des facteurs sociétaux qui, parce que l’ENTSPI ne recueillait pas de données à leur sujet, n’ont pu être pris en considération. Ainsi, les effets du contexte sociopolitique, de l’économie ou de l’emplacement géographique de l’établissement de soins de santé peuvent avoir eu une incidence sur la probabilité de déclarer les violences subies, mais on ne disposait d’aucune mesure de ces facteurs.

Dans l’ENTSPI, les mesures des déterminants du climat de travail sont fondées sur les déclarations des infirmières. Les résultats auraient peut-être été différents si nous avions utilisé des mesures plus objectives, comme par exemple le ratio infirmières-patients et la composition de l’effectif (ratio des infirmières autorisées aux infirmières auxiliaires autorisées et aides auxiliaires). Toutefois, le plan de sondage de l’enquête empêche le couplage des données de l’enquête avec les données administratives qui contiennent cette information.

Les données de l’ENTSPI sont transversales, si bien qu’il est impossible d’établir la chronologie des associations et d’inférer une relation de cause à effet. Par exemple, les données ne permettent pas de déterminer si les infirmières dont la santé mentale est passable ou mauvaise sont plus susceptibles d’être subséquemment victimes de violence que celles ayant une meilleure santé mentale, ou si les infirmières ayant été victimes de violence sont plus susceptibles de juger leur santé mentale passable ou mauvaise.

L’ENTSPI a été menée par téléphone. On ne connaît pas l’incidence du mode de collecte sur l’exactitude des réponses.

Conclusion

Les résultats de l’analyse des données de l’ENTSPI révèlent qu’une proportion importante de la main-d’œuvre infirmière canadienne est victime de violences physiques ou psychologiques venant des patients. Les déterminants du climat de travail, y compris la perception que l’effectif et les ressources sont inadéquates et que les relations avec les pairs sont mauvaises, sont associés à un risque plus grand d’y être exposé. L’importance de ces résultats est mise en évidence par la quantité d’études montrant l’existence d’associations entre la violence infligée aux infirmières par les patients et une gamme de problèmes d’ordre physique et psychologique chez ces dernières. En outre, les études qui fournissent des preuves de l’existence d’un lien entre ce type de violence et l’erreur professionnelle en soins infirmiers donnent à penser que le rôle des infirmières victimes de violence peut être compromis. Ces conséquences éventuellement néfastes et la présence généralisée des violences à l’égard du personnel infirmier au Canada témoignent de l’importance d’avoir suffisamment d’effectifs et de ressources  et de celle des relations entre les fournisseurs de soins de santé.