par André Bernard, Ross Finnie et Benoît St-Jean
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La migration interprovinciale est une importante composante des profils démographiques des provinces. Elle influe non seulement sur la taille, mais aussi sur la composition des populations. Elle a une incidence directe sur la demande de services publics et les revenus fiscaux. Elle est associée à diverses questions de ressources humaines plus précises, telles que l’investissement du gouvernement dans l’éducation et la formation professionnelle, puisque les migrants interprovinciaux ont tendance à être plus scolarisés et plus hautement qualifiés (Dion et Coulombe, 2008) et (Coulombe et Tremblay, 2006). Pour les provinces affichant une croissance démographique plus faible, la question de la migration interprovinciale revêt une importance particulière. La croissance démographique parmi les provinces s’est avérée très inégale, allant d’un repli de 1,5 % à Terre-Neuve-et-Labrador à une croissance de 10,6 % en Alberta de 2001 à 20061. La migration interprovinciale est une préoccupation de premier plan pour les provinces qui ont un faible taux de natalité et qui ont du mal à attirer une proportion assez considérable d’immigrants.
Pour les particuliers, surtout ceux qui font partie de la population active, la migration interprovinciale fournit souvent une occasion d’accéder à d’autres marchés du travail et de décrocher un emploi plus convenable et mieux rémunéré. D’une perspective nationale, la mobilité interprovinciale est souhaitable lorsque les travailleurs des provinces qui affichent un fort taux de chômage émigrent dans des provinces qui ont des pénuries de main-d’œuvre. Ces déplacements peuvent considérablement augmenter les niveaux d’emploi, réduisant du coup le nombre de personnes qui reçoivent des paiements de transfert, comme des prestations d’assurance-emploi (AE).
Selon la documentation récente4, la mobilité interprovinciale aurait de nombreux avantages en ce qui concerne le rendement économique national, mais elle aurait tendance à amplifier les inégalités interprovinciales5. La mobilité interprovinciale a un effet prononcé et positif sur la production globale au Canada, parce qu’elle entraîne une augmentation du taux d’emploi global et une réaffectation rentable des travailleurs des provinces à plus faible productivité aux provinces à plus forte productivité (Sharpe et Ershov, 2007)6. Par ailleurs, la migration interprovinciale a tendance à accroître les disparités provinciales en ce qui concerne les compétences (Coulombe et Tremblay, 2006) et entraîne une redistribution du capital humain des provinces les plus pauvres aux plus riches (Coulombe, 2006). Bien que les caractéristiques personnelles soient des prédicteurs importants de la probabilité migratoire (par exemple, les personnes plus jeunes, les immigrants et les Autochtones sont plus susceptibles de migrer), les effets de ces caractéristiques varient selon la destination (Dion et Coulombe, 2008)7.
Grâce à la banque de données longitudinales utilisée dans cette étude, on peut analyser de nombreuses caractéristiques avant et après la migration (voir Source des données et définitions). Dans la présente étude, on examine les facteurs présents avant la migration qui influent sur la probabilité migratoire, et en particulier l’effet éventuel des facteurs initiaux relatifs au travail (gains et prestations d’assistance sociale ou d’AE) ou des facteurs environnementaux (comme le taux de chômage l’année précédant la migration) sur la décision de migrer. On compare ensuite les revenus des migrants et des non-migrants sur le marché du travail.
Des études précédentes fondées sur la même base de données pour les années 1982 à 1995 avaient établi que la migration interprovinciale était positivement liée au taux de chômage provincial, qu’elle était plus courante chez les personnes gagnant de faibles revenus ou les bénéficiaires d’assistance sociale ou d’AE et qu’elle était associée à des hausses significatives et parfois considérables des gains (Finnie, 1999, 2001 et 2004). La présente étude met à jour et étoffe l’analyse à l’aide de données plus récentes (jusqu’à 2004).
Chaque année, relativement peu de gens déménagent d’une province à une autre. De 1993 à 2004, le taux de migration annuel des personnes de 20 à 54 ans n’a jamais dépassé 1,1 % (tableau 1). En outre, les taux de migration semblent en baisse depuis la fin des années 1990, et le taux de migration de 2004 (0,9 %) était le plus faible jamais enregistré pendant toute la période. Cette situation concorde avec une étude récente qui, au moyen des données des recensements de 1971 à 2006, révélait une tendance générale à la baisse en ce qui concerne les taux de mobilité, peu importe la mesure utilisée : changement d’adresse, changement de municipalité ou changement de province (Dion et Coulombe, 2008). Par contre, des données annuelles plus récentes portent à penser que les taux de migration interprovinciale ont recommencé à grimper (Milan et Martel, 2008).
Les taux varient largement d’une province à l’autre, et certaines provinces doivent composer avec un taux d’émigration interne particulièrement élevé. En général, Terre-Neuve-et-Labrador, l’Île-du-Prince-Édouard et la Saskatchewan affichaient les taux d’émigration interne les plus élevés, tandis que le Québec et l’Ontario avaient les taux de migration les plus faibles8. Les taux d’émigration interne élevés (faibles) étaient souvent associés à des taux d’immigration interne élevés (faibles). Par exemple, Terre-Neuve-et-Labrador, l’Île-du-Prince-Édouard et la Saskatchewan ont également enregistré de façon constante des taux d’immigration interne supérieurs à la moyenne nationale. Cependant, en général, les taux d’immigration interne n’étaient pas suffisamment élevés pour atténuer les conséquences de l’émigration interne.
Bien que la migration interprovinciale soit beaucoup moins fréquente au Québec et en Ontario, en termes absolus, le tableau est différent. Au total, 158 450 personnes de 20 à 54 ans ont changé de provinces de 2003 à 2004 incluant un nombre total de 21 050 personnes qui ont migré à l’extérieur des trois provinces ayant les plus hauts taux d’émigration interne (Terre-Neuve-et-Labrador, l’Île-du-Prince-Édouard et la Saskatchewan). Ce dernier nombre est bien moindre que le nombre de personnes qui ont quitté l’Ontario (39 000) quoique ce soit davantage que le nombre de personnes qui ont quitté le Québec (15 400).
Pendant la période de 1993 à 2004, l’Alberta était la seule province à enregistrer de façon constante des gains du solde migratoire. La Colombie-Britannique a subi de faibles pertes à la fin des années 1990 et au début des années 2000, époque à laquelle son économie n’affichait pas une croissance aussi rapide que le reste du pays. L’Ontario a enregistré des pertes nettes, sauf pour les gains nets légers à modérés de 1997 à 2002. À quelques exceptions près, les autres provinces ont eu des pertes nettes constantes de 1993 à 2004.
Les tendances de migration à plus long terme illustrent encore plus les difficultés éprouvées par certaines provinces pour conserver leurs populations. À Terre-Neuve-et-Labrador, seulement 87 % de la population de 1992 vivait encore là en 2004 (tableau 2)9. Les trois autres provinces de l’Atlantique et la Saskatchewan affichaient aussi de faibles taux de rétention. En revanche, 97 % des personnes qui vivaient au Québec et 96 % de celles qui habitaient en Ontario en 1992 résidaient toujours dans la même province 12 ans plus tard.
Le choix de la province des migrants dépend largement de leur région d’origine. Bien que la proximité soit bien sûr un facteur déterminant, les migrants ne choisissent pas nécessairement les provinces les plus proches de chez eux. Au lieu de cela, les tendances migratoires semblent être régies en grande partie par les perspectives économiques. L’Ontario et l’Alberta, les deux provinces les plus riches du pays pendant la période à l’étude, étaient généralement les destinations privilégiées. Par exemple, les migrants du Canada atlantique étaient plus susceptibles de déménager en Ontario que partout ailleurs, à l’exception de ceux de l’Île-du-Prince-Édouard, qui étaient un peu plus enclins à s’installer en Nouvelle-Écosse. Les migrants du Manitoba, de la Saskatchewan et de la Colombie-Britannique étaient plus portés à migrer en Alberta, et ceux de l’Alberta, à déménager en Colombie-Britannique. La plupart des Québécois qui ont migré se sont installés en Ontario, mais une proportion considérable a décidé de s’établir en Alberta ou en Colombie-Britannique.
Les profils de migration longitudinaux permettent de faire la distinction des tendances migratoires entre les déménagements qui semblent être permanents et ceux qui sont temporaires. En effet, une minorité significative de migrants finissent par retourner à la province d’origine. Dans l’ensemble, 94 % des gens n’ont pas changé de province de résidence entre 1992 et 2004, tandis que 4 % ont déménagé une seule fois, 2 % ont déménagé, mais ont fini par revenir, et une petite proportion ont déménagé plus d’une fois, sans retourner à la province d’origine (tableau 3). Autrement dit, environ le tiers de tous les migrants interprovinciaux sont retournés à la province d’origine. Les provinces à forts taux d’émigration interne étaient souvent celles qui affichaient les plus fortes proportions de retour. Par exemple, Terre-Neuve-et-Labrador avait le taux le plus élevé de migrations avec retours (7 %), suivi de l’Île-du-Prince-Édouard (5 %). Ces deux provinces avaient aussi les plus forts taux d’émigration interne. Les hommes et les femmes n’affichaient pratiquement aucune différence en ce qui concerne leurs tendances migratoires longitudinales.
Les caractéristiques personnelles et du marché du travail sont deux ensembles importants de facteurs pouvant influer sur la décision de migrer. Une façon d’examiner leurs effets est de quantifier la mesure dans laquelle chacun augmente ou diminue la probabilité de migrer, en supposant que tous les autres facteurs demeurent constants (voir Détermination des facteurs qui motivent la migration).
Comme on pouvait s’y attendre, les personnes plus jeunes étaient beaucoup plus enclines que les personnes plus âgées à déménager (tableaux 4 et 5). Par exemple, la probabilité de déménager des personnes de 20 à 24 ans était près de cinq fois supérieure à celle des personnes de 45 à 54 ans. Les jeunes sont beaucoup plus susceptibles de traverser certains événements, comme le fait de commencer ou terminer un programme d’études postsecondaires, changer d’emploi ou se marier, tous des événements qui concernent souvent la migration (Dion et Coulombe, 2008).
Même après prise en compte de toutes les autres caractéristiques, les résidents du Québec et de l’Ontario étaient beaucoup moins portés à déménager que ceux de toutes les autres provinces. Les résidents des provinces des Prairies et de la Colombie-Britannique étaient de deux à cinq fois plus susceptibles de déménager que les Ontariens. La probabilité que les résidents de la Saskatchewan déménagent était très élevée. Fait intéressant, après correction en fonction de toutes les autres caractéristiques observables, y compris le taux de chômage provincial, les résidents de Terre-Neuve-et-Labrador n’étaient pas beaucoup plus portés à migrer que ceux de l’Ontario. Ce phénomène porte à penser que les très forts taux d’émigration interne enregistrés à Terre-Neuve-et-Labrador étaient principalement attribuables à un agencement de caractéristiques, plutôt qu’à un simple effet provincial.
La corrélation entre la langue et la province de résidence semble jouer un rôle très important dans la probabilité de déménager. En particulier, les Québécois anglophones étaient jusqu’à 10 fois plus susceptibles de déménager que les autres Canadiens. Pourtant, les taux de migration sont très bas en général chez les personnes qui vivent au Québec, ce qui porte à croire que les Québécois francophones étaient considérablement moins enclins à quitter leur province que les autres Canadiens. Les francophones vivant à l’extérieur du Québec étaient jusqu’à trois fois plus susceptibles de déménager que les autres Canadiens, ce qui laisse supposer que la langue minoritaire a une incidence générale aussi bien sur les anglophones du Québec que les francophones hors Québec, l’effet étant plus marqué chez les premiers.
On n’a décelé aucune relation linéaire claire entre la population de la région d’origine et la probabilité de migration. En fait, les personnes vivant dans des centres ayant une population supérieure à 500 000 personnes et les résidents des régions rurales avaient les probabilités de migration les plus faibles dans tous les groupes d’âge-sexe. Des probabilités de migration plus fortes ont été observées dans les petites villes et les centres urbains petits et moyens, mais les différences étaient plutôt minces. Par exemple, la probabilité de déménager chez les hommes de 35 à 44 ans vivant dans une petite ville (population de moins de 15 000) était de seulement 11 % supérieure à celle de leurs homologues des centres urbains ayant une population de 500 000 personnes ou plus.
Les déménagements sont habituellement plus difficiles et coûteux pour les familles avec enfants que pour les familles sans enfants. En effet, les personnes seules et les couples sans enfants avaient une plus forte probabilité de déménager que les couples avec enfants, sans égard au sexe ou à l’âge, mais la différence s’est rétrécie au fil du temps11.
S’il est vrai que les immigrants plus âgés étaient généralement plus susceptibles de migrer que leurs contemporains non immigrants, les immigrants plus jeunes étaient moins portés à migrer. Cependant, surtout chez les immigrants plus âgés, la probabilité de déménager avait tendance à rejoindre celle des personnes nées au Canada à mesure que la période passée au Canada augmentait. Par exemple, pendant leur première année au pays, les femmes et les hommes immigrants de 45 à 54 ans étaient de 122 % et 81 % respectivement plus enclins à migrer que leurs homologues nés au Canada. Toutefois, au bout de neuf ans, l’effet devenait statistiquement non significatif.
Les caractéristiques du marché du travail ont été incluses dans la régression pour quantifier la mesure dans laquelle la probabilité de déménager varie en fonction des conditions du marché du travail, en particulier pour comprendre comment ces conditions influent sur les décisions relatives à la mobilité. Les conditions du marché du travail ont un effet important sur la probabilité de migrer. Dans une étude antérieure qui portait sur la période de 1982 à 1995, on a constaté qu’il existait des relations semblables entre les caractéristiques du marché du travail et la probabilité de déménager, ce qui portait à croire que les personnes ont réagi à la détérioration des conditions du marché du travail en devenant plus enclines à migrer (Finnie, 2004).
Trois des quatre variables utilisées (gains, prestations d’assistance sociale et prestations d’AE) visent les conditions individuelles, tandis que la quatrième, le taux de chômage provincial, renvoie aux conditions du marché du travail12.
Les résultats pour les quatre variables portent à penser que les gens déménagent pour fuir une pauvreté relative. Par exemple, plus les gains d’une personne sont bas ou plus le taux de chômage provincial est élevé, plus cette personne aura tendance à migrer, probablement pour trouver un emploi mieux rémunéré ou une conjoncture économique plus favorable dans l’ensemble. Dans certains cas, les effets sont considérables.
Les personnes ayant peu ou pas de gains étaient généralement beaucoup plus enclines à migrer que celles ayant des gains de 25 000 $ à 100 000 $. Les personnes sans gains étaient les plus susceptibles de migrer chez les hommes et les femmes de 25 à 34 ans et affichaient des taux de migration élevés dans tous les autres groupes d’âge-sexe. Par exemple, les personnes sans gains âgées de 35 à 44 ans étaient plus susceptibles de migrer que celles dont les gains se situaient entre 25 000 $ et 50 000 $; les hommes étaient 62 % plus enclins à migrer, et les femmes, 66 %. Les personnes dont les gains se situaient entre 1 $ et 25 000 $ avaient elles aussi des probabilités relativement élevées de migration. Fait intéressant, les personnes ayant des gains faibles ou inexistants étaient plus susceptibles de migrer, mais c’était aussi le cas des personnes qui gagnaient des revenus très élevés (plus de 100 000 $).
Les prestations d’assistance sociale étaient elles aussi associées à de plus fortes probabilités de migrer dans une autre province, ce qui correspond aux conclusions sur les gains. Les hommes et les femmes de 35 à 44 ans étaient les plus touchés, puisqu’ils étaient respectivement 30 % et 26 % plus enclins à migrer que ceux qui ne recevaient pas de prestations d’assistance sociale. L’effet était généralement moins prononcé chez les personnes plus jeunes (de 20 à 24 ans), probablement parce que les périodes de prestations d’assistance sociale sont souvent pour elles de nature transitoire et de plus courte durée.
Les prestations d’AE peuvent atténuer les incitatifs du marché du travail chez les personnes qui pourraient quitter des régions où les conditions du marché du travail sont médiocres. Les résultats des régressions portent à penser que cet effet n’est pas suffisant pour en contrecarrer d’autres, puisque les prestataires d’AE étaient généralement beaucoup plus susceptibles que les non-prestataires de migrer. Cette tendance était particulièrement vraie chez les personnes de 35 à 54 ans. En particulier, les hommes et les femmes prestataires d’AE de 45 à 54 ans étaient de 50 % et 47 % respectivement plus enclins à déménager dans une autre province.
Le taux de chômage est peut-être l’indicateur le plus révélateur d’un marché du travail provincial. Les résultats des régressions indiquent que les personnes réagissent très vivement au taux de chômage. D’une province à l’autre, lorsque le taux de chômage augmentait d’un point de pourcentage, la probabilité de migration grimpait d’environ 10 %. Cette tendance était très constante dans tous les groupes d’âge-sexe, et l’effet n’était jamais inférieur à 9,4 %. Cet effet peut être prononcé, étant donné que le taux de chômage provincial a tendance à varier. Par exemple, en 2003, les taux variaient de 5,0 % au Manitoba à 16,5 % à Terre-Neuve-et-Labrador. Ce résultat porte à croire que d’importantes réductions du taux de chômage d’une province pourraient contribuer à diminuer son taux d’émigration interne.
Il est tout aussi important de déterminer ce qui se passe après le déménagement que de comprendre les caractéristiques et les conditions pouvant entraîner la migration. Étant donné que la détérioration des conditions du marché du travail a tendance à accroître la probabilité migratoire, il est bon de déterminer si la situation des migrants s’améliore vraiment dans leur nouvelle province. La comparaison des gains avant et après la migration est une mesure utile.
En général, les migrants jouissaient d’augmentations des gains supérieures à celle des non-migrants, surtout ceux qui avaient quitté une province de l’Atlantique, le Québec ou la Saskatchewan (tableau 6). Les tendances des hommes et des femmes étaient semblables, mais les différences entre les migrants et les non-migrants avaient tendance à être plus faibles chez les femmes. Chez les hommes, les migrants affichaient en moyenne une croissance des gains de 15 % de l’année précédant la migration à l’année suivant la migration, comparativement à 8 % chez les non-migrants. Toutefois, les différences étaient beaucoup plus prononcées dans les provinces de l’Atlantique, au Québec et en Saskatchewan. La différence la plus marquée a été décelée à Terre-Neuve-et-Labrador, où les migrants ont enregistré une croissance des gains de 76 %, comparativement à 6 % chez les non-migrants. On n’a constaté aucune preuve d’un effet positif sur les gains chez les migrants en provenance de l’Ontario ou de l’Alberta. La hausse moyenne des gains chez les femmes de l’année précédant la migration à l’année suivant la migration se situait à 12 %, comparativement à 8 % chez les non-migrants. À l’instar des hommes, les femmes vivant dans une province de l’Atlantique, au Québec ou en Saskatchewan ont vu leurs gains augmenter de façon beaucoup plus marquée que les femmes qui n’ont pas déménagé, tandis qu’aucune différence positive n’a été décelée pour l’Ontario, l’Alberta ou la Colombie-Britannique.
L’analyse de régression a aussi été utilisée pour comparer la croissance des gains des migrants et des non-migrants, afin de tenir compte des différences relatives aux caractéristiques personnelles (voir Modèles des effets sur les gains). La hausse de gains associée à la migration était plus marquée chez les personnes plus jeunes qui quittaient des provinces où les gains étaient relativement plus faibles que chez les autres migrants (tableaux 7 et 8). Dans tous les modèles, l’effet de la migration sur les gains était plus prononcé chez les personnes jeunes que chez les plus âgées. Autrement dit, les jeunes migrants qui quittent des provinces qui affichent en général des gains plus faibles, probablement à destination de provinces où les gains sont généralement plus élevés, voient souvent leur profil de gains s’améliorer à mesure qu’ils s’intègrent efficacement au nouveau marché du travail. Les tendances étaient semblables chez les hommes et les femmes, mais encore une fois, les effets de la migration avaient tendance à être moins prononcés chez les femmes. Par ailleurs, les résultats cadraient avec une étude antérieure, qui portait sur la période de 1982 à 1995 et qui avait permis de constater que les effets sur les gains de la migration des provinces de l’Atlantique, généralement à faibles revenus, étaient presque toujours positifs et bien souvent très prononcés, les effets les plus marqués et les plus statistiquement significatifs étant associés aux groupes d’âge les plus jeunes (Finnie, 2001). Cependant, les résultats généralement semblables chez les hommes et les femmes divergent des conclusions de cette étude, qui avait conclu que les effets étaient beaucoup plus faibles chez les femmes que chez les hommes. Cette convergence apparente pourrait être imputée en partie à l’intégration plus complète des femmes sur le marché du travail à l’heure actuelle par rapport aux années 1980.
Les effets sur les gains de la migration en provenance du Québec étaient semblables à ceux de la migration du Canada atlantique. L’effet était prononcé chez les jeunes hommes et, dans une moindre mesure, chez les jeunes femmes, tandis qu’il était beaucoup plus faible, mais toujours positif et significatif, chez les personnes plus âgées. Rien ne laisse supposer que la migration en provenance de l’Ontario avait un effet sur les gains, sauf chez les hommes de 20 à 24 ans. Pour tous les autres groupes d’âge, les coefficients étaient légèrement négatifs, ce qui indique un très léger désavantage en regard des gains associés à la migration.
Au Manitoba et en Saskatchewan, l’effet de la migration sur les gains était important chez les hommes de 20 à 34 ans et les femmes de 20 à 24 ans. Cependant, chez les hommes et les femmes plus âgés encore une fois, l’effet était beaucoup moins prononcé, voire pas même significatif dans certains cas. On ne s’étonnera sans doute pas du fait que les migrants de la prospère province d’Alberta n’ont pas été gagnants en ce qui concerne les gains et que l’effet de la migration était négatif dans tous les groupes d’âge autant chez les hommes que chez les femmes. En Colombie-Britannique, l’effet de la migration chez les hommes était modeste, mais il était significatif et constant dans tous les groupes d’âge. Toutefois, chez les femmes, aucune preuve statistique ne laissait deviner un effet bénéfique quelconque.
Qu’advient-il des gains des migrants qui sont retournés à leur province d’origine? Dans une certaine mesure, la migration interprovinciale pourrait être considérée comme souhaitable pour les provinces pauvres lorsque les migrants ont acquis des compétences et des connaissances avant de retourner à leur province d’origine et de contribuer à la croissance de la productivité. Par ailleurs, si les migrants de retour à leur province d’origine, après avoir acquis un certain bagage grâce à la migration interprovinciale, enregistraient une baisse subséquente de leurs gains, au point où leurs gains ne seraient pas différents de ceux des non-migrants, on estimerait que la migration aurait eu des effets positifs seulement pour la province de migration. Ce deuxième scénario semble plus probable. Les coefficients associés au statut migratoire des migrants qui retournent à leur province d’origine sont généralement statistiquement non significatifs dans tous les groupes d’âge-sexe et les provinces. En outre, ils semblent surtout négatifs, ce qui porte à croire que la croissance des gains d’un grand nombre de migrants de retour est plus faible que celle des personnes qui n’ont jamais migré.
Bien sûr, les personnes qui quittent leur province pour y retourner en seulement trois ans ont sans doute en commun certaines caractéristiques qui ne sont pas prises en considération, ce qui fait que les résultats pourraient être biaisés. Pour cette raison, on a établi des périodes plus longues de cinq ans, en définissant les statuts migratoires des migrants, des non-migrants et des migrants de retour en fonction des mêmes principes que dans le cas des périodes de trois ans. Les résultats de ces régressions indiquent qu’il existait des effets similaires sur les gains, sans toutefois donner à penser que les migrants de retour à leur province d’origine avaient des gains plus élevés.
Non seulement la migration interprovinciale est-elle une composante clé du changement démographique au Canada, mais elle influe aussi sur l’offre des services publics et les revenus fiscaux, le rendement et l’efficacité du marché du travail et la productivité. Pour les particuliers, la migration interprovinciale peut représenter une occasion d’explorer de nouveaux marchés du travail et éventuellement d’obtenir un meilleur emploi mieux rémunéré.
Dans la présente étude, on a examiné la migration interprovinciale dans une perspective longitudinale, en vue de déterminer les facteurs présents avant la migration qui influent sur la probabilité de déménager, ainsi que de quantifier les gains sur le marché du travail associés à la migration et de les comparer avec résultats pour les non-migrants. L’étude comportait également une analyse descriptive de la portée et de la direction de la migration.
L’analyse apporte des preuves empiriques de l’influence de nombreuses caractéristiques personnelles et environnementales sur la probabilité de déménager. Plus précisément, elle fournit une preuve solide que les personnes qui vivent dans des marchés du travail locaux stagnants sont portées à migrer dans une autre province, habituellement une province offrant de meilleures perspectives sur le marché du travail. L’analyse comprenait des mesures des gains, le taux de chômage de la province d’origine, et les prestations d’AE et d’assistance sociale. Il semble probable que les améliorations des conditions et des perspectives du marché du travail des personnes réduisent les taux d’émigration interne.
D’autres caractéristiques personnelles avaient aussi une incidence. Par exemple, les francophones hors Québec et, surtout, les anglophones vivant au Québec étaient tous les deux plus susceptibles de migrer dans une autre province que les autres Canadiens. Les personnes plus jeunes étaient également plus enclines à migrer. Fait intéressant, en supposant que toutes les caractéristiques observables demeurent constantes, les résidents de Terre-Neuve-et-Labrador n’étaient pas beaucoup plus susceptibles de migrer que les autres Canadiens, ce qui porte à croire que les taux élevés d’émigration interne de cette province sont attribuables en très grande partie aux différences entre les caractéristiques personnelles et du marché du travail.
On a constaté que des effets importants sur les gains étaient associés à la migration : le plus souvent, les migrants connaissaient une meilleure croissance des gains que les non-migrants. L’effet était plus prononcé chez les jeunes qui quittaient des provinces où les gains étaient relativement plus faibles; il était beaucoup plus faible, voire inexistant, pour les autres migrants. Ce résultat porte à penser que les jeunes migrants ayant quitté des provinces relativement plus pauvres s’intègrent bien à leur nouveau marché du travail. Cependant, aucun effet semblable n’a été décelé chez les migrants qui sont retournés à leur province d’origine.
Le fichier de Données administratives longitudinales (DAL)2 est un échantillon de 20 % du Fichier sur la famille T1 (T1FF), un fichier transversal annuel de tous les déclarants et leurs familles. Les familles de recensement sont créées à partir des renseignements fournis chaque année à l’Agence du revenu du Canada dans les déclarations de revenus des particuliers et les demandes de prestation fiscale pour enfants. Les déclarants sont suivis au fil du temps, et l’information sur la famille est ajoutée tous les ans au dossier de chaque personne. Ainsi, on obtient des données non seulement au niveau des personnes, mais aussi des familles, sur les sources de revenus, les impôts et les caractéristiques sociodémographiques de base, comme la ville et la province de résidence. Les données de 1992 à 2004 sont utilisées dans la présente étude. L’échantillon englobe seulement les personnes de 20 à 54 ans qui ne sont pas aux études à temps plein. Les résidents des territoires ont aussi été exclus, en raison de la faible taille de l’échantillon. Les personnes ayant quitté le pays sont exclues pendant les années où elles vivaient à l’étranger. De même, les personnes décédées sont supprimées de l’échantillon seulement après leur décès.
Le fichier DAL englobe environ 96 % de la population, ce qui lui confère une position enviable par rapport à d’autres sources, y compris le recensement. Puisque le fichier DAL représente un échantillon de 20 % des déclarants, le nombre d’observations est très élevé (quelque 4,8 millions pour 2004 seulement), ce qui est important pour les études qui s’intéressent aux événements plus rares, comme la migration interprovinciale.
La province de résidence d’une personne est celle où les impôts étaient exigibles, essentiellement l’endroit où vivait la personne le 31 décembre d’une année donnée3. Aucune autre condition, comme le nombre minimum d’années de résidence dans la province d’origine, n’était établie. Théoriquement, l’absence de telles conditions permet l’inclusion de populations très mobiles (migrants multiples), qui peuvent inclure les personnes les plus enclines à répondre aux changements du marché ou des politiques. Les séjours à court terme dans d’autres provinces au cours d’une année donnée (par exemple, les jeunes qui ont un emploi d’été dans une autre province) sont considérés des non-migrations. Le taux d’émigration interne se définit comme le pourcentage de résidents d’une province pendant l’année t qui avaient quitté la province l’année t+1. Le taux d’immigration interne est le pourcentage de personnes qui vivaient hors province pendant l’année t et qui s’étaient installées dans la province l’année t+1. On calcule les taux de migration pour toutes les paires d’années en tenant compte seulement des personnes résidant au Canada et incluses dans la base de données les deux années.
Pour examiner les facteurs susceptibles d’influer sur la probabilité qu’une personne déménage dans une autre province au cours d’une année donnée, on a utilisé un modèle de régression logistique, en considérant la probabilité du déménagement comme une fonction des variables représentant les principales caractéristiques personnelles et du marché du travail. Sont inclus la province de résidence, la langue, la population du secteur de résidence, le genre de famille et la présence d’enfants, les gains, le taux de chômage provincial, les prestations d’assistance sociale ou d’assurance-emploi, le statut d’immigrant et les années écoulées depuis l’arrivée, ainsi qu’une série de variables relatives à l’année civile pour tenir compte du cycle économique et des tendances générales en matière de migration10. Des régressions distinctes ont été exécutées pour huit groupes d’âge-sexe.
D’après une méthodologie existante (Finnie, 2001), un modèle de régression des moindres carrés ordinaires (MCO) a été utilisé
Ln(yit+1/yit-1)=α+βbX´t+1+β1Prov(t+1)+β2Prov(t-1)•MIG´+εit+1
où le logarithme du taux de croissance des gains entre la première année complète après le déménagement et la dernière année complète avant le déménagement est une fonction d’un ensemble de variables de contrôle [X´t+1] (langue, type de famille et état matrimonial, âge et année civile), de la province de destination [Prov(t+1)] et d’un paramètre d’interaction entre la province d’origine et le statut migratoire [Prov(t-1)•MIG´], ce dernier étant la principale variable d’intérêt. L’équation neutralise implicitement les effets fixes non observables sur les gains, qui peuvent être corrélés avec la probabilité de déménager. Seuls les cas où les gains étaient positifs ont été utilisés.
Cinq statuts migratoires différents [MIG´] ont été définis pour chaque période de trois ans disponible de 1992 à 2004 (c’est-à-dire de 1992-1994 à 2002-2004) : non-migrant, migrant, migrant de retour dans sa province d’origine, nouveau migrant et migrant ayant déménagé à plusieurs reprises. Par souci de simplicité, si seulement trois provinces (A, B et C) devaient être prises en compte, ces statuts seraient les suivants : Tableau 9 Définition du statut migratoire
Les nouveaux migrants et les migrants multiples sont indiqués seulement pour tenir compte de la série complète des possibilités migratoires et ne sont pas abordés. De plus, selon l’exemple précédant pour les nouveaux migrants, si la province pendant l’année t+2 était encore B, le modèle entrerait la migration dans la période de trois ans suivante.
Les effets du statut de migrant et de migrant de retour sont définis en comparaison du statut de non-migrant qui ne figure pas dans le tableau. Les produits de la régression correspondent aux différences entre les points du logarithme. Lorsque les coefficients sont relativement faibles (entre -0,1 et 0,1), les différences correspondent à peu près aux différences en pourcentage entre les statuts migratoires.
André Bernard est au service de la Division de l’analyse des enquêtes auprès des ménages et sur le travail. Il peut être joint au 613-951-4660. Ross Finnie est au service de l’Université d’Ottawa et de la Division de l’analyse des entreprises et du marché du travail à Statistique Canada. Il peut être joint au 613-562-5800, poste 4552. Benoît St-Jean est au service de Citoyenneté et Immigration Canada. Il peut être joint au 613-946-6050. On peut également joindre les auteurs à perspective@statcan.gc.ca..
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