Rapports économiques et sociaux
La croissance à long terme des salaires des télétravailleurs avant la pandémie de COVID-19

Date de diffusion : le 25 mai 2022

DOI : https://doi.org/10.25318/36280001202200500001-fra

Avant la pandémie de COVID-19, le travail à domicile avait peu de chances d’être perçu comme un mode de travail compatible avec la supervision d’employés, dont la plupart travaillaient généralement sur place. Certaines entreprises croyaient – à tort ou à raison – que certains télétravailleurs étaient moins dévoués que les autres employés. Il est donc possible que certaines personnes travaillant à domicile aient eu des possibilités d’avancement plus limitées que les autres employés, ou n’en aient pas eu du toutNote . Certains télétravailleurs n’ont peut-être pas donné suite à des offres d’emplois bien rémunérés parce que ces emplois n’offraient pas de possibilité de travail à domicile. Dans tous ces scénarios, les employés qui travaillaient à domicile auraient connu une croissance à long terme des salaires inférieure à celles des autres employés.

Il est également possible que des entreprises aient permis à certains de leurs employés hautement qualifiés (dont le salaire aurait fortement augmenté quelles que soient leurs conditions de travail) de travailler à domicile afin de les maintenir en poste dans leurs organisations. Ces télétravailleurs pourraient avoir vu leur salaire augmenter davantage que celui de leurs collègues travaillant sur place, non pas à cause du télétravail en tant que tel, mais en raison de leurs aptitudes supérieures à la moyenne et de leur contribution croissante au rendement de l’entreprise. D’autres télétravailleurs hautement qualifiés pourraient avoir profité d’une forte hausse de salaire en allant travailler pour des entreprises qui versent des salaires élevés.

Les employés qui travaillaient à domicile avant la pandémie de COVID-19 ont-ils constaté, à long terme, une croissance des salaires plus faible ou plus forte que les autres employés? Cette question est actuellement sans réponse. Alors que plusieurs études ont évalué si les télétravailleurs gagnaient plus ou moins que les autres employés à un moment donné (Oettinger, 2011; White, 2019; Pigini & Staffolani, 2019; Pabilonia & Vernon, 2022), aucune étude (à la connaissance des auteurs) n’a comparé la croissance à long terme des salaires des télétravailleurs avec celle des salaires des autres employés, jusqu’à présent.

Cette étude comble ce manque d’information et compare, pour le secteur commercialNote , la croissance des salaires de 2005 à 2015 chez les employés qui ont travaillé à domicile au cours de ces deux années et la croissance des salaires chez les employés qui ont travaillé à l’extérieur du domicile au cours de ces deux annéesNote . Pour ce faire, l’étude intègre des données du Fichier de données longitudinales sur la main-d’œuvre de Statistique Canada ainsi que du Recensement de la population de 2006 et de 2016.

Si une partie de l’augmentation du télétravail provoquée par la pandémie de COVID-19 se maintient au cours des prochaines années, les employés qui travaillent à domicile deviendront vraisemblablement un sous-ensemble de la main-d’œuvre canadienne moins sélectif qu’avant la pandémie. Les attitudes des entreprises vis-à-vis du télétravail et leur capacité à surveiller le rendement des télétravailleurs évolueront vraisemblablement elles aussi. C’est pourquoi la croissance à long terme des salaires des télétravailleurs avant la pandémie de COVID-19 ne permet vraisemblablement pas de prédire avec exactitude la croissance à long terme des salaires des télétravailleurs au cours des prochaines années. Néanmoins, les comparaisons de la croissance à long terme des salaires des télétravailleurs et des autres employés avant la pandémie de COVID-19 sont importantes, et ce, pour diverses raisons. Tout d’abord, ces comparaisons permettent de mieux comprendre les marchés de l’emploi avant 2020. Ensuite, elles donnent un point de référence pour évaluer les trajectoires salariales futures des télétravailleurs. Enfin, elles contribuent à éclairer les conversations sur les éventuels avantages et désavantages du télétravail.

Les employés qui travaillaient à domicile avant la pandémie de COVID-19 gagnaient plus que les autres employés

Les hommes et les femmes qui travaillaient à domicile avant la pandémie de COVID-19 recevaient des salaires plus élevés que les autres employés.


Tableau 1
Écarts salariaux entre les télétravailleurs et les autres employés dans le secteur commercial, 2005 et 2015
Sommaire du tableau
Le tableau montre les résultats de Écarts salariaux entre les télétravailleurs et les autres employés dans le secteur commercial. Les données sont présentées selon Variables de contrôle (titres de rangée) et Hommes et Femmes, calculées selon Valeurs logarithmiques et Chiffres unités de mesure (figurant comme en-tête de colonne).
Variables de contrôle Hommes Femmes
Aucune Caractéristiques des travailleurs, des emplois et des entreprises Aucune (entreprises ayant au moins un télétravailleur et un employé sur place) Caractéristiques des travailleurs et des emplois + effets fixes de l’entreprise (entreprises ayant au moins un télétravailleur et un employé sur place) Aucune Caractéristiques des travailleurs, des emplois et des entreprises Aucune (entreprises ayant au moins un télétravailleur et un employé sur place) Caractéristiques des travailleurs et des emplois + effets fixes de l’entreprise (entreprises ayant au moins un télétravailleur et un employé sur place)
valeurs logarithmiques
Échantillon transversal
Écarts salariaux en 2005 0,179Note *** 0,108Note *** 0,197Note *** 0,096Note *** 0,116Note *** 0,206Note *** 0,198Note *** 0,183Note ***
Écarts salariaux en 2015 0,207Note *** 0,122Note *** 0,182Note *** 0,093Note *** 0,167Note *** 0,150Note *** 0,163Note *** 0,108Note ***
Échantillon longitudinal
Écarts salariaux en 2005 0,366Note *** 0,234Note *** 0,328Note *** 0,176Note *** 0,191Note ** 0,233Note *** 0,396Note *** 0,274Note **
Écarts salariaux en 2015 0,252Note *** 0,110Note ** 0,222Note *** 0,062 0,135Note ** 0,194Note *** 0,225Note *** 0,052
chiffres
Taille des échantillons en 2005 – échantillon transversal
Secteur commercial 305 076 305 076 129 468 129 468 202 772 202 772 90 307 90 307
Employés travaillant à domicile 5 701 5 701 3 781 3 781 5 897 5 897 3 136 3 136
Taille des échantillons en 2015 – échantillon transversal
Secteur commercial 494 201 494 201 225 332 225 332 317 665 317 665 154 047 154 047
Employés travaillant à domicile 14 516 14 516 10 527 10 527 12 932 12 932 8 735 8 735
Taille des échantillons en 2005 et en 2015 – échantillon longitudinal
Secteur commercial 38 837 38 837 3 587 3 587 24 877 24 877 3 378 3 378
Employés travaillant à domicile 257 257 149 149 229 229 92 92

Dans le secteur commercial, le logarithme moyen des salaires hebdomadaires des hommes employés travaillant à domicile en 2015 était supérieur de 0,207 point à celui des autres hommes employés (tableau 1, colonne 1, deuxième partie). Cela représente un écart de rémunération de 23 %Note .

Cet écart de rémunération diminue pour s’établir à 13 % (0,122 point) après prise en compte des caractéristiques des travailleurs telles que l’âge, le niveau de scolarité, le statut d’immigration, les compétences linguistiques et les limitations d’activités; des caractéristiques de l’emploi telles que le statut d’emploi à plein temps, la couverture syndicale et la protection en matière de pensions; ainsi que des caractéristiques des entreprises telles que l’industrie qui emploie et la taille de l’entreprise (tableau 1, colonne 2, deuxième partie)Note . L’écart de rémunération baisse pour passer à 10 % (0,093 point), mais reste important sur le plan statistique, lorsque l’accent est mis sur les écarts salariaux entre les télétravailleurs et les autres employés au sein d’entreprises, c’est-à-dire après prise en compte des effets fixes de l’entreprise (tableau 1, colonne 4, deuxième partie).

Pour les femmes, les écarts de salaire en 2015 entre les télétravailleurs et les autres employés obtenus dans des analyses multivariées vont de 12 % (0,108 point) à 16 % (0,150 point).

C’est également en 2005 que l’on constate les taux de rémunération les plus élevés chez les télétravailleurs (par rapport aux autres employés).

Les écarts de rémunération constatés en 2005 entre les employés qui travaillaient à domicile en 2005 et en 2015 et les employés qui travaillaient à l’extérieur du domicile au cours de ces deux années sont plus importants. Pour les hommes, ces écarts de rémunération équivalent à 19 % (0,176 point) après prise en compte des caractéristiques des travailleurs, des caractéristiques des emplois et des effets fixes de l’entreprise (tableau 1, colonne 4, troisième partie). L’estimation correspondante pour les hommes employés qui travaillaient à domicile (ou non) en 2005 équivaut à 10 % (0,096 point) [tableau 1, colonne 4, première partie].

L’augmentation de la rémunération a été moins importante pour les employés qui travaillaient à domicile en 2005 et en 2015 que pour les autres employés de 2005 à 2015.

Les employés qui travaillaient à domicile à la fois en 2005 et en 2015 ont vu leur rémunération augmenter moins rapidement que les employés qui travaillaient à l’extérieur du domicile au cours de ces deux annéesNote . De 2005 à 2015, le logarithme moyen des salaires hebdomadaires des hommes travaillant à domicile dans cet échantillon a augmenté de 0,083 point (9 %), comparativement à 0,166 point (18 %) pour les autres hommes employés. Le logarithme moyen des salaires hebdomadaires des femmes travaillant à domicile a augmenté de 0,107 point (11 %), comparativement à 0,200 point (22 %) pour les autres femmes employées.

La plupart de ces différences de croissance des salaires restent présentes dans les analyses multivariées qui prennent en compte non seulement les caractéristiques des travailleurs, des emplois et des entreprises, mais aussi les salaires moyens reçus de 2002 à 2004 ainsi que les transitions (congé parental, perte d’emploi, blessure ou maladie) vécues par les travailleurs entre 2005 et 2015 (tableau 2). Les mécanismes qui sous-tendent cette croissance plus lente de la rémunération des télétravailleurs n’ont pas encore été cernés. Malgré cette croissance plus lente de la rémunération, les employés qui travaillaient à domicile à la fois en 2005 et en 2015 n’avaient pas des salaires inférieurs à ceux des autres employés en 2015 (tableau 1, quatrième partie).


Tableau 2
Écarts de croissance des salaires entre les télétravailleurs et les autres employés dans le secteur commercial, 2005 à 2015
Sommaire du tableau
Le tableau montre les résultats de Écarts de croissance des salaires entre les télétravailleurs et les autres employés dans le secteur commercial. Les données sont présentées selon Variables de contrôle (titres de rangée) et Hommes et Femmes, calculées selon Valeurs logarithmiques et Chiffres unités de mesure (figurant comme en-tête de colonne).
Variables de contrôle Hommes Femmes
Aucune Caractéristiques des travailleurs, des emplois et des entreprises + variables de transition Aucune (entreprises ayant au moins un télétravailleur et un employé sur place; employés travaillant dans la même entreprise en 2005 et en 2015) Caractéristiques des travailleurs et des emplois + variables de transition + effets fixes de l’entreprise (entreprises ayant au moins un télétravailleur et un employé sur place; employés travaillant dans la même entreprise en 2005 et en 2015) Aucune Caractéristiques des travailleurs, des emplois et des entreprises + variables de transition Aucune (entreprises ayant au moins un télétravailleur et un employé sur place; employés travaillant dans la même entreprise en 2005 et en 2015) Caractéristiques des travailleurs et des emplois + variables de transition + effets fixes de l’entreprise (entreprises ayant au moins un télétravailleur et un employé sur place; employés travaillant dans la même entreprise en 2005 et en 2015)
valeurs logarithmiques
Écarts de croissance des salaires à long terme -0,083Note *** -0,130Note *** -0,111Note *** -0,076Note * -0,093Note * -0,087Tableau 2 Note  -0,223Note ** -0,270Note **
chiffres
Taille des échantillons
Secteur commercial 38 837 38 837 2 627 2 627 24 877 24 877 2 605 2 605
Employés travaillant à domicile 257 257 107 107 229 229 70 70

Conclusion

Cette étude montre que les employés canadiens qui travaillaient à domicile à la fois en 2005 et en 2015 avaient initialement des salaires plus élevés, cependant la croissance à long terme de leur rémunération a été plus faible que celle de leurs homologues qui travaillaient à l’extérieur du domicile au cours des deux années.

Plusieurs limites doivent être prises en compte. Malgré l’utilisation d’un riche ensemble de variables de contrôle, on ne peut donner d’explication causale à aucune des différences (en termes de salaires ou de croissance à long terme de la rémunération) établies dans cette étude. De plus, ces différences peuvent varier selon les professions ou les groupes de population. Les contraintes de taille d’échantillon ont rendu impossibles les analyses multivariées distinctes des différences de croissance des salaires sous cet angle. Enfin, pour les raisons indiquées plus haut, on ne sait pas vraiment si les tendances observées de 2005 à 2015 se maintiendront pendant les années à venir.

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Annexe 1 : Sélection de l’échantillon

Les échantillons transversaux utilisés dans les deux premières parties du tableau 1 incluent des individus qui : a) étaient âgés de 25 à 54 ans en 2005 (2015); b) ne fréquentaient pas un établissement d’enseignement vers 2005-2006 (2015-2016); c) n’avaient qu’un seul emploi rémunéré en 2005 et en 2006 (2015 et 2016) et avaient le même employeur les deux années; d) n’avaient pas de revenu provenant d’un travail autonome en 2005 (2015); e) avaient des semaines positives travaillées en 2005 (2015); f) avaient des salaires et des traitements au moins aussi élevés que ceux obtenus en travaillant à temps plein à longueur d’année au salaire minimum provincial; et g) ne se trouvaient pas dans la tranche de 0,1 % au sommet de la répartition des gains en 2005 (2015).

Les échantillons longitudinaux utilisés dans le tableau 2 et dans la troisième partie du tableau 1 incluent des individus qui : a) étaient âgés de 25 à 54 ans en 2005 (de 35 à 64 ans en 2015); b) ne fréquentaient un établissement d’enseignement ni vers 2005-2006 ni vers 2015-2016; c) n’avaient qu’un seul emploi rémunéré en 2005 et en 2006 et avaient le même employeur les deux années; d) n’avaient qu’un seul emploi rémunéré en 2015 et en 2016 et avaient le même employeur les deux années; e) n’avaient pas de revenu provenant d’un travail autonome en 2005 et en 2015; f) avaient des semaines positives travaillées en 2005 et en 2015; g) avaient, en 2005 et en 2015, des salaires et des traitements annuels au moins aussi élevés que ceux obtenus en travaillant à temps plein à longueur d’année au salaire minimum provincial; et h) ne se trouvaient pas dans la tranche de 0,1 % au sommet de la répartition des gains en 2005 ou en 2015.

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Auteurs

Tahsin Mehdi et René Morissette travaillent au sein de la Division de l’analyse sociale et de la modélisation de la Direction des études analytiques et de la modélisation à Statistique Canada.

Bibliographie

Baert, S., Lippens, L., Moens, E., Weytjens, J., & Sterkens, P. (2020). The Covid-19 crisis and telework: A research survey on experiences, expectations and hopes (IZA Discussion Paper No. 13229). IZA.

Oettinger, G. S. (2011). The incidence and wage consequences of home-based work in the United States, 1980-2000. Journal of Human Resources, 46(2), 237–260.

Pabilonia, S. W., & Vernon, V. (2022). Telework, wages, and time use in the United States. Review of Economics of the Household, 46(2), 237–260.

Pigini, C., & Staffolani, D. (2019). Teleworkers in Italy: who are they? Do they make more? International Journal of Manpower, 40(2), 265–285.
White, D. R. (2019). Agency theory and work from home. Labour, 33(1), 3–25.

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