Rapports économiques et sociaux
Comprendre les répercussions fiscales des régimes enregistrés d’épargne-retraite

Date de diffusion : le 23 février 2022

DOI: https://doi.org/10.25318/36280001202200200002-fra

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Un régime enregistré d’épargne-retraite (REER) est un instrument d’épargne conçu pour encourager les gens à épargner en vue de leur retraite. Les cotisations sont déductibles d’impôt, c’est-à-dire qu’elles sont versées à partir du revenu avant impôt, et l’imposition est reportée au moment où les fonds sont retirés, habituellement à la retraite lorsque les taux d’imposition sont plus faibles, ce qui donne lieu à des économies d’impôt pendant le cycle de vie (Veall, 2001). Cependant, comme les fonds d’un REER ne sont pas bloqués et que le système fiscal n’impose pas de pénalité, les retraits avant la retraite sont fréquents. Tout compte fait, 1 $ est retiré chaque année pour chaque 5 $ épargné par les déclarants en âge de travailler (Messacar, 2017).

La fréquence des retraits d’un REER avant la retraite soulève une question : pour quelles raisons, à part une retraite anticipée, les gens ont-ils recours à ces régimes.

Pour explorer cette question, une nouvelle recherche réalisée par Statistique Canada et l’Institut sur la retraite et l’épargne (IRE) de HEC Montréal se penche sur la manière dont la littératie financière d’une personne influe sur le moment où elle cotise à un REER et en retire des sommes. La littératie financière peut être une mesure indirecte de l’étendue des connaissances que possèdent les déclarants au sujet des répercussions fiscales de ces régimes.

L’analyse se fonde sur un nouvel ensemble de données qui met en correspondance les dossiers fiscaux T1 de 2000 à 2016 et les données de l’Enquête canadienne sur les capacités financières (ECCF) de 2014 de Statistique Canada. L’ECCF fournit des renseignements sur la mesure dans laquelle les Canadiennes et les Canadiens comprennent leur situation financière, les services financiers auxquels ils ont accès et leurs plans pour l’avenir. En outre, elle offre une mesure du niveau de littératie financière de chaque répondant, basée sur le nombre de bonnes réponses à une série de questions financières. Cet ensemble de données couplé est le premier au Canada à combiner les données longitudinales sur l’utilisation des REER provenant des dossiers fiscaux avec une mesure directe de la littératie financière.

Pour déterminer ce qui motive les déclarants à cotiser à leur REER, le moment où ils épargnent durant l’année a été examiné. Les cotisations versées dans un REER pendant les 60 premiers jours de l’année civile peuvent être utilisées comme déductions sur le revenu gagné l’année précédente, afin de réduire le montant de l’impôt dû à l’Agence du revenu du Canada (ARC).

La manière dont le programme a été conçu encourage de nombreux déclarants à cotiser davantage dans leur REER à mesure que la date limite de cotisation approche. Plus précisément, les déclarants sont tout autant susceptibles d’épargner pendant les 60 derniers jours avant la date limite de cotisation que pendant les 10 mois précédents. En effet, le montant moyen de 2 000 $ épargné durant les 60 derniers jours équivaut aux deux tiers du montant moyen épargné pendant les 10 mois précédents (graphique 1). Par conséquent, les moments où les cotisations sont versées pendant l’année ne sont pas équilibrés.

Graphique 1

Tableau de données du graphique 1 
Graphique 1
Cotisation moyenne à un régime enregistré d'épargne-retraite (REER), selon la période de temps par rapport à la date limite de cotisation
Sommaire du tableau
Le tableau montre les résultats de Cotisation moyenne à un régime enregistré d'épargne-retraite (REER) 10 premiers mois avant la date limite de cotisation à un REER et 60 derniers jours avant la date limite de cotisation à un REER(figurant comme en-tête de colonne).
10 premiers mois avant la date limite de cotisation à un REER 60 derniers jours avant la date limite de cotisation à un REER
2009 2 588 2 011
2010 2 471 2 111
2011 2 489 2 039
2012 2 609 2 071
2013 2 737 2 014
2014 2 805 2 015
2015 2 883 1 896
2016 2 827 2 151

Ce comportement d’épargne est sans doute partiellement attribuable au fait que les déclarants se servent de leurs REER pour ramener leur solde dû à zéro. Ce changement dans le solde dû ne se traduit pas nécessairement par des économies d’impôt, mais reporte plutôt le paiement de l’impôt à un moment ultérieur si les fonds sont retirés avant la retraite, lorsque les taux d’imposition marginaux sont toujours élevés.

Selon les résultats de l’étude, pour chaque tranche de 100 $ due à l’ARC pendant la période d’impôt, la probabilité qu’une cotisation soit versée à un REER augmente d’environ 0,5 point de pourcentage (plus ou moins 1,5 % par rapport à la base de référence), environ 30 % des déclarants cotisant à un REER chaque année (graphique 2). En revanche, dans le cas des déclarants qui reçoivent un remboursement, le solde dû a peu d’effet sur la probabilité qu’ils cotisent à un REER.

Graphique 2

Tableau de données du graphique 2 
Graphique 2
Probabilité de cotisation à un régime enregistré d'épargne-retraite, par montant du solde d’impôt final avant déductions

Sommaire du tableau
Le tableau montre les résultats de Probabilité de cotisation à un régime enregistré d'épargne-retraite. Les données sont présentées selon Solde (titres de rangée) et Probabilité de cotisation à un REER(figurant comme en-tête de colonne).
Solde Probabilité de cotisation à un REER
-2 000 35,9
-1 900 35,9
-1 800 35,5
-1 700 35,8
-1 600 35,5
-1 500 35,5
-1 400 35,4
-1 300 35,4
-1 200 35,6
-1 100 35,5
-1 000 35,8
-900 36,1
-800 35,8
-700 36,0
-600 36,1
-500 35,9
-400 36,2
-300 36,2
-200 36,4
-100 37,8
0 38,2
100 40,7
200 42,5
300 44,4
400 45,4
500 45,6
600 46,0
700 46,3
800 46,5
900 47,4
1 000 47,6
1 100 48,2
1 200 48,8
1 300 49,5
1 400 49,8
1 500 50,2
1 600 50,7
1 700 51,2
1 800 51,9
1 900 52,4
2 000 ...

La décision de prendre des mesures pour ramener le solde dû à zéro est cohérente avec un phénomène psychologique appelé l’« aversion aux pertes » (Rees-Jones, 2018). L’aversion aux pertes renvoie à une tendance disproportionnée à préférer éviter les pertes, plutôt qu’à réaliser des gains équivalents. Des données probantes indiquent que ce comportement s’observe principalement chez les déclarants qui ont peu de connaissances financières et pendant les 60 jours précédant la date limite de cotisation à un REER. Ce constat semble indiquer que la planification fiscale annuelle, plutôt que la planification de la retraite, est un facteur déterminant de l’utilisation des REER pour certains déclarants.

Pour examiner comment le système fiscal encourage les épargnants à laisser leurs fonds intouchés dans leurs REER au lieu de les en retirer pour les dépenser, la relation entre le comportement de retrait et le taux effectif marginal d’imposition (TEMI) est évaluée. Le TEMI correspond à la combinaison des taux d’imposition du revenu prévus par la loi avec les effets indirects de l’impôt et du système de transfert, par exemple les primes d’assurance-emploi et les prestations pour enfants.

Bien qu’il n’y ait pas de pénalité fiscale explicite sur les montants retirés d’un REER avant la retraite, l’avantage fiscal que procure ce genre de régime dépend largement du TEMI au moment du retrait par rapport au TEMI au moment de la cotisation. Comme le taux d’imposition au moment du retrait augmente, on s’attend à ce que les épargnants soient moins susceptibles de retirer des fonds de leur REER, puisque le montant d’impôt payé à chaque retrait augmente également.

Les résultats de cette analyse sont conformes à cette attente.

Plus précisément, une augmentation de 10 % du TEMI fait diminuer le montant retiré d’un REER d’environ 70 $ chez les déclarants ayant peu de connaissances financières, mais d’environ 230 $ chez ceux ayant un niveau élevé de littératie financière, en moyenne. Ces constats semblent indiquer que le code fiscal est un facteur déterminant de l’accumulation de richesse dans les REER, et que l’effet est plus grand chez les personnes qui sont les plus susceptibles de comprendre les règles fiscales qui régissent ces instruments.

Dans l’ensemble, cette recherche démontre que la mesure dans laquelle les REER sont utilisés de manière optimale dépend du degré de littératie financière. Tout particulièrement, certains déclarants qui s’y connaissent peu en finance se servent de ces régimes pour des motifs autres que la planification de la retraite à long terme. Ce phénomène est important pour la conception des systèmes de revenu de retraite, car les personnes dont les connaissances financières sont moindres ont aussi tendance à toucher des revenus moindres, et peuvent avoir davantage besoin de préparer leur retraite, d’un point de vue financier.

Le rapport complet sur les cotisations aux REER et les soldes d’impôt dus, intitulé Loss-averse tax manipulation and tax-preferred savings, a récemment été publié comme document de travail de l’IRE (no 8). L’étude sur la relation entre les retraits des REER et les taux d’imposition, intitulé « Financial literacy and the timing of tax-preferred savings account withdrawals » paraîtra dans le Journal of Accounting and Public Policy.

Auteurs

Derek Messacar travaille à la Division de l’analyse sociale et de la modélisation de la Direction des études analytiques et de la modélisation de Statistique Canada, à Ottawa. Pierre-Carl Michaud est professeur d’économie appliquée, directeur de l’Institut sur la retraite et l’épargne, et titulaire de la Chaire de recherche sur les enjeux économiques intergénérationnels à HEC Montréal. Marianne Laurin est attachée de recherche à l’Institut sur la retraite et l’épargne à HEC Montréal.

Bibliographie

Laurin, M., Messacar, D. et Michaud, P.-C. (2021). Financial literacy and the timing of tax-preferred savings account withdrawals. Journal of Accounting and Public Policy. https://doi.org/10.1016/j.jaccpubpol.2021.106922

Messacar, D. (2017). Tendances des cotisations aux REER et des retraits préalables à la retraite, 2000 à 2013 (Aperçus économiques, no 64). Statistique Canada.

Rees-Jones, A. (2018). Quantifying loss-averse tax manipulation. Review of Economic Studies, 85(2), 1251-1278.

Veall, M. (2001). Did the tax flattening affect RRSP contributions? Revue canadienne d’économique, 34(4), 120-131.

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