Rapports économiques et sociaux
Les effets des prestations fiscales pour enfants sur le revenu des mères célibataires
DOI: https://doi.org/10.25318/36280001202100500002-fra
Les ressources financières auxquelles ont accès les familles ayant de jeunes enfants ont une incidence importante sur le développement de l’enfant, et elles peuvent avoir des répercussions à long terme sur la situation socioéconomique à l’âge adulte. Dans de nombreux pays, les gouvernements ont mis en place des programmes sociaux pour fournir des ressources aux familles ayant de jeunes enfants. Certains de ces programmes ciblent des insécurités précises, comme l’alimentation, le logement, la garde d’enfants ou les frais médicaux, tandis que d’autres prévoient des transferts directs en espèces aux personnes et aux familles ayant des enfants à charge.
Puisque ces programmes sont souvent imposables ou fondés sur les revenus, ils peuvent, involontairement, dissuader les bénéficiaires à intégrer le marché du travail. Cela réduirait donc l’efficacité des programmes visant à augmenter le revenu familial ou à lutter contre la pauvreté.
Une nouvelle étude de Michael Baker (Université de Toronto), Derek Messacar (Statistique Canada) et Mark Stabile (Institut européen d’administration des affaires) fournit de nouveaux renseignements sur cette question. Plus précisément, elle propose une analyse des effets de l’élargissement de la prestation fiscale pour enfants sur le revenu après impôt des mères célibataires, dans le contexte de la réforme de la Prestation universelle pour la garde d’enfants (PUGE) en 2015, et de l’introduction de l’Allocation canadienne pour enfants (ACE) en 2016. Ces mesures ont permis d’accroître le montant des transferts en espèces, particulièrement pour les parents à faible revenu. L’étude s’intéresse tout particulièrement à la situation des mères célibataires, en raison des taux élevés de pauvreté observés habituellement au sein de ce groupe.
L’étude repose sur les données de la Banque de données administratives longitudinales de Statistique Canada, un échantillon de 20 % des déclarations de revenus T1, représentatif à l’échelle nationale. Elle contient des renseignements détaillés sur les aspects démographiques, l’emploi, le revenu, les impôts et les transferts pour les particuliers représentés, leurs conjoints et leurs familles. Pour séparer les effets des réformes des autres changements relatifs aux conditions économiques et au marché du travail qui se sont produits à peu près au même moment, l’étude compare les mères célibataires et les femmes célibataires sans enfants en utilisant un modèle de recherche des écarts entre les différences. L’analyse se limite aux femmes âgées de 25 à 54 ans, puisque les prestations pour enfants ne sont généralement offertes qu’aux parents ayant de jeunes enfants.
Le graphique 1 montre le revenu après impôt des mères célibataires et des femmes célibataires sans enfants, de 2009 à 2018.
Tableau de données du graphique 1
Revenu après impôt | ||
---|---|---|
Mères célibataires | Femmes célibataires sans enfants | |
dollars courants | ||
2009 | 28 550 | 30 400 |
2010 | 29 150 | 30 650 |
2011 | 29 400 | 31 400 |
2012 | 30 150 | 32 100 |
2013 | 30 750 | 32 700 |
2014 | 31 500 | 33 250 |
2015 | 32 700 | 34 050 |
2016 | 34 200 | 34 550 |
2017 | 36 150 | 35 550 |
2018 | 37 500 | 36 600 |
Source : Statistique Canada, Banque de données administratives longitudinales. |
Selon les résultats, le revenu après impôt des deux groupes a augmenté au fil du temps. Par exemple, chez les mères célibataires, il est passé d’environ 28 550 $ en 2009 à 31 500 $ en 2014. Au cours de la même période, les femmes célibataires sans enfants gagnaient un peu plus que celles qui avaient des enfants, mais la croissance de leur revenu a suivi une tendance parallèle. De 2015 à 2018, l’écart entre le revenu moyen après impôt de ces deux groupes de femmes s’est resserré. Cela est attribuable à l’augmentation des prestations pour enfants pour les mères célibataires. Bien que cet effet se soit produit graduellement, les deux revenus étaient à peu près égaux en 2017, soit la première année du paiement intégral de l’ACE.
L’analyse ci-dessus ne tient pas directement compte des répercussions de l’élargissement de la PUGE et de l’introduction de l’ACE sur les enfants des ménages à faible revenu. Pour examiner cette question, l’étude tient compte de l’évolution de la situation de faible revenu depuis 2009 pour les mères célibataires et les femmes célibataires sans enfants. La situation de faible revenu est définie dans les données fiscales à l’aide de la mesure de faible revenu (MFR). Il est important de noter que la MFR n’est pas l’indicateur de la pauvreté officiel de Statistique Canada. Toutefois, cet indicateur a été utilisé aux fins de cette étude parce qu’il est déjà intégré aux données fiscales et facilement accessible dans celles-ci, et parce que l’ensemble de données fiscales ne contient pas toute l’information nécessaire pour créer la mesure fondée sur un panier de consommation.
Les résultats de cette analyse sont présentés dans le graphique 2. On constate un écart considérable entre les deux groupes quant à la probabilité d’avoir un faible revenu. De 2009 à 2014, près de 50 % des femmes célibataires ayant des enfants avaient un faible revenu, comparativement à environ 20 % des femmes sans enfants. Ces probabilités demeurent relativement constantes au fil du temps, et ce constat est intéressant, car il indique que la Grande Récession de 2008-2009 ne semble pas avoir eu beaucoup d’effet. C’est probablement parce que la MFR est une mesure relative de la situation de faible revenu, et que la récession a eu une incidence sur la rémunération des travailleurs à revenu élevé et à faible revenu.
Tableau de données du graphique 2
Situation de faible revenu | ||
---|---|---|
Mères célibataires | Femmes célibataires sans enfants | |
pourcentage | ||
2009 | 46,2 | 21,1 |
2010 | 46,2 | 21,3 |
2011 | 47,7 | 21,3 |
2012 | 48,0 | 21,1 |
2013 | 48,3 | 21,1 |
2014 | 48,6 | 21,3 |
2015 | 47,2 | 21,1 |
2016 | 45,1 | 20,8 |
2017 | 43,9 | 21,1 |
2018 | 43,0 | 20,4 |
Source : Statistique Canada, Banque de données administratives longitudinales. |
Alors que la situation de faible revenu est demeurée stable jusqu’en 2014, le graphique 2 montre également que de 2015 à 2018, elle a diminué pour les femmes célibataires ayant des enfants par rapport à leurs homologues sans enfants. Cela est attribuable à l’augmentation du revenu découlant de l’élargissement de la prestation pour enfants, lequel a porté le revenu après impôt de certaines femmes au-delà du seuil de la MFR. La probabilité d’avoir un faible revenu a diminué d’environ 5,6 points de pourcentage de 2014 à 2018, ce qui représente une diminution de 11,5 % par rapport au taux de faible revenu de 2014.
Dans l’ensemble, les résultats de cette étude laissent supposer que l’élargissement de la PUGE en 2015 et l’introduction de l’ACE en 2016 ont contribué à accroître le revenu et à réduire la probabilité d’avoir un faible revenu pour les mères célibataires et leurs enfants. Bien que l’analyse ne se soit pas penchée sur ce point, des effets comparables ont également été observés chez les mères mariées ou vivant en union libre. Par exemple, la probabilité d’avoir un faible revenu a fléchi d’environ 3 % sur une base de 10 %. Les répercussions à long terme de ces réformes sur le bien-être des enfants à l’âge adulte restent à voir.
Le rapport complet, intitulé The Effects of Child Tax Benefits on Poverty and Labor Supply: Evidence from the Canada Child Benefit and Universal Child Care Benefit, a été publié le 15 mars 2021 (Baker, Messacar et Stabile 2021).
Auteur
Derek Messacar travaille à la Division de l’analyse sociale et de la modélisation, au sein de la Direction des études analytiques de Statistique Canada.
Référence
Baker, M., D. Messacar et M. Stabile. 2021. The Effects of Child Tax Benefits on Poverty and Labor Supply: Evidence from the Canada Child Benefit and Universal Child Care Benefit. NBER Working Paper Series, no. 28556. Cambridge, Massachusetts : National Bureau of Economic Research. Disponible au lien suivant : https://doi.org/10.3386/w28556.
- Date de modification :