Rapports économiques et sociaux
Le travail à domicile après la pandémie de COVID-19 : une estimation des préférences des travailleurs
DOI: https://doi.org/10.25318/36280001202100500001-fra
Comme on le sait maintenant, la pandémie de COVID-19 a donné lieu à une croissance marquée du travail à domicile au Canada et dans de nombreux pays industrialisés. En janvier 2021, 32 % des employés canadiens âgés de 15 à 69 ans effectuaient la plupart de leurs heures de travail à domicile, comparativement à 4 % en 2016 (Mehdi et Morissette, 2021).
Ce changement soulève une question importante, à savoir dans quelle mesure les Canadiens travailleront à domicile après la pandémie de COVID-19. La réponse à cette question pourrait avoir d’importantes conséquences pour la congestion routière, l’utilisation du transport en commun, les émissions de gaz à effet de serre, la demande en locaux à bureaux dans les centres urbains, la demande en logements dans les banlieues, et le dynamisme (ou l’absence de dynamisme) des magasins de détail et des restaurants situés dans les centres-villes. Cela dépend non seulement de la proportion de Canadiens qui travailleront à domicile, mais aussi du nombre d’heures qu’ils y travailleront chaque semaine.
Si relativement peu d’employés travaillent à domicile, et si ceux qui le font travaillent relativement peu d’heures à domicile chaque semaine, la congestion routière et les émissions de gaz à effet de serre, entre autres, diminueront dans une moindre mesure que si une grande proportion d’employés travaillent à domicile ou effectuent la plupart de leurs heures de travail à domicile. Pour saisir à la fois la proportion d’employés qui travaillent à domicile et le nombre d’heures qu’ils y travaillent, il faut estimer la part globale du nombre total d’heures de travail à domicile après la pandémie.
Pour estimer cette part avec rigueur, il faut utiliser les données sur les préférences des employeurs en matière de télétravail, ainsi que les données sur les préférences des employés à cet égard. Étant donné que les préférences antérieures ne sont pas accessibles à l’heure actuelleNote , une réponse partielle peut être fournie en fonction des préférences des employés pour cette formule de travail. À l’aide d’une question supplémentaire, qui a été ajoutée à l’Enquête sur la population active de février 2021, la présente étude estime la part globale du nombre total d’heures de travail que les employés pourraient vouloir effectuer à domicile une fois la pandémie terminée.
En février 2021, on a demandé aux nouveaux télétravailleurs (c.-à-d. des personnes qui travaillaient habituellement à l’extérieur de leur domicile avant la pandémie de COVID-19, mais qui ont travaillé la plupart de leurs heures à domicile pendant la semaine du 14 au 20 février) dans quelle mesure ils préféreraient travailler à domicile une fois la pandémie de COVID-19 terminée.
En se penchant tout particulièrement sur les employés qui travaillent pour le même employeur depuis au moins mars 2019, Mehdi et Morissette (2021) démontrent que 80 % de ces nouveaux télétravailleurs préféreraient travailler au moins la moitié de leurs heures à domicile une fois la pandémie terminée. Par ailleurs, 41 % préféreraient travailler environ la moitié de leurs heures à domicile et l’autre moitié, à l’extérieur du domicile, tandis que 39 % préféreraient travailler la plupart (24 %) ou la totalité (15 %) de leurs heures à domicile. Les 20 % restants préféreraient travailler la plupart (11 %) ou la totalité (9 %) de leurs heures à l’extérieur du domicile.
En combinant les renseignements sur les préférences des employés en matière de télétravail avec les données sur les heures qu’ils travaillent habituellement, il est possible d’estimer le nombre total d’heures de travail que les nouveaux télétravailleurs pourraient vouloir effectuer à domicile une fois la pandémie terminéeNote Note . De plus, si l’on suppose que d’autres télétravailleurs (qui travaillent habituellement à domicile) travailleront toutes leurs heures habituelles à domicile après la pandémie, on peut estimer le nombre total d’heures de travail qu’ils feront à domicile après la pandémie. En additionnant les estimations obtenues pour les deux groupes d’employés susmentionnés et en divisant la somme obtenue par le nombre total d’heures habituellement travaillées par tous les employés, il est possible de calculer la part globale du nombre total d’heures de travail que les employés pourraient vouloir effectuer à domicile une fois la pandémie de COVID-19 terminée.
Cette part globale représente probablement une limite supérieure pour la répartition globale du nombre total d’heures de travail que les employés effectueront à domicile après la pandémie. Il en est ainsi pour plusieurs raisons. Premièrement, une fois la pandémie terminée, certains employeurs pourraient ne pas répondre entièrement aux préférences des nouveaux télétravailleurs qui aimeraient poursuivre le travail à domicileNote . Deuxièmement, le bassin de travailleurs en février 2021 exclut de nombreuses personnes qui étaient sans emploi, mais qui avaient travaillé dans des magasins de détail, des restaurants, des hôtels et dans l’industrie du spectacle. Si certaines de ces personnes, dont la plupart ne peuvent pas travailler à domicile, retournent travailler pour leur employeur après la pandémie, la part des heures travaillées à domicile par tous les employés sera finalement inférieure à la part estimée ci-dessus. Enfin, certains employés, qui ont exprimé des préférences pour le télétravail en février 2021 parce qu’ils craignaient les infections virales, pourraient changer d’avis et préférer travailler dans les locaux de l’entreprise après la pandémie.
Les résultats des calculs décrits ci-dessus sont présentés dans le graphique 1 et le tableau 1, en tenant compte de ces limites. Selon ces résultats, une fois la pandémie de COVID-19 terminée, le nombre d’heures de travail que les employés canadiens pourraient vouloir effectuer à domicile correspond, dans l’ensemble, à 24 % du nombre total de leurs heures travaillées (tableau 1).
Comment cette estimation des préférences des travailleurs suivant la pandémie de COVID-19 se compare-t-elle à la part du nombre total d’heures travaillées à domicile par les employés avant la pandémie? En 2016 et 2018, le nombre d’heures travaillées à partir du domicile n’a pas dépassé 5 % du nombre total d’heures de travail des employés (graphique 1). Par conséquent, la part globale du nombre total d’heures que les employés pourraient vouloir effectuer à domicile une fois la pandémie de COVID-19 terminée équivaut à près de cinq fois la part globale du nombre total d’heures qu’ils ont travaillé à domicile avant la COVID-19.
Conformément à l’idée que les emplois occupés par des travailleurs très scolarisés sont plus propices au télétravail que ceux occupés par des employés moins scolarisés (Deng, Messacar et Morissette, 2020), la part du nombre total d’heures de travail que les employés pourraient vouloir effectuer à domicile après la pandémie est beaucoup plus élevée dans le premier groupe que dans le second. Le nombre d’heures de travail que les titulaires d’un diplôme universitaire (c.-à-d. les employés ayant au moins un baccalauréat) préféreraient faire à domicile correspond à 44 % de leurs heures totales, comparativement à 9 % pour les employés ayant un diplôme d’études secondaires ou moins.
De même, la part du nombre total d’heures de travail que les femmes préféreraient faire à domicile (28 %) est plus élevée que celle des hommes (22 %), ce qui reflète en partie le fait que les emplois occupés par des femmes ont tendance à être plus propices au télétravail que ceux occupés par des hommes (Deng, Messacar et Morissette, 2020).
Le tableau 1 montre également que depuis le début de la pandémie, la part du nombre total d’heures travaillées à domicile a augmenté beaucoup plus chez les travailleurs très scolarisés que chez leurs homologues moins scolarisés. En avril 2020, le nombre d’heures travaillées à domicile par les titulaires d’un grade universitaire représentait 67 % de leur nombre total d’heures travaillées, comparativement à 8 % en 2018. En février 2021, le pourcentage correspondant était de 53 %. En comparaison, les employés ayant un diplôme d’études secondaires ou moins ont vu leur part du nombre total d’heures travaillées à domicile augmenter, passant de 2 % en 2018 à 16 % en avril 2020, puis diminuer à 11 % en février 2021.
La mesure dans laquelle les préférences des employés canadiens à l’égard du travail à domicile seront satisfaites par leurs employeurs une fois la pandémie terminée reste à voir et vaudra la peine d’être surveillée.
Tableau de données du graphique 1
Part du nombre d’heures travaillées | |
---|---|
pourcentage | |
2016 | 4,1 |
2018 | 4,9 |
Avr. 2020 | 42,6 |
Mai 2020 | 38,7 |
Juin 2020 | 32,0 |
Juill. 2020 | 27,9 |
Août 2020 | 25,5 |
Sept. 2020 | 25,6 |
Oct. 2020 | 25,6 |
Nov. 2020 | 26,9 |
Déc. 2020 | 28,9 |
Janv. 2021 | 34,0 |
Févr. 2021 | 31,3 |
Post-pandémie | 24,4 |
Note : L’échantillon comprend les employés âgés de 15 à 64 ans, à l’exclusion des étudiants à temps plein et des membres à temps plein des Forces armées canadiennes. Sources : Statistique Canada, Enquête sur la population active, avril 2020 à février 2021, et Enquête sociale générale, 2016 et 2018. |
Les deux sexes | Hommes | Femmes | Scolarité | Groupe d’âge | |||||
---|---|---|---|---|---|---|---|---|---|
Diplôme d’études secondaires ou niveau inférieur | Études postsecondaires partielles | Baccalauréat ou niveau supérieur | 15 à 34 ans | 35 à 54 ans | 55 à 64 ans | ||||
pourcentage | |||||||||
2016 | 4,1 | 3,9 | 4,2 | 1,7 | 3,7 | 6,8 | 2,9 | 4,4 | 5,4 |
2018 | 4,9 | 4,4 | 5,5 | 2,2 | 5,0 | 7,8 | 3,6 | 5,5 | 5,9 |
Avr. 2020 | 42,6 | 36,3 | 50,3 | 16,4 | 35,7 | 66,6 | 41,8 | 45,2 | 36,4 |
Mai 2020 | 38,7 | 32,6 | 46,3 | 13,0 | 32,5 | 63,6 | 36,8 | 44,5 | 27,5 |
Juin 2020 | 32,0 | 27,4 | 38,0 | 9,6 | 27,9 | 55,1 | 26,8 | 35,5 | 32,0 |
Juill. 2020 | 27,9 | 24,2 | 32,7 | 7,9 | 22,8 | 53,7 | 24,6 | 31,7 | 25,1 |
Août 2020 | 25,5 | 22,2 | 30,1 | 6,8 | 21,8 | 49,1 | 22,3 | 29,3 | 23,1 |
Sept. 2020 | 25,6 | 22,5 | 29,6 | 8,5 | 20,7 | 45,0 | 23,1 | 28,5 | 22,3 |
Oct. 2020 | 25,6 | 21,9 | 30,3 | 8,1 | 21,2 | 45,0 | 23,5 | 28,6 | 21,2 |
Nov. 2020 | 26,9 | 23,8 | 30,9 | 8,5 | 21,7 | 46,8 | 25,9 | 29,2 | 22,5 |
Déc. 2020 | 28,9 | 25,9 | 32,6 | 9,3 | 23,1 | 49,8 | 27,4 | 31,4 | 24,7 |
Janv. 2021 | 34,0 | 30,2 | 38,6 | 11,4 | 27,0 | 56,9 | 33,1 | 37,1 | 26,9 |
Févr. 2021 | 31,3 | 28,6 | 34,7 | 11,0 | 25,1 | 52,8 | 31,1 | 33,6 | 25,8 |
Post-pandémie | 24,4 | 21,6 | 27,8 | 9,0 | 19,7 | 43,7 | 24,2 | 26,6 | 19,1 |
Note : L’échantillon comprend les employés âgés de 15 à 64 ans, à l’exclusion des étudiants à temps plein et des membres à temps plein des Forces armées canadiennes. Sources : Statistique Canada, Enquête sur la population active, avril 2020 à février 2021, et Enquête sociale générale, 2016 et 2018. |
Auteurs
Tahsin Mehdi et René Morissette travaillent à la Division de l’analyse sociale et de la modélisation, au sein de la Direction des études analytiques de Statistique Canada.
Bibliographie
Mehdi, T., et R. Morissette. 2021. Travail à domicile : productivité et préférences. StatCan et la COVID-19 : Des données aux connaissances, pour bâtir un Canada meilleur, no 00012. Produit no 45-28-0001 au catalogue de Statistique Canada. Ottawa : Statistique Canada.
Deng, Z., D. Messacar et R. Morissette. 2020. Faire tourner l’économie à distance : le potentiel du travail à domicile pendant et après la COVID-19. StatCan et la COVID-19 : Des données aux connaissances, pour bâtir un Canada meilleur, no 00026. Produit no 45-28-0001 au catalogue de Statistique Canada. Ottawa : Statistique Canada.
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