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  1. Introduction
  2. Cadre analytique
  3. Les données
  4. Comparaison de la performance au chapitre de la productivité
  5. Résultats de l'analyse multivariée
  6. Effets attribuables à l'autosélection ou à l'apprentissage par l'exportation
  7. Conclusion

1   Introduction

Établir si l'entrée sur les marchés d'exportation entraîne des gains de productivité a retenu l'attention d'un grand nombre de chercheurs depuis la première étude microéconomique sur le sujet, celle de Bernard et Jensen (1995). Au Canada, l'entrée sur les marchés d'exportation dans les années 1990 a été associée à une croissance plus forte de la productivité (Baldwin et Gu, 2004). Les études portant sur d'autres pays n'ont pas produit de résultats uniformes. Un lien similaire a été rapporté pour des pays tels que la Colombie, l'Indonésie, la Corée, la Maroc, la Slovénie, Taiwan, la Turquie et le Royaume-Uni. Mais des résultats contraires sont ressortis pour des pays tels que le Chili, la Chine, l'Allemagne, le Mexique, le Royaume-Uni et les États-Unis 1 .

Ces différences entre pays peuvent provenir de variations dans leurs contextes commerciaux respectifs. Notamment, les nouveaux débouchés ouverts par la libéralisation du commerce et la dépréciation de la monnaie varient d'un pays et d'une période à l'autre. Les résultats positifs pour le Canada durant les années 1990 coïncident avec une période où le pays a bénéficié de nouveaux débouchés considérables sur son principal marché d'exportation, les États-Unis, en raison de la dépréciation de sa monnaie et de la mise en oeuvre de l'Accord de libre-échange Canada-États-Unis (ALE), à compter de 1989, et de celui qui l'a remplacé, l'Accord de libre-échange nord-américain (ALENA), à compter de 1994.

Afin de déterminer l'impact de contextes commerciaux différents sur la dynamique de la participation au marché d'exportation, la présente étude examine dans quelle mesure la relation entre la participation au marché d'exportation et la croissance de la productivité au niveau de l'établissement dans le secteur manufacturier canadien a évolué au cours de trois périodes – la fin des années 1980, le début des années 1990 et la période postérieure à 2000. Ces périodes varient passablement pour ce qui est des nouvelles possibilités d'exportation offertes par le marché américain. Pendant la première période, soit de 1984 à 1990, les droits tarifaires moyens entre le Canada et les États-Unis dans le secteur manufacturier ont diminué de 0,3 point de pourcentage par année par suite des réductions négociées en marge du Cycle de Tokyo, mais les exportateurs canadiens ont dû composer avec l'appréciation du dollar canadien, qui est passé de 0,77 $US en 1984 à 0,86 $US en 1990, soit un gain nominal moyen de 1,4 point de pourcentage par année. Durant la seconde période, soit de 1990 à 1996, les droits tarifaires ont fléchi de 0,6 point de pourcentage par année à la faveur de l'ALE et de l'ALENA, tandis que les possibilités qui s'offraient sur les marchés d'exportation ont été stimulées par la baisse du dollar canadien, qui est tombé à 0,73 $US, soit une dépréciation annuelle moyenne de 2,1 points de pourcentage. Après 2000, le contexte commercial était passablement différent. La plupart des réductions tarifaires prévues dans les traités de libre-échange entre le Canada et les États-Unis étaient déjà entrées en vigueur; parallèlement, les coûts du commerce ont augmenté à cause des frictions à la frontière après le 11 septembre 2001. En outre, le dollar canadien s'est apprécié fortement, passant de 0,67 $US en 2000 à 0,88 $US en 2006, un gain annuel moyen de 3,5 points de pourcentage, sous l'effet de la forte expansion du commerce mondial des ressources, qui a suscité une expansion spectaculaire de l'économie de l'Ouest canadien, axée sur les ressources naturelles.

Le second objectif de l'étude est de situer l'entrée et la sortie sur le marché d'exportation dans le contexte plus vaste du renouvellement des entreprises sous l'effet de l'expérimentation de nouveaux champs d'activité. La plupart des études publiées mettent l'accent sur l'impact de l'entrée sur le marché d'exportation 2 . La présente étude s'intéresse à la façon dont l'entrée et la sortie sur le marché d'exportation influe sur la croissance de la productivité. Le processus d'entrée et de sortie sur le marché d'exportation s'inscrit dans le processus de roulement plus vaste engendré par le renouvellement des entreprises. En analysant la dynamique de l'entrée et de la sortie, l'étude scrute à nouveau la question de savoir si la participation au marché d'exportation engendre une meilleure performance au chapitre de la productivité. Le processus d'entrée et de sortie est, en soi, intéressant parce qu'il révèle des choses au sujet de l'expérimentation de nouveaux marchés, mais aussi parce qu'il montre comment les mouvements à l'entrée et à la sortie du marché d'exportation se traduisent par une meilleure productivité, soit à cause de l'exploitation d'économies d'échelle simples, soit par un effet d'apprentissage lié à l'exportation. Les marchés d'exportation offrent de nouveaux débouchés qui permettent aux entrepreneurs de prendre de l'expansion et d'utiliser de nouvelles technologies et, ainsi, d'améliorer leur productivité. Pour une économie de taille plus modeste, comme celle du Canada, les États-Unis offrent la possibilité de prendre de l'expansion sur un marché plus vaste. L'expansion donne l'occasion d'exploiter les économies d'échelle et de gamme traditionnellement associées à la capacité de croître. Les marchés d'exportation offrent aussi la chance de connaître et de développer des technologies et des produits nouveaux et de devenir ainsi plus innovateurs (Baldwin et Gu, 2004). Le processus d'innovation facilite le transfert, des clients aux fournisseurs, de suggestions d'amélioration (Baldwin et Hanel, 2003). L'expansion des entreprises sur le marché d'exportation les place dans un bassin plus vaste de producteurs qui sera vraisemblablement une source d'idées nouvelles. Baldwin et Gu (2004) affirment que l'entrée sur le marché d'exportation incite les entreprises à adopter des technologies de pointe. L'adoption de ces technologies a été associée à la croissance de la productivité dans les entreprises canadiennes (Baldwin, Sabourin et Smith, 2003; Baldwin et Sabourin, 2004).

Afin d'évaluer l'impact de l'exportation sur la productivité, nous utilisons deux techniques économétriques qui permettent de solutionner les problèmes de sélection dans un échantillon non aléatoire : une régression standard par les MCO qui compare la croissance de la productivité entre exportateurs et non-exportateurs et qui tient aussi compte des caractéristiques des établissements, ainsi qu'une technique d'appariement des coefficients de propension parallèlement à la méthode d'estimation de la différence entre les différences.

Nous nous intéressons à deux séries de questions.

Premièrement, quelles entreprises entrent sur le marché d'exportation et quelles entreprises en sortent? Les établissements performants choisissent-ils eux-mêmes d'entrer sur le marché d'exportation et, à l'inverse, les exportateurs plus faibles choisissent-ils de se retirer du marché d'exportation? Dans la littérature sur l'organisation industrielle, la plupart des études consacrées à l'entrée ont un désavantage : la provenance des nouvelles entreprises est difficile à préciser. Ce n'est pas le cas ici parce que des données sont disponibles sur la performance antérieure à l'entrée ou à la sortie.

Deuxièmement, quelle est la performance des entreprises après l'entrée ou la sortie? Est-ce que le fait d'exporter hausse la croissance de la productivité? Et, dans quelle mesure les entreprises qui sortent subséquemment du marché d'exportation conservent-elles les gains de productivité associés à l'exportation (conformément à la notion de l'« apprentissage par l'exportation »)? De nombreuses études en organisation industrielle portant sur l'entrée ont cherché à établir dans quelle mesure les entrants avaient une bonne performance; cependant, elles tentaient pour l'essentiel de déterminer si ces entreprises avaient une croissance plus rapide par rapport aux entreprises existantes, plutôt qu'au groupe dont elles provenaient. La première comparaison vise à établir s'il serait juste de considérer l'entrée comme l'achat d'une option 3  sur la capacité – puisque les entreprises qui constatent qu'elles ont la capacité requise investiront fortement après l'entrée sur le marché et prendront rapidement de l'expansion pour exploiter cette information. Les travaux publiés sur le commerce s'intéressent davantage à l'idée selon laquelle l'entrée sur le marché d'exportation ouvre de nouveaux débouchés – bien qu'il soit possible de fusionner les travaux publiés dans les deux domaines. L'entrée sur le marché d'exportation ouvre de nouveaux débouchés, mais elle suppose probablement le même genre d'options que celles examinées dans les études classiques sur l'entrée. La différence est que les travaux sur le commerce d'exportation s'intéressent davantage à un autre phénomène – à savoir si la croissance est non seulement rapide après l'entrée mais rapide également par rapport aux conditions qui prévalaient avant l'entrée. Autrement dit, ces études cherchent à établir si l'entrée, en soi, stimule le progrès du fait qu'elle élargit la gamme des possibilités.

La section 2 décrit le cadre analytique dans lequel nous étudions comment l'évolution des conditions d'accès au marché, représentée par les changements dans les droits tarifaires et les taux de change réels, influe sur le processus d'entrée/sortie sur le marché d'exportation et sur la performance relative des exportateurs et des non-exportateurs au chapitre de la productivité. La section 3 présente les données utilisées dans l'étude. La section 4 est consacrée à une comparaison préliminaire de la performance sur le plan de la productivité sur les trois décennies d'adaptation. Elle montre que l'avantage dont ont bénéficié les participants à l'exportation au niveau de la croissance de la productivité au cours des périodes antérieures est disparu après 2000. La section 5 présente les résultats de l'analyse multivariée. Un constat important est que l'évolution des taux de change explique la presque totalité de l'écart dans la performance relative de la productivité d'une période à l'autre et que, une fois neutralisé l'effet des droits tarifaires et des taux de change réels, les participants au marché d'exportation bénéficient d'une croissance plus rapide de la productivité par rapport aux non-participants. À l'aide de techniques d'appariement, nous examinons plus à fond, dans la section 6, deux explications possibles de la meilleure performance des exportateurs sur le plan de la productivité : les effets attribuables à l'autosélection et à l'apprentissage par l'exportation. Enfin, la section 7 renferme nos conclusions.

2   Cadre analytique

Dans cette section, nous décrivons le cadre analytique qui guide l'analyse subséquente de l'impact de la libéralisation du commerce et des changements dans les taux de change sur la dynamique du marché d'exportation et la croissance de la productivité.

2.1  L'impact des réductions tarifaires symétriques

Dans les modèles du commerce international caractérisé par l'hétérogénéité des entreprises (p. ex., Bernard et coll., 2003; Melitz, 2003; Bernard, Jensen et Schott, 2005; Das, Roberts et Tybout, 2007; Melitz et Ottaviano, 2008; Baldwin et Gu, 2009), l'existence de coûts non récupérables liés à une percée sur les marchés d'exportation (comme les coûts de commercialisation initiaux, la mise en place de réseaux de distribution et les démarches visant à satisfaire les exigences de la réglementation étrangère) signifie que les entreprises entreront sur le marché d'exportation seulement si la valeur actualisée des bénéfices attendus de l'exportation dépasse les coûts fixes de l'entrée. Par conséquent, seules les entreprises les plus productives au sein d'une population d'entreprises données auront tendance à entrer sur le marché d'exportation.

Ces modèles engendrent tous une propriété d'équilibre, par laquelle une réduction symétrique des droits tarifaires bilatéraux force les établissements nationaux les moins efficients à sortir du marché (à fermer leurs portes), tandis qu'elle suscite simultanément une expansion des exportations dans les deux directions. Les entreprises qui exportent déjà voient leurs ventes augmenter en raison de la baisse du coût marginal de desservir le marché d'exportation; du même coup, certaines entreprises qui se trouvaient auparavant juste sous le seuil de rentabilité pour l'exportation peuvent maintenant entrer de manière profitable sur ce marché. L'effet de sélection sur le marché intérieur (fermeture des entreprises les moins productives) et l'effet de sélection sur le marché d'exportation (entrée nouvelle d'établissements plus productifs sur le marché d'exportation et ventes accrues à l'exportation pour les exportateurs existants) a pour effet de réaffecter les parts de marché des établissements les moins productifs vers ceux qui le sont davantage, contribuant globalement à un gain de productivité.

Au-delà des gains de productivité engendrés par le réalignement des entreprises au sein d'une industrie, il y a également des gains de productivité internes pour les établissements découlant de la libéralisation des échanges. Bernard et coll. (2003) adaptent le modèle ricardien pour y intégrer un avantage comparatif propre à l'entreprise. Les auteurs calibrent leur modèle à l'aide de statistiques au niveau des établissements et de données sur le commerce pour les États-Unis et simulent l'impact de la mondialisation et de l'appréciation du dollar sur la productivité et l'entrée/sortie d'établissements dans le secteur manufacturier américain. Une diminution des droits tarifaires entraîne une augmentation de la productivité globale. Cela est principalement attribuable aux gains de productivité dont profitent les établissements qui survivent : à mesure que baissent les prix des biens intermédiaires importés, les établissements qui survivent remplacent les intrants produits localement par des intrants importés moins coûteux, ce qui engendre des gains de productivité au sein de l'établissement. Quant à savoir si les exportateurs profitent davantage de cet effet que les non-exportateurs, cela dépend de leur capacité différentielle de remplacer des travailleurs par des biens intermédiaires moins coûteux.

Une autre voie possible par laquelle la libéralisation du commerce engendre des gains de productivité à l'intérieur des établissements (Krugman, 1979) est le lien entre la taille du marché et la croissance de la productivité. La libéralisation des échanges renforce les possibilités de croissance, ce qui mène à des améliorations sur le plan de la productivité. Kaldor (1966, 1975 et 1978) et Verdoorn (1949 et 1980) insistent sur le lien qui existe entre l'expansion d'une industrie et la croissance de la productivité, principalement en raison de la présence d'économies d'échelle. Afin d'exploiter les coûts unitaires moins élevés d'un établissement de plus grande taille, il faut apprendre comment organiser la production à plus grande échelle – un processus qui nécessite plus qu'une simple augmentation des facteurs entrants dans le processus de production. Les grandes entreprises diffèrent des petites entreprises dans leur structure organisationnelle, dans la quantité de capital employé par travailleur et dans le niveau des investissements immatériels qui entrent dans le processus de production. La croissance dépend de la capacité de résoudre les problèmes qui empêchent l'entreprise d'exploiter les avantages liés à l'échelle de production. La théorie de la croissance économique de Scott (1989) met l'accent sur la façon dont l'investissement facilite l'apprentissage. Par ricochet, la croissance facilite l'expérimentation de nouvelles techniques, qui peuvent ensuite être appliquées à la production infra-marginale. Lileeva et Trefler (2007) constatent que la taille du marché compte dans l'optique de l'innovation et, partant, de la productivité.

Le processus d'entrée suppose une expérimentation avec les débouchés qu'offrent de nouveaux marchés, ce qui entraîne non seulement des entrées mais des sorties. Les études sur la dynamique du changement dans les entreprises montrent que les différences dans la réussite éventuelle – mesurée en termes aussi élémentaires que la survie ou la taille relative (part de marché détenue) – sont liées à la mesure dans laquelle les entreprises parviennent à trouver des façons de s'adapter au changement. Les entreprises qui connaissent le plus de succès se différencient des autres par leur capacité d'innovation (Baldwin et Gellatly, 2003). Dans ces études, l'innovation est mesurée par la capacité d'adopter de nouvelles technologies de pointe, de nouveaux produits ou de nouvelles méthodes d'organisation. Mais, au bout du compte, être innovateur exige un ensemble de compétences plus vastes – la souplesse et la capacité nécessaires pour apprendre à reconnaître de nouveaux marchés et assimiler de nouvelles techniques. L'entrepreneuriat est au coeur de ce processus dynamique. Les entrepreneurs doivent pouvoir résoudre tout un éventail de problèmes, et le choix des produits et des marchés figure parmi les plus épineux. La présente étude s'intéresse à un de ces nouveaux marchés pour les entreprises nationales – le marché d'exportation. L'étude reconnaît que toutes les tentatives axées sur des produits ou des marchés nouveaux ne réussiront pas et cherche à déterminer quelles caractéristiques sont liées à la réussite – en d'autres termes, elle scrute à la fois l'entrée et la sortie.

Enfin, l'amélioration de l'accès aux marchés étrangers, favorisée par la libéralisation des échanges, encourage les entreprises non seulement à exporter, mais aussi à investir pour améliorer leur productivité (Lileeva et Trefler, 2007). Les entreprises qui entrent sur le marché d'exportation ont accès à de l'expertise technique, par exemple des produits de conception nouvelle et de nouveaux procédés inspirés des nouveaux concurrents, acheteurs et clients (Baldwin et Gu, 2004). En outre, la vive concurrence qui prévaut sur les marchés internationaux force les établissements à être plus efficients. Les entreprises qui débutent sur le marché d'exportation sont obligées de croître plus rapidement au risque de disparaître.

2.2  L'impact des fluctuations des taux de change

Les modèles du commerce international caractérisés par l'hétérogénéité des entreprises engendrent aussi des prédictions quant à l'impact des changements dans les taux de change sur la dynamique et la productivité des entreprises. Bernard et coll. (2003) ont estimé leur modèle à l'aide de données sur les États-Unis et constaté que l'appréciation du dollar américain hausse la productivité globale du secteur manufacturier dans ce pays. Ce gain se réalise par divers canaux. La baisse des prix relatifs des biens intermédiaires importés suscite le remplacement d'une partie de la main-d'oeuvre par des biens intermédiaires et se traduit par une croissance de la productivité dans les établissements survivants. La réaffectation est aussi importante : le gain découlant de la sortie des producteurs nationaux moins productifs n'est que partiellement annulé par la perte attribuable à la réaffectation de la production au détriment des entreprises plus productives (qui perdent des marchés d'exportation). Bernard et coll. (2003) illustrent comment, même dans un marché très important comme celui des États-Unis, les changements observés dans l'accès à l'échelle mondiale (en raison de la baisse des droits tarifaires ou de mouvements favorables des taux de change) peuvent réaménager de façon substantielle la production et avoir une incidence importante sur la productivité manufacturière.

Comparativement aux États-Unis, le Canada dépend davantage du commerce et des ressources. L'économie canadienne repose plus largement sur l'exportation aux États-Unis de produits liés aux ressources naturelles, come le gaz naturel, le pétrole, les métaux et minéraux et les produits de la forêt et de l'agriculture. Ces biens représentent près de 40 p. 100 des exportations canadiennes. Cela signifie qu'il y a un lien étroit entre les mouvements des prix des produits de base et les fluctuations du dollar canadien (graphique 1). Lorsque les cours internationaux des produits de base ont augmenté après 2002, le dollar canadien s'est apprécié de manière substantielle. Tant l'augmentation des prix des produits de base que la valeur accrue du dollar canadien ont entraîné des gains dans les termes de l'échange (prix à l'importation moins élevés et prix à l'exportation plus élevés), ce qui a nourri encore plus la forte expansion du marché national après 2002, imputable au secteur des ressources (MacDonald, 2008).

Les relations entre les variables représentant le taux de change, les prix des produits de base, les termes de l'échange, le revenu intérieur brut, les dépenses personnelles et l'investissement sont résumées au tableau 1. Au cours des périodes 1984-1990 et 2000-2006, lorsque le dollar canadien s'est apprécié, on a observé simultanément une progression des prix des produits de base, des termes de l'échange, du revenu intérieur brut et de la dépense intérieure; en particulier, les dépenses personnelles en biens semi-durables et l'investissement en structures résidentielles et non résidentielles ont augmenté. C'est la situation contraire que l'on a observée entre 1990-1996, alors que le dollar canadien a reculé et que l'ensemble de ces variables a connu une croissance plus lente.

Par conséquent, durant les périodes où le dollar canadien s'est apprécié sous l'effet des changements des prix des produits de base dans le monde, on devrait pouvoir observer au moins deux effets : une baisse des ventes à l'exportation imputable au fait que la montée du dollar canadien rend les exportations canadiennes plus coûteuses sur le marché américain; cela devrait s'accompagner d'une expansion des marchés intérieurs parallèlement à l'expansion de l'activité économique au pays engendrée par l'exploitation des ressources. Si la croissance est liée à la productivité (soit à cause de rendements d'échelle croissants ou d'incitations accrues à investir et à améliorer l'efficience), nous devrions nous attendre à ce que les établissements tournés vers le marché intérieur connaissent une performance relativement meilleure que les établissements qui exportent au cours des périodes où le dollar canadien s'apprécie.

2.3  Hypothèses

À la lumière de l'analyse qui précède, nous formulons deux hypothèses vérifiables : 

Hypothèse 1 (effet de sélection sur le marché d'exportation) : Les réductions tarifaires ou une dépréciation du dollar canadien (qui a un effet équivalent à une hausse des droits tarifaires au pays et à une baisse des droits tarifaires à l'étranger) rendent les marchés d'exportation plus profitables et, partant, suscitent l'entrée d'un plus grand nombre d'établissements productifs sur le marché d'exportation et réduisent le taux de sortie de ces marchés.

Hypothèse 2 (effet de productivité au niveau de l'établissement) : Les effets des baisses tarifaires et des mouvements des taux de change sur la performance relative de la productivité des participants au marché d'exportation par rapport aux non-participants sont imprécis. Ils dépendent du modèle employé. Si l'établissement remplace de la main-d'oeuvre par des importations moins coûteuses, comme dans le modèle de Bernard et coll. (2003), nous prévoyons que les réductions tarifaires et l'appréciation de la monnaie engendreront des gains de productivité au sein des établissements. Quant à savoir si les exportateurs profitent davantage que les non-exportateurs de ces effets, cela dépend de leur capacité différentielle de remplacer de la main-d'oeuvre par des intrants intermédiaires moins coûteux. Par contre, si la croissance de la productivité a un lien positif avec l'expansion des marchés, soit à cause d'économies d'échelle croissantes ou de changements de comportement liés à la croissance, comme des investissements accrus, nous devrions voir les baisses tarifaires et la dépréciation de la monnaie engendrer une croissance plus forte et des gains de productivité plus élevés dans les établissements participant au marché d'exportation que dans ceux qui n'y participent pas.

3   Les données

3.1  Sources de données

Les données au niveau de l'établissement utilisées dans la présente étude proviennent de l'Enquête annuelle des manufactures (EAM) de Statistique Canada, une base de données longitudinale qui permet de suivre l'évolution des établissements manufacturiers canadiens dans le temps. Nous utilisons l'échantillon complet provenant de l'EAM en incluant à la fois les établissements qui ont rempli la version longue du questionnaire et ceux qui ont rempli la version abrégée 4 . L'information sur la présence ou non sur le marché d'exportation est disponible pour les années 1979, 1984, 1990, 1993, 1996, 1997, 1998 et 1999 dans le cas des établissements qui ont rempli le questionnaire détaillé, et pour toutes les années après 2000 pour l'ensemble des établissements 5 . Nous supposons donc que, pour les périodes 1984-1990 et 1990-1996, les petits établissements (qui ont rempli les questionnaires abrégés) n'étaient pas des exportateurs 6 .

La base de données de l'EAM renferme des renseignements sur les expéditions, la valeur ajoutée, l'emploi, l'âge de l'établissement, les exportations et le secteur industriel. Le secteur industriel correspond à la classification type des industries (CTI) canadiennes à quatre chiffres de 1980, pour 1979 à 1997, et au Système de classification industrielle de l'Amérique du Nord (SCIAM) à dix chiffres après 1997. Dans l'étude, nous utilisons la version CTI de l'EAM pour les périodes 1984-1990 et 1990-1996 et la version SCIAM de l'EAM pour la période postérieure à 2000 (2000-2006). Dans l'ensemble de micro-données pour la période postérieure à 2000, certaines observations ont été inférées. Les micro-observations inférées portent sur des mesures problématiques de la valeur ajoutée relative et de l'emploi. Elles ont donc été retirées de la présente analyse 7 . La productivité du travail est définie par la valeur ajoutée réelle de la production par employé 8 , où le nombre total d'employés est la somme des travailleurs de la production et des travailleurs non affectés à la production.

Les droits tarifaires bilatéraux entre le Canada et les États-Unis sont disponibles pour les années 1980 à 1996 pour 236 industries manufacturières de la classification à quatre chiffres. Ces données sont construites à partir des droits à l'importation par produit. Les produits sont liés à leurs industries primaires de production. Les droits tarifaires moyens d'une industrie sont ensuite calculés en utilisant les valeurs des importations comme facteurs de pondération 9 .

Le taux de change réel propre à l'industrie (ei) est construit à partir du taux de change normal (NER, exprimé en dollars américains par dollar canadien) déflaté par les prix relatifs dans l'industrie aux États-Unis (pui) et au Canada (pci). En d'autres termes : eit=NERt(pci/pui). Le taux de change nominal provient de la base de données CANSIM de Statistique Canada. Les prix pour l'industrie canadienne sont tirés d'une base de données maintenue par la Division de l'analyse économique de Statistique Canada. Il s'agit des prix bruts à la production provenant du système d'entrées/sorties qui couvre 236 industries canadiennes de la classification à quatre chiffres, pour la période de 1973 à 1997. Les prix à la production brute aux États-Unis proviennent des bases de données sur la productivité aux États-Unis du NBER-CES. La base de données du NBER comprend 459 industries manufacturières américaines pour la période 1958-1996. Celles-ci ont été agrégées et appariées aux 236 industries manufacturières canadiennes 10 .

3.2  Trois épisodes d'adaptation

Afin d'examiner les liens entre l'exportation et la croissance de la productivité, nous utilisons trois panels d'établissements exploités de façon continue mais ayant évolué dans des contextes commerciaux différents; le premier correspond à la période 1984-1990, le second, à la période 1990-1996, et le troisième, à la période 2000-2006.

Les trois panels recouvrent donc l'ensemble de la période avant, pendant et après la mise en oeuvre de l'ALE entre Canada et les États-Unis. Les taux tarifaires ont diminué au cours des deux premières périodes, mais les baisses ont été plus importantes durant la seconde période, après l'entrée en vigueur de l'ALE. Pendant la période 2000-2006, les réductions tarifaires entre le Canada et les États-Unis étaient déjà en vigueur. Fait plus important, cette période a été marquée par une appréciation du dollar canadien par rapport au dollar américain qui a rendu les exportations vers le marché américain moins avantageuses.

Les baisses tarifaires entre le Canada et les États-Unis ont été importantes au cours des deux premières périodes, avec une réduction annuelle moyenne des taux de 0,3 point de pourcentage entre 1984 et 1990 et de 0,6 point de pourcentage entre 1990 et 1996 (tableau 2). Le dollar canadien s'est déprécié en termes nominaux à un taux annuel moyen de 2,1 points de pourcentage de 1990 à 1996. Il s'est apprécié à un taux annuel moyen de 1,4 point de pourcentage de 1984 à 1990 et de 3,5 points de pourcentage de 2000 à 2006. Les écarts types des taux de change réels dans l'ensemble des industries sont importants, ce qui indique une variation substantielle des conditions des marchés d'exportation dans les diverses industries. La période mitoyenne, qui se caractérise par des baisses tarifaires relativement fortes et le recul du taux de change, a donc été plus propice à l'exportation que les deux autres périodes, qui montrent des baisses plus limitées ou aucun changement dans les droits tarifaires, s'accompagnant d'une hausse du taux de change.

3.3  Regroupement des établissements selon la transition vers le marché d'exportation

Afin d'examiner les conséquences de la participation au marché d'exportation pour la croissance de la productivité, nous classons les établissements exploités de façon continue durant la période en quatre groupes, selon leur mode de transition sur le marché d'exportation : 

  1. Les non-exportateurs (établissements qui n'exportaient pas au début et à la fin de la période).
  2. Les entrants sur le marché d'exportation (établissements qui n'exportaient pas au début de la période, mais qui exportaient en fin de période).
  3. Les sortants du marché d'exportation (établissements qui exportaient au début de la période, mais qui n'exportaient plus à la fin de période).
  4. Les exportateurs (établissements qui exportaient au début et à la fin de la période).

Nous comparons la performance des deux groupes au chapitre de la productivité; premièrement, les non-exportateurs sont comparés aux entrants sur le marché d'exportation et, deuxièmement, les exportateurs sont comparés aux sortants du marché d'exportation. Si la participation au marché d'exportation signifie une meilleure performance au chapitre de la productivité, nous devrions observer une croissance plus forte de la productivité parmi les entrants, en comparaison des non-exportateurs et parmi les exportateurs par rapport aux sortants.

4   Comparaison de la performance au chapitre de la productivité

4.1  Dynamique du marché d'exportation

La transition des établissements manufacturiers canadiens à l'entrée et à la sortie du marché d'exportation au cours des trois périodes est présentée au tableau 3. Trois faits ressortent. Premièrement, parmi les non-exportateurs au début de la période, seuls environ 10 p. 100 ont percé le marché d'exportation durant la période, tandis que les autres établissements soit sont demeurés non-exportateurs (environ 50 p. 100) soit ont cessé toute activité (environ 40 p. 100). Ces ratios sont similaires pour les trois périodes. Deuxièmement, parmi les établissements qui exportaient au début de la période, plusieurs sont sortis du marché d'exportation et/ou ont échoué, et la proportion des établissements défaillants est allée en augmentant. Parmi les établissements qui exportaient en 1984, environ 19 p. 100 ont quitté le marché d'exportation et étaient devenus des établissements non-exportateurs en 1990. La proportion a augmenté à 26 p. 100 durant la période 1990-1996 et à 28 p. 100 entre 2000 et 2006. Ce qui est plus frappant, parmi les établissements qui exportaient en 1984, environ 18 p. 100 ont cessé toute activité durant la période 1984-1990; le taux d'échec a grimpé à 28 p. 100, puis à 41 p. 100 durant les périodes 1990-1996 et 2000-2006, respectivement. Troisièmement, un pourcentage croissant d'entreprises en démarrage sont présentes sur le marché d'exportation dès leur création (c'est-à-dire qu'elles sont nées en abordant le marché international) : 11 p. 100 des établissements sont entrés directement sur le marché d'exportation au cours de la période 1984-1990; la proportion passe à 14 p. 100 pour la période 1990-1996 et à 38 p. 100 pour la période 2000-2006.

Ces données indiquent qu'il y a eu des mouvements considérables dans le temps quant à la nature du processus d'entrée et de sortie du marché d'exportation, ainsi qu'une proportion croissante d'exportateurs qui ont cessé toute activité. Le processus d'entrée-sortie parmi les établissements exploités de façon continue est demeuré relativement stable. L'étude se concentre uniquement sur le processus d'entrée-sortie des établissements exploités de façon continue.

4.2  Quels établissements participent au marché d'exportation?

La productivité moyenne des établissements ayant eu des transitions différentes sur le marché d'exportation est résumée au tableau 4. Les résultats (colonne 1 du tableau 4) correspondent à un processus d'autosélection : sur les trois périodes, les entrants sur le marché d'exportation sont significativement plus productifs que les non-exportateurs, tandis que les sortants du marché d'exportation sont significativement moins productifs que les exportateurs continuellement en activité. Seuls les établissements plus productifs entrent et demeurent sur le marché d'exportation.

4.3  L'exportation est-elle associée à une meilleure croissance de la productivité?

Les participants à l'exportation n'affichent pas toujours une meilleure croissance de la productivité que les non-participants (colonne 2 du tableau 4). La croissance de la productivité est plus élevée parmi les entrants que parmi les non-exportateurs en activité durant les deux premières périodes (1984-1990 et 1990-1996), mais l'écart devient statistiquement non significatif durant la période 2000-2006. En outre, l'ordre de grandeur de cet écart varie entre les deux premières périodes.

En moyenne, la croissance annuelle de la productivité du travail a été d'environ 5,0 points de pourcentage plus rapide parmi les entrants durant la période 1990-1996, où tant les droits tarifaires que le taux de change diminuaient. Cela se compare à un écart de seulement 2,0 points de pourcentage plus élevé durant la période 1984-1990, où les droits tarifaires diminuaient mais le taux de change augmentait. Des profils similaires ressortent de la comparaison des sortants et des exportateurs continuellement en activité.

Ainsi, la taille de l'écart de croissance de la productivité entre les participants au marché d'exportation et les non-participants varie selon la période examinée. L'écart est le plus grand au début des années 1990 lorsque les nouveaux débouchés sur le marché d'exportation étaient les plus alléchants en raison de l'envergure des réductions tarifaires et de la baisse concomitante du taux de change. La performance supérieure a fléchi à la fin des années 1980, lorsque l'appréciation du dollar canadien a partiellement annulé l'effet des baisses tarifaires. Mais, ce qu'il faut souligner, c'est que l'écart de performance observé devient statistiquement non significatif après 2000 (entre 2000 et 2006), lorsque la principale source d'influence externe sur la compétitivité est l'appréciation du dollar canadien. Le graphique 2 montre l'évolution annuelle moyenne du taux de change nominal entre les États-Unis et le Canada et l'écart de croissance de la productivité entre les participants au marché d'exportation et les non-participants. Les écarts de performance deviennent plus importants à mesure que la valeur du dollar canadien diminue.

5   Résultats de l'analyse multivariée

Afin de comprendre les forces qui sont à l'origine de ces écarts, nous nous tournons vers une analyse multivariée et examinons l'impact des changements tarifaires et des mouvements de taux de change sur la dynamique des établissements. Deux panels d'établissements continus, l'un couvrant la période 1984-1990 et l'autre, la période 1990-1996, ont été rassemblés. Les données du panel de 2000-2006 sont exclues parce que nous n'avons pas de données tarifaires pour cette période. Il n'y a eu presque aucun changement tarifaire entre le Canada et les États-Unis au cours de la période postérieure à l'ALE et à l'ALENA.

5.1  Impact de la dynamique de l'entrée/sortie sur le marché d'exportation

La probabilité d'entrer sur le marché d'exportation ou d'en sortir est estimée à l'aide d'une fonction des changements tarifaires dans l'industrie (Δtit), des changements dans les taux de change réels (Δeit), de la croissance de la production brute réelle de l'industrie (ΔlnQit11  et de caractéristiques propres à l'établissement (ΔZpt0) au début de la période. Pour voir dans quelle mesure le niveau d'efficience d'un établissement influe sur ces relations, nous mettons en interaction les changements dans les droits tarifaires et les taux de change réels et la productivité initiale du travail (LPpt0) et la taille de l'établissement (Lpt0). Le modèle probit permet aussi de neutraliser les effets fixes propres à l'industrie de la classification à trois chiffres (αi) et les effets fixes propres à la période (αt) : 

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Dpt est une variable nominale qui prend la valeur 1 si l'établissement p entre sur le marché d'exportation au cours de la période et la valeur 0 s'il demeure non exportateur. De façon similaire, Dpt est égal à 1 si l'établissement p sort du marché d'exportation durant la période et 0 s'il demeure exportateur. Les variables, Δtit, Δeit, et ΔlnQit sont toutes exprimées en termes de variations annuelles moyennes au niveau de l'industrie de la classification à quatre chiffres. Les caractéristiques propres à l'établissement (Zpt0) englobent la productivité relative (LPpt0, relative à la moyenne de la productivité des établissements dans la même industrie de la CTI à quatre chiffres), l'emploi relatif (Lpt0, relatif à l'emploi moyen), l'âge et la nationalité des propriétaires (nationaux ou étrangers) au début de la période.

Deux questions économétriques doivent être réglées. Premièrement, l'inclusion de termes d'interaction dans des modèles non linéaires, comme le modèle probit, rend l'évaluation et l'interprétation des résultats plus difficile et, dans le passé, a produit de nombreuses estimations inexactes. Ai et Norton (2003) et Norton, Wang et Ai (2004) ont examiné 72 articles publiés entre 1980 et 1999 dans 13 revues économiques inscrites à JSTOR qui avaient utilisé des termes d'interaction dans des modèles non linéaires, et ils ont constaté qu'aucune de ces études n'avait interprété les coefficients des termes d'interaction correctement 12 . Nous mettons l'accent sur les effets marginaux en présentant les résultats. Les effets marginaux pour les termes d'interaction sont calculés selon la formule suivante : 

(2)
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L'effet marginal global d'une variable est : 

(3)
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Tous les effets marginaux sont évalués à la valeur moyenne des covariables.

La probabilité qu'un non-exportateur entre sur le marché d'exportation et la probabilité qu'un exportateur sorte du marché d'exportation sont présentées au tableau 5. Il y a quatre résultats significatifs. Premièrement, les établissements plus productifs, de plus grande taille et plus anciens ont plus de chance d'entrer sur le marché d'exportation et moins de chance d'en sortir. Cela est conforme au processus d'autosélection décrit dans les sections antérieures : les établissements plus grands et plus productifs deviennent des exportateurs performants.

Deuxièmement, c'est le niveau d'efficience d'un établissement qui déterminera si celui-ci change de statut à l'exportation sous l'effet des baisses tarifaires et de l'évolution des taux de change réels : les non-exportateurs plus efficients (mesuré par la taille ou par la productivité du travail) ont plus de chance de commencer à exporter (termes d'interaction négatifs et significatifs), tandis que les exportateurs moins efficients sont plus susceptibles de cesser d'exporter (termes d'interaction positifs et significatifs). Ainsi, le contexte commercial influe sur le degré d'expérimentation.

Troisièmement, les réductions tarifaires canadiennes ont, en moyenne, accru la probabilité que des non-exportateurs entrent sur le marché d'exportation (effets marginaux moyens globaux). Une baisse d'un point de pourcentage des droits tarifaires canadiens hausse la probabilité qu'un non-exportateur commence à exporter d'environ un point de pourcentage. Cela est conforme à la notion selon laquelle la concurrence des importations et l'accès à des intrants intermédiaires importés moins coûteux en raison de l'abaissement des droits tarifaires renforcent l'avantage concurrentiel des établissements manufacturiers canadiens et facilite leur entrée sur le marché mondial. L'impact global des réductions tarifaires (mesuré par les réductions tarifaires canadiennes, les réductions tarifaires américaines ou les réductions tarifaires moyennes) sur la sortie n'est pas statistiquement significatif 13 .

Quatrièmement, une dépréciation réelle du dollar canadien hausse la probabilité que des non-exportateurs commencent à exporter : une diminution d'un point de pourcentage du taux de change réel accroît cette probabilité d'environ un point de pourcentage (effets marginaux moyens globaux). Cela est similaire à l'effet marginal des réductions tarifaires. De même, une appréciation réelle du dollar canadien accroît la probabilité que des exportateurs cessent d'exporter : une augmentation d'un point de pourcentage du taux de change réel accroît cette probabilité d'environ un point de pourcentage.

5.2  Impact sur la croissance de la productivité au sein de l'établissement

Afin d'examiner si des établissements qui se trouvent dans diverses situations par rapport à l'exportation enregistrent une performance différente lorsque le contexte commercial change, nous avons modélisé la croissance de la productivité au niveau de l'établissement en tant que fonction des changements tarifaires (Δtit), des changements des taux de change réels (Δeit), d'une variable nominale indiquant l'état de transition par rapport à l'exportation (Dpt), ainsi que leur interactions. Nous neutralisons la croissance de la production brute réelle au niveau de l'industrie (ΔlnQit) et les caractéristiques propres à l'établissement (Zpt0).

(4)
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Δln(LPpt) est le logarithme de la croissance annuelle moyenne de la productivité du travail dans l'établissement p durant la période t. Toutes les autres variables sont définies comme dans l'équation (1).

Les résultats de la régression sont présentés au tableau 6. Quatre conclusions sont dignes de mention. Premièrement, les établissements qui ont initialement un niveau de productivité plus élevé affichent une croissance de la productivité plus lente, ce qui évoque un retour à la moyenne. Les établissements de plus grande taille contrôlés par des intérêts étrangers montrent une croissance de la productivité plus élevée. Ces résultats sont robustes pour toutes les spécifications et significatifs au seuil de 5 p. 100.

Deuxièmement, s'il n'y avait pas eu de changements dans les droits tarifaires et les taux de change réels, les établissements entrant sur le marchés d'exportation auraient eu un avantage correspondant à une croissance de la productivité plus rapide de 4,0 points de pourcentage sur les non-exportateurs (coefficient positif et significatif pour la variable nominale des entrants), tandis que les établissements sortant du marché d'exportation auraient eu, en moyenne, une croissance de la productivité de 5,7 points de pourcentage plus lente que celle des exportateurs continuellement en activité (coefficient négatif et significatif pour la variable nominale des sortants). Ces résultats sont robustes quelle que soit la spécification.

Troisièmement, les réductions tarifaires (droits tarifaires aux États-Unis, droits tarifaires au Canada ou droits tarifaires moyens) n'ont aucun impact sur la performance moyenne des établissements au chapitre de la productivité, qu'il s'agisse de participants ou de non-participants au marché d'exportation. Cela contraste avec les résultats de Trefler (2004) et de Lileeva (2008) qui ont utilisé le même ensemble de données au niveau de l'établissement (Enquête annuelle des manufactures au Canada) et les taux de droits tarifaires, mais qui ont constaté que les réductions tarifaires aux États-Unis entraînaient des gains de productivité au niveau de l'établissement. La différence se situe dans les périodes d'échantillonnage. Les études de ces auteurs examinent les établissements en exploitation continue entre 1980 et 1996. Il est alors plus probable qu'ils saisissent les avantages à long terme de la libéralisation du commerce et, en particulier, les avantages pour un sous-groupe restreint d'une population qui est habituellement de grande taille, prospère et capable de survivre plus de 15 ans. La présente étude examine la performance des établissements sur des périodes de cinq ans. Il est donc plus probable qu'elle capte des effets à court terme. Élément plus important, elle englobe de nombreux petits établissements et des établissements qui connaissent moins de succès. La taille de notre échantillon (environ 20 000 établissements par période) est deux fois plus importante que celle des échantillons utilisés dans ces études (environ 10 000 établissements). L'impact de la libéralisation du commerce pourrait toucher différemment les petits établissements et les grands. Comme l'ont montré Lileeva et Trefler (2007), les établissements canadiens qui ont profité des baisses tarifaires sont activement engagés dans l'innovation. Ce sont les grands établissements qui ont tendance à être plus innovateurs : les grands établissements ont généralement une plus grande capacité sur les plans financier, de l'information et de l'absorption de la technologie (Baldwin et Gu, 2004; Baldwin, Hanel et Sabourin, 2000; Baldwin et Diverty, 1995). Les réductions tarifaires ont par conséquent un effet positif sur la productivité seulement dans certains établissements.

Quatrièmement, les fluctuations des taux de change réels ont un impact significatif sur l'évolution relative de la productivité des participants et des non-participants au marché d'exportation. Une appréciation réelle du dollar canadien ralentit la croissance de la productivité tant chez les non-exportateurs que chez les entrants, mais sensiblement plus au sein du dernier groupe. En moyenne, une augmentation d'un point de pourcentage du taux de change réel abaisse la croissance de la productivité des non-exportateurs de 0,7 point de pourcentage, comparativement à une baisse de 1,3 point de pourcentage dans les établissements entrés sur le marché d'exportation. Cela semble indiquer un rétrécissement de l'écart de croissance de la productivité entre les non-exportateurs et les entrants lorsque le dollar canadien s'apprécie par rapport au dollar américain. L'augmentation spectaculaire de la valeur réelle du dollar canadien pendant la période 2000-2006 (un taux annuel moyen de 5,5 points de pourcentage) explique pourquoi la différence observée dans la croissance de la productivité entre les entrants et les non-exportateurs devient plus faible et statistiquement non significative durant cette période. Si le taux de change avait augmenté de 6,7 points de pourcentage par an, la performance supérieure des entrants par rapport aux non-exportateurs serait tombée à zéro.

De façon similaire, une appréciation réelle du dollar canadien abaisse la croissance de la productivité tant chez les sortants que chez les exportateurs continus, mais sensiblement plus dans ce dernier groupe. En moyenne, une augmentation d'un point de pourcentage du taux de change réel réduit la croissance de la productivité des exportateurs continus de 0,8 point de pourcentage, comparativement à seulement 0,2 point de pourcentage pour les établissements qui ont quitté le marché d'exportation. Lorsque le dollar canadien s'apprécie par rapport au dollar américain, l'écart de croissance de la productivité entre les exportateurs continus et les sortants se referme. Au cours de la période postérieure à 2000, le taux de change réel a augmenté de 5,5 points de pourcentage; cela a été suffisant pour refermer l'écart entre les exportateurs continus et les sortants de 3,0 points de pourcentage.

Afin d'évaluer si ces impacts ont une signification économique, nous avons fait une expérience contrefactuelle (tableau 7) en procédant comme suit. Premièrement, nous supposons qu'il n'y a aucun changement dans les droits tarifaires et les taux de change. Dans ce scénario, les résultats du tableau 6 indiquent que les entrants auraient profité d'un avantage de 4,1 points de pourcentage par rapport aux non-exportateurs en termes de croissance annuelle moyenne de la productivité du travail, tandis que les sortants auraient tiré de l'arrière sur les exportateurs continuellement en activité par une marge de 5,7 points de pourcentage. Ces écarts de croissance de la productivité traduisent des facteurs autres que les changements dans les droits tarifaires et les taux de change réels, indiquant soit des différences inhérentes entre les participants au marché d'exportation et les non-participants, ou un effet possible d'apprentissage par l'exportation. Deuxièmement, nous calculons la prévision des écarts induits par les variations dans les droits tarifaires et les taux de change réels. Les écarts prédits sont estimés à l'aide des effets marginaux présentés au tableau 6 et des changements réels dans les droits tarifaires et les taux de change réels, tirés du tableau 2. Puisque les effets marginaux des droits tarifaires ne sont pas statistiquement différents de zéro, les écarts prédits attribuables aux réductions tarifaires sont fixés à zéro par hypothèse. Troisièmement, nous comparons les écarts prédits et réels de la croissance, ce qui englobe à la fois la comparaison au sein de l'échantillon (périodes 1984-1990 et 1990-1996) et une comparaison hors échantillon (période 2000-2006).

Nous constatons que les fluctuations dans les taux de change réels expliquent la presque totalité des mouvements dans les écarts de croissance de la productivité entre les participants et les non-participants au marché d'exportation sur les trois périodes. Dans le cas des entrants sur le marché d'exportation et des non-exportateurs, la baisse du taux de change réel a gonflé l'avantage relatif des entrants par une marge de 1,2 point de pourcentage sur la période 1990-1996, mais la performance supérieure au chapitre de la productivité des entrants a été annulée partiellement durant la période 1984-1990 et presque entièrement durant la période postérieure à 2000, par suite de l'appréciation du dollar canadien. Dans le cas des sortants et des exportateurs continuellement en activité, une baisse du taux de change réel a accru l'écart de croissance de la productivité d'un point de pourcentage durant la période 1990-1996, mais l'appréciation survenue durant les périodes 1984-1990 et 2000-2006 a refermé l'écart de 0,85 point de pourcentage et de 2,96 points de pourcentage, respectivement.

6   Effets attribuables à l'autosélectionou à l'apprentissage par l'exportation

Bien que la différence observée dans la croissance de la productivité des participants et des non-participants au marché d'exportation varie systématiquement sur les trois périodes, elle demeure néanmoins positive après avoir tenu compte des changements survenus dans les droits tarifaires et les taux de change réels. Les établissements qui ont réussi à entrer sur le marché d'exportation font mieux.

La documentation indique qu'il y a au moins deux explications théoriques au fait que les exportations aient une corrélation positive avec la croissance de la productivité. L'une est l'hypothèse de l'autosélection : les établissements de plus grande taille, plus productifs et plus innovateurs choisissent d'eux-mêmes de participer au marché d'exportation. Ces établissements ont une probabilité plus élevée de réussir et d'avoir une croissance élevée de la productivité en général, avant et après leur entrée. L'autre explication est l'hypothèse de l'apprentissage par l'exportation. Exporter pourrait améliorer la productivité du fait que l'expansion sur les marchés étrangers offre des possibilités d'augmenter la taille de l'établissement et d'apprendre comment exploiter les économies d'échelle, de même que des possibilités de se familiariser avec des technologies et des produits nouveaux et de devenir plus innovateur (voir Baldwin et Gu, 2004). La pression intense de la concurrence internationale force également les établissements à améliorer leur efficience. Dans ce cas, la meilleure performance au chapitre de la productivité est imputable à divers effets d'apprentissage.

La section 5.2 montre que les exportateurs enregistrent une croissance plus élevée de la productivité même lorsqu'on neutralise les caractéristiques des établissements comme la taille et la productivité. Mais l'analyse de régression utilisée à cette fin pourrait poser un problème de biais de sélection. La variable binaire qui rend compte de la différence entre les deux échantillons est essentiellement calculée comme étant l'effet à la moyenne de la population – qui regroupe tant les exportateurs que les non-exportateurs. Comparer la moyenne des exportateurs à la moyenne de la population entière pourrait produire des estimations biaisées de l'effet de l'exportation si le groupe exportateur est choisi de façon non aléatoire.

Dans la présente section, nous utilisons une méthode d'appariement fondée sur les coefficients de propension pour choisir l'échantillon qui constituera le groupe témoin afin de réduite l'effet d'un éventuel biais de sélection. Cette approche a récemment été appliquée à l'analyse des exportations et de la performance des entreprises (Wagner, 2002; Girma et coll., 2004; De Loecker, 2007) pour tester un lien de causalité entre la participation à l'exportation et la productivité.

6.1  Méthodologie

Nous devons estimer la différence entre la croissance de la productivité des établissements dont le statut à l'exportation a changé (qui sont entrés sur les marchés d'exportation ou qui en sont sortis) et les résultats pour ces mêmes établissements s'ils n'avaient pas changé de statut. Le dernier résultat est une hypothèse contrefactuelle non observée.

L'appariement des coefficients de propension est une façon de construire cette hypothèse contrefactuelle. À partir d'un bassin de non-exportateurs ou d'exportateurs continuellement en activité, cette technique nous permet de choisir des établissements qui partagent des caractéristiques semblables avec des établissements dont le statut à l'exportation a changé, et de calculer la différence de croissance de la productivité entre les deux groupes – les établissements dont le statut a changé (les établissements « traités » ) et ceux dont le statut n'a pas changé (le groupe témoin des établissements « non traités ») 14 . Si le processus d'appariement réussit, une interprétation causale pourra être donnée à la différence moyenne observée dans la croissance de la productivité entre le groupe traité et le groupe témoin.

Le groupe témoin est créé à partir de caractéristiques observables des établissements telles que la taille, la productivité du travail, l'âge, la propriété, ainsi que d'autres facteurs qui pourraient influer sur les résultats qui nous intéressent au sein du groupe traité, par exemple les changements tarifaires au niveau de l'industrie, les taux de change réels, la production et les effets propres à l'industrie. Techniquement parlant, on procède en jumelant des établissements traités et des établissements témoins ayant un coefficient de propension identique ou très similaire afin d'identifier, au sein du groupe témoin, un ensemble d'établissements similaires à ceux qui ont reçu le traitement, défini ici comme étant l'entrée sur le marché d'exportation ou la sortie de ce marché. Le coefficient de propension est la probabilité prédite de l'entrée ou de la sortie sur le marché d'exportation. Elle fusionne l'ensemble des caractéristiques qui déterminent si un établissement est entré sur le marché d'exportation ou en est sorti, à un seul coefficient composite qui sert à identifier des établissements au sein du groupe témoin qui sont similaires à tous les égards à ceux traités, sauf qu'ils n'ont pas reçu le traitement (c.-à-d. dont la situation par rapport au marché d'exportation n'a pas changé).

La technique de l'appariement à l'aide de coefficients de propension permet de neutraliser la sélection en restreignant la comparaison aux différences entre les établissements traités et les établissements témoins qui ont des caractéristiques observables similaires. Toutefois, cette méthode demeure vulnérable à des problèmes de biais de sélection non aléatoire en raison de la présence possible de caractéristiques non observables au sein du groupe traité. Pour solutionner ce problème, nous utilisons également une méthode de calcul de la différence entre les différences qui permet de neutraliser l'effets des caractéristiques non observables qui ne varient pas dans le temps.

La combinaison de l'approche de l'appariement et de celle de la différence entre les différences nous permet d'établir s'il y a une divergence dans les sentiers de croissance de la productivité entre les établissements dont la situation à l'exportation a changé et les établissements correspondants du groupe témoin qui ont des attributs observables et non observables similaires, mais constants.

6.2  Résultats

Afin d'éviter une juxtaposition des effets liés à l'entrée sur le marché d'exportation ou à la sortie de ce marché, nous avons exclu les établissements dont la situation par rapport à l'exportation avait changé au cours d'une période antérieure. Les entrants sur le marché d'exportation et les non-exportateurs sont définis come suit : les établissements qui n'exportaient pas au cours de la période 1984-1990 mais qui ont commencé à exporter durant la période 1990-1996 sont classés comme de nouveaux exportateurs; les non-exportateurs sont les établissements qui n'exportaient pas durant la période 1984-1990 ni durant la période 1990-1996. De même, les anciens exportateurs et les exportateurs continuellement en activité sont définis comme suit : les établissements qui exportaient durant la période 1984-1990 mais qui ont cessé d'exporter durant la période 1990-1996 sont classés comme d'anciens exportateurs; les exportateurs continuellement en activité sont les établissements qui exportaient tant durant la période 1984-1990 que durant la période 1990-1996.

Les résultats de l'estimation probit utilisés dans l'approche des coefficients de propension pour déterminer la probabilité de l'entrée ou de la sortie sur le marché d'exportation durant la période 1990-1996 sont présentés au tableau 12 15  . La probabilité d'entrer sur le marché d'exportation ou d'en sortir durant cette période dépend des caractéristiques de l'établissement au début de la période et des changements survenus dans les droits tarifaires, les taux de change et la croissance des expéditions réelles de l'industrie. Ces équations sont ensuite utilisées pour calculer un coefficient qui servira à choisir un ensemble d'établissements correspondants au sein du groupe témoin.

Afin d'évaluer la qualité de l'appariement à l'aide des coefficients de propension, nous vérifions la présence d'un écart significatif pour chaque prédicteur utilisé dans le modèle probit entre le groupe traité et le groupe témoin. Avant l'appariement, on s'attend à observer des différences, mais après, il ne devrait y avoir aucune différence significative si les covariables sont équilibrées. Si les tests effectués pour l'un ou l'autre des prédicteurs font ressortir une différence significative entre les unités traitées et témoins, nous modifions le modèle probit en ajoutant des termes de rang plus élevés pour les covariables. Le tableau 8 montre que toutes les différences après l'appariement sont petites et statistiquement non significatives.

Sur une population de 7 539 non-exportateurs, 1 410 ont été choisis pour leur bonne correspondance avec les 1 410 nouveaux exportateurs. De façon similaire, sur une population de 1 853 exportateurs continuellement en activité, 402 ont été retenus pour leur bonne correspondance avec les 403 établissements qui ont cessé d'exporter. Ainsi, environ le cinquième des non-exportateurs (ou des exportateurs continuellement en activité) est censé présenter des caractéristiques observables similaires à celles des établissements qui sont subséquemment entrés sur le marché d'exportation (ou qui en sont sorties) (tableaux 9 et 10).

Les premiers résultats intéressants sont les différences moyennes observées au niveau de la croissance de la productivité du travail dans les échantillons appariés, après avoir neutralisé les différences moyennes initiales avant le changement de statut à l'exportation (colonne 3 des tableaux 9 et 10). Les résultats révèlent un effet causal de la participation au marché d'exportation sur la croissance de la productivité. La productivité dans les établissements qui sont entrés sur le marché d'exportation a progressé de 3,2 p. 100, tandis que la productivité dans les établissements similaires qui sont demeurés exclusivement sur le marché intérieur a connu une croissance négative de 0,8 p. 100 (tableau 9). Les établissements qui ont commencé à exporter ont donc profité d'un avantage de quelque 4 points de pourcentage au chapitre de la croissance de la productivité par rapport au groupe témoin. Les établissements qui sont sortis du marché d'exportation ont enregistré une croissance de la productivité inférieure à celle des établissements qui avaient une probabilité équivalente de sortir du marché d'exportation mais qui ne l'ont pas fait. Notamment, la croissance de la productivité est beaucoup plus lente au cours de la période où il y a sortie. Les établissements qui sont sortis du marché d'exportation ont subi une perte de productivité de 6,8 p. 100, tandis que les établissements similaires qui sont demeurés présents sur le marché d'exportation ont bénéficié d'une croissance de la productivité de 0,3 p. 100 (tableau 10). Cela se solde par un désavantage de 7,1 points de pourcentage pour les établissements qui ont cessé d'exporter en comparaison du groupe témoin. Ces différences sont toutes statistiquement significatives au seuil de 5 p. 100.

7   Conclusion

La croissance de la productivité dans une économie mondialisée est sensible à la nature de la réaction des différents producteurs aux événements qui touchent le système commercial mondial, y compris les changements dans les droits tarifaires découlant de la libéralisation du commerce et les mouvements de taux de change. La présente étude examine comment l'entrée sur le marché d'exportation ou la sortie de ce marché influe sur la croissance de la productivité, et comment l'entrée et la sortie sont elles-mêmes influencées par l'évolution du contexte commercial, représentée par les variations des taux tarifaires et des taux de change réels. L'étude examine l'expérience des entreprises manufacturières canadiennes sur trois périodes distinctes, qui représentent des combinaisons différentes de changements dans les taux tarifaires et de tendances des taux de change réels.

L'étude confirme des résultats obtenus antérieurement. Les établissements choisissent eux-mêmes d'entrer sur le marché d'exportation – autrement dit, les établissements plus efficients ont une plus grande probabilité d'entrer sur le marché d'exportation et une probabilité moindre d'en sortir. Mais on a constaté que le contexte commercial avait une incidence sur le degré d'expérimentation. Les réductions tarifaires et la dépréciation de la monnaie accroissent la probabilité que des non-exportateurs plus efficients entreront sur le marché d'exportation. La dépréciation de la monnaie accroît aussi la probabilité que des exportateurs moins efficients cesseront d'exporter.

L'étude révèle par ailleurs que les entrants sur le marché d'exportation améliorent leur performance au chapitre de la productivité par rapport à la population d'où ils proviennent. Cette observation est robuste quelle que soit la technique d'estimation employée. La première consistait en une régression par les MCO de la croissance de la productivité en tenant compte des caractéristiques de l'établissement. La seconde était une technique d'appariement des coefficients de propension liée à la méthode de la différence entre les différences. Les deux ont fait ressortir que les établissements qui entrent sur le marché d'exportation ont une plus forte croissance de la productivité (d'environ 4 points de pourcentage dans les deux cas) que celles qui ne le font pas. De façon similaire, les établissements qui sortent du marché d'exportation affichent une croissance de la productivité plus lente que les entreprises similaires qui sont demeurées présentes sur le marché d'exportation (un écart de 5,7 points de pourcentage selon l'analyse multivariée et de 7,1 points de pourcentage selon l'analyse de l'appariement des coefficients de propension).

Cette différence provient d'un certain nombre de sources. L'effet d'autosélection découle du fait que ce sont les meilleurs établissements qui participent au marché d'exportation et qui pourraient être les plus aptes à apprendre après leur entrée sur ce marché. L'effet d'apprentissage sur le tas (la participation à l'exportation facilite la croissance) pourrait aussi engendrer des gains sur le plan de la productivité. Et, bien entendu, le marché d'exportation peut être plus concurrentiel dans la mesure où il force les établissements qui connaissent du succès à faire plus d'efforts pour refermer l'écart avec les entreprises déjà présentes sur ce marché pour éviter d'en être expulsées.

L'avantage sur le plan de la croissance de la productivité dont bénéficient, dans des circonstances normales, les participants au marché d'exportation est renforcé ou atténué par des événements macroéconomiques tels que les fluctuations des taux de change. Les participants au marché d'exportation bénéficient d'une meilleure croissance de la productivité que les non-participants lorsque la monnaie se déprécie. La performance supérieure des nouveaux exportateurs canadiens ou des exportateurs continuellement en activité s'est accentuée au cours de la période 1990-1996, lorsque le dollar canadien perdait de la valeur. Cependant, l'avantage a diminué durant les périodes (1984-1990 et 2000-2006) lorsque le dollar canadien s'appréciait. En particulier, l'augmentation spectaculaire de la valeur du dollar canadien pendant la période postérieure à 2000 a complètement annulé les avantages dont bénéficiaient les participants au marché d'exportation. Notre exercice contrefactuel montre que les fluctuations des taux de change réels expliquent la presque totalité des mouvements dans les écarts de croissance de la productivité observés entre les participants et les non-participants au marché d'exportation durant cette période.