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  1. Introduction
  2. Déterminants du travail autonome
  3. Données et méthodes
  4. Résultats
  5. Discussion et conclusion
  6. Annexe : changements dans les fonctions de gains du travail autonome et d'un emploi rémunéré

1   Introduction

L'entrepreneuriat chez les immigrants a longtemps représenté une caractéristique importante des marchés du travail de nombreux pays industrialisés. Les immigrants sont représentés de façon disproportionnée au chapitre du travail autonome par rapport aux personnes nées au pays, comme le montrent les données pour les États-Unis (Lofstrom, 2002; Borjas, 1986), la Suède (Hammarstedt, 2001), le Danemark (Andersson et Wadensjö, 2004) et le Canada (Li, 1997). Il a été démontré que le travail autonome représente un facteur important de la réduction du chômage chez les immigrants, de la création d'emplois et du développement d'entreprises innovatrices (Andersson et Hammarstedt, 2010). Même si les vastes recherches sur ce sujet soulignent l'importance du travail autonome pour l'intégration économique des immigrants, la plupart des études ont été axées sur les immigrants de la première génération. On ne sait pas bien ce qui motive les enfants d'immigrants à devenir des entrepreneurs, ni s'ils le font pour les mêmes raisons que leurs parents.

La confirmation des déterminants du travail autonome est essentielle pour comprendre les cheminements multidimensionnels de l'intégration économique des enfants d'immigrants nés au Canada (c.-à-d. de la deuxième génération). La plupart des études portant sur la deuxième génération ont été axées sur le niveau de scolarité et les résultats au chapitre de l'emploi rémunéré de cette génération. Par conséquent, on sait peu de choses au sujet des déterminants et des caractéristiques du travail autonome dans ce groupe de même qu'au sujet des répercussions du travail autonome sur l'intégration au marché du travail.

Même si les difficultés sur le marché du travail rémunéré tendent à être un facteur important qui motive les immigrants de première génération à travailler de façon autonome, il se peut que la deuxième génération le fasse pour d'autres raisons, par exemple, les aspirations à l'entrepreneuriat ou le parti pris pour l'autonomie et le contrôle de la vie personnelle et du travail au quotidien. Ces différences générationnelles d'intentions peuvent être le résultat de changements dans les critères de réussite : pour les parents immigrants, la réussite se mesure souvent en fonction de leurs antécédents, tandis que pour la deuxième génération, elle se mesure par rapport à la réussite de leurs homologues de la société d'accueil dominante (Fernandez-Kelly et Konczal, 2005). Les expériences différentes des immigrants et de leurs enfants nés dans le pays hôte représentent une considération importante à cet égard. Au Canada, la deuxième génération a grandi en ayant une bonne connaissance d'une des langues officielles ou des deux, a été scolarisée dans le système d'éducation canadien et a été exposée aux normes et aux valeurs dominantes. Par ailleurs, les immigrants de la deuxième génération au Canada ont tendance à atteindre des niveaux de scolarité plus élevés que les enfants des parents nés au Canada; on s'attendrait donc à ce que la deuxième génération d'immigrants et les enfants de parents nés au Canada aient un accès égal aux débouchés économiques. Il est très plausible que des facteurs de « poussée », comme le chômage et les obstacles linguistiques, ainsi que des facteurs d'« attraction », comme les ressources ethniques, ne jouent pas un rôle prépondérant dans la décision de la deuxième génération d'immigrants de travailler de façon autonome.

Dans un document d'accompagnement, il est déterminé que les hommes de la deuxième génération (les fils nés au Canada de parents immigrants) avaient un taux de travail autonome plus faible en 2006 que celui de leurs pères immigrants en 1981 (Hou et coll., 2011). Toutefois, lorsque l'on applique des variables de contrôle tenant compte des changements dans les facteurs démographiques, et plus particulièrement des taux de nuptialité, de la présence d'enfants, et des années d'expérience de travail, on voit que le taux de travail autonome est à peu près le même pour les hommes de la deuxième génération et pour leurs pères. Cette variation intergénérationnelle du taux de travail autonome n'est pas propre à la deuxième génération. Lorsque les changements dans les facteurs sociodémographiques sont pris en compte, l'écart générationnel entre les taux de travail autonome des parents immigrants et ceux de la deuxième génération est à peu près le même que celui entre les taux des parents nés au Canada et ceux de leurs enfants. Contrairement au changement des taux de travail autonome des fils par rapport à ceux de leurs pères, on note que les taux de travail autonome des filles ont augmenté par rapport à celles de leurs mères, peu importe le statut d'immigrante des mères.

Au moyen de la même approche de cohorte générationnelle que celle utilisée dans le document d'accompagnement, le présent document compare les corrélats du travail autonome chez les immigrants et chez les personnes nées au Canada de différentes générations. L'accent est mis sur la mesure dans laquelle la probabilité de travailler de façon autonome est associée aux : i) différences entre les gains attendus d'un travail autonome et d'un emploi rémunéré; ii) difficultés sur le marché du travail; et iii) enclaves ethniques. Ces trois ensembles de variables tirent leur fondement des approches théoriques distinctes de l'entrepreneuriat chez les immigrants.

Trois questions sont abordées dans le document : 1) Les facteurs de « poussée » et d'« attraction » sont-ils associés de façon similaire à la probabilité de travailler de façon autonome chez les parents immigrants et chez les parents nés au Canada? 2) Les facteurs de « poussée » et d'« attraction » sont-ils associés de façon similaire à la probabilité de travailler de façon autonome chez les enfants d'immigrants et chez les enfants de parents nés au Canada? 3) Les immigrants et les personnes nées au Canada connaissent-ils les mêmes changements générationnels dans les corrélats du travail autonome?

L'analyse laisse supposer que les difficultés sur les marchés du travail locaux ont eu un effet de « poussée » plus grand sur le travail autonome chez les pères immigrants que chez les pères nés au Canada, tandis que les différences entre les gains attendus ont eu un effet plus faible sur les pères immigrants que sur les pères nés au Canada. Parmi la génération suivante, les enfants d'immigrants et les enfants de personnes nées au Canada étaient davantage visés par les différences entre les gains attendus que ne l'étaient leurs parents, tandis que les difficultés sur le marché du travail local ne constituaient pas un facteur significatif. La concentration locale d'un groupe ethnique, c'est-à-dire la présence d'une enclave ethnique, ne comportait pas d'association positive avec les taux de travail autonome chez les immigrants et leurs enfants.

Le reste du document est divisé en quatre sections. Dans la section 2, on passe en revue les ouvrages publiés sur le travail autonome des immigrants; cette section fait ressortir trois principales approches théoriques à ce sujet. Dans la section 3, les sources de données et les méthodes utilisées dans le document sont abordées. Les résultats de la section 4 sont présentés dans deux sous-sections. L'estimation des différences entre les gains d'un travail autonome et d'un emploi rémunéré et les tendances de ces différences sont présentées dans la section 4.1. Compte tenu de l'importance de cette question et de la complexité méthodologique, un examen détaillé est justifié. Les facteurs liés à la probabilité de travail autonome (y compris les différences entre les gains attendus) sont présentés dans la section 4.2. Des conclusions suivent, à la section 5.

2   Déterminants du travail autonome

En économie, le recours au travail autonome est souvent perçu comme un choix rationnel, les personnes choisissant un emploi rémunéré ou un travail autonome selon ce qui présente la plus grande utilité pour eux (p. ex., Borjas et Bronars, 1989; Evans et Jovanovic, 1989; Fairlie et Meyer, 1996). Une part importante du calcul de l'utilité est l'augmentation des gains à laquelle une personne s'attend lorsqu'elle passe d'un type d'emploi à l'autre. La probabilité du lancement d'une entreprise augmente en même temps que les gains attendus liés à un travail autonome. Des études empiriques menées en Amérique du Nord et en Europe ont déterminé que les hausses des gains attendus comportent une association étroite avec la probabilité de travail autonome pour la population en général, les minorités ethniques et les immigrants (Clark et Drinkwater, 2000; Fairlie et Meyer, 1996; Hammarstedt, 2006; Johansson, 2000; et Taylor, 1996). Toutefois, il reste encore à déterminer si les immigrants et les personnes nées au pays voient les hausses des gains attendus de la même façon. Autrement dit, on ne sait pas clairement si l'ampleur des hausses des gains attendus qui fait en sorte que le travail autonome devient l'option privilégiée est similaire pour les deux groupes. Des comparaisons des immigrants et des personnes nées au pays facilitent aussi l'interprétation des résultats analytiques. À partir du cadre d'utilité, certains analystes interprètent une association positive entre les hausses des gains attendus et le travail autonome chez les immigrants comme une indication que la faible rémunération rend le travail autonome particulièrement attrayant pour ce groupe (Clark et Drinkwater, 2000; Hammarstedt, 2006). Toutefois, une telle interprétation est indéfendable si une association similaire est observée chez les personnes nées au pays. Dans l'ensemble, l'approche du choix rationnel souligne les hausses relatives qui « attirent » les personnes vers le travail autonome.

Une autre approche est axée sur les facteurs susceptibles de « pousser » des personnes à avoir un travail autonome. Selon la théorie du désavantage, des facteurs comme le chômage, les faibles rendements du travail rémunéré, les obstacles linguistiques et la discrimination nuisent aux résultats des immigrants au chapitre de l'emploi rémunéré, ce qui en motive certains à trouver d'autres débouchés, grâce au lancement d'une entreprise (Light, 1979; Model et Lapido, 1996; Moore, 1983).

À partir de données de différents pays, van Tubergen (2005) a déterminé que les taux de travail autonome des immigrants étaient plus élevés dans les pays où les taux de chômage parmi les personnes nées au pays étaient élevés et que le taux de travail autonome d'un groupe d'immigrants dans un pays comporte une corrélation positive avec les taux de chômage de ce groupe. Toutefois, van Tubergen (2005) n'a pas trouvé que les taux de travail autonome étaient plus élevés chez les immigrants des pays où ceux-ci ont davantage de difficulté à transférer leur capital humain au marché du travail. L'étude menée par Teixeira (2001) au sujet des entrepreneurs noirs et portugais à Toronto laisse supposer que les Noirs sont plus susceptibles que les Portugais de déclarer le manque d'emplois et le chômage comme raisons de travailler de façon autonome, même si la tradition familiale et l'orientation commerciale sont les raisons les plus importantes citées par les deux groupes.

Certaines études permettent de vérifier la théorie du désavantage en examinant l'association entre les différences au niveau du groupe dans les taux de travail autonome et le statut socioéconomique. Aux États-Unis, Fairlie et Meyer (1996) ont montré que les taux de travail autonome sont plus élevés chez les groupes ethniques et raciaux plus avantagés, comme en font foi leurs caractéristiques au niveau des gains. D'autres études évaluent la théorie du désavantage en comparant les différences entre les gains d'un travail autonome et d'un emploi rémunéré. Par exemple, au Canada, Li (2000) a démontré que les nouveaux immigrants qui sont des travailleurs autonomes ont gagné beaucoup moins que leurs homologues occupant un emploi rémunéré, une fois prises en compte les différences dans les caractéristiques observables. Selon Li, cela implique que les immigrants récents font probablement face à des obstacles au chapitre de l'emploi rémunéré et se tournent par conséquent vers le travail autonome. Toutefois, Li n'a pas déterminé si les mêmes tendances ressortaient chez les non-immigrants. Aux États-Unis, Georgarakos et Tatsiramos (2009) ont fourni des preuves laissant supposer que le travail autonome est plus susceptible d'être une étape transitoire entre le chômage et un emploi rémunéré pour les immigrants mexicains et autres immigrants d'origine hispanique que pour les Blancs non hispaniques.

Outre les explications de la « poussée » et de l'« attraction » du travail autonome dont il est question précédemment, le rôle des « ressources ethniques » est un thème dans les ouvrages de recherche publiés. Selon l'hypothèse du marché protecteur, les propriétaires d'entreprises ethniques ont un avantage concurrentiel lorsqu'ils servent les marchés ethniques, en raison de leur connaissance intime des besoins et des goûts culturels de leurs clients (Aldrich et Waldinger, 1990; Evans, 1989; Fairlie et Meyer, 1996). Par ailleurs, il se peut que les immigrants puissent obtenir plus facilement du capital financier dans leur propre communauté ethnique, comme le montrent les associations de crédit tournant coréennes aux États-Unis (Light et coll., 1990). La mesure la plus courante des ressources ethniques est l'enclave ethnique, définie comme la concentration de membres de la même ethnie dans une région locale (Sanders et Nee, 1987). Borjas (1986), par exemple, a montré que les taux de travail autonome chez les immigrants hispaniques étaient plus élevés dans les villes comptant des concentrations plus fortes d'Hispaniques.

Même si les enclaves ethniques peuvent fournir un bassin de consommateurs et d'autres ressources pour le travail autonome, elles peuvent aussi nuire au développement des entreprises ethniques (Aldrich et Waldinger, 1990). Le manque de diversité dans les compétences et les types d'entreprises chez un groupe ethnique peuvent faire augmenter la concurrence pour le même marché, ce qui rend le travail autonome moins attrayant (Lieberson, 1980). Selon Yuengert (1995), le bassin de clientèle des entreprises ethniques est assez petit, même dans le cas des grands groupes, et une augmentation de la proportion de membres de la même ethnie dans le groupe dans une région géographique peut intensifier la concurrence. En fait, certaines études américaines et européennes montrent une relation négative entre la part que représente un groupe ethnique dans une région géographique et les taux de travail autonome (Clark et Drinkwater, 2000; Kahanec et Mendola, 2009; van Tubergen, 2005; Yuengert, 1995). Razin et Langlois (1996) ont déterminé que le taux de travail autonome chez les groupes immigrants et ethniques a tendance à être plus bas dans les grands centres urbains au Canada que dans les régions métropolitaines périphériques, où la concurrence de membres de la même ethnie est probablement plus faible.

Parmi ces trois approches théoriques, c'est peut-être la théorie du désavantage qui produit les hypothèses les plus claires concernant les différences dans les raisons qui motivent les immigrants et leurs enfants à travailler de façon autonome. De façon plus particulière, les enfants d'immigrants ont obtenu leurs titres de compétence dans des établissements canadiens et ont des niveaux de scolarité plus élevés et de meilleures compétences en langues officielles que leurs parents, ce qui fait qu'ils disposent d'un plus grand nombre de débouchés au chapitre de l'emploi rémunéré et qu'ils sont moins susceptibles d'être « poussés » vers le travail autonome que leurs parents. Par ailleurs, les enfants d'immigrants ne sont pas concentrés dans des industries ou des professions ethniques, comme c'était le cas pour leurs parents, et ils ont des résultats sur le marché du travail similaires à ceux de la troisième génération et des générations subséquentes (Kasinitz et coll., 2008; Picot et Hou, 2011). Par ailleurs, même parmi la population de travailleurs autonomes, une étude au sujet d'entrepreneurs turcs de la deuxième génération aux Pays-Bas fait ressortir un abandon des créneaux ethniques traditionnels et l'entrée dans des secteurs émergents, y compris les technologies de l'information, les communications et les industries créatives (Baycan-Levent et coll., 2009). Les enclaves ethniques et les ressources ethniques peuvent aussi jouer un moindre rôle dans les décisions que les enfants d'immigrants prennent au chapitre du travail autonome que c'était le cas pour leurs parents, particulièrement lorsque les entrepreneurs de la deuxième génération sont capables de concurrencer sur les marchés dominants (et, par conséquent, n'ont pas à capitaliser sur des débouchés fondés sur des ressources ethniques), et lorsque leur lien ou leur attachement au groupe ethnique est plus faible que celui de leurs parents.

Outre les trois approches mentionnées précédemment, le travail autonome est aussi corrélé aux caractéristiques individuelles et familiales. L'âge et l'expérience de travail comportent une corrélation positive avec la probabilité de travailler de façon autonome, peut-être parce que certaines personnes lancent leur entreprise tard dans leur vie, après avoir accumulé le capital humain et financier nécessaire grâce à un emploi rémunéré (Zissimopoulos et Karoly, 2007). De même, les travailleurs plus âgés peuvent se servir du travail autonome comme d'un pont entre un emploi rémunéré et la retraite, profitant d'un plus grand contrôle sur leurs conditions de travail et leurs décisions de retraite (Uppal, 2011). Pour les immigrants, toutefois, l'expérience de travail acquise dans le pays d'origine et l'expérience de travail acquise dans le pays hôte peuvent comporter des effets différents. Une étude hollandaise a déterminé que le travail autonome des immigrants comporte une corrélation positive avec les années d'expérience de travail acquise dans le pays hôte, mais une corrélation négative avec les années d'expérience de travail acquise dans le pays d'origine (Kanas et coll., 2009).

Une étude exhaustive de la recherche empirique fait ressortir qu'il n'existe pas de corrélation significative entre la scolarité et le recours au travail autonome (van der Sluis et coll., 2008). Le niveau de scolarité peut faire augmenter la probabilité de travail autonome, du fait de l'amélioration des capacités de gestion (Sanders et Nee, 1996), mais il peut en faire diminuer la probabilité, du fait qu'il offre une plus vaste gamme d'options d'emploi (Le, 2000).

La langue constitue une caractéristique individuelle importante. La connaissance de la ou des langues du pays hôte comporte une corrélation positive avec le travail autonome, peut-être parce qu'elle facilite les interactions avec les fournisseurs et les clients, qui n'appartiennent pas à la même ethnie, et qu'elle permet de mieux comprendre les règlements commerciaux, les aspects juridiques et des pratiques de gestion (Aldrich et Waldinger, 1990; Sanders et Nee, 1996). De même, la capacité de parler une langue minoritaire représente un avantage, puisqu'elle facilite les contacts avec les employés, les clients et les fournisseurs appartenant à la même ethnie et améliore l'accès aux ressources ethniques (Evans, 1989; Min et Bozorgmehr, 2000; Waldinger et coll., 2006).

Une étude allemande a permis de déterminer que des facteurs sociodémographiques communs avaient des effets similaires sur le travail autonome des immigrants et des non-immigrants, même si les immigrants qui croyaient avoir fait l'objet de discrimination sur le marché du travail affichaient une probabilité substantiellement plus élevée de travail autonome que les autres (Constant et Zimmermann, 2006).

Au niveau familial, le travail des membres de la famille, y compris les conjoints et les enfants, fait partie intégrante des entreprises familiales (Boissevain et Grotenberg, 1986; Perez, 1986). La famille contribue à la petite entreprise exploitée par son propriétaire, grâce à ses heures de travail non rémunérées, au partage des coûts fixes (loyer et hypothèque) et aux prêts familiaux ainsi qu'aux services domestiques, comme la garde des enfants (Apitzsch, 2005; Boyd, 1990; Sanders et Nee, 1996). Le fait d'être marié représente aussi une forme de stabilité, et les couples mariés peuvent regrouper leurs ressources financières au moment de lancer une entreprise (Borjas, 1986; Le, 2000).

Enfin, on peut évaluer comment les motivations des immigrants à travailler de façon autonome diffèrent de celles des non-immigrants en examinant les points de vue des propriétaires d'entreprises eux-mêmes. En se fondant sur une enquête nationale auprès des travailleurs autonomes, Hou et Wang (2011) ont déterminé que les immigrants (33 %), et plus particulièrement ceux arrivés récemment (40 %) étaient plus susceptibles que les personnes nées au Canada (20 %) de déclarer qu'ils avaient eu recours au travail autonome en raison d'un manque d'emplois rémunérés convenables. Toutefois, la majorité des immigrants (67 %) et la majorité des personnes nées au Canada (80 %) ont indiqué ne pas avoir eu recours au travail autonome en raison de difficultés sur le marché du travail rémunéré. Parmi les travailleurs autonomes qui n'ont pas été « poussés » à avoir un travail autonome, les immigrants étaient beaucoup plus susceptibles que les personnes nées au Canada d'être motivés par des raisons liées aux valeurs d'entrepreneuriat, y compris l'indépendance, l'autonomie, le fait d'être son propre patron, la responsabilité, la prise de décisions, le défi et la créativité. Ces résultats laissent supposer que les facteurs qui influencent le choix du travail autonome sont souvent les mêmes chez les immigrants et les non-immigrants, même si les effets de ces facteurs communs peuvent varier selon le statut d'immigrant.

3   Données et méthodes

3.1  Données

Les données utilisées dans la présente étude sont tirées de l'échantillon de 20 % du Recensement de la population du Canada de 1981 et de l'échantillon de 20 % du Recensement de la population du Canada de 2006. Ces ensembles de données sont les seules sources canadiennes qui permettent de comparer les activités de travail autonome d'une génération à l'autre, à différents moments (plus de détails à ce sujet figurent dans le prochain paragraphe). Les travailleurs autonomes sont définis comme étant des personnes qui déclarent être principalement des travailleurs autonomes dans leur propre entreprise constituée ou non en société 1 . Il s'agit de l'approche habituelle utilisée dans les études fondées sur les données du recensement (p. ex., Fairlie et Meyer, 2003; Portes et Zhou, 1996; van Tubergen, 2005; Yuengert, 1995) 2 . Les personnes résidant en établissement, les travailleurs non rémunérés dans les entreprises familiales et les personnes déclarant un revenu négatif provenant d'un travail autonome sont exclus 3 , de même que les travailleurs dans les industries agricoles.

L'analyse se limite aux personnes de 25 à 44 ans, afin de permettre des comparaisons générationnelles des tendances du travail autonome. Il n'est pas possible d'apparier directement les parents à leurs enfants en se fondant sur les données de recensement pluriannuelles. On procède plutôt à un couplage générationnel en appariant une cohorte synthétique de parents à une cohorte synthétique d'enfants. Ce couplage utilise deux éléments d'information : 1) le statut d'immigrant des adultes et l'âge de leurs enfants en 1981; et 2) l'âge de ces « enfants » en 2006 et le statut d'immigrant de leurs « parents ». Trois groupes d'adultes ont été sélectionnés à partir du Recensement de 1981 et appariés avec trois groupes d'adultes du Recensement de 2006. Premièrement, on sélectionne à partir du Recensement de 1981 les immigrants adultes de 25 à 44 ans qui avaient des enfants nés à l'étranger âgés de 0 à 18 ans 4 . Il s'agit des parents d'enfants immigrants qui avaient moins de 19 ans à leur arrivée au Canada (appelés ci-après la « génération 1,5 »). Ces enfants immigrants avaient entre 25 et 43 ans en 2006 5  et sont identifiés d'après leur âge, leur statut d'immigrant et le statut d'immigrant de leurs parents, déclaré à l'époque. En deuxième lieu, on sélectionne à partir du Recensement de 1981 les immigrants de 25 à 44 ans qui avaient des enfants nés au Canada âgés de 0 à 18 ans. Il s'agit des parents des immigrants de la deuxième génération (c.-à-d. les enfants nés au Canada de parents immigrants). Ces immigrants de la deuxième génération sont identifiés en 2006 d'après leur âge (c.-à-d. de 25 à 43 ans), leur statut d'immigrant (c.-à-d. nés au Canada) et le statut d'immigrant de leurs parents. Enfin, les personnes nées au Canada qui étaient âgées de 25 à 44 ans et qui avaient des enfants nés au Canada âgés de 0 à 18 ans sont identifiées à partir du Recensement de 1981. Il s'agit des parents de la troisième génération et des générations subséquentes (c.-à-d. les enfants nés au Canada de parents nés au Canada). Les membres de la troisième génération et des générations subséquentes sont identifiés en 2006, également d'après leur âge (de nouveau, de 25 à 43 ans) et le statut d'immigrant de leurs parents. Les enfants nés au Canada d'un parent né à l'étranger ou d'un parent né au pays sont exclus de l'étude.

Grâce à cette approche, il est possible de comparer, au niveau intergénérationnel, les activités de travail autonome des parents et de leurs enfants possibles lorsqu'ils avaient de 25 à 44 ans dans les deux cas. Cette approche correspond à la méthode utilisée par Park et Myers (2010) et Smith (2003). Encore une fois, les déterminants du travail autonome sont comparés d'une génération à l'autre, en 1981 et 2006, pour trois groupes : i) les parents immigrants et la génération 1,5; ii) les parents immigrants et la deuxième génération; et iii) les parents nés au Canada et la troisième génération et les générations subséquentes. À noter que les hommes en 2006 sont comparés à leurs pères éventuels en 1981 et que les femmes en 2006 sont comparées à leurs mères éventuelles en 1981. Cette comparaison axée sur le sexe est nécessaire parce que les comportements des hommes sur le marché du travail et leur propension au travail autonome diffèrent considérablement de ceux des femmes.

3.2  Méthodes

Dans les ouvrages publiés, le choix d'un travail autonome plutôt que d'un emploi rémunéré est généralement modélisé comme une fonction des caractéristiques sociodémographiques au niveau de la personne et de la famille, ainsi que des facteurs de « poussée » et d'« attraction » sur le marché du travail (p. ex., Constant et Zimmermann, 2006). Par conséquent, un modèle probit est construit respectivement pour les parents immigrants de la génération 1,5, les parents immigrants de la deuxième génération, les parents nés au Canada, la génération 1,5, la deuxième génération et la troisième génération et les générations subséquentes. Ces modèles propres au groupe font en sorte que les variables incluses peuvent comporter des effets différents sur le travail autonome d'un groupe à l'autre : 

Image

X i représentant les caractéristiques sociodémographiques, y compris le niveau de scolarité, les années d'expérience potentielle, l'état matrimonial, la langue maternelle, le groupe ethnique, la région géographique, le nombre d'enfants dans la famille et le mode d'occupation du logement 6 . Dans le cas des parents immigrants, le modèle comprend en outre deux variables additionnelles propres aux immigrants : années potentielles d'expérience acquise à l'étranger et capacité de parler soit l'anglais ou le français 7 , ou les deux.

PART représente la part du groupe ethnique dans la population (en proportion) au niveau régional : on utilise18 groupes ethniques/de population et 10 régions, ce qui produit 180 valeurs uniques pour une année donnée 8 . CHÔM correspond au taux de chômage régional propre au groupe, le groupe étant défini selon le sexe, la génération/le statut d'immigrant, le niveau de scolarité et la région 9 .

Enfin, Image et Image représentent les logarithmes des gains hebdomadaires attendus tirés d'un travail autonome et d'un emploi rémunéré, respectivement. La différence entre eux correspond aux différences de gains potentiels des personnes qui passent d'un emploi rémunéré à un travail autonome. Cette question est abordée de façon détaillée dans la section 4.1.

4   Résultats

4.1  Différences entre les gains attendus d'un emploi rémunéré et d'un travail autonome

La différence entre les gains attendus d'un travail autonome et d'un emploi rémunéré est un facteur explicatif important dans la présente analyse, mais son estimation est complexe. Par conséquent, la présente section aborde la méthode d'estimation utilisée et la mesure dans laquelle les différences estimées entre les gains attendus ont changé au cours de la période à l'étude. Ces changements ont des répercussions sur la façon dont on interprète l'évolution du rôle que jouent les différences entre les gains attendus dans les décisions en matière de travail autonome des différentes générations.

Les différences de gains potentielles peuvent seulement être estimées, étant donné que la plupart des personnes ne travaillent que dans un des deux secteurs à un point donné dans le temps et que les gains sont observés dans seulement un secteur. Par conséquent, des équations des gains distinctes pour les travailleurs autonomes et les travailleurs rémunérés sont estimées, afin de prédire les gains individuels dans chaque secteur. Comme les personnes ne peuvent être sélectionnées de façon aléatoire comme travailleur autonome ou employé rémunéré, les estimateurs par les MCO pourraient être biaisés et non uniformes si des facteurs non observés ayant des répercussions sur les gains étaient corrélés avec des facteurs non observés ayant des répercussions sur les choix d'emploi. Pour résoudre ce problème, on a souvent recours à un cadre de transition endogène dans les ouvrages publiés (Constant et Zimmermann, 2006; Hamilton, 2000; Lofstrom, 2002; Yuengert, 1995). Les gains prédits d'un travail autonome, tant pour les travailleurs autonomes que pour les travailleurs rémunérés, sont fondés sur le modèle des gains des travailleurs autonomes. Une correction tenant compte de la possibilité que les travailleurs autonomes aient des caractéristiques différentes des employés rémunérés est incluse. De même, les gains prédits d'un emploi rémunéré, tant pour les travailleurs autonomes que pour les travailleurs rémunérés, sont fondés sur le modèle de gains des employés rémunérés. Une correction tenant compte de la possibilité que ces derniers diffèrent des travailleurs autonomes est incluse. Cela donne lieu à l'estimation des équations suivantes.

Modèle probit de forme réduite du travail autonome : 

Image

Image

Image

Modèles des gains : 

Travailleurs autonomes :  Image

Travailleurs rémunérés :  Image

Dans ce cas, Image correspond à la probabilité qu'une personne ayant les caractéristiques Xi choisisse le travail autonome plutôt qu'un emploi rémunéré. Image correspond au logarithme des gains hebdomadaires des travailleurs autonomes, et Image, au logarithme des gains hebdomadaires des travailleurs rémunérés. La covariance de µi et Image et entre µi et Image peut être estimée au moyen de la méthode du maximum de vraisemblance. La covariance de Image et Image n'est pas estimée, étant donné que l'on présume que Y1i et Y2i ne sont pas présentés simultanément 10 .

Dans le cas tant des travailleurs autonomes que des travailleurs rémunérés, les gains sont la somme du revenu net provenant d'un travail autonome et des traitements et salaires 11 . Il est bien connu que toute analyse du revenu provenant d'un travail autonome doit être interprétée avec prudence. D'une part, une plus grande tendance chez les travailleurs autonomes à sous-déclarer leurs revenus aura pour effet de biaiser vers le haut tous les désavantages sur le plan du revenu associés au travail autonome par rapport à l'emploi rémunéré 12 . D'autre part, les avantages sociaux des employés (p. ex., les cotisations de retraite et les prestations médicales), auxquelles les travailleurs autonomes n'ont pas accès, auront pour effet d'exagérer tout avantage relatif en matière de revenu associé à l'emploi autonome (Parker, 2004). Les données du recensement ne permettent pas de tenir compte de ces biais éventuels. Pour plus de simplicité, on suppose qu'ils sont constants au fil du temps et pour l'ensemble des groupes générationnels.

Dans le modèle probit de forme réduite du travail autonome, Xi comprend les niveaux de scolarité, l'expérience potentielle, l'appartenance à une minorité visible, l'état matrimonial, la région géographique, la langue maternelle, la propriété du logement et le nombre d'enfants dans la famille. Dans le modèle des gains, Zi comprend le niveau de scolarité, l'expérience potentielle, l'appartenance à une minorité visible, l'état matrimonial, la langue maternelle, les heures de travail à temps plein/temps partiel et la région géographique. Conformément aux pratiques des études antérieures, le nombre d'enfants dans la famille sert de critère d'exclusion (c.-à-d. qu'il est inclus dans le modèle probit, mais pas dans le modèle des gains) (Johansson, 2000; Simpson et Sproule, 1998; Taylor, 1996) 13 . Cette variable est un prédicteur important du travail autonome dans la présente étude. Pour examiner la sensibilité des résultats au choix du critère d'exclusion, le nombre d'adultes dans le ménage sert de critère d'exclusion de rechange ou de critère d'exclusion additionnel, mais il s'agit d'un prédicteur important du travail autonome uniquement dans les modèles fondés sur les données de 2006. La propriété du logement est une autre variable qui est incluse dans le modèle probit, mais pas dans le modèle des gains. Il se peut que le fait de posséder une maison facilite le travail autonome, celle-ci pouvant servir à l'exploitation d'une entreprise et/ou comme garantie pour un prêt commercial. Toutefois, la validité de la propriété du logement comme instrument est contestable, étant donné qu'elle peut être endogène aux gains. Néanmoins, les résultats concernant l'effet des différences entre les gains attendus ne sont pas influencés par l'inclusion de la propriété du logement ou du nombre d'adultes dans le ménage.

Le tableau 1 présente les variations des gains d'un travail autonome et d'un emploi rémunéré, ainsi que les différences estimées entre les gains attendus des travailleurs autonomes et des travailleurs rémunérés, selon le statut d'immigrant et le statut générationnel. Au cours de la période de référence de 25 ans, la différence relative entre les gains observés chez les travailleurs autonomes et les employés rémunérés a changé considérablement pour les hommes et dans une moindre mesure pour les femmes. Entre 1981 et 2006, les gains hebdomadaires moyens des fils travailleurs autonomes étaient de 8 % à 22 % plus faibles que ceux des pères travailleurs autonomes, selon le statut d'immigrant des pères (tableau 1). La baisse des gains hebdomadaires médians était encore plus prononcée, de l'ordre de 23 % à 31 %. En comparaison, les baisses de gains ont été plus faibles chez les travailleurs rémunérés. Par exemple, les gains hebdomadaires médians des fils ayant un emploi rémunéré (en 2006) étaient de 5 % à 13 % plus faibles que ceux des pères ayant un emploi rémunéré (en 1981). La baisse des gains chez les jeunes hommes occupant un emploi rémunéré a été bien documentée dans les ouvrages publiés (p. ex., Beaudry et Green, 2000). De nombreuses explications ont été avancées, y compris les changements technologiques axés sur les compétences, la croissance du commerce international, les hausses de l'impartition au niveau international et les changements institutionnels, comme la désyndicalisation et les mouvements du salaire minimum réel (voir l'étude de Katz et Autor, 1999). La baisse beaucoup plus importante des gains tirés d'un travail autonome, toutefois, est moins bien documentée et peut rendre compte de l'évolution de la nature du travail autonome chez les jeunes hommes, par exemple, la proportion croissante de ceux qui n'emploient pas de travailleurs rémunérés et la mesure dans laquelle ils travaillent dans des emplois instables et peu payés (Arum et Mueller, 2004; Baldwin et Chowhan, 2003; Kuhn et Schuetze, 2001) 14 .

La baisse plus marquée des gains chez les travailleurs autonomes que chez les employés rémunérés a entraîné une modification des niveaux relatifs de gains de ces groupes. Chez les pères en 1980, les travailleurs autonomes avaient des gains hebdomadaires moyens plus élevés que les employés rémunérés, une situation qui était le résultat de la part importante de travailleurs autonomes au sommet de la répartition des gains. Comme le montrent les graphiques 1, 3 et 5, en 1980, les hommes travailleurs autonomes étaient surreprésentés à l'extrémité inférieure et au sommet de la répartition des gains, et leur surreprésentation au sommet a entraîné une hausse de leurs gains moyens. Du point de vue des gains hebdomadaires médians, les travailleurs autonomes gagnaient entre 8 % et 11 % de moins que les travailleurs rémunérés. Ces différences entre les gains hebdomadaires médians se rapprochaient des différences correspondantes entre le logarithme des gains hebdomadaires moyens des travailleurs autonomes et des travailleurs rémunérés 15 . Par conséquent, le logarithme des gains hebdomadaires a servi à modéliser les différences entre les gains attendus 16 .

En 2005, les fils travailleurs autonomes n'étaient pas surreprésentés au sommet de la répartition des gains (comme l'étaient les pères 25 ans plus tôt). Leur surreprésentation au bas de la distribution avait plutôt augmenté (par rapport aux pères 25 ans plus tôt) (graphiques 2, 4 et 6). En ce qui a trait aux gains hebdomadaires médians, les travailleurs autonomes gagnaient de 37 % à 39 % de moins que les travailleurs rémunérés en 2005, selon le statut générationnel. Les différences correspondantes entre le logarithme des gains hebdomadaires étaient de 0,30 à 0,35.

Contrairement aux baisses générationnelles des gains observés chez les jeunes hommes, les gains hebdomadaires moyens des filles, tant ceux tirés d'un travail autonome que sur le marché du travail rémunéré, étaient supérieurs à ceux de leurs mères (tableau 1). Cette constatation est conforme à la tendance générale à la hausse de la participation au marché du travail et des gains des femmes au cours des dernières décennies (Goldin, 2006; Kuhn et Schuetze, 2001).

Les gains hebdomadaires médians d'un travail autonome ont aussi augmenté entre les mères immigrantes et les filles de la génération 1,5 ainsi que les filles de la deuxième génération, mais ont diminué entre les mères nées au Canada et les filles de la troisième génération et des générations subséquentes. Les graphiques 7, 9 et 11 montrent que, parmi les mères en 1980, les travailleuses autonomes et les employées rémunérées avaient des répartitions de gains similaires, même si les proportions des premières étaient plus élevées aux deux extrémités de la répartition. Toutefois, les filles travailleuses autonomes en 2005 étaient beaucoup plus concentrées au bas de la répartition de gains que les filles occupant un emploi rémunéré en 2005 et n'étaient plus surreprésentées au sommet de la répartition des gains; cela s'avère particulièrement dans le cas des filles de la troisième génération et des générations subséquentes (graphiques 8, 10 et 12).

Comme c'était le cas pour les hommes, les gains des filles par rapport à ceux des mères ont augmenté beaucoup plus rapidement chez les travailleuses rémunérées que chez les travailleuses autonomes. Par conséquent, l'écart entre les gains hebdomadaires médians ou entre le logarithme des gains hebdomadaires des travailleuses autonomes et des employées rémunérées a augmenté de façon substantielle des mères en 1980 aux filles en 2005 (tableau 1). Même si le logarithme des gains hebdomadaires des mères travailleuses autonomes était de 0,11 point à 0,26 point inférieur à celui de leurs homologues occupant un emploi rémunéré selon le statut d'immigrante, les écarts correspondants étaient de 0,35 à 0,55 point chez les filles.

L'élargissement de l'écart est le signe d'une détérioration importante de la situation des gains relatifs de la plupart des hommes et des femmes travailleurs autonomes. Cette détérioration se reflète clairement dans les différences entre les gains attendus 17 . Par exemple, dans le cas des pères nés au Canada et des hommes de la troisième génération et des générations subséquentes, les différences entre les gains attendus ont varié pour passer de -0,17 à -0,42 point log (tableau 1). L'ampleur du changement a été similaire pour les parents immigrants et leurs enfants. Les différences négatives entre les gains attendus peuvent laisser supposer qu'en moyenne, les travailleurs auraient reçu des gains plus faibles s'ils étaient passés d'un emploi rémunéré à un travail autonome. Dans une certaine mesure, cela peut aussi rendre compte de la possibilité que les travailleurs autonomes aient tendance à sous-déclarer leurs gains (Schuetze, 2002). Ce qui est important, c'est l'élargissement substantiel des différences entre les gains attendus de 1980 à 2005, compte tenu que la tendance à sous-déclarer les gains ne s'est pas intensifiée (Schuetze, 2002; Dunbar et Fu, 2008) 18 . Évidemment, même si la différence moyenne entre les gains attendus est négative, une certaine proportion des personnes se seraient attendues à des gains plus élevés d'un travail autonome que d'un emploi rémunéré. Toutefois, cette proportion a aussi diminué au fil du temps. Par exemple, environ 17 % des pères nés au Canada en 1980 avaient des différences positives entre les gains attendus. Chez leurs fils, en 2005, cette proportion n'était que de 2 %.

En résumé, les résultats de la présente section montrent que, au cours de la période de référence de 25 ans, la situation relative des gains des jeunes travailleurs autonomes s'est détériorée considérablement par rapport à celle des jeunes employés rémunérés, particulièrement chez les hommes. De même, on a noté une diminution importante des différences entre les gains attendus lorsque les travailleurs sont passés d'un emploi rémunéré à un travail autonome. Cela laisse supposer que les difficultés accrues de tirer des gains significatifs d'un travail autonome peuvent faire augmenter l'importance du calcul de l'utilité économique dans la décision d'avoir recours au travail autonome chez les jeunes adultes.

4.2  Corrélats du travail autonome

En ce qui a trait aux trois approches théoriques énoncées à la section 2, l'importance relative des différences entre les gains attendus, des difficultés sur le marché du travail et des enclaves ethniques en matière de travail autonome chez les différents groupes seront maintenant évaluées. L'importance de caractéristiques sociodémographiques additionnelles est aussi prise en compte. À cette fin, des modèles probit sont exécutés séparément pour les parents et les enfants, et les résultats sont présentés dans le tableau 2.

Les résultats montrent une augmentation évidente d'une génération à l'autre de l'effet des différences entre les gains attendus sur la probabilité de travail autonome. Dans le cas des hommes, les différences entre les gains attendus étaient corrélées de façon positive et significative avec la probabilité de travail autonome chez les pères et les fils des trois groupes. À noter qu'il n'est pas approprié de comparer directement l'ampleur des coefficients de chaque variable dans ces modèles parce que leurs effets marginaux sont influencés à la fois par les valeurs et les coefficients des autres variables. Pour évaluer l'effet relatif des différences entre les gains attendus pour les différents groupes de population, l'effet marginal des différences entre les gains attendus a été estimé en maintenant les valeurs des variables aux moyennes pour la troisième génération et les générations subséquentes, alors que les coefficients de chaque modèle sont demeurés inchangés. Les résultats sont présentés dans le tableau 3. L'effet marginal des différences entre les gains attendus a été plus important pour les fils que pour les pères dans les trois groupes. Parmi les pères immigrants et les fils de la deuxième génération, par exemple, une augmentation de 10 points de pourcentage des différences entre les gains attendus a été associée à une augmentation de 1,6 point de pourcentage du taux de travail autonome des pères (en 1981) et à une augmentation de 2,5 points de pourcentage du taux pour les fils (en 2006). Dans tous les groupes, l'effet marginal des différences entre les gains attendus était plus important chez les pères nés au Canada et leurs fils de la troisième génération et des générations subséquentes que chez les pères immigrants et leurs fils.

Les taux de chômage propres à un groupe, un indicateur des difficultés qu'un groupe particulier peut connaître sur le marché du travail local, ont été corrélés positivement avec le travail autonome chez les pères en 1981, même si pour les pères de la génération 1,5, cet effet était moins significatif statistiquement (à p = 0,06). Toutefois, l'effet marginal estimé des taux de chômage était beaucoup plus important pour les pères immigrants que pour les pères nés au Canada (tableau 3). Par exemple, une augmentation de 10 points de pourcentage du taux de chômage a été associée à une augmentation de 4 points de pourcentage à 7 points de pourcentage du taux de travail autonome des pères immigrants (en 1981), comparativement à une augmentation de 1,5 point de pourcentage chez les pères nés au Canada. Par contre, les taux de chômage ont eu peu d'effet sur les taux de travail autonome des fils de la génération 1,5 ou des fils de la deuxième génération et ont eu un effet négatif sur les taux de travail autonome des fils de la troisième génération et des générations subséquentes. De toute évidence, les taux de chômage étaient les plus fortement corrélés avec le travail autonome chez les immigrants de sexe masculin de la première génération. Chez les femmes, les taux de chômage ne comportaient pas de corrélation étroite avec le travail autonome, même s'ils étaient statistiquement significatifs pour les mères nées au Canada en 1981.

La part que représente le groupe dans la population, qui vise à mesurer l'effet des enclaves ethniques, n'est pas significative pour les pères immigrants et leurs fils (tableau 2). Par contre, et peut-être étonnamment, l'effet est positif et significatif pour les pères nés au Canada et pour les fils de la troisième génération et des générations subséquentes. Comme ces modèles comprennent les personnes qui déclarent des origines ethniques britannique, française ou canadienne, et que ces groupes dominent dans l'échantillon des parents nés au Canada et dans l'échantillon de la troisième génération et des générations subséquentes, il se peut que les résultats ne rendent pas compte du rapport dans les groupes ethniques minoritaires. Le tableau 4 reprend les modèles du tableau 2, mais exclut les personnes déclarant des origines britannique, française ou canadienne. Le coefficient de la part que représente le groupe dans la population était négatif et significatif pour les fils de la deuxième génération, et ce coefficient était aussi négatif, mais pas statistiquement significatif, pour leurs pères immigrants. Le coefficient est demeuré positif et significatif pour les pères nés au Canada, et positif, mais non significatif, pour les fils de la troisième génération et des générations subséquentes.

Il convient de souligner que les minorités ethniques nées au Canada en 1981 étaient principalement d'origine européenne (à plus de 97 %), tandis qu'environ la moitié des minorités ethniques immigrantes en 1981 avaient des origines non européennes. Chez les femmes, l'effet des enclaves ethniques était négatif et significatif pour les filles de la génération 1,5 et leurs mères et n'était pas significatif pour les femmes de la deuxième génération et leurs mères immigrantes; l'effet des enclaves ethniques était positif et significatif pour les mères nées au Canada, mais pas pour leurs filles de la troisième génération et des générations subséquentes. Ces résultats laissent supposer que l'effet des enclaves ethniques sur la probabilité de travail autonome peut différer selon le groupe ethnique et le sexe.

En ce qui a trait aux autres variables sociodémographiques, l'expérience acquise au Canada et le fait d'être marié comportaient une association positive avec le taux de travail autonome, tant pour les pères que pour les fils des trois modèles (tableau 2). Le « nombre d'enfants dans la famille » et la « propriété du logement » n'étaient pas uniformément associés au travail autonome, même si dans les modèles probit de forme réduite, ces variables étaient associées de façon positive au travail autonome pour tous les groupes (comme dans les modèles de sélection du tableau 5 et du tableau 6). Pour les parents et les enfants des trois groupes, le fait d'avoir des enfants à la maison et la propriété du logement étaient corrélés avec des différences plus élevées entre les gains attendus d'un travail autonome et d'un emploi rémunéré. Ainsi, l'association positive des enfants et de la propriété du logement avec le travail autonome a été prise en compte dans les différences entre les gains attendus.

Le niveau de scolarité n'était pas associé de façon monotone au travail autonome pour les trois groupes. Le fait de détenir un diplôme en médecine (y compris la médecine dentaire, la médecine vétérinaire et l'optométrie) était fortement associé à une plus grande probabilité de travail autonome. Cela n'est pas étonnant, étant donné que les professions correspondant à ce domaine d'étude ont un niveau élevé de travailleurs autonomes. Toutefois, d'autres grades supérieurs (baccalauréat ou diplôme d'études supérieures) étaient soit associés de façon négative ou de façon non significative au travail autonome par rapport à un diplôme d'études secondaires. À l'extrémité inférieure, les personnes sans diplôme ni certificat étaient généralement moins susceptibles de travailler de façon autonome que celles ayant un certificat d'études secondaires.

L'« anglais/le français comme langue maternelle » était associé de façon négative avec la probabilité de travail autonome, sauf chez les parents nés au Canada en 1981 (tableau 2). À noter que les variables de contrôle pour les effets fixes du groupe ethnique (britannique/français fait partie des groupes) ont été appliqués au modèle; par conséquent, ce rapport négatif ne devrait pas être interprété comme le résultat d'un taux de travail autonome plus faible chez les groupes d'origine britannique/française. En fait, on a noté une telle relation négative, même lorsque l'analyse a été reprise en excluant les groupes d'origine britannique/française/canadienne (tableau 4). Il est possible que le fait de parler une langue maternelle autre que l'anglais ou le français à l'âge adulte constitue une indication de l'attachement à son groupe ethnique et de la possibilité d'utiliser des ressources ethniques ou de joindre une clientèle ethnique 19 .

Dans le cas des pères immigrants, les deux variables propres aux immigrants — « ne parle ni l'anglais ni le français » et « années d'expérience acquise à l'étranger » — étaient associées de façon significative au travail autonome (tableau 2, modèles pour les pères de la génération 1,5 et de la deuxième génération). Le taux de travail autonome augmentait avec les années d'expérience acquise à l'étranger. Toutefois, cette expérience avait une association beaucoup plus faible avec le travail autonome que l'expérience acquise au Canada. Le fait de ne pas être capable de parler une des deux langues officielles du Canada était associé à un taux de travail autonome plus faible. Cette constatation corrobore celles d'autres études qui ont déterminé qu'une moins bonne connaissance de la langue du pays hôte est associée à une moins grande probabilité de travailler de façon autonome (Lofstrom, 2002; Fairlie et Meyer, 1996). Cela laisse supposer que la création et l'exploitation de sa propre entreprise nécessitent souvent la capacité de parler une des deux langues officielles ou les deux.

On a aussi noté des changements intergénérationnels clairs dans les effets des deux variables sur le travail autonome des femmes (tableau 2). Les « années d'expérience acquise au Canada » comportent une association étroite avec un taux de travail autonome plus élevé pour les filles en 2006, tandis que ce rapport est plus faible pour les mères en 1981, et plus particulièrement les mères immigrantes. L'« anglais ou le français comme langue maternelle » était associé à une probabilité plus élevée de travail autonome chez les filles, même si un tel rapport n'était pas significatif chez les mères.

5   Discussion et conclusion

La présente étude examine les changements intergénérationnels dans les déterminants du travail autonome chez les parents immigrants et leurs enfants de la même fourchette d'âge, à 25 ans d'intervalle, fondées sur des comparaisons des adultes du Recensement de 2006 et de leurs parents synthétiques du Recensement de 1981. Les changements entre les parents nés au Canada et leurs enfants sont tous examinés, afin de fournir un repère concernant les vastes changements dans les facteurs qui ont des répercussions sur le travail autonome au cours de cette période de 25 ans. L'analyse est axée sur l'effet de trois déterminants importants qui ont probablement une pertinence différente pour les personnes nées au Canada, les immigrants et leurs enfants : différences entre les gains attendus; difficultés sur le marché du travail; et enclaves ethniques. Les résultats laissent supposer que les immigrants et leurs enfants ont réagi différemment aux différences entre les gains attendus et aux difficultés sur le marché du travail en ce qui a trait à la décision de travailler de façon autonome.

Tout d'abord, l'association des différences entre les gains attendus et la probabilité de travail autonome chez les personnes était plus étroite pour les fils que pour les pères. Cette variable était plus fortement associée à la probabilité de travail autonome chez les fils en 2005 que chez les pères en 1980, pour les trois groupes. En 1980, une proportion appréciable de personnes s'attendaient à une hausse de gains au moment de la transition d'un emploi rémunéré à un travail autonome, mais cela n'était plus le cas en 2005. Il est possible que les difficultés plus grandes de tirer des gains élevés d'un travail autonome aient augmenté l'importance des calculs économiques dans la décision des jeunes hommes d'avoir recours au travail autonome en 2005. Au niveau transversal, cette association était plus faible chez les pères immigrants que chez les pères nés au Canada, et parmi les hommes de la génération 1,5 et de la deuxième génération que chez les hommes de la troisième génération et des générations subséquentes.

En deuxième lieu, l'effet des difficultés sur le marché du travail a diminué au fil du temps pour les jeunes hommes. Les taux d'emploi local propres à un groupe étaient associés à des taux de travail autonome plus élevés chez les pères des trois groupes, mais cela n'était pas le cas pour leurs enfants. Une des raisons possibles du manque d'association entre les difficultés sur le marché du travail et les taux de travail autonome est que les débouchés de travail autonome et l'attrait du travail autonome peuvent avoir diminué chez les jeunes hommes, comme en fait foi la détérioration substantielle des gains tirés d'un travail autonome par rapport aux gains tirés d'un emploi rémunéré. Ainsi, même si le degré de difficultés sur le marché du travail est demeuré similaire ou a augmenté 20 , la réaction a été mitigée, l'attrait du travail autonome ayant diminué pour les hommes. Cela est conforme à l'observation de Kuhn et Schuetze (2001), selon laquelle la qualité des nouveaux débouchés de travail autonome, mesurée par les gains, le statut à temps plein et la présence d'employés, s'est détériorée pour les hommes dans les années 1980 et dans les années 1990, une constatation qui laisse supposer que le travail autonome est devenu moins attrayant pour les hommes.

Les résultats de la présente étude laissent supposer que certaines des études antérieures comportaient une mauvaise interprétation de l'association entre les différences entre les gains attendus et le travail autonome chez les immigrants. Dans certaines études, cette association a été interprétée comme une indication que des faibles gains dans le secteur de l'emploi rémunéré ont « poussé » les immigrants à avoir un travail autonome (Clark et Drinkwater, 2000; Hammarstedt, 2006). Toutefois, la présente étude laisse supposer qu'une telle association existe tant pour les hommes immigrants que pour les hommes non immigrants. Par ailleurs, l'association était plus faible chez les immigrants que chez leurs enfants et les personnes nées au Canada. Ainsi, les différences entre les gains attendus ne rendent pas compte des difficultés sur le marché du travail rémunéré; elles sont plutôt le reflet de la mesure dans laquelle le travail autonome est un choix rationnel du point de vue économique. Les immigrants n'ont pas réagi aux différences de gains attendus d'un travail autonome aussi fortement que leurs enfants et que les non-immigrants; cette constatation laisse supposer que les difficultés sur le marché du travail rémunéré ont probablement eu un effet de « poussée » plus grand chez les immigrants.

En troisième lieu, la part que représente un groupe particulier dans la population, une mesure couramment utilisée de l'enclave ethnique, était associée de façon négative ou non significative avec le travail autonome chez les pères immigrants et leurs fils. Ce résultat est conforme aux constatations d'autres études qui n'ont pas permis de soutenir l'hypothèse que les enclaves ethniques favorisent le travail autonome (Clark et Drinkwater, 2000; Yuengert, 1995). Toutefois, il est possible que le travail autonome chez certains groupes ethniques non européens comprenne la prestation de biens et de services ethniques (p. ex., restaurants ethniques) et soit plus concurrentiel dans des régions où un groupe ethnique est concentré (Razin et Langlois, 1996).

Le choix du travail autonome chez les jeunes femmes en 2006 était fortement associé aux différences entre les gains attendus et aux années d'expérience, ce qui n'était pas le cas chez leurs mères, 25 ans plus tôt. Ainsi, au moment de choisir le travail autonome, les jeunes femmes tiennent maintenant compte des différences entre les gains attendus, tout comme les jeunes hommes. Cela est conforme aux vastes changements dans la participation au marché du travail et aux modèles d'emploi des femmes (Goldin, 2006). Kuhn et Schuetze (2001) laissent aussi supposer que les débouchés améliorés sur le marché du travail et l'attrait plus grand du travail autonome pour les femmes sont les principales raisons de l'augmentation du travail autonome chez ces dernières, ce qui n'est pas le cas des hommes.

En résumé, entre les parents immigrants et leurs enfants, le travail autonome a évolué pour devenir plus souvent le résultat d'un choix qu'une nécessité. Ce changement peut rendre compte en partie de l'amélioration bien documentée des débouchés sur le marché du travail au fil des générations, dans les familles immigrantes. Ce changement fait aussi partie d'une tendance générale chez les jeunes adultes, avec ou sans antécédents d'immigration, mais est clairement différencié par le sexe.

La présente étude comporte une limite, à savoir que les données du recensement ne comprennent pas de renseignements sur nombre d'autres déterminants importants du travail autonome. Par exemple, de nombreuses personnes ont recours au travail autonome, non pas simplement pour la hausse des gains attendue, mais aussi pour des raisons liées aux valeurs d'entrepreneuriat, y compris l'indépendance, le fait d'être son propre patron, la responsabilité, la prise de décisions et la créativité. Les données du recensement ne comprennent pas non plus de données sur les transitions relatives au travail autonome et sur les facteurs qui ont des répercussions sur ces transitions. De telles données fourniraient un aperçu plus complet permettant de déterminer si les immigrants et leurs enfants choisissent le travail autonome pour des raisons similaires.

6   Annexe : changements dans les fonctions de gainsdu travail autonome et d'un emploi rémunéré

Pour calculer les différences entre les gains attendus d'un travail autonome et d'un emploi rémunéré, qui constitue un corrélat ciblé du travail autonome dans la présente étude, des modèles des gains d'emploi corrigés selon la sélection d'Heckman ont été estimés pour les travailleurs autonomes et les travailleurs rémunérés, respectivement. Ces modèles sont présentés dans le tableau 5 pour les pères en 1980, dans le tableau 6 pour les fils en 2005, dans le tableau 7 pour les mères en 1980 et dans le tableau 8 pour les filles en 2005. Outre qu'ils servent d'étape intermédiaire pour la production d'une variable clé, ces modèles révèlent aussi des différences importantes et des changements significatifs au fil du temps dans les fonctions de gains du travail autonome et de l'emploi rémunéré.

Tout d'abord, ces modèles montrent que les travailleurs rémunérés et les travailleurs autonomes ont des fonctions de gains distinctes. Chez les pères en 1980, les fonctions de gains des travailleurs rémunérés et des travailleurs autonomes différaient considérablement en ce qui a trait au rendement de la scolarité et de l'expérience de travail (partie supérieure du tableau 5). Par exemple, un diplôme en médecine (y compris en médecine dentaire, en médecine vétérinaire et en optométrie) était associé à des gains de 75 % à 82 % plus élevés tirés d'un emploi rémunéré qu'un diplôme d'études secondaires, selon le statut d'immigrant. Toutefois, le même diplôme était associé à des rendements négatifs ou non significatifs au chapitre des gains chez les travailleurs autonomes; cette constatation rend probablement compte des coûts initiaux élevés de l'établissement d'une pratique médicale, l'échantillon de l'étude n'incluant que des personnes de 25 à 44 ans. L'expérience de travail était associée à des rendements importants au chapitre des gains chez les travailleurs rémunérés, mais à aucun rendement chez les pères nés au Canada travailleurs autonomes et à des rendements négatifs chez les pères immigrants travailleurs autonomes.

Chez les mères en 1980, on a noté aussi des différences importantes dans les fonctions de gains entre les travailleuses rémunérées et les travailleuses autonomes (tableau 7). Les rendements de la scolarité étaient importants chez les travailleuses rémunérées, mais aucun rendement clair n'a été observé chez les travailleuses autonomes. L'expérience de travail était associée à des gains plus élevés tirés d'un emploi rémunéré, mais pas d'un travail autonome. Cet effet de minorité visible n'était pas important chez les mères occupant un emploi rémunéré et chez les mères travaillant de façon autonome, tandis qu'il était significatif et négatif chez les pères occupant un emploi rémunéré.

En deuxième lieu, pour l'emploi rémunéré et le travail autonome, les fonctions de gains étaient similaires pour les parents immigrants et les parents nés au Canada. Une exception était l'anglais et le français comme langue maternelle, qui était associée à une augmentation beaucoup plus importante des gains tirés d'un emploi rémunéré et d'un travail autonome chez les pères immigrants que chez les pères nés au Canada. Cela est conforme aux résultats des ouvrages publiés selon lesquels la connaissance d'une langue officielle représente l'un des déterminants les plus importants des gains chez les immigrants (Bonikowska et coll., 2008). Chez les jeunes travailleurs adultes en 2006, les fonctions de gains étaient généralement similaires pour les hommes de la génération 1,5, de la deuxième génération et de la troisième génération et des générations subséquentes. Les mêmes constatations ont été notées chez les filles.

En troisième lieu, on a noté des changements importants dans les fonctions de gains entre les pères et leurs fils, tant ceux tirés d'un emploi rémunéré que d'un travail autonome. Les rendements de la scolarité chez les travailleurs rémunérés et les travailleurs autonomes étaient plus élevés chez les fils que chez les pères. Cela est conforme à la tendance générale d'augmentation du rendement de la scolarité (Boudarbat et coll., 2010). Le rendement de l'expérience de travail a augmenté entre les pères et les fils chez les travailleurs rémunérés, alors qu'il est devenu plus négatif chez les travailleurs autonomes de sexe masculin de la deuxième génération et de la troisième génération et des générations subséquentes. L'appartenance à une minorité visible était associée à des écarts plus faibles de gains tirés d'un emploi rémunéré chez les hommes de la génération 1,5 et de la deuxième génération en 2005 que chez leurs pères en 1980.

Les changements dans les fonctions de gains entre les mères et les filles ont été similaires à ceux observés entre les pères et les fils. On a noté des augmentations plus importantes du rendement de la scolarité, particulièrement chez les travailleuses autonomes, entre les mères et les filles. Même si on n'a pas noté de rendement de la scolarité chez les mères travailleuses autonomes en 1980, le rendement de la scolarité chez les filles travailleuses autonomes était encore plus grand que chez les filles occupant un emploi rémunéré et que chez les fils occupant un emploi rémunéré et les fils travaillant de façon autonome. Les rendements de l'expérience de travail ont aussi augmenté entre les mères et les filles, même s'ils sont demeurés plus faibles chez les travailleuses autonomes que chez les travailleuses rémunérées.

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