Statistique Canada
Symbole du gouvernement du Canada

Liens de la barre de menu commune

Section 3 : Étude spéciale

Avertissement Consulter la version la plus récente.

Information archivée dans le Web

L’information dont il est indiqué qu’elle est archivée est fournie à des fins de référence, de recherche ou de tenue de documents. Elle n’est pas assujettie aux normes Web du gouvernement du Canada et elle n’a pas été modifiée ou mise à jour depuis son archivage. Pour obtenir cette information dans un autre format, veuillez communiquer avec nous.

Les événements financiers récents dans la perspective des comptes nationaux

par Philip Cross, Éric Boulay, Joe Wilkinson et Allan Tomas*

Depuis le début de l’instabilité des conditions du marché mondial du crédit en août 2007 et de la détérioration marquée des marchés financiers dans le monde entier en septembre 2008, l’intérêt pour le développement économique et financier au Canada a crû. Certaines des données des Comptes économiques nationaux sont familières aux utilisateurs, notamment le PIB et ses comptes sectoriels sur les revenus, les dépenses et les épargnes. Moins connu est le large éventail de données sur les bilans, les flux financiers et les investissements internationaux du Canada. Ces données financières intégrées permettent aux analystes d’observer attentivement les changements sectoriels au niveau de la capacité de prêter, d’emprunter et du patrimoine net. Cet article tente de montrer comment ces données financières peuvent faire la lumière sur l’évolution des marchés financiers et sur l’économie au cours de la dernière année et demie.

Cette étude porte, en premier lieu, sur les tendances à plus long terme dans les comportements financiers, en particulier ceux qui placent certains Canadiens à un risque plus élevé d’être touchés par l’évolution défavorable des marchés financiers. Il examine ensuite l’impact manifeste de la crise sur les marchés financiers après le mois d’août 2007, notamment l’importante détérioration des conditions du marché après la mi-septembre 2008. Dans le cas présent, une comparaison avec l’évolution des conditions financières aux États-Unis permet également de démontrer les raisons pour lesquelles les Canadiens ont été moins gravement touchées.

Il existe des limitations sur le type d’analyses macroéconomiques fournies par les Comptes économiques nationaux. Tel que noté dans un récent document du National Bureau of Economic Research (NBER) 1  , ces données sectorielles n’exposent pas les risques spécifiques à une entreprise qui peuvent apparaître au terme d’un surendettement ou d’un mésappariement de la structure par terme des actifs et des passifs. Les faillites d’entreprises, notamment celles de Bear Stearns et de Lehman Brothers, ont été prépondérantes dans la récente crise mais elles n’auraient pas pu être prédites à l’aide des données sur les flux financiers des États-Unis. De même, ces données ne permettent pas de démontrer comment le risque de l’investissement dans des titres adossés à des prêts hypothécaires s’est propagé à des investisseurs dans le monde entier, ce qui s’est révélé important pour la rapidité et la gravité de la propagation de la contagion après le mois d’août 2007.

Le cadre

Les événements dont les marchés financiers ont été le théâtre ces deux dernières années se sont déroulés dans le contexte de l’évolution des comportements financiers depuis au moins une décennie. Au Canada, les tendances sectorielles à prêter ou à emprunter ont changé; plus particulièrement, les entreprises et les gouvernements ont enregistré d’importants excédents financiers, tandis que les ménages ont emprunté davantage. Certaines de ces tendances témoignaient d’un changement de comportement de la part des ménages, ceux-ci choisissant d’investir davantage dans le logement et les actifs financiers (souvent financés par emprunt). Les ménages et les investisseurs ont également augmenté leurs investissements étrangers par l’entremise de leurs avoirs en fonds mutuels et de leurs avoirs de retraite.

Les comptes du bilan national révèlent que le bilan des ménages a changé profondément au cours de la dernière décennie. La dette du secteur des particuliers s’est accrue, sa proportion du PIB étant passée de 68 % en 2000 à plus de 84 % à la fin de 2008 (figure 1). Cette hausse a surtout été attribuable à l’augmentation des dépenses au titre du logement occasionnées par la faiblesse des taux d’intérêt hypothécaires, la réduction des versements initiaux, l’allongement de la durée des hypothèques et par l’offre accrue de fonds aux emprunteurs par l’entremise de la titrisation.

La titrisation désigne le processus de vente d’hypothèques à des investisseurs; l’institution à l’origine d’un prêt hypothécaire vend ce prêt à une autre institution, qui peut alors grouper plusieurs prêts hypothécaires et vendre les outils de paiement à des investisseurs. Dans un autre temps, ces investisseurs peuvent utiliser ces droits au paiement pour garantir d’autres valeurs mobilières qu’ils émettent (comme cela s’est produit dans le cas de certains papiers commerciaux adossés à des actifs). Aux États-Unis, où le système bancaire est plus fragmenté, les prêteurs hypothécaires initiaux ont vendu souvent des prêts hypothécaires à des entreprises financières de plus grande envergure avant que la titrisation ait eu lieu.

Au Canada, la part des hypothèques titrisées de l’ensemble des hypothèques est passée de 5 % de toutes les hypothèques en 1997 à 20 % au début de 2007, puis à 28,6 % à la fin de 2008. La croissance des hypothèques titrisées correspondait à environ la moitié de l’augmentation des valeurs des propriétés de 2003 à 2008. La croissance des hypothèques titrisées a été beaucoup plus lente au Canada qu’aux États-Unis, où, au milieu des années 1990, elles représentaient déjà plus de la moitié de la totalité des hypothèques 2  .

Il n’y a pas de risque inhérent aux hypothèques titrisées. Cependant, le regroupement croissant de prêts hypothécaires à risque américains en titres adossés à des crédits immobiliers (TACI) a érodé la confiance des investisseurs après que le taux de défauts de remboursement de ces prêts hypothécaires à risque a commencé à croître en 2007. Les prêts hypothécaires à risque étaient beaucoup moins répandus au Canada. Voilà peut-être pourquoi le marché des TACI a continué à prendre de l’expansion au Canada en 2008, tandis qu’il a récemment plafonné et régressé aux États-Unis. À cause d’autres différences structurelles dans le crédit hypothécaire, le défaut de remboursement ou les pertes ont été moindres au Canada qu’aux États-Unis. Il est plus facile pour les prêteurs de reprendre possession d’une maison au Canada que dans de nombreux États américains. Et les hypothèques offertes par les banques à charte qui représentent plus de 80 % de la valeur du logement doivent être assurées auprès de la Société canadienne d’hypothèque et de logement (SCHL) 3  .

Les ménages ont aussi modifié les actifs de leur bilan au cours des vingt dernières années, acquérant davantage d’actifs immobiliers et boursiers (77 % en 2008 au lieu de 63 % en 1991 pour les deux combinés) et moins d’actifs plus stables tels que les dépôts à court terme et les obligations (dont la proportion est passée de 24 % à 14 %). Le patrimoine des ménages s’est trouvé exposé davantage aux changements subits des prix du logement et des actions, tandis que l’épargne personnelle a joué un rôle moins important sur les variations du patrimoine net des ménages après 2002.

Alors qu’au Canada les ménages augmentaient leurs emprunts, les administrations publiques et les sociétés ont réduit leur dette. La dette publique en proportion du PIB est passée d’un sommet de 94,6 % au milieu des années 1990 à 52,4 % au milieu de 2008 dans la foulée de la réduction effectuée à ce titre par le gouvernement fédéral (figure 3). L’amélioration des finances publiques serait encore plus marquée si l’on tenait compte de l’augmentation des fonds de sécurité sociale contrôlés par les gouvernements : la dette nette est tombée subitement après 2000 à 35,5 % du PIB, ce qui témoignait en partie de la refonte du RPC/RRQ, qui a conduit à une majoration des taux de cotisation 4  .

Les sociétés non financières ont réduit leur ratio de la dette au PIB de 54 % en 1990 à 46 % en 2008. Elles y sont parvenues en utilisant des profits inégalés pour rembourser leur dette au début de cette décennie, et ont surtout tiré profit d’une baisse de 10,2 milliards de dollars des obligations à plus long terme de 2002 à 2006 (les émissions d’obligations ont rebondi de 14 % au cours de 2008). L’amélioration du bilan du secteur des sociétés s’observait dans d’autres mesures, notamment dans le ratio d’endettement, qui est descendu à un creux record.

Les tendances sectorielles à prêter et à emprunter différaient grandement selon qu’on était aux États-Unis ou au Canada. Les non-résidents ont été la seule source constante de prêt net aux États-Unis de 2003 à 2007. Aux États-Unis, les gouvernements ont été des emprunteurs nets tout au long de cette période, tandis qu’au Canada, ils ont été des prêteurs nets. Aux États-Unis, les sociétés ont tour à tour prêté et emprunté de petits montants, tandis qu’au Canada, elles ont affiché des excédents records jusqu’à la fin de 2008. Et les ménages ont emprunté beaucoup plus aux États-Unis qu’au Canada 5  . L’endettement moindre de tous les secteurs au Canada s’est révélé important lorsque les conditions de crédit se sont resserrées sur certains marchés après août 2007.

Le taux d’épargne national met en relief les différences de comportement financier général qui ont été observées entre le Canada et les États-Unis après l’an 2000 (figure 4). Au Canada, le taux d’épargne national a franchi le cap des 12 %, l’augmentation de l’épargne des sociétés et des administrations publiques ayant neutralisé un léger repli de l’épargne personnelle. Aux États-Unis, le taux d’épargne national a oscillé entre 1 % et 2 % à compter de 2002, avant de diminuer en 2008 : les faibles taux d’épargne personnelle (de moins de 1 % ces dernières années) n’ont pas été contrebalancés par un accroissement de l’épargne par les administrations publiques ou les sociétés. Les emprunts à l’étranger sont ainsi devenus la principale source de fonds aux États-Unis, ce qui correspond aux déficits records du compte courant 6  .

Facteurs de risque

Plusieurs de ces changements de comportement intervenus au fil des décennies ont accru l’exposition de certains Canadiens au risque. En particulier, la dépendance accrue des ménages à l’emprunt a commencé à poser problème lorsque certains marchés du crédit ont figé en août 2007. Et la proportion croissante d’investissements canadiens à l’extérieur du Canada a accru leur exposition au risque de fluctuations rapides du dollar canadien.

Lorsque les taux d’intérêt ont chuté au début des années 2000 et sont demeurés près de leur niveau le plus bas en une génération, les ménages ont investi davantage dans l’immobilier. La proportion de la valeur nette du secteur des particuliers dans l’immobilier est ainsi montée à plus de 70 %. Même à cela, le Canada a évité les excès observés aux États-Unis, où la dette au titre de l’habitation s’est accrue plus vite que la valeur des maisons, faisant redescendre l’avoir propre des propriétaires dans l’immobilier du sommet qu’il avait atteint en 2000 (une tendance qu’a fortement renforcée la chute des prix des maisons après 2006).

Pendant que les ménages au Canada s’endettaient de plus en plus, le coût du service de la dette n’a pas augmenté proportionnellement. La proportion du revenu personnel disponible consacré aux paiements du service de la dette (qui comprennent le coût des intérêts, mais pas le principal) s’est accrue, passant de 7 % en 2003 à 8 % en 2007. En comparaison, ce ratio du service de la dette a atteint un sommet de 10,7 % au début des années 1990 et est rarement descendu sous les 8 % durant cette décennie. La faiblesse des taux d’intérêt a contenu le fardeau du service de la dette ces dernières années, l’ayant même allégé légèrement en 2008 et au début de 2009 compte tenu de la descente des taux d’intérêt à des creux historiques (les utilisateurs sont priés de noter que les données que la Réserve fédérale américaine publie pour les États-Unis comprennent les paiements tant au titre des intérêts que du principal et qu’on ne peut donc pas les comparer aux données canadiennes).

L’exposition du Canada aux marchés financiers étrangers s’est accrue selon les données sur le bilan des investissements internationaux du Canada. Les actifs de portefeuille détenus à l’étranger ont presque doublé après 2002, pour atteindre 700 milliards de dollars, ce qui témoignait principalement de l’augmentation des investissements dans les actions et les obligations à l’étranger. La plupart de ces augmentations reflétaient l’assouplissement graduel des restrictions sur le contenu étranger des régimes de pension agréés, ce qui a fini par conduire à leur élimination en 2005. La proportion croissante des avoirs des ménages exposés aux marchés des capitaux a fait augmenter leur risque potentiel. De même, les avoirs considérablement plus élevés en valeurs étrangères a fait croître l’exposition aux variations du taux de change, comme cela s’était produit durant la flambée des prix des produits de base après 2003 (lorsque le dollar avait dépassé la parité avec le dollar américain) et leur implosion durant la seconde moitié de 2008 (lorsque le dollar a rapidement battu en retraite à près de 80 cents américains). Ces variations des valeurs ne se produisent que sur papier tant et aussi longtemps que les investisseurs ne vendent pas concrètement leurs investissements étrangers et ne les reconvertissent pas en dollars canadiens.

Les turbulences sur les marchés mondiaux ont commencé en 2007…

Des turbulences ont commencé à secouer les marchés financiers mondiaux en août 2007. Les craintes semées par l’exposition aux prêts hypothécaires à risque contractés aux États-Unis ont d’abord conduit à un gel du marché des titres adossés à des actifs (TAA). Comme nous le mentionnions précédemment, certains de ces titres étaient exposés à des prêts hypothécaires à risque, que les investisseurs jugèrent soudainement toxiques. Les investisseurs canadiens ont vendu une somme record de 10 milliards de dollars en créances étrangères à court terme au troisième trimestre de 2007 (surtout des créances d’entreprises financières étrangères) et ont continué à vendre à chaque trimestre depuis lors.

Au Canada, après trois années d’une croissance ininterrompue, le marché du papier commercial adossé à des actifs (PCAA) a diminué de près de 10 milliards de dollars au quatrième trimestre de 2007 et a continué à se contracter chaque trimestre en 2008. Ce repli ne visait que les valeurs financées par l’entremise de papier commercial adossé à des actifs, comme les prêts d’affaires ou les prêts pour l’achat de véhicules automobiles, alors que le marché des valeurs adossées à des créances hypothécaires garanties par la SCHL est demeuré liquide (la part des TAA adossés à des titres à long terme était près de trois fois plus importante que les 116 milliards de dollars du marché du papier à court terme).

Le gel des titres adossés à des actifs a eu d’importantes conséquences pour le crédit à la consommation. Les consommateurs obtiennent du crédit auprès de deux types d’institutions : les banques à charte (et les quasi-banques telles que les caisses populaires) et une vaste gamme d’autres institutions financières telles que les sociétés de financement de ventes à crédit et les sociétés de prêt à la consommation. Ces dernières comptaient davantage sur le papier commercial pour assurer une partie de leur financement. Lorsque le marché du PCAA s’est tari au quatrième trimestre de 2007, les prêts à la consommation consentis par les institutions financières non bancaires ont diminué de 3,1 milliards de dollars et ils ont continué à baisser à tous les trimestres de 2008 ainsi qu’au début de 2009, selon les données des comptes des flux financiers.

Les banques ont neutralisé en partie cette chute du crédit à la consommation en prêtant davantage aux consommateurs. Les banques ont accru leur crédit à la consommation d’en moyenne 9,1 milliards de dollars au cours des six trimestres se terminant au premier trimestre de 2009, ce qui représente une augmentation en regard des 6,1 milliards de dollars qu’elles avaient prêtés aux consommateurs au cours des cinq trimestres précédents. Au terme de cette accélération, les banques avaient prêté 24,0 milliards de dollars, annulant partiellement la baisse de 26,6 milliards de dollars de prêts par les institutions non bancaires (qui avaient accru leurs prêts de 13,4 milliards de dollars entre le milieu de 2006 et le troisième trimestre de 2007 et les avaient réduits de 13,2 milliards de dollars du troisième trimestre de 2007 au début de 2009). La proportion du crédit à la consommation assurée par les banques est conséquemment passée de 73 % au troisième trimestre de 2007 à 78 % à la fin de 2008 (des 373 milliards de dollars de prêts en circulation). Les circuits de financement habituels de certains clients ont tout de même été perturbés, ce qui a alimenté l’impression d’un resserrement sélectif du crédit alors même que les prêts bancaires soutenaient la croissance globale du crédit.

La paralysie des marchés du crédit a également entraîné en forte baisse le marché des obligations étrangères au troisième trimestre de 2007, particulièrement les obligations Maple. Les obligations Maple sont des obligations qui sont émises en dollars canadiens par des étrangers, et comme le marché avait grandi rapidement pendant des années dans la foulée des excédents financiers du Canada, les investisseurs étaient en quête de nouveaux instruments pour placer leurs fonds. Le tarissement de ce marché a ramené le risque des mouvements de taux de change dans la cour des investisseurs canadiens et a aussi éliminé une riche source de profits pour les institutions financières qui s’occupaient d’émettre les obligations.

Entre-temps, les investisseurs canadiens ont rapatrié des fonds des marchés financiers internationaux pour la première fois en trois décennies. La majeure partie des fonds qui sont revenus au Canada ont trouvé refuge dans les titres d’État, surtout dans les bons du Trésor.

… et se sont intensifiées en septembre 2008

Les turbulences initiales sur les marchés financiers en 2007 n’ont été qu’un prélude à leur escalade en septembre 2008. Après l’échec de la banque d’investissement Lehman Brothers et la quasi faillite de AIG, la crise aux États-Unis s’est propagée en moins d’une semaine des prêts interbancaires aux fonds monétaires avant de geler le marché du papier commercial. Paralysés par la crainte de ne pas se faire rembourser ou payer, les marchés du crédit de la planète ont rapidement fermé leurs robinets.

L’aggravation des turbulences financières à la fin de 2008 a eu un certain nombre de conséquences. L’écart entre les taux d’intérêt pour la dette du secteur public et celle du secteur privé a atteint un sommet, les investisseurs ayant évité la dette des sociétés et accordé une prime au risque moindre associé à la dette des États souverains. Au Canada et partout dans le monde, les marchés boursiers ont chuté abruptement, tandis que le dollar canadien a connu une baisse trimestrielle record, alors que les prix des produits de base diminuaient fortement.

Les données financières des comptes du bilan national illustrent l’effet de la crise financière sur différents secteurs. La valeur nette des ménages a diminué de près de 7 % durant la deuxième moitié de 2008 dans le sillage du repli tant des marchés boursiers que du prix des logements. Il s’agissait tout de même d’une baisse de loin inférieure à la chute de 20 % de la valeur nette des ménages qui a été observée aux États-Unis au cours de la dernière année, signe que des reculs encore plus marqués s’y sont produits dans l’immobilier et particulièrement sur les marchés boursiers.

Comme nous l’indiquions précédemment, les investisseurs canadiens ont rapatrié des fonds de l’étranger pour les mettre à l’abri au Canada, perçu comme un sanctuaire (les investisseurs ont également vendu des actions sur le marché canadien). Les investisseurs cherchant la sécurité de la dette publique, le gouvernement fédéral a émis pour plus de 50 milliards de dollars en nouvelles émissions de titres de la dette au quatrième trimestre de 2008 pour répondre à cette demande d’actifs sûrs. Une partie de l’augmentation des fonds publics fédéraux que l’émission de bons du Trésor a permis de réunir a été déposée à la Banque du Canada, qui à son tour a offert des liquidités par l’entremise de prêts au système bancaire. Les banques à charte ont augmenté leurs emprunts à la Banque du Canada au quatrième trimestre de 2008, ce qui est symptomatique de la chute du marché interbancaire au Canada (qui a été bien moins prononcée qu’aux aux États-Unis et qu’en Europe). L’autre portion des capitaux de l’emprunt fédéral a été accordée à la SCHL, qui l’a utilisée pour acheter une valeur de 25 milliards de dollars de titres adossés à des créances hypothécaires (par l’entremise du Programme d’achat de prêts hypothécaires assurés), injectant ainsi davantage de liquidités dans les institutions financières.

Resserrement du crédit moins prononcé au Canada

L’aspect le plus visible de la crise mondiale du crédit à l’automne de 2008 a été le tarissement de marchés cruciaux de la dette aux États-Unis, notamment celui des prêts interbancaires et celui du papier commercial. Le marché du papier commercial a retréci de 10 % (ou de 15 milliards de dollars) au quatrième trimestre de 2008. Le crédit trimestriel aux ménages a également diminué en raison, en partie, de la baisse subite des prêts octroyés par les banques commerciales basées aux États-Unis.

La stabilité du système financier canadien a fait en sorte que la plupart des emprunteurs ont pu continuer d’obtenir du crédit, bien qu’à des prix souvent nettement supérieurs. Malgré le resserrement mondial du crédit, le total des emprunts des ménages (ou passif financier) s’est accru de 12,1 % entre le troisième trimestre de 2007 et le quatrième trimestre de 2008, ce qui va à l’encontre du gel de la croissance du crédit des ménages aux États-Unis (figure 9). Les prêts hypothécaires ont augmenté un peu plus rapidement que le crédit à la consommation (bien que, comme nous le mentionnions précédemment, on s’est éloigné de façon notable des sources de crédit non bancaires). Signe des craintes des ménages, ceux-ci ont accru leurs liquidités 7  de 4,8 % au quatrième trimestre de 2008, ce qui représente la plus forte augmentation à ce titre depuis le bond de 16 % qui s’était produit au tournant du millénaire.

Les sociétés privées non financières ont suivi une tendance semblable à celle des ménages. Les prêts à court terme se sont accrus de 7,1 % du troisième trimestre de 2007 à la fin de 2008, l’augmentation de 20 % des prêts bancaires ayant neutralisé la baisse de prêts d’autres sources. Une partie de l’augmentation du crédit aux entreprises pourrait être attribuable à l’activation par des sociétés de marges de crédit prédéterminées, ce qui oblige à conclure que la disponibilité réelle de nouveau crédit aurait pu être moindre. La dette hypothécaire et la dette obligataire ont augmenté de plus de 10 %. Rien n’indique que les sociétés amassaient globalement des liquidités puisque leur part des actifs financiers est demeurée stable à 23,5 % durant cette période.

Après avoir ralenti de façon marquée au cours de l’année précédente, l’économie réelle de la production et des emplois a commencé à se contracter rapidement à l’automne de 2008. La source principale de cette faiblesse a été la baisse rapide des exportations, alors que le crédit se rétrécissait sur les marchés clés à l’étranger (et de façon notable aux États-Unis). De même, les dépenses intérieures ont diminué, tout particulièrement en ce qui a trait à l’achat de véhicules automobiles et de logements.

L’un des casse-tête de la dégringolade économique de la fin de 2008 est qu’on se demande pourquoi les dépenses des ménages ont chuté si abruptement au Canada. En particulier, les ventes d’automobiles ont diminué de 18,8 % de septembre à décembre, tandis que les ventes de maisons existantes ont déboulé de 30 %, alors que les baisses correspondantes ont été de 17,5 % et de 13 % aux États-Unis à la fin de 2008. Il était surprenant de voir les ventes diminuer plus rapidement au Canada qu’aux États-Unis compte tenu des plus grandes pertes d’emplois et de richesse survenues aux États-Unis et de la perturbation plus grave qu’on y a observée sur les marchés du crédit (bien que les ventes d’automobiles et de maisons aient commencé à se contracter plus tôt durant l’année aux États-Unis qu’au Canada).

Au début de 2009, les ventes de voitures et de maisons se sont redressées plus rapidement au Canada qu’aux États-Unis. Au Canada, les ventes unitaires de véhicules automobiles se sont accrues de 8,8 % en mars par rapport à décembre, tandis que les ventes de maisons existantes étaient en hausse de 32 % en avril par rapport à leur creux de janvier. Aux États-Unis, les ventes de véhicules automobiles tout comme celles de logements n’ont dépassé que de 2 % leurs creux en avril. Cela donne à penser que la confiance fragile des consommateurs a joué un grand rôle dans la chute des dépenses des ménages au Canada qui s’est produite à la fin de 2008, tout comme les difficultés d’accès au crédit, et que l’on s’affairait à corriger rapidement la situation dans l’un et l’autre cas au printemps de 2009.

Mais ces statistiques ne rendent peut-être pas compte de toutes les facettes du crédit. Elles n’en mesurent pas le prix en fonction du taux d’intérêt effectif (sauf pour le secteur des ménages), pas plus que les statistiques sur l’offre de crédit ne reflètent la demande potentielle : cela a pu être attribuable au fait que beaucoup d’entreprises et de particuliers ont été pris au dépourvu par l’affaissement soudain de la demande mondiale, ou de la richesse, et auraient aimé emprunter davantage sans pouvoir le faire.

Conclusion

Quand l’économie fonctionne bien, les systèmes financiers sont souvent relégués à l’obscurité, jouant souvent le rôle banal de facilitateur du mouvement monétaire et du crédit dans l’économie. Toutefois, la crise en cours depuis les deux dernières années a démontré l’importance fondamentale pour l’économie de systèmes financiers performants et efficaces. Le présent article a mis en lumière certaines données du large éventail de données financières disponibles à partir des Comptes économiques nationaux du Canada, favorisant chez les utilisateurs une meilleure compréhension de celles-ci dans le futur à divers stades de la conjoncture.

Cette étude a également tenté d’illustrer quelques-unes des différences entre le Canada et les États-Unis, en particulier le recours croissant à l’endettement à bon marché aux États-Unis qui a conduit à des changements dans les modes d’investissement et d’épargne qui se sont avérés, somme toute, insalubres à la fois pour leurs systèmes financiers et économiques. En revanche, le Canada a évité plusieurs des changements de comportement observés aux États-Unis. Bien que le Canada ait été affecté par les conséquences des baisses importantes enregistrées dans le commerce international et les prix des matières premières au cours des derniers mois, le fait d’éviter un recours excessif à l’endettement permet à ses institutions financières ainsi qu’à l’ensemble de son économie d’être en meilleure posture.

Cette étude ne suggère pas que la crise financière aurait pu être pressentie par l’analyse des données financières des Comptes économiques nationaux. Le meilleur exemple de cette situation a été la défaillance imprévue de Lehman Brothers et de son impact complètement inattendu sur un marché de fonds monétaire glissant sous la moyenne 8  . Toutefois, les grandes lignes de l’évolution du système financier ont été façonnées au cours des dernières années par des comportements vis-à-vis l’endettement et le risque, certains mis à jour par les données financières. Les données indiquent aussi en détail comment le flux de fonds au Canada et pour les investisseurs canadiens à l’étranger a été modifié par l’évolution de la tourmente sur les marchés financiers.

Suivant | Précédent