Le travail à domicile : une mise à jour

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par Martin Turcotte

[Article intégral en PDF]

Introduction
Ce qu'il faut savoir au sujet de la présente étude
Évolution du travail à domicile entre 2000 et 2008
Parmi les employés, plus de 1 diplômé universitaire sur 5 effectue du travail à domicile
La tendance des professionnels à effectuer du travail à domicile varie selon le secteur d'activité
Parmi les employés, les femmes sont moins portées que les hommes à effectuer du travail à domicile
Chez les travailleurs autonomes, les femmes sont plus susceptibles de travailler à domicile que les hommes
Pourquoi effectuer du travail à domicile?
Les employés résidant hors des agglomérations urbaines sont moins susceptibles de travailler à domicile
La distance entre le lieu de travail et le domicile est positivement associée à l'incidence du travail à domicile
Les perceptions aussi influent sur la popularité du travail à domicile
Travail à domicile et conciliation travail-vie personnelle
Résumé

Introduction

Dans une économie postindustrielle comme la nôtre, où près de 3 emplois sur 4 se concentrent dans le secteur des services, un nombre grandissant de travailleurs sont en mesure d'accomplir leurs tâches avec un minimum d'outils — essentiellement un ordinateur connecté à Internet et un téléphone. Pour la majorité de ces travailleurs, ces outils sont facilement accessibles du domicile, les nouvelles technologies de l'information ayant été adoptées massivement et très rapidement par les ménages au cours des années 20001.

Pendant la dernière décennie, plusieurs facteurs ont concouru à une progression accélérée de la popularité du travail à domicile : croissance des emplois faisant usage intensif des outils informatiques, plus grande ouverture de certains employeurs face au travail à domicile (particulièrement dans le secteur public), importance grandissante du discours sur la conciliation travail-famille2, etc. Toutefois, même si cet essor du travail à domicile a été en partie constaté chez les travailleurs autonomes, il ne l'a pas été chez les employés. Par exemple, une étude antérieure de Statistique Canada indiquait que, après une hausse substantielle dans les années 1990, il y avait eu très peu d'augmentation de la proportion des employés qui effectuaient du travail à domicile entre 2000 et 2005 (que ce soit à temps partiel ou à temps plein, mais en excluant les heures supplémentaires)3. Les renseignements statistiques les plus récents présentent-ils la même tendance?

Dans la première section de l'article, on répond à cette question à l'aide des données de différents cycles de l'Enquête sociale générale de 2000 à 2008. Dans la section subséquente, on discute des caractéristiques des travailleurs qui sont les plus susceptibles d'effectuer du travail à domicile, puis, dans la troisième section, des diverses raisons pour lesquelles certains travailleurs effectuent du travail à domicile. La quatrième section porte sur la façon dont le lieu résidence et la distance du lieu de travail influent sur le travail à domicile. De plus, on consacre un encadré aux perceptions du travail à domicile puis un autre à la conciliation travail-vie personnelle.

 

Ce qu'il faut savoir au sujet de la présente étude

L'Enquête sociale générale
La présente étude est basée sur des données de l'Enquête sociale générale (ESG) de 2000 à 2008. L'enquête est menée tous les ans. Toutefois, les données de 2002 et 2007 n'y sont pas présentées puisque, pour ces années, seules des personnes âgées de 45 ans et plus ont été interrogées. Par ailleurs, on n'a pas posé de questions sur le travail à domicile dans le cadre du cycle de 2004.

La population cible de l'ESG de 2008 était la population hors établissement de 15 ans et plus vivant dans les dix provinces du Canada. Les données ont été recueillies du 1er février 2008 au 30 novembre 2008. Au cours de cette période, quelque 20 000 personnes ont été interviewées avec succès. Le présent article porte uniquement sur les travailleurs âgés de 15 ans et plus, ce qui donne un échantillon de 12 897 répondants représentant près de 18 977 900 travailleurs en 2008 (voir plus bas pour la définition).

Travailleurs : employés et travailleurs autonomes
Dans le cadre de cette étude, les travailleurs sont les personnes qui avaient travaillé à un emploi rémunéré ou à leur propre compte, à un moment ou à un autre, au cours des 12 derniers mois. Pour la majorité d'entre eux, travailler à un emploi rémunéré ou à leur propre compte avait été leur activité principale au cours de l'année. Les travailleurs sont divisés en deux groupes : les employés (travailleurs rémunérés) et les travailleurs autonomes. Les employés représentent environ 85 % des travailleurs. Les travailleurs de tous les secteurs d'activité, incluant ceux du secteur public, sont inclus dans cette étude, et ce, pour toutes les années de référence, soit 2000, 2001, 2003, 2005, 2006 et 2008.

Travail à domicile
Afin d'identifier les personnes ayant effectué du travail à domicile, on posait aux travailleurs la question suivante : « Certaines personnes effectuent du travail rémunéré à la maison, que ce soit en partie ou en totalité. Sans compter les heures supplémentaires, effectuez-vous habituellement une partie de votre travail rémunéré à la maison? » À ceux ayant effectué du travail à domicile, on demandait par la suite : « Combien d'heures de travail rémunéré par semaine faites-vous habituellement à la maison? »

Dans cet article, on utilise le terme « travail à domicile » plutôt que l'expression « télétravail ». Premièrement, le concept de télétravail s'applique surtout aux employés alors que l'on présente aussi des renseignements sur les travailleurs autonomes dans cet article1. Deuxièmement, alors que le télétravail n'est pas nécessairement effectué de la maison, le travail à domicile l'est. Finalement, l'expression télétravail est associée implicitement à l'utilisation des technologies de l'information. Cependant les nouvelles technologies, même si elles sont très couramment utilisées par les personnes travaillant à domicile2, ne le sont pas toujours nécessairement par l'ensemble des travailleurs (par exemple, certains artistes ou artisans peuvent très bien travailler de la maison sans y avoir recours).

Les heures de travail supplémentaires exécutées à la maison, qu'elles aient été rémunérées ou non, ne font pas partie de la définition du travail à domicile retenue pour la présente étude.

Satisfaction par rapport à la conciliation travail-vie personnelle
Dans l'ESG de 2008, on demandait aux répondants « Dans quelle mesure êtes-vous satisfait de l'équilibre entre votre emploi et votre vie à la maison? » Leurs options étaient les suivantes : « très satisfait », « satisfait », « ni satisfait ni insatisfait », « insatisfait » ou « très insatisfait ».


  1. Pour obtenir plus de détails à propos du concept de télétravail, voir le site Internet de InnoVisions Canada au www.ivc.ca.
  2. SULLIVAN, Cath. 2003. « What's in a name? Definitions and conceptualisations of teleworking and homeworking », New Technology, Work and Employment, vol. 18, no 3, p. 158 à 165.

Fin de l'encadré

Évolution du travail à domicile entre 2000 et 2008 

En 2008, le nombre d'employés effectuant du travail à domicile atteignait 1 784 600, comparativement à 1 425 700 en 2000. Malgré cette hausse des effectifs, on a assisté à une relative stabilité, au cours des années 2000, de la proportion d'employés ayant effectué du travail à domicile (graphique 1). Ainsi, en 2008, 11,2 % des employés effectuaient du travail à domicile, soit une proportion de 1 point de pourcentage supérieur à celle enregistrée en 20004. S'il existe une tendance à la hausse, force est de constater qu'il s'agit d'une progression légère, qui se fait à un rythme modéré5.

Le scénario a été un peu différent pour les travailleurs autonomes. Pour eux, il semblerait que le travail à domicile ait augmenté, en particulier au cours des dernières années. Après quelques années de stagnation, le taux de participation est en effet passé de 54 % à 60 % entre 2006 et 2008 (graphique 1). Cela correspondait, en 2008, à 1 842 000 travailleurs autonomes effectuant du travail à domicile.

La légère hausse du travail à domicile chez les employés, combinée à celle plus substantielle chez les travailleurs autonomes, fait en sorte que la part de l'ensemble des travailleurs effectuant du travail à la maison a crû d'environ 2 points de pourcentage entre 2000 et 2008, passant de 17 % à 19 %.

Graphique 1 La hausse de la participation au travail à domicile a été plus prononcée chez les travailleurs autonomes que chez les employés, 2000 à 2008Graphique 1 La hausse de la participation au travail à domicile a été plus prononcée chez les travailleurs autonomes que chez les employés, 2000 à 2008

De façon générale, les employés qui effectuent du travail à domicile le font à temps partiel. Ainsi, en 2008, le nombre médian d'heures travaillées à domicile par les employés à temps plein était de 8 heures par semaine. Ce nombre médian d'heures travaillées à domicile était inchangé par rapport à celui enregistré en 2000 (pour les employés ayant ces mêmes caractéristiques) (données non montrées). Une minorité d'employés consacraient plus de une journée au travail à domicile, 67 % de ceux effectuant du travail à domicile y consacrant 10 heures ou moins par semaine

Parmi les employés, plus de 1 diplômé universitaire sur 5 effectue du travail à domicile

Tous les types d'emplois n'offrent pas des opportunités équivalentes d'effectuer du travail à domicile. Les professionnels ont, par exemple, souvent à exécuter des tâches qui s'y prêtent bien. Cela arrive plus rarement, voire jamais, aux employés qui offrent des services directs à la clientèle (par exemple, dans le commerce au détail ou en hôtellerie) ou qui travaillent à la chaîne (fabrication). De façon plus générale, la recherche a montré que les employés plus scolarisés, qui occupent souvent des postes leur conférant plus d'autonomie, avaient plus de facilité que les autres à s'entendre avec leur employeur s'ils désiraient travailler de la maison6.

Les plus récentes données de l'Enquête de la population active (ESG) de 2008 confirment l'existence de clivages, identifiés dans les recherches antérieures, quant à la participation au travail à domicile7. Par exemple, en 2008, la proportion d'employés ayant effectué du travail à domicile atteignait 23 % chez les professionnels et ceux occupant des postes de gestion, comparativement à 7 % chez les travailleurs des ventes et services (tableau 1). L'écart en fonction du niveau de scolarité était aussi important : 22 % des diplômés universitaires travaillaient à domicile, comparativement à 7 % de ceux ayant complété un diplôme d'études secondaires.

Tableau 1 Pourcentage de personnes effectuant du travail à domicile, selon certaines caractéristiques, 2008Tableau 1 Pourcentage de personnes effectuant du travail à domicile, selon certaines caractéristiques, 2008

Ces taux de participation différentiés selon les caractéristiques des travailleurs se reflétaient dans le profil des employés effectuant et n'effectuant pas du travail à domicile. Ainsi, en 2008, parmi tous les employés effectuant du travail à domicile, 54 % détenaient un diplôme universitaire. Comparativement, seulement 25 % des employés qui n'effectuaient jamais de travail à domicile en détenaient un. Aussi, 55 % des employés qui travaillaient au moins de façon occasionnelle à domicile occupaient des postes de professionnels ou de gestionnaires, tandis que pour les employés ne travaillant pas à domicile, la proportion correspondante était de 23 %. Finalement, parmi les employés travaillant à domicile, 52 % avaient des revenus personnels supérieurs à 60 000 $ par année, tandis que pour ceux ne travaillant pas à domicile, la proportion correspondante était de 25 % seulement (résultats non montrés).

La tendance des professionnels à effectuer du travail à domicile varie selon le secteur d'activité

Les professionnels sont parmi les travailleurs les plus portés à effectuer du travail à domicile. Bien que peu documentée, leur tendance à effectuer du travail à domicile varie sensiblement selon le secteur (graphique 2). Ainsi, par exemple, dans le secteur des soins de santé et de l'assistance sociale, seulement 8 % des employés professionnels effectuaient du travail à domicile (graphique 2). Le fait que les médecins et les infirmières aient à travailler directement avec leurs patients explique probablement ce résultat. En comparaison, 27 % des professionnels des services d'enseignement travaillaient à domicile, au moins occasionnellement. Les professeurs, en plus d'enseigner, ont toutes sortes de tâches parallèles reliées à la préparation de cours ou à la correction de travaux et d'examens; celles-ci pouvant généralement être effectuées à domicile.

Graphique 2 La propension du personnel professionnel à effectuer du travail à domicile variait selon le secteur d'activité, 2008Graphique 2 La propension du personnel professionnel à effectuer du travail à domicile variait selon le secteur d'activité, 2008

En bref, la nature des tâches à accomplir variant d'un secteur d'activité à l'autre (et au sein même d'un secteur), il peut être difficile d'associer un groupe de professions à une possibilité nécessairement plus grande d'effectuer du travail à domicile.

Parmi les employés, les femmes sont moins portées que les hommes à effectuer du travail à domicile

Lorsqu'on considère l'ensemble des employés, on constate que les femmes étaient légèrement moins susceptibles que les hommes de travailler à domicile (respectivement 10 % et 12 %)8. L'écart entre les hommes et les femmes était cependant plus grand chez les employés professionnels : en 2008, 29 % des professionnels de sexe masculin travaillaient à domicile, comparativement à 19 % de ceux de sexe féminin. Cet écart peut s'expliquer en partie par le fait que les femmes sont surreprésentées chez les professionnels de la santé et en particulier chez les professionnels des sciences infirmières (où le travail à domicile est peu fréquent).

Les employés qui travaillent habituellement 50 heures ou plus par semaine, qui ont un horaire de travail sur demande ou irrégulier et qui ne sont pas syndiqués, faisaient aussi partie de ceux qui étaient plus portés que la moyenne à effectuer du travail à domicile (tableau 1). Une analyse des résultats de l'Enquête sur le milieu de travail et les employés de Statistique Canada a déjà montré que les travailleurs non syndiqués (en particulier chez les petits employeurs) avaient plus accès à des horaires variables et au travail à domicile9.

Finalement, les employés ayant des enfants de 12 ans et moins étaient un peu plus portés à effectuer du travail à domicile que ceux qui n'en avaient pas (respectivement 13 % et 10 %).

Chez les travailleurs autonomes, les femmes sont plus susceptibles de travailler à domicile que les hommes

À certains égards, les écarts de taux de participation au travail à domicile, observés chez les différentes catégories d'employés, se vérifiaient chez les travailleurs autonomes. Par exemple, les travailleurs autonomes ayant obtenu un diplôme universitaire étaient eux aussi plus portés à effectuer du travail à domicile. Il existait cependant certaines différences. Chez les travailleurs autonomes, contrairement aux employés, les femmes étaient plus susceptibles que les hommes d'effectuer du travail à domicile (respectivement 67 % et 56 %).

Pourquoi effectuer du travail à domicile?

On a généralement tendance à présenter le travail à domicile comme étant une option qui, dans la mesure où elle est offerte par l'employeur, peut être choisie ou non par les employés. Pour bon nombre d'employés, effectuer une partie ou la totalité de leurs heures de travail à domicile n'est cependant pas nécessairement un choix. En effet, la raison la plus fréquemment évoquée pour effectuer du travail à domicile (25 % des employés) est qu'il s'agissait d'une des exigences du travail ou bien encore qu'ils n'avaient pas le choix (tableau 2)10. Suivaient le fait de pouvoir bénéficier de meilleures conditions de travail (23 %) et de travailler à domicile parce qu'il s'agissait de leur lieu de travail habituel (18 %).

Tableau 2 Principales raisons évoquées pour travailler à la maison, 2008Tableau 2 Principales raisons évoquées pour travailler à la maison, 2008

La propension à dire que la maison était le lieu de travail habituel variait selon certaines caractéristiques des travailleurs. Par exemple, les employés qui travaillaient à temps partiel (moins de 30 heures par semaine) étaient plus portés à l'affirmer, et ce, dans une proportion de 30 % comparativement à 14 % de ceux qui travaillaient entre 30 et 49 heures par semaine. Pour leur part, les titulaires d'un diplôme d'études collégiales ou universitaires étaient moins portés à identifier leur domicile comme leur lieu de travail habituel. Ils étaient cependant plus enclins à dire que travailler à domicile permettait de favoriser de meilleures conditions de travail.

De façon peu surprenante, les employés et les travailleurs autonomes qui avaient un enfant à la maison avaient plus tendance à dire qu'ils effectuaient du travail à domicile pour des raisons familiales. Contrairement aux employées, les travailleuses autonomes étaient plus susceptibles que leurs homologues masculins de travailler à domicile pour des raisons reliées à la famille (soins aux enfants, à d'autres membres de la famille ou autres obligations personnelles ou familiales). En effet, en 2008, 12 % des travailleuses autonomes déclaraient effectuer du travail à la maison pour des raisons familiales, contre seulement 3 % des travailleurs autonomes (tableau 2). En outre, si on limite l'analyse aux travailleuses autonomes ayant des enfants de 12 ans et moins à la maison, c'est 25 % d'entre elles qui disaient travailler à domicile pour des raisons reliées à la famille (comparativement à 10 % des hommes dans la même situation) (résultats non montrés). Il est probable que certaines femmes qui s'adonnent au travail autonome aient opté pour ce choix (de façon temporaire ou définitive) justement à cause de leurs obligations familiales. Ce groupe de femmes entrepreneures a même été identifié et nommé par certains comme étant des « mamapreneures »11.

Les informations à propos des raisons évoquées pour effectuer du travail à domicile ne sont recueillies que depuis récemment. On n'a pas constaté de changement notable, entre 2005 et 2008, dans les raisons évoquées par les employés et les travailleurs autonomes. Par ailleurs, pour le moment, aucune information n'est disponible sur les raisons évoquées pour ne pas effectuer de travail à domicile.

Les employés résidant hors des agglomérations urbaines sont moins susceptibles de travailler à domicile

Lorsque les nouvelles technologies de l'information sont apparues et qu'elles se sont répandues, certains auteurs ont spéculé sur la prolifération éventuelle du travail à domicile, de même que sur l'éventuel exode des travailleurs vers l'extérieur des régions métropolitaines, d'où ils pourraient effectuer leurs tâches sans jamais avoir à se rendre au bureau12. Ces prédictions ne se sont cependant pas avérées justes : le travail à domicile ne concerne en effet qu'une minorité de travailleurs; le travail à domicile à temps plein est très rare chez les employés; et la population des régions métropolitaines continue de croître.

En outre, en 2008, les employés qui résidaient dans les régions métropolitaines étaient plus susceptibles d'effectuer du travail à domicile (12 %) que ceux résidant à l'extérieur des agglomérations urbaines (9 %) (tableau 1). Ces résultats sont d'ailleurs conformes à ceux obtenus dans le cadre d'une autre étude portant sur la question, mais menée aux États-Unis13. Selon les auteurs de l'étude, les contacts directs et en personne entre travailleurs demeurent trop importants, entre autres, pour le bien-être des travailleurs, pour le sentiment d'appartenance à l'entreprise, pour l'innovation, la productivité et le partage des connaissances. De ce fait, il serait fort peu probable, toujours selon eux, que l'on assiste à court terme à une décentralisation des lieux de travail.

La distance entre le lieu de travail et le domicile est positivement associée à l'incidence du travail à domicile

Encourager plus de travailleurs à s'adonner (au moins à l'occasion) au travail à domicile est une des mesures fréquemment citée comme pouvant contribuer à réduire les problèmes de congestion routière14. Pour les travailleurs, le fait même d'avoir à subir la congestion routière quotidiennement ou d'avoir à parcourir plusieurs kilomètres pour se rendre au travail pourrait les encourager à vouloir effectuer quelques journées de travail à la maison de temps à autre. C'est ce que suggèrent en partie les résultats. En effet, alors que 7 % des employés demeurant à 4 kilomètres ou moins de leur lieu de travail avaient effectué du travail à la maison, c'était le cas de 13 % de ceux résidant à 30 kilomètres ou plus (tableau 1).

Le fait de vivre dans une région où les déplacements entre le lieu de résidence et le lieu de travail sont moins fluides n'était cependant pas associé à une plus grande fréquence du travail à domicile. Au Canada, les deux régions métropolitaines où les temps de déplacements entre le domicile et le travail sont en moyenne les plus longs sont Toronto et Montréal15. La proportion des employés y ayant effectué du travail à domicile n'était cependant pas sensiblement plus élevée que dans les régions où les temps moyens de déplacements étaient plus courts (tableau 1).

 

Les perceptions aussi influent sur la popularité du travail à domicile

Outre la scolarisation, la popularité de certains types de professions et la croissance/décroissance de certains secteurs d'activité au sein de l'économie, il existe plusieurs autres forces qui peuvent agir sur la popularité du travail à domicile.

C'est le cas, par exemple, des perceptions des employés et des employeurs par rapport aux avantages et aux inconvénients du travail à domicile. On a parfois tendance à croire que le travail à domicile est vu positivement par la majorité des employés. Toutefois, selon certaines sources, le travail à domicile s'est montré une expérience insatisfaisante pour bon nombre d'employés, et ce, pour diverses raisons : absence d'interactions en milieu de travail et sentiment d'isolement; impression d'être oubliés par l'employeur; jugements négatifs des collègues; séparation difficile entre les activités professionnelles et les responsabilités et rôles familiaux; etc1. Certains se sont rendus compte qu'ils n'avaient pas les qualités ou les traits de personnalité requis pour le travail à domicile (grande indépendance, capacité à travailler en solitaire, etc.2). De telles perceptions négatives, si elles sont très répandues, peuvent naturellement faire diminuer la demande, de la part des employés, pour des ententes de travail à domicile.

Par ailleurs, il est possible que le niveau d'offre de travail à domicile des employeurs soit demeuré assez faible. Selon certaines sources, par exemple, plusieurs employeurs, malgré qu'ils reconnaissent des points positifs en ce qui a trait à la réduction des frais de fonctionnement (espace de bureau, coûts en énergie, etc.), demeurent sceptiques quant à l'utilité des programmes de travail à domicile. Ils y voient, entre autres, une difficulté à  superviser les employés, un manque de communication, des enjeux de sécurité reliés à l'information traitée, une diminution de l'esprit d'équipe et du sentiment d'appartenance à l'entreprise, et des problèmes reliés à la confidentialité des informations3. Selon certains experts, la croissance moins forte que prévue du travail à domicile s'expliquerait même principalement par les fortes réticences des gestionnaires, qui préfèreraient continuer de superviser en surveillant les comportements (présence physique à son bureau durant de longues heures) plutôt que par les résultats (les tâches ont-elles été accomplies?)4 En bref, la compréhension des facteurs sous-jacents à l'évolution du travail à domicile, en fonction des changements industriels et du capital humain, ne saurait être complète sans certaines informations sur l'offre et la demande pour le travail à domicile.


  1. Pour plus de détails, voir ELLISON, Nicole B. 2004. Telework and Social Change: How Technology is Reshaping the Boundaries Between Home and Work. Westport: Preager Publishers.
  2. Voir la page de InnoVisions Canada au www.ivc.ca pour des références à propos de ces qualités personnelles importantes pour des expériences de travail à domicile positives et réussies.
  3. LEVITT, Howard. 2009. « Beware of time wasters: How to monitor staff who say they are on outside calls », National Post, FP Careers, FP12.
  4. Pour un résumé de ces études et arguments, voir ELLISON. 2004.

Fin de l'encadré

 

Travail à domicile et conciliation travail-vie personnelle

Un des avantages le plus souvent cité, à propos du travail à domicile, est qu'il  favoriserait une meilleure conciliation entre la vie professionnelle et la vie personnelle1. Travailler à domicile permettrait, par exemple, une plus grande liberté dans le choix des heures de travail et contribuerait à diminuer le temps de navettage. On disposerait ainsi de plus de temps pour réaliser les diverses tâches domestiques, notamment les soins aux enfants. Éventuellement, le temps ainsi libéré pourrait être consacré aux loisirs. À contrario, cependant, comme l'ont souligné d'autres études, les personnes qui effectuent du travail à domicile pourraient voir augmenter leur charge de travail, parce que le bureau n'est jamais très loin. De ce fait, la ligne de démarcation entre la vie personnelle et professionnelle deviendrait de plus en plus mince, ce qui pourrait même contribuer à une diminution de la satisfaction par rapport à la conciliation travail-vie personnelle2, à cause notamment d'une plus grande interférence entre les rôles familiaux et les responsabilités liées au travail3.

Afin d'obtenir une population d'employés plus homogène et d'éliminer de l'analyse les personnes pour lesquelles les obligations professionnelles ont probablement moins d'incidence sur la vie personnelle, les analyses suivantes portent uniquement sur les employés qui travaillaient à temps plein (soit 30 heures ou plus par semaine).

Les données de l'Enquête sociale générale indiquent que les employés qui effectuent du travail à domicile n'avaient pas une plus grande perception d'harmonie entre leur emploi et leur vie à la maison. En effet, en 2008, ceux qui y consacraient plus de 10 heures par semaine étaient même légèrement plus portés que ceux qui n'en faisaient jamais à dire qu'ils étaient insatisfaits ou très insatisfaits de l'équilibre entre leur travail et leur vie personnelle (respectivement 17 % pour ceux effectuant 10 heures ou plus de travail à domicile, 14 % pour ceux effectuant moins de 10 heures de travail à domicile et 12 % pour ceux n'en effectuant pas).

Cet écart en ce qui a trait à l'incidence de l'insatisfaction s'expliquait cependant complètement par le fait que les employés qui effectuaient du travail à domicile, en particulier pendant plus de 10 heures, étaient aussi plus susceptibles de travailler pendant de longues heures au total (et que plus le nombre d'heures travaillées augmente, moins la satisfaction par rapport à l'équilibre travail-vie personnelle est grande). En effet, à nombre d'heures travaillées équivalentes, les employés effectuant du travail à domicile ne se montraient pas différents, quant à leur satisfaction ou à leur insatisfaction, de ceux n'en faisant pas (selon un modèle de régression logistique non montré).

Venant renforcer ce résultat, on a trouvé que parmi les employés à temps plein qui se disaient insatisfaits de l'équilibre travail-vie personnelle, 54 % de ceux travaillant à domicile attribuaient leur insatisfaction au temps trop important qu'ils consacraient au travail rémunéré. En comparaison, cette raison était citée par 44 % des employés n'effectuant jamais de travail à domicile.


  1. KURLAND, Nancy B., et Diane E. BAILEY. 1999. « Telework: the advantages and challenges of working here, there, anywhere and anytime », Organizational Dynamics, vol. 28, no 2, automne, p. 53 à 68.
  2. BAILEY, Diane E., et Nancy B. KURLAND. 2002. « A Review of telework research: findings, new directions, and lessons for the study of modern work », Journal of Organizational Behavior, vol. 23, no 4, p. 383 à 400; KURLAND et BAILEY. 1999.
  3. GOLDEN, Timothy D., John F. VEIGA et Zeki SIMSEK. 2006. « Telecommuting's differential impact on work-family conflict: Is there no place like home? », Journal of Applied Psychology, vol. 91, no 6, p. 1340 à 1350.

Fin de l'encadré

Résumé

De 2000 à 2008, la proportion des employés effectuant du travail à domicile a augmenté de 1 point de pourcentage, pour s'établir à 11,2 %. La propension à effectuer du travail à domicile variait cependant de façon considérable selon la scolarité, la profession, le secteur d'activité et le nombre d'heures travaillées. Les employés qui étaient les plus susceptibles d'effectuer du travail à domicile étaient les diplômés universitaires, les gestionnaires (en particulier dans le secteur des soins de santé et de l'assistance sociale), et les professionnels. Le secteur d'activité au sein duquel la participation était la plus forte était celle des services professionnels, scientifiques et techniques.

Même si les travailleurs autonomes ne représentent que 15 % des travailleurs au Canada, ils constituent environ la moitié des personnes effectuant du travail à domicile. En 2008, 60 % des travailleurs autonomes effectuaient du travail rémunéré de leur domicile. Cette proportion atteignait 67 % chez les femmes comparativement à 56 % chez les hommes.

Les trois principales raisons citées par les employés pour effectuer du travail à domicile étaient : les exigences du travail (25 %), de meilleures conditions de travail (23 %) et parce que la maison était le lieu de travail habituel (18 %).

Finalement, les résultats montrent que, dans les agglomérations urbaines, les travailleurs qui résident plus loin de leur lieu de travail étaient plus portés à travailler à domicile que ceux résidant à proximité. Toutefois, ceux résidant à l'extérieur des agglomérations urbaines l'étaient moins.

Martin Turcotte est analyste principal à la revue Tendances sociales canadiennes de la Division de la statistique sociale et autochtone de Statistique Canada.


Notes

  1. À titre d'exemple, la proportion de ménages ayant un ordinateur à la maison a pratiquement doublé en 10 ans, passant de 40 % en 1997 à 79 % en 2008. La hausse de la proportion des ménages branchés à Internet a été encore plus spectaculaire, passant de 17 % des ménages en 1997 à 75 % en 2008 (CANSIM, Tableau 203-0020, Enquête sur les dépenses des ménages).
  2. Il faut cependant dire que si certains croient en une amélioration de la satisfaction de la conciliation travail-vie personnelle par le travail à domicile, d'autres remettent en question cette idée et considèrent même qu'il peut y avoir détérioration dans certains cas; voir, par exemple, GOLDEN, Timothy D., John F. VEIGA et Zeki SIMSEK. 2006. « Telecommuting's differential impact on work-family conflict: Is there no place like home? », Journal of Applied Psychology, vol. 91, no 6, p. 1340 à 1350. Voir aussi ELLISON, Nicole B. 2004. Telework and Social Change: How Technology is Reshaping the Boundaries Between Home and Work. Westport: Preager Publishers.
  3. AKYEAMPONG, Ernest B. 2007. « Le point sur le travail à domicile », L'emploi et le revenu en perspective,vol. 8, no 6, produit no 75-001 au catalogue de Statistique Canada, p. 18 à 21.
  4. Cette différence entre 2000 et 2008 est tout juste statistiquement significative (p = 0,0492).
  5. Il existe des méthodologies différentes de celle utilisée dans le cadre de l'Enquête sociale générale pour mesurer l'incidence du travail à domicile, celles-ci pouvant mener à d'autres conclusions quant à son évolution dans le temps. Par exemple, un sondage réalisé par la firme EKOS en 2001 a trouvé que si on élargissait la définition du travail à domicile de façon à inclure les heures supplémentaires faites à la maison, 40 % des Canadiens (employés et travailleurs autonomes) effectuaient du travail à domicile au moins de temps en temps. Voir EKOS RESEARCH ASSOCIATES. 2001. Canadians and Working from Home. Ottawa, 18 mai 2001. Aussi, le Recensement de la population permet de mesurer le travail à domicile comme lieu de travail habituel, ce qui contribue à des estimés plus bas de la proportion de personnes effectuant du travail à domicile (pour la majorité, le domicile n'est pas le lieu habituel, puisqu'ils y travaillent seulement de façon occasionnelle). Pour plus de détails, consultez STATISTIQUE CANADA. 2008. Habitudes de navettage et lieux de travail des Canadiens, Recensement de 2006, produit no 97-561-XIF au catalogue de Statistique Canada.
  6. Pour un résumé des recherches, voir BAILEY, Diane E., et Nancy B. KURLAND. 2002. « A Review of telework research: findings, new directions, and lessons for the study of modern work », Journal of Organizational Behavior, vol. 23, no 4, p. 383 à 400.
  7. AKYEAMPONG. 2007. BUREAU OF LABOR STATISTICS. 2005. Work at Home in 2004. Washington.
  8. Cette légère différence entre les hommes et les femmes n'était cependant pas statistiquement significative lorsque l'on tenait compte de plusieurs facteurs simultanément dans une régression logistique. Ces facteurs étaient : le niveau de scolarité, la profession, le nombre d'heures travaillées par semaine, la syndicalisation, l'horaire de travail, l'âge de l'employé, la présence d'un enfant dans le ménage et la distance entre le lieu de résidence et le lieu de travail) (résultats non montrés).
  9. CONFORT, Derrick, Karen JOHNSON et David WALLACE. 2003. Travail à temps partiel et des pratiques favorables à la famille dans les entreprises canadiennes, produit no 71-584-MIF au catalogue de Statistique Canada, « Série sur le milieu de travail en évolution ».
  10. Il est possible que certains travailleurs choisissent leur emploi à cause même de l'existence de cette exigence de travailler à domicile. On ne peut cependant estimer dans quelle proportion.
  11. Voir ELLISON. 2004.
  12. TOFFLER, Alvin. 1981. The Third Wave, New York: Bantam Publishing. Pour un résumé des discussions à ce propos, consultez : GOULD ELLEN, Ingrid, et Katherine HEMPSTEAD. 2002. « Telecommuting and the demand for urban living: A preliminary look at white-collar workers », Urban Studies, vol. 39, no 4, p. 749 à 766.
  13. GOULD ELLEN et HEMPSTEAD. 2002.
  14. DOWNS, Anthony. 2002. Still Stuck in Traffic: Coping with Peak-Hour Traffic Congestion. Washington: Brookings Institution Press.
  15. TURCOTTE, Martin. 2006. « Le temps pour se rendre au travail et en revenir », produit no 89-622-XIF au catalogue de Statistique Canada.