Demeurer plus longtemps chez ses parents pour accéder à la propriété?

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par Martin Turcotte

Ce qu'il faut savoir au sujet de la présente étude
L'âge du départ de la maison et la possession de son logement
Quitter le domicile parental avant l'âge de 16 ans
Les enfants boomerangs et la propriété résidentielle
Résumé

Le fait que les jeunes adultes mettent en moyenne plus de temps à quitter le domicile de leurs parents et qu'ils sont plus susceptibles de retourner y vivre après leur premier départ, n'est plus vraiment une nouvelle. Les démographes et les sociologues ont apporté différentes explications à ces deux tendances, entre autres, la prolongation des études et l'accumulation de dettes, le caractère précaire des emplois fréquemment occupés par les jeunes, les délais dans la formation des couples, les changements de valeurs et de préférences, et ainsi de suite.

Plus récemment, on a tenté une autre explication dans les médias et dans la presse populaire1 : plusieurs jeunes adultes demeureraient plus longtemps chez leurs parents (ou y retourneraient après un premier départ) afin d'économiser et d'être en mesure, en quittant le domicile parental pour de bon, de devenir propriétaires d'un logement. Demeurer chez ses parents plus longtemps ou retourner y vivre après un premier départ serait en ce sens une stratégie pour accéder plus facilement à la propriété résidentielle.

À quel point ces hypothèses trouvent-t-elles écho dans la réalité? Les jeunes adultes qui sont demeurés plus longtemps chez leurs parents sont-ils vraiment plus susceptibles de posséder leur maison par la suite? Et qu'en est-il des « enfants boomerangs », c.-à-d. de ceux qui sont retournés vivre chez leurs parents après un premier départ? À l'aide des données de l'Enquête sociale générale (ESG) sur les transitions familiales de 2006, on vérifie, dans le présent article, s'il existe une association entre l'âge auquel les jeunes adultes quittent le domicile de leurs parents et la probabilité qu'ils soient propriétaires de leur logement lorsqu'ils sont dans la trentaine. Pour ce faire, on tient compte de différents facteurs soulevés dans des recherches antérieures comme ayant une incidence sur l'accession à la propriété résidentielle.

Ce qu'il faut savoir au sujet de la présente étude

La présente étude repose sur les données de l'Enquête sociale générale sur les transitions familiales de 2006. Seules les personnes âgées de 30 à 39 ans, ne vivant pas chez leurs parents et ayant quitté le domicile familial au moins une fois entre l'âge de 16 à 30 ans ont été retenues. Chez celles ayant quitté le domicile parental plus d'une fois avant d'avoir 30 ans, on a retenu la date du dernier départ. Les jeunes adultes qui avaient quitté le domicile de leurs parents entre l'âge de 16 et 30 ans représentaient 90 % de tous les jeunes adultes âgés de 30 à 39 ans ne vivant plus chez leurs parents.

Les personnes ayant quitté le domicile de leurs parents avant l'âge de 16 ans ont été exclues, leur situation et leurs parcours de vie étant fort différents de ceux de la majorité des autres jeunes adultes. Pour en savoir plus sur ces plus jeunes adultes, consulter l'encadré « Quitter le domicile parental avant l'âge de 16 ans ».

Le modèle d'analyse statistique
Dans le modèle d'analyse statistique, on utilise le rapport de cotes pour déterminer les différentes caractéristiques qui sont liées au fait d'être propriétaire de son propre logement entre l'âge de 30 et 39 ans. Les résultats indiquent s'il y a une différence significative entre les diverses caractéristiques incluses dans le modèle lorsque les autres variables demeurent constantes. Les variables du modèle comprennent l'âge au départ du domicile parental, les raisons pour revenir vivre chez ses parents (le cas échéant), le revenu du ménage, le plus haut niveau de scolarité atteint, l'activité principale au cours des 12 derniers mois, le fait d'avoir vécu avec ses deux parents jusqu'à l'âge de 15 ans, le lieu de résidence, le temps écoulé depuis l'immigration, la situation dans le ménage et le sexe.

L'âge du départ de la maison et la possession de son logement

La probabilité d'être propriétaire de son logement augmente en fonction de l'âge du départ de la maison, mais seulement jusqu'à un certain point (graphique 1). En effet, au-delà de l'âge de 25 ans au moment du départ, la probabilité d'être propriétaire de son logement dans la trentaine semble plutôt diminuer. Les deux groupes qui se distinguent le plus des autres du point de vue de la propriété résidentielle, avec les taux les plus faibles, sont ceux qui ont quitté le domicile de leurs parents très tôt (soit à 16 ou 17 ans) et ceux qui l'ont quitté le plus tard (soit de 28 à 30 ans).

Graphique 1 Le pourcentage de personnes propriétaires de leur logement augmente en fonction de l'âge au départ du domicile parental, et ce, jusque vers l'âge de 25 ans. Une nouvelle fenêtre s'ouvrira.

Graphique 1
Le pourcentage de personnes propriétaires de leur logement augmente en fonction de l'âge au départ du domicile parental, et ce, jusque vers l'âge de 25 ans

Lorsqu'on utilise un modèle statistique afin de tenir compte des différents facteurs associés à la probabilité d'être propriétaire de son logement tels que la situation dans le ménage, le revenu et ainsi de suite, la conclusion demeure exactement la même2 (tableau A.1). Il existe bel et bien une relation positive entre un âge plus avancé au départ du domicile parental et la propriété résidentielle. Toutefois, contrairement à la thèse selon laquelle plus on reste longtemps chez ses parents, plus la probabilité d'être propriétaire augmente, la probabilité n'augmente en fait que jusqu'à un certain point3. Au-delà de l'âge de départ autour de 25 ans, la probabilité prédite de posséder son logement prend la tangente inverse et diminue, bien que de façon peu prononcée (graphique 2).

De ces résultats, on peut donc conclure que l'âge au moment du départ du domicile parental, s'il est loin d'être le facteur le plus déterminant, peut faire une différence du point de vue de l'accession à la propriété résidentielle. C'est particulièrement le cas des départs hâtifs, qui sont associés à des taux de propriété plus faibles. Pour ce qui est des départs plus tardifs, c.-à-d. ceux qui surviennent après la mi-vingtaine, il semble que d'autres facteurs comme le revenu, l'état matrimonial, etc. prennent le relais. En bref, les résultats confirment de façon partielle l'hypothèse selon laquelle un départ du domicile parental à un âge plus avancé augmente la possibilité de posséder son logement par la suite.

Graphique 2 Peu importe l'âge au moment du départ du domicile parental, la probabilité prédite d'être propriétaire de son logement est plus élevée pour les personnes mariées avec enfants. Une nouvelle fenêtre s'ouvrira.

Graphique 2
Peu importe l'âge au moment du départ du domicile parental, la probabilité prédite d'être propriétaire de son logement est plus élevée pour les personnes mariées avec enfants3

Quitter le domicile parental avant l'âge de 16 ans

Les personnes âgées de 30 à 39 ans qui ont quitté le domicile de leurs parents avant l'âge de 16 ans sont peu nombreuses (moins de 3 % selon le ESG de 2006). Elles étaient néanmoins celles qui étaient les moins susceptibles de toutes d'être propriétaires de leur logement dans la trentaine, soit seulement 54 % contre 74 % de celles qui avaient quitté le domicile parental à 24 ou 25 ans. Pour plusieurs raisons, établir une éventuelle relation entre l'âge au départ et la probabilité d'être propriétaire de son logement ne semblait pas la bonne approche dans ce cas.

Premièrement, une grande part d'entre elles (40 %) ont quitté le domicile parental à cause du décès ou de l'hospitalisation d'un ou des deux parents, contre 20 % chez celles ayant quitté à 18 ou 19 ans et moins de 8 % chez celles l'ayant fait après l'âge de 19 ans. Ces jeunes adultes ont possiblement subi une multitude de répercussions et de stress dans leur vie : adaptation à la vie dans une nouvelle famille, traumatisme provoqué par la perte des parents, et ainsi de suite. Entre autres, il était probablement plus difficile pour eux d'obtenir le soutien que peuvent souvent offrir les parents dans les diverses transitions à l'âge adulte, dont l'achat d'une maison.

Par ailleurs, d'autres jeunes adultes peuvent avoir quitté tôt le domicile parental à cause d'une situation familiale plus difficile, qui a possiblement elle aussi eu des répercussions à plus long terme. Le fait que la proportion de personnes n'ayant pas terminé leurs études secondaires soit nettement plus élevée chez ceux ayant quitté relativement tôt le domicile de leurs parents (16 % contre 7 % pour celles qui l'ont quitté à 16 ans ou après) est un indice des diverses difficultés qu'ils peuvent avoir vécu. D'ailleurs plusieurs autres aspects caractérisant les expériences particulières de ces jeunes, et qui pourraient expliquer leur taux de propriété plus faible, n'ont probablement pu être mesurés dans le cadre de l'enquête.

Les enfants boomerangs et la propriété résidentielle

Selon un sondage récent, bon nombre de jeunes adultes seraient retournés vivre chez leurs parents afin d'économiser pour faire l'achat de leur première maison.4 Si c'est le cas, on pourrait être porté à croire que les « enfants boomerangs » qui vivent maintenant de façon indépendante sont plus susceptibles de posséder leur logement que ceux qui ne sont pas retournés chez leurs parents après leur premier départ. Or, ce n'est pas ce qui se produit.

En effet, la proportion des « enfants boomerangs » âgés de 30 à 39 ans qui possédaient leur logement (68 %) n'était pas statistiquement différente de la proportion de ceux ayant quitté le foyer parental une seule fois. Encore plus, le modèle statistique montre que, en maintenant les autres facteurs constants, la cote exprimant la possibilité que les enfants boomerangs soient propriétaires de leur logement était moindre par rapport aux trentenaires dont le départ de la maison avait été un aller-simple (tableau A.1)5.

Il existe plusieurs raisons pour lesquelles les jeunes adultes peuvent retourner vivre chez leurs parents après avoir quitté le foyer familial une première fois. On peut par exemple penser au divorce, à la perte d'un emploi ou à des problèmes financiers temporaires. D'ailleurs, on ne peut comprendre adéquatement la relation entre le fait d'être un enfant boomerang et la probabilité d'être propriétaire de son logement en faisant abstraction des différents motifs qui ont amenés les jeunes adultes à retourner au domicile parental ou non.

Les enfants boomerangs ne sont pas tous identiques du point de vue de l'accession à la propriété résidentielle. Les personnes qui sont retournées vivre chez leurs parents à cause de la perte d'un emploi ou pour des raisons financières étaient beaucoup moins susceptibles d'être propriétaires dans la trentaine que celles qui n'y étaient jamais retournées.

Cependant, en maintenant l'effet des autres facteurs constants, les personnes qui étaient retournées vivre chez leurs parents à cause de la fin d'une rupture de couple ou bien de la fin de leurs études n'étaient pas moins susceptibles de posséder leur logement par la suite que celles qui n'étaient jamais retournées vivre chez leurs parents6.

Résumé

La présente étude a permis de découvrir une association positive entre l'âge du départ du domicile familial et la probabilité d'être propriétaire de son logement dans la trentaine. Toutefois, ce résultat n'est vrai que pour les départs ayant été faits jusqu'à la mi-vingtaine. Pour les départs faits au-delà de l'âge d'environ 25 ans, plus ce départ était tardif, moins la probabilité d'être propriétaire de son logement dans la trentaine était élevée.

Par ailleurs, il semblerait que les enfants boomerangs qui sont retournés vivre chez leurs parents après avoir quitté une première fois, sont moins susceptibles d'être propriétaires lorsqu'ils atteignent la trentaine que ceux dont le premier départ du nid familial était définitif. C'est particulièrement le cas de ceux qui sont retournés vivre chez leurs parents en raison de la perte d'un emploi ou de difficultés financières.

Martin Turcotte est chercheur en sciences sociales à la Division de la statistique sociale et autochtone de Statistique Canada.

Notes

  1. Boyle, Theresa. 2007. « Kids hang in with parents to raise a down payment », Toronto Star, 28 avril; El Nasser, Haya. 2005. « Why grown kids come home », Usa Today, http://www.usatoday.com/news/nation/2005-01-10-cover-kids_x.htm, site consulté le 6 juillet 2007; « Boomerang kids », Canadian Living, septembre 2004.
  2. Pour voir une description des différents facteurs qui ont été inclus dans cette analyse, voir Turcotte, Martin. 2007. « L'accession des jeunes adultes à la propriété résidentielle », Tendances sociales canadiennes, no 84, produit no 11-008-XIF au catalogue de Statistique Canada.
  3. Les probabilités prédites présentées dans le graphique 2 ont été estimées en maintenant constants les autres facteurs inclus dans l'analyse statistique de façon à ce qu'ils correspondent au profil d'une « personne type ». Cette « personne type » avait les caractéristiques suivantes : un homme de 35 ans, qui vivait dans un ménage dont les revenus se situaient entre 50 000 $ et 59 999 $, qui avait complété un diplôme d'études collégiales, qui occupait un emploi permanent et qui vivait dans la RMR de Toronto.
  4. BMO Groupe financier. 2007. « La génération Y reste à la maison plus longtemps avant de se lancer sur le marché immobilier — un nombre sans précédent de jeunes âgés de 21 à 34 ans demeurent toujours chez leurs parents ». Communiqué de presse, 17 avril, 2007. www2.bmo.com (site consulté le 24 octobre 2007.)
  5. Si on change la population de référence pour inclure uniquement dans l'analyse les adultes âgés de 35 à 44 ans (et ainsi tenir compte du fait que certaines personnes retournent vivre chez leurs parents après l'âge de 30 ans), les conclusions demeurent exactement les mêmes : les enfants boomerangs sont moins susceptibles de posséder leur logement que les enfants qui ont quitté le domicile parental une seule fois.
  6. La différence avec le groupe des personnes qui n'étaient jamais retournées vivre chez leurs parents n'était pas statistiquement significative dans l'analyse de régression logistique.