Section 5 Vitalité subjective

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Nous avons pu constater jusqu'ici que les anglophones du Québec ne forment pas nécessairement un groupe homogène. Nous avons vu, par exemple, qu'ils sont répartis dans diverses régions de la province, dont certaines limitrophes de l'Ontario, qu'ils résident dans des municipalités où la proportion qu'y représentent les membres de leur groupe linguistique varie d'une région à l'autre de la province et que leur degré d'utilisation de l'anglais dans divers domaines de la sphère privée et publique est tributaire de plusieurs facteurs, notamment d'ordre démolinguistique. Cela dit, les résultats de l'Enquête sur la vitalité des minorités de langue officielle (EVMLO) mettent en lumière un élément digne d'intérêt en ce qui a trait au degré d'identification à l'un ou l'autre des deux principaux groupes linguistiques de la province, à savoir la présence d'un sentiment de double identification aux groupes anglophone et francophone. Ces résultats sont dignes de mention dans la mesure où les questions liées à l'appartenance identitaire sont susceptibles de jouer un rôle dans le sentiment d'appartenance des anglophones à la société québécoise.

Les résultats de l'EVMLO révèlent que bien que les anglophones du Québec s'identifient majoritairement au groupe anglophone, une proportion non négligeable d'entre eux s'identifie aux deux groupes linguistiques. De fait, environ 55 % ont déclaré s'identifier « surtout » ou « seulement » au groupe anglophone comparativement à 37 % ayant déclaré s'identifier tant au groupe anglophone que francophone. En distinguant les Anglos-Québécois ayant uniquement l'anglais comme première langue officielle parlée (PLOP) de ceux ayant et le français et l'anglais comme PLOP, on obtient des résultats plus contrastés. Ainsi, 59 % des premiers ont déclaré s'identifier uniquement ou surtout au groupe anglophone comparativement à 19 % des seconds. Pour ce qui est de la double identification aux groupes anglophone et francophone, cette proportion est de 35 % chez les premiers et de 52 % chez les seconds.

Le degré d'identification aux deux principaux groupes linguistiques varie également d'une région à l'autre du Québec (voir le graphique 5.1). On y note en effet que l'identification première au groupe anglophone est plus élevée chez les anglophones qui résident dans les régions de Montréal, de l'Outaouais et de l'Estrie et Sud du Québec, alors qu'au sein de la population anglophone de Québec et ses environs, seulement 30 % de la population anglophone déclare s'identifier « uniquement » ou « surtout » au groupe anglophone. Le corollaire de ces résultats fait en sorte que la double identification aux groupes francophones et anglophones atteint un sommet dans la région de Québec et ses environs (54 %) et dans l'Est de la province (50 %) alors qu'elle se situe à 35 % dans la grande région de Montréal.

 Graphique 5.1 Pourcentage d'anglophones selon l'identification aux groupes francophone et anglophone, Québec et ses régions, 2006

Le sentiment d'appartenance et l'identité sont des concepts fort complexes. Une personne peut s'identifier, selon les circonstances, à son pays, à sa langue, à sa culture, etc. Le sentiment de double identification aux groupes anglophone et francophone qui est observé chez certains Anglos-Québécois suggère que, dans bien des cas, l'immersion dans la culture et la vie publique majoritairement francophone aurait contribué à l'émergence d'un phénomène où se conjugue à la fois une valorisation et une identification à l'héritage culturel et linguistique francophone et des pratiques langagières qui témoignent du statut élevé de l'anglais à Montréal, au Canada et en Amérique du Nord. La vérification et l'analyse de cette hypothèse outrepassent toutefois le cadre du présent rapport analytique et les limites de l'Enquête sur la vitalité des minorités de langue officielle (EVMLO) à cet égard.

Cependant, plusieurs éléments nous permettent d'affirmer que les anglophones du Québec accordent une valeur certaine à l'anglais et au français. Devant la question « Dans quelle mesure est-ce important pour vous que vos enfants soient capables de parler le français? », 95 % des Anglos-Québécois ayant un ou des enfants vivant dans le ménage ont déclaré que c'est « très important » ou « important », soit une proportion légèrement plus faible que les réponses à la même question sur l'importance que leurs enfants soient capables de parler l'anglais (99 %). Bien entendu, les anglophones du Québec sont fort nombreux (88 %) à déclarer qu'il est « très important » ou « important » pour eux de pouvoir utiliser l'anglais dans leur vie de tous les jours. Mais, parmi ceux qui peuvent soutenir une conversation en français, 76 % déclarent également qu'il est « très important » ou « important » pour eux de pouvoir utiliser cette langue dans leur vie de tous les jours. À cet égard, notons que 74 % des Anglos-Québécois ayant l'anglais comme première langue officielle parlée (PLOP) sont de cet avis comparativement à 85 % de ceux ayant et le français et l'anglais comme PLOP.

L'importance accordée à la communauté anglophone et à l'anglais se révèle évidente dans les résultats suivants : près de huit anglophones sur dix accordent de l'importance au fait que des personnes ou des organismes travaillent au développement de la communauté anglophone, 94 % sont du même avis en ce qui a trait au fait que les services gouvernementaux soient offerts en anglais et finalement 96 % accordent de l'importance au fait que les droits linguistiques soient respectés dans leur province (voir le graphique 5.2). On observe peu d'écart d'une région à l'autre de la province dans les réponses à ces questions.

 Graphique 5.2 Pourcentage d'anglophones selon certains indicateurs de la valorisation de la langue anglaise, Québec et régions, 2006

L'Enquête sur la vitalité des minorités de langue officielle (EVMLO) a recueilli des données sur les perceptions subjectives à l'égard de l'évolution passée et future de la présence de la langue minoritaire dans la municipalité de résidence ainsi que sur la vitalité perçue de la communauté de langue officielle en situation minoritaire. À cet égard, il est intéressant de constater qu'en dépit du fait que moins d'anglophones aient quitté le Québec entre 2001 et 2006 comparativement au lustre précédent, que la proportion de personnes de langue maternelle française sur l'île de Montréal soit passée sous la barre des 50 % pour la première fois depuis près d'un siècle et demi1 et que nombre de francophones semblent préoccupés par la situation du français à Montréal, 35 % des Anglos-Québécois (34 % de ceux habitant la région de Montréal) ont déclaré que la présence de l'anglais dans leur municipalité avait diminué au cours des dix dernières années (soit de 1996 à 2006) alors que seulement 16 % ont déclaré que cette présence s'était accrue. Lorsqu'on leur a demandé ce qu'il adviendrait de la présence de l'anglais dans leur municipalité au cours des dix prochaines années, 38 % des Anglos-Québécois (et des Anglos-Montréalais) ont déclaré que cette présence diminuerait (voir le graphique 5.3). Au-delà de l'examen de la situation démolinguistique au Québec et de l'arrimage entre la réalité et les perceptions, il semble donc clair que les Anglos-Québécois manifestent une certaine inquiétude à l'égard de la présence de leur langue dans leur municipalité, voire leur province.

 Graphique 5.3 Pourcentage d'anglophones selon la perception de l'évolution de l'anglais dans la municipalité de résidence, Québec et régions, 2006

Mentionnons par ailleurs que l'Enquête sur la vitalité des minorités de langue officielle (EVMLO) a également demandé aux Anglos-Québécois d'indiquer dans quelle mesure la présence de l'anglais dans divers secteurs (entreprises et commerces, médias et services gouvernementaux) au sein de leur municipalité est forte ou faible. À cet égard, 42 % d'entre eux ont indiqué que cette présence est « très forte » ou « forte » dans les commerces et les entreprises, près de 62 % dans les médias, 42 % dans les services gouvernementaux fédéraux offerts localement et 24 % dans les services du gouvernement du Québec offert localement.

Les résultats portant sur les perceptions à l'égard de la présence de la langue anglaise dans divers secteurs de la vie quotidienne ainsi que celles sur l'évolution perçue de cette langue dans la municipalité depuis les dix dernières années et au cours de la prochaine décennie semblent témoigner de certaines préoccupations de la part des anglophones du Québec. Mais, peut-on se demander, les perceptions à l'égard de la présence de la langue anglaise et de l'espace qu'elle occupe dans la municipalité de résidence concordent-elles avec celles à l'égard de la vitalité de la « communauté » anglophone telle que perçue par les Anglos-Québécois eux-mêmes?

Lorsqu'on a demandé aux anglophones du Québec de décrire la vitalité de la communauté anglophone de leur municipalité, 43 % d'entre eux on déclaré qu'elle est « forte » ou « très forte », 26 % qu'elle est « faible » ou « très faible » et 28 % qu'elle n'est ni forte ni faible. Certaines variations régionales sont observées (voir le graphique 5.4). Par exemple, c'est dans la région de Québec et ses environs (51 %) ainsi que dans le « Reste du Québec » (43 %) que les anglophones sont proportionnellement les plus nombreux à décrire la vitalité de leur communauté linguistique comme étant « faible » ou « très faible » alors que ceux de l'Est de la province (51 %) et ceux de l'Outaouais (48 %) sont plus susceptibles de la décrire comme « forte » ou « très forte ».

 Graphique 5.4 Pourcentage des anglophones selon la perception de la vitalité de la communauté de langue anglaise dans la municipalité de résidence, Québec et régions, 2006

Phénomène digne de mention, les données de l'Enquête sur la vitalité des minorités de langue officielle (EVMLO) permettent de constater que l'évaluation subjective de la vitalité de la communauté anglophone au sein de la municipalité de résidence est tributaire, entre autres, de la proportion que représente le groupe anglophone ainsi que son niveau moyen de concentration géographique au sein de la municipalité (voir le graphique 5.5). Ainsi, en général, plus le poids relatif du groupe anglophone est élevé au sein de la municipalité plus les anglophones sont portés à déclarer que la vitalité de leur communauté est « forte » ou « très forte ». Toutefois, les données portant sur la concentration moyenne des anglophones au sein de leur municipalité révèlent que même lorsque cette concentration est élevée, une situation vécue par près de trois anglophones sur quatre dans la province, moins d'un anglophone sur deux (47 %) décrit la vitalité de la communauté anglophone de sa municipalité comme étant « forte » ou « très forte ».

 Graphique 5.5 Proportion des anglophones qui décrivent la vitalité de leur communauté linguistique dans leur municipalité comme étant forte ou très forte selon la proportion et la concentration de cette minorité dans leur municipalité, Québec, 2006


Note

  1. Le Recensement de 1851-1852 comprenait une question sur l'origine ethnique, non sur la langue maternelle. Les Canadiens-français représentaient alors 45 % de la population de Montréal.
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