Rapports sur la santé
L’espérance de vie ajustée sur la santé au Canada
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par Tracey Bushnik, Michael Tjepkema et Laurent Martel
Au cours du dernier siècle, l’espérance de vie à la naissance au Canada a connu une croissance marquée, atteignant 79,8 ans chez les hommes et 83,9 ans chez les femmesNote 1Note 2. L’augmentation du nombre d’années de vie ne nous renseigne cependant pas sur la qualité de vie. Or, la mesure dans laquelle la qualité de vie suit le rythme de l’accroissement de l’espérance de vie est un important indicateur de la santéNote 3Note 4.
L’espérance de vie en santé est un indicateur sommaire qui intègre des renseignements sur la mortalité (comme l’espérance de vie) et sur l’état de santé (comme la morbidité) à une estimation unique pouvant être considérée comme une mesure de la qualité de vieNote 5Note 6Note 7. L’espérance de vie en santé représente le nombre d’années de vie en bonne santé auxquelles on peut s’attendreNote 4,en fonction de l’expérience moyenne de la population, si les tendances actuelles de la mortalité et des états de santé persistaientNote 3Note 7Note 8.
Plusieurs études canadiennes ont estimé l’espérance de vie en santé à partir de diverses mesures de l’état de santé (comme les indices de l’état de santé, la prévalence de l’incapacité, l’incidence des maladies) et de sources de donnéesNote 3Note 9Note 10Note 11Note 12Note 13Note 14Note 15. L’étude la plus récente a démontré que, de manière générale, l’espérance de vie en santé de la population vivant dans un ménage privé est restée relativement stable de 1994 à 2010 et que les augmentations absolues de l’espérance de vie en santé étaient principalement attribuables à une diminution de la mortalité, accompagnée d’un faible changement de la morbiditéNote 14. Cependant, cette étude et de nombreuses autres sont limitées du fait de l’exclusion de la population vivant en établissement, qui est davantage susceptible d’être en mauvaise santé; une telle exclusion peut créer un tableau trop optimiste de la santé de la populationNote 16.
Dans le cadre de la présente étude, l’espérance de vie ajustée sur la santé (EVAS) est calculée tous les quatre ans, de 1994-1995 à 2015, pour les populations vivant à domicile et en établissement combinées. Les tendances au fil du temps en matière d’état de santé, d’espérance de vie et d’EVAS sont examinées. L’état de santé est estimé au moyen de l’indice de l’état de santé (Health Utilities Index Mark 3 [HUI3])Note 17 qui a été utilisé pour obtenir des estimations antérieures de l’EVAS au CanadaNote 10Note 12Note 13Note 14Note 15. L’étude traite également de la manière dont l’EVAS a changé par rapport à l’espérance de vie. Afin de mieux comprendre l’incidence d’aspects particuliers de l’état de santé sur les différences entre l’EVAS et l’espérance de vie, l’EVAS en l’absence d’un attribut est estimée et évaluée au fil du temps.
Méthodologie
Sources des données
Enquête nationale sur la santé de la population et Enquête sur la santé dans les collectivités canadiennes
Les estimations de l’indice HUI3 sont calculées à partir des réponses à l’Enquête nationale sur la santé de la population (ENSP) de 1994-1995 et de 1998-1999 et de celles à l’Enquête sur la santé dans les collectivités canadiennes (ESCC) de 2001, de 2005, de 2009-2010 et de 2015. Un aperçu de l’ENSP et de l’ESCC est fourni dans ce qui suit, mais des renseignements plus détaillés peuvent être obtenus à l’adresse www.statcan.gc.ca.
La population cible du volet ménages de l’ENSP était les résidents de ménages privés dans les 10 provinces, à l’exclusion des personnes vivant dans les réserves indiennes, sur les terres de la Couronne et dans certaines régions éloignées de l’Ontario et du Québec, ainsi que les résidents d’établissements de soins de santé et les membres à temps plein des Forces canadiennes. Les taux de réponse des ménages sélectionnés par rapport aux taux de réponse des personnes sélectionnées pour l’ENSP de 1994-1995 et de 1998-1999 étaient, respectivement, de 88,7 % contre 96,1 % et de 87,6 % contre 98,5 %. La population cible du volet établissements de soins de santé de l’ENSP de 1994-1995 comprenait des résidents d’établissements de soins de santé (de longue durée, au minimum quatre lits, et résidents non autonomes) échantillonnés dans cinq zones géographiques (provinces de l’Atlantique, Québec, Ontario, provinces des Prairies et Colombie-Britannique) et dans trois types d’établissements : établissements pour personnes âgées, établissements de soins cognitifs et autres établissements de réadaptation. Les taux de réponse des établissements sélectionnés par rapport à ceux des résidents sélectionnés en 1994-1995 étaient de 95,5 % contre 93,6 %.
L’ESCC vise la population âgée de 12 ans et plus vivant dans les 10 provinces et les 3 territoires, à l’exclusion des personnes vivant dans les réserves indiennes, sur les terres de la Couronne et dans certaines régions éloignées, de la population vivant en établissement et des membres à temps plein des Forces canadiennes; ensemble, ces exclusions représentent moins de 3 % de la population cible. Les taux de réponse combinés des ménages sélectionnés par rapport à ceux des personnes sélectionnées pour l’ESCC de 2001, de 2005, de 2009-2010 et de 2015 étaient respectivement de 84,7 %, 78,9 %, 72,3 % et 57,5 %.
La présente étude utilise des données relatives aux répondants présentant un indice HUI3 valide. En général, le taux de non-réponse des ménages pour l’indice HUI3 était inférieur à 1 % pour toute année d’enquête, ce qui fournit les tailles d’échantillon suivantes pour l’analyse : 15 989 (1994-1995), 16 408 (1998-1999), 129 834 (2001), 30 809 (2005), 121 606 (2009-2010) et 49 747 (2015 – excluant les territoires). De même, 2 283 répondants vivant en établissement sur 2 287 présentaient un indice HUI3 valide en 1994-1995, parmi lesquels 713 avaient été imputés.
Recensement de la population
Le Recensement de la population permet de dénombrer la population entière du pays, y compris les citoyens canadiens (de naissance ou par naturalisation), les immigrants reçus, les résidents non permanents et les membres de leur famille vivant avec eux au Canada (pour obtenir des renseignements détaillés, voir http://www12.statcan.gc.ca/census-recensement/2016/ref/index-fra.cfm). Dans le cadre du recensement, des renseignements sont aussi recueillis sur le type de logement (privé ou collectif); les renseignements sur le logement collectif ont été utilisés pour estimer le pourcentage de la population vivant dans des établissements de soins de santé en 1996, en 2001, en 2006, en 2011 et en 2016.
Tables de mortalité
Les tables de mortalité utilisent des données provinciales et territoriales sur la mortalité tirées de la Base de données sur les décès de la Statistique de l'état civil ainsi que des estimations de la population pour calculer l’espérance de vie à la naissance et à divers âges, les quotients de mortalité, les probabilités de survie entre deux âges, les années vécues et le nombre de survivants à divers âgesNote 18. L’espérance de vie et l’EVAS ont été estimées pour chaque année d’enquête, au moyen des données complètes (selon l’année d’âge) des tables de mortalité des hommes et des femmes pour les périodes de 1993 à 1995, de 1997 à 1999, de 2000 à 2002, de 2004 à 2006, de 2009 à 2011 et de 2013 à 2015Note 2.
Mesures
Indice de l’état de santé (Health Utilities Index Mark 3 [HUI3])
L’indice de l’état de santé (Health Utilities Index Mark 3 [HUI3]) mesure huit attributs de l’état de santé autodéclaré : la vision, l’ouïe, la parole, la mobilité, la dextérité, l’émotion, la cognition et la douleurNote 17. Les niveaux d’attribut d’un répondant (allant d’une incapacité normale à une incapacité grave) sont totalisés par une fonction de score pondérée pour obtenir une valeur unique représentant l’état de santé général. Cette valeur peut aller de -0,36 (état pire que la mort, 0 représentant la mort) à 1,00 (meilleur état de santé possible).
Population vivant en établissement
Aux fins de la présente étude, la population vivant en établissement a été définie comme étant constituée de personnes vivant dans les types suivants de logements collectifs de soins de santé le jour du recensement : les hôpitaux généraux et spécialisés (notamment pour personnes souffrant de maladies chroniques et les hôpitaux de soins de courte ou de longue durées), les établissements de soins infirmiers, les résidences pour personnes âgées, les foyers collectifs, les centres de traitement et établissements pour les handicapés physiques et les foyers collectifs et établissements de soins prolongés pour les personnes ayant une déficience psychiatrique ou développementale. Les personnes ne vivant pas dans de tels logements ont été considérées comme faisant partie de la population vivant à domicile.
Analyse statistique
Espérance de vie ajustée sur la santé (EVAS)
Afin d’estimer l’EVAS, les scores moyens de l’indice de l’état de santé HUI3, selon le sexe et la tranche d’âge, ont été totalisés pour la population vivant à domicile (chaque année d’enquête) et la population vivant en établissement (1994-1995). Les tranches d’âge étaient les suivantes : de 0 à 11 ans (pour la population à domicile en 1994-1995 et en 1998-1999; la valeur moyenne pour les enfants de 4 à 11 ans a été attribuée à l’ensemble de la tranche d’âge de 0 à 11 ans et la valeur moyenne de 1998-1999 a été reportée à toutes les années suivantes), de 12 à 14 ans (l’indice HUI3 est disponible dans l’ESCC à partir de l’âge de 12 ans), de 15 à 24 ans, de 25 à 34 ans, de 35 à 44 ans, de 45 à 54 ans, de 55 à 64 ans, de 65 à 74 ans, de 75 à 84 ans et de 85 ans et plus. Des poids de sondage ont été appliqués afin que les estimations moyennes de l’indice HUI3 représentent l’état de santé des populations cibles sous-jacentes selon le sexe et la tranche d’âge, et des poids bootstrap ont été appliqués afin que les erreurs-types soient estimées en tenant compte du plan d’échantillonnage complexe de chaque enquêteNote 19.
Les pourcentages de personnes vivant dans un ménage privé et en établissement de soins de santé ont été estimés selon le sexe et la tranche d’âge à partir des données du Recensement de la population. Les scores moyens de l’indice HUI3 (selon le sexe et la tranche d’âge) pour la population à domicile (HUI3 ménages) de chaque année d’enquête ont été multipliés par le pourcentage relatif aux ménages, selon le sexe et la tranche d’âge, estimé à partir de chaque année de recensement, comme suit (année d’enquête*année de recensement) : 1994-1995*1996, 1998-1999*1996, 2001*2001, 2005*2006, 2009-2010*2011 et 2015*2016. Pour la population vivant en établissement, les scores moyens de l’indice HUI3 (selon le sexe et la tranche d’âge) en 1994-1995 (HUI3 établissements) ont été reportés à toutes les années d’enquête suivantes et multipliés par le pourcentage, selon le sexe et la tranche d’âge, relatif aux établissements de soins de santé, qui a été estimé à partir de chaque année de recensement, comme indiqué ci-dessus. Les deux valeurs obtenues (HUI3 ménages et HUI3 établissements) ont été additionnées pour fournir les scores globaux de l’indice HUI3 selon le sexe et la tranche d’âge pour chaque année d’enquête. La variance du score global de l’indice HUI3 selon le sexe et la tranche d’âge a été estimée à partir de la somme de la variance de l’indice HUI3 ménages multipliée par le carré du pourcentage relatif aux ménages et de la variance de l’indice HUI3 établissements multipliée par le carré du pourcentage relatif aux établissements.
L’EVAS a été estimée pour chaque année d’enquête au moyen d’une version modifiée de la méthode SullivanNote 20. Les renseignements sur l’espérance de vie provenant de chacun des ensembles de tables de mortalité complètes selon le sexe, lesquels couvrent une période de trois ans, ont été pondérés en fonction du nombre d’années vécues à un âge donné par la moyenne de l’indice HUI3 pour cet âge. La somme des années de vie corrigées au-delà de l’âge x a ensuite été divisée par le nombre de survivants à cet âge pour obtenir l’EVAS selon l’âge et le sexeNote 6. La variance de l’EVAS a été estimée à l’aide de la méthode proposée par MathersNote 21 qui tient compte des fluctuations stochastiques des quotients de mortalité observées et des scores moyens globaux de l’indice HUI3.
L’EVAS en l’absence d’un attribut
L’EVAS en l’absence d’un attribut a été estimée pour les populations vivant à domicile et en établissement en 1994-1995 et en 2015 afin de déterminer la portion de la différence entre l’EVAS et l’espérance de vie pouvant être attribuée à chaque attribut de l’indice de l’état de santé. Pour produire une EVAS en l’absence d’un attribut, le score global de l’indice HUI3 pour les populations vivant à domicile et en établissement a été recalculé six fois séparément, en attribuant chaque fois un score parfait (1,0) à l’un des attributs, tout en laissant les autres à leur niveau réel. Les attributs de la vision, de l’ouïe et de la parole ont été regroupés dans l’attribut « capacités sensorielles ».
Aucune valeur ne manquait dans le cas de la population vivant à domicile en 1994-1995 ou en 2015, mais il manquait des valeurs pour chaque attribut de la population vivant en établissement en 1994-1995 : vision (n = 271), ouïe (n = 117), parole (n = 60), mobilité (n = 20), dextérité (n = 50), émotion (n = 185), cognition (n = 95) et douleur (n = 137). À chaque valeur manquante d’un attribut, on a attribué le score moyen selon le sexe et la tranche d’âge des années présentant des données complètes pour l’attribut en question. Les estimations de l’indice HUI3 pour la population vivant en établissement en 1994-1995 ont été reportées à 2015.
Les estimations de l’indice HUI3 en l’absence d’un attribut pour les populations vivant à domicile et en établissement ont été additionnées pour chaque année d’enquête afin de calculer le score de l’indice HUI3 en l’absence d’un attribut selon le sexe et la tranche d’âge en 1994-1995 et en 2015.
Analyses de sensibilité
Les estimations de l’indice de l’état de santé HUI3 pour la population vivant en établissement, qui ont été utilisées pour calculer l’EVAS en 2015, ont été corrigées pour rendre compte de trois scénarios : l’ajout de 0,03 au score de l’indice HUI3 pour chaque répondant vivant en établissement à partir de 1994-1995, la soustraction de 0,03 à chaque score de l’indice HUI3 et le remplacement du score par des valeurs de l’indice HUI3 dérivées des évaluations d’interRAI de 2012 de la population en établissement de soins infirmiers en OntarioNote 22. Le nombre 0,03 a été choisi, car il s’agit de la plus petite différence de l’indice HUI3 qui représente une variation significativeNote 23. Les valeurs moyennes corrigées de l’indice HUI3 (augmentées, diminuées et remplacées) ont été estimées selon le sexe et la tranche d’âge, puis multipliées par le pourcentage de la population vivant en établissement en 2016 et combinées aux valeurs de l’indice HUI3 pour la population à domicile de l’ESCC en 2015 afin d’obtenir une estimation globale de cet indice. L’EVAS a ensuite été recalculé pour 2015. Une deuxième analyse de sensibilité a exclu de l’EVAS estimée, pour chaque période, les estimations de l’indice HUI3 pour la population vivant en établissement, limitant ainsi les résultats à la population vivant à domicile.
Résultats
État de santé des populations vivant à domicile et en établissement
En 2015, l’indice de l’état de santé HUI3 moyen pour les hommes et les femmes de moins de 65 ans de la population vivant à domicile était similaire à celui de 1994-1995 (tableau 1). Pour les personnes de 65 ans ou plus, l’indice HUI3 moyen en 2015 était supérieur à celui de 1994-1995.
Du fait de la probabilité supérieure du placement en établissement au fur et à mesure du vieillissement, les estimations pour les résidents vivant à domicile sont moins représentatives de la population âgée. En 2016, 5,7 % des hommes et 9,1 % des femmes de 75 à 84 ans, ainsi que 23,1 % des hommes et 35,6 % des femmes de 85 ans ou plus, vivaient dans un établissement de soins de santé.
Selon les données de l’ENSP de 1994-1995, l’indice HUI3 moyen de la population vivant en établissement était bien inférieur à celui de la population vivant à domicile (tableau 1). Chez les hommes de 75 à 84 ans, l’indice HUI3 moyen était de 0,146 pour la population vivant en établissement par rapport à 0,753 pour la population vivant à domicile; chez les hommes de 85 ans et plus, il était de 0,170 par rapport à 0,592. Des différences similaires ont été observées chez les femmes des mêmes tranches d’âge : 0,157 par rapport à 0,708 et 0,097 par rapport à 0,571.
Espérance de vie et EVAS
Entre 1994-1995 et 2015, l’espérance de vie et l’EVAS ont augmenté pour les deux sexes et à tous les âges (tableau A en annexe). Chez les hommes, l’espérance de vie à la naissance a augmenté, passant de 74,9 ans à 79,8 ans, de même que l’EVAS, qui est passée de 65,0 ans à 69,0 ans (figure 1). Chez les femmes, l’espérance de vie à la naissance a augmenté, passant de 80,9 ans à 83,9 ans, de même que l’EVAS, qui est passée de 67,8 ans à 70,5 ans.
Chez les hommes, l’augmentation absolue de l’espérance de vie a été supérieure à celle de l’EVAS (graphique 2). Par exemple, au cours des 20 dernières années, à 65 ans, les hommes ont gagné 3,3 ans d’espérance de vie et 2,7 ans d’EVAS. Chez les femmes, les augmentations absolues de l’espérance de vie et de l’EVAS ont été similaires, mais inférieures à celles des hommes. Par conséquent, l’écart entre les hommes et les femmes sur le plan des années d’espérance de vie et d’EVAS s’est rétréci au fil des ans.
L’EVAS par rapport à l’espérance de vie
Le ratio de l’EVAS à l’espérance de vie (le pourcentage d’années vécues en bonne santé fonctionnelle) a évolué légèrement entre 1994-1995 et 2015 (graphique 3). Le changement chez les hommes est négligeable pour toutes les tranches d’âge, mais on peut observer une légère hausse chez les femmes de 65 ans et plus. Cela dit, pour toutes les tranches d’âge et pour toutes les périodes, une plus petite part des années de vie restantes chez les femmes a été vécue en bonne santé, comparativement à celle des hommes. Par exemple, en 1994-1995 et en 2015, à 20 ans, les femmes pouvaient s’attendre à passer 81 % de leurs années de vie restantes en bonne santé; ce pourcentage chez les hommes était de 85 %.
EVAS en l’absence d’un attribut
L’indice de l’état de santé HUI3 comprend six attributs de santé : capacités sensorielles, mobilité, dextérité, émotion, cognition et douleur. L’importance relative de chacun de ces attributs, expliquant la différence entre l’EVAS et l’espérance de vie (années en mauvaise santé), variait selon l’âge et le sexe ainsi qu’au fil du temps. À 20 ans, pour les deux sexes, la douleur était une source de détérioration de la santé plus importante en 2015 qu’elle ne l’était en 1994-1995 (tableau 2). L’importance relative de la mobilité a également légèrement augmenté, alors que celle des problèmes sensoriels a diminué.
À 65 ans, pour les hommes, la mobilité est devenue une source plus importante de détérioration de la santé; pour les femmes, ce sont la mobilité et la douleur qui sont devenues plus importantes (tableau 2). L’importance relative des problèmes sensoriels a diminué pour les personnes âgées des deux sexes.
Une fois les estimations de l’EVAS en l’absence d’un attribut limitées à la population vivant à domicile, pour les deux périodes (1994-1995 et 2015), le pourcentage des années passées en mauvaise santé en raison de la douleur était plus élevé aux deux âges (à 20 ans et à 65 ans), alors que le pourcentage attribué à l’effet combiné d’attributs multiples (résidu) était inférieur (résultats non présentés).
Analyses de sensibilité
Le fait de recalculer l’EVAS en 2015 en supposant une augmentation de 0,03 ou une diminution de 0,03 de l’indice de l’état de santé HUI3 individuel pour la population vivant en établissement à partir de 1994-1995 ou en utilisant l’indice HUI3 fondé sur les évaluations d’interRAI de 2012 a eu peu d’incidence sur l’EVAS, même aux âges les plus avancés (résultats non présentés). Le fait de recalculer l’EVAS en excluant la population vivant en établissement a cependant entraîné une augmentation des valeurs, particulièrement chez les femmes (résultats non présentés). Cela a également produit des ratios d’EVAS à l’espérance de vie supérieurs pour les deux sexes (graphique 4). Cette exclusion a eu peu d’incidence sur les ratios à la naissance ou à l’âge de 20 ans; à des âges plus avancés, en revanche, elle a fait augmenter la part des années de vie restantes passées en bonne santé fonctionnelle.
Discussion
Au cours des 20 dernières années, l’espérance de vie et l’EVAS ont augmenté au Canada, et l’écart entre les sexes a diminué du fait de gains supérieurs chez les hommes. En 2015, l’EVAS à la naissance était de 69,0 ans pour les hommes et de 70,5 ans pour les femmes; cela constitue une augmentation respective de 4,0 ans et de 2,7 ans depuis 1994-1995. Tout au long de la période, le ratio entre l’EVAS et l’espérance de vie (la part des années de vie passées en bonne santé fonctionnelle) des hommes était supérieur à celui des femmes. Ce ratio a cependant peu changé au fil du temps chez les hommes, mais s’est légèrement accru chez les femmes de 65 ans et plus. L’importance des problèmes sensoriels en tant que source de dégradation de la santé a diminué pour les deux sexes, alors que la douleur (chez les femmes) et la mobilité ont représenté une portion plus élevée du fardeau lié à une mauvaise santé.
L’augmentation bien documentée de l’espérance de vie au Canada est attribuable en grande partie au déclin de la mortalité en fin de vie depuis les années 1950Note 24Note 25. La hausse de l’EVAS a également été signalée au Canada et ailleursNote 14Note 26Note 27 mais la part de cette amélioration pouvant être attribuée à des réductions de la morbidité plutôt qu’à des réductions de la mortalité dépend de l’indicateur d’espérance de vie en santé. Une étude fondée sur l’indice HUI3 indique que les gains de l’EVAS résultent principalement des améliorations de la mortalitéNote 14, alors que des études utilisant d’autres mesures ont conclu que le déclin des symptômes et déficiencesNote 27 ou de la prévalence de l’incapacitéNote 26 contribuait en partie à cette amélioration.
La présente étude a relevé des écarts pour l’espérance de vie et l’EVAS entre les hommes et les femmes. La réduction de l’écart d’espérance de vie entre les sexes a été attribuée à des facteurs comprenant une réduction des morts violentes chez les adolescents et jeunes adultes masculins, un meilleur traitement des maladies cardiovasculaires et une plus grande similarité de comportements des femmes et des hommes, particulièrement en matière de tabagisme, de consommation d’alcool et de stress lié au travailNote 1. Il a été signalé dans de nombreux pays que les hommes passaient une plus grande part de leur vie en bonne santé fonctionnelle que ne le faisaient les femmesNote 26Note 28Note 29Note 30. Ces dernières peuvent vivre plus longtemps en étant malade, car leurs problèmes de santé sont moins mortels que pour les hommes, alors que les hommes sont plus susceptibles de souffrir d’affections menant à un décès précoceNote 29.
La présente étude a mesuré l’espérance de vie en santé à l’aide de l’indice de l’état de santé (Health Utilities Index Mark 3 [HUI3]), qui attribue un score global au niveau autodéclaré par le répondant de déficience sensorielle (vision, ouïe et parole), d’incapacités relatives à la mobilité, à la dextérité, à l’émotion, à la cognition et à la douleur. Au fil du temps, les problèmes sensoriels ont représenté une part inférieure du fardeau lié à une mauvaise santé pour les deux sexes, alors que l’importance relative des problèmes de mobilité a augmenté. Un déclin de la prévalence des problèmes sensoriels a également été signalé aux États-UnisNote 31, tout comme l’a été une augmentation des troubles de mobilitéNote 32. La présente étude a relevé que la douleur représentait une plus grande part de la mauvaise santé chez les femmes, alors que Stewart et coll.Note 27 ont signalé une diminution de la prévalence de la douleur entre 1987 et 2008. Cette différence pourrait s’expliquer par une différence de définition de la douleur. L’étude de Stewart et coll. se rapportait à la douleur qui nuit aux activités habituelles, alors que la douleur sur laquelle porte la présente étude empêche les activités en général.
Bien que la morbidité soit comprimée dans une période plus courte avant la mort, son incidence est moins grave que si une vie plus longue comprenait de nombreuses années de soins et de traitements coûteux de maladie et d’incapacitéNote 31. La présente étude a permis de constater que le ratio de l’EVAS à l’espérance de vie est demeuré relativement stable pour les personnes de moins de 65 ans, ce qui ne suggère ni compression ni expansion de la morbidité par rapport à l’espérance de vie. Pour les femmes de 65 ans et plus, le ratio a légèrement augmenté, leur état de santé autodéclaré ayant affiché une légère amélioration au fil du temps. Cutler et coll. ont signalé une amélioration du ratio de l’espérance de vie sans incapacité à l’espérance de vie entre 1991 et 2009 pour les hommes et les femmes de 65 ans et plus aux États-Unis, s’accompagnant d’plus grande amélioration pour les femmes.Note 31 D’autres études présentent des résultats qui varient d’une à l’autre. Bien qu’il ait été suggéré qu’une plus grande partie de la population du monde passe davantage de tempsNote 5 avec une perte de santé fonctionnelle, Freedman et coll. ont constaté des améliorations entre 1982 et 2011 quant au pourcentage d’années que les hommes peuvent s’attendre à vivre sans incapacité aux États-Unis, mais peu de changement chez les femmesNote 26. En revanche, Steensma et coll. ont constaté peu de variation pour les deux sexes au Canada quant au pourcentage de vie passée en mauvaise santé entre 1994 et 2010Note 14. Des données provenant du Système canadien de surveillance des maladies chroniques semblent indiquer cependant qu’entre 2000 et 2011 un pourcentage croissant de personnes vivaient avec des maladies, notamment la cardiopathie ischémique, des troubles pulmonaires obstructifs chroniques et le diabète, dont l’incidence a diminué chez les personnes de 50 ans ou plus, mais dont la prévalence a augmentéNote 33. Ces résultats visiblement contradictoires signalent la difficulté de tirer des conclusions définitives à partir d’études utilisant des sources de données, des populations cibles, des périodes de référence et des indicateurs d’espérance de vie en santé différentsNote 34.
Forces et limites
Cette étude présente de nombreuses forces. L’indice HUI3 est une échelle continue, ce qui le rend moins sensible aux erreurs de mesure que les estimations dichotomiques de l’état de santé, comme la prévalence de l’incapacité. Les données existent sur une période de plus de 20 ans. L’EVAS a non seulement été estimée pour la population vivant à domicile, mais a également incorporé l’état de santé et le pourcentage des personnes vivant en établissement de soins de santé, fournissant ainsi un tableau plus complet de l’espérance de vie en santé. Sans la population vivant en établissement, l’EVAS aurait été significativement plus élevée, en particulier pour la tranche d’âge de 65 ans et plus.
Parallèlement, l’absence d’estimations récentes de l’état de santé de la population vivant en établissement est une limite et une lacune statistique majeure. Bien que cette population soit comprise dans les bases de données administratives recueillant des renseignements sur les maladies et les problèmes de santé chroniques, des renseignements nationaux sur la qualité de vie liée à la santé de cette population ne sont pas régulièrement recueillis. L’espérance de vie et l’EVAS pour l’année 2015 sont fondées sur les données des tables de mortalité pour la période de 2013 à 2015 (période disponible la plus récente). Des différences dans les modes de collecte de l’ENSP et de l’ESCC et la diminution des taux de réponse à l’ESCC pourraient avoir une incidence sur les estimations de la santé au fil du tempsNote 35Note 36. Bien que l’utilisation de poids de sondage permette de veiller à ce que l’échantillon soit représentatif de la population cible, un biais peut subsister si les réponses des non-répondants diffèrent systématiquement de celles des répondants.
Conclusion
L’espérance de vie et l’EVAS au Canada ont augmenté au fil du temps. L’écart entre les hommes et les femmes a diminué du fait de gains supérieurs pour les hommes au cours des 20 dernières années. Le ratio de l’EVAS à l’espérance de vie est demeuré stable; ce qui ne suggère ni réduction ni amélioration de la santé fonctionnelle générale par rapport à l’espérance de vie. La douleur (principalement chez les femmes) et des difficultés de mobilité représentent maintenant une part plus importante du fardeau lié à une mauvaise santé. Des données sur les populations vivant à domicile et en établissement pour les années à venir sont nécessaires pour mieux comprendre les composantes et tendances de l’espérance de vie en santé.
Remerciements
Les auteurs sont reconnaissants de l’aide apportée par Philippe Finès, qui a fourni la syntaxe ayant permis de produire les estimations de la variance pour l’EVAS.
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