Rapports sur la santé
Prévalence de l’usage du tabac chez les Inuits au Canada
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par Evelyne Bougie et Dafna Kohen
Les Inuits sont les premiers habitants de l’Arctique. En 2011, la population inuite au Canada comptait un peu moins de 60 000 personnes. De ce nombre, 73 % vivaient dans des communautés éloignées se situant dans les quatre régions de l’Inuit Nunangat : le Nunatsiavut (Labrador), le Nunavik (nord du Québec), le Nunavut, et la région inuvialuite (Territoires du Nord-Ouest)Note 1.
Les Inuits font face à des défis uniques en matière de santé physique et mentaleNote 2Note 3. Parmi ces défis figure la prévalence élevée de l’usage du tabacNote 2Note 3Note 4Note 5Note 6Note 7. Selon l’Enquête auprès des peuples autochtones (EAPA) de 2012, 52 % des Inuits de 15 ans et plus fumaient la cigarette quotidiennement, ce qui représente une proportion trois fois plus élevée (16 %) que celle observée dans l’ensemble de la population du CanadaNote 4.
Les maladies liées au tabagisme représentent le pourcentage le plus élevé de la différence au chapitre de l’espérance de vie entre les résidentes de l’Inuit Nunangat et les femmes du reste du CanadaNote 8. Le cancer du poumon est le cancer le plus fréquent au NunavutNote 9; en fait, le taux d’incidence du cancer du poumon chez les Inuits est le plus élevé au mondeNote 10Note 11.
En raison du lien étroit qui existe entre l’usage du tabac et les divers problèmes de santéNote 12 et les décès prématurésNote 13, il importe d’étudier les tendances en matière de tabagisme chez les Inuits. En se fondant sur les résultats de l’EAPA de 1991, de 2001 et de 2012 (voir Les données), la présente étude examine les tendances liées à l’usage quotidien du tabac, à l’usage occasionnel du tabac et aux non-fumeurs chez les Inuits de 15 ans et plus, selon certaines caractéristiques (dans l’Inuit Nunangat et à l’extérieur de celui-ci, la région inuite, le sexe et le groupe d’âge). Le changement est mesuré en comparant des estimations au cours d’une période de 20 ans (de 1991 à 2012) et pour chaque intervalle de 10 ans (de 1991 à 2001 et de 2001 à 2012). Pour ce qui est des fumeurs quotidiens, le nombre moyen de cigarettes fumées chaque jour et l’âge moyen auquel ces personnes deviennent des fumeurs quotidiens sont aussi étudiés.
Tendances nationales
Entre 1991 et 2012, la prévalence de l’usage quotidien du tabac chez les Inuits a diminué significativement, passant de 64 % à 52 % (tableau 1). On observait relativement peu de changements dans cette situation entre 1991 et 2001. Cependant, la baisse a été par la suite significative, passant de 61 % en 2001 à 52 % en 2012. Au cours de la même période, le pourcentage de l’ensemble des Canadiens âgés de 15 ans et plus qui étaient des fumeurs quotidiens a également diminué, passant de 22 % en 2001 à 16 % en 2012Note 14.
L’usage occasionnel du tabac était plus fréquent chez les Inuits en 2012 qu’en 1991; le pourcentage n’a pas changé significativement entre 1991 et 2001, mais a augmenté entre 2001 et 2012.
La prévalence des non-fumeurs chez les Inuits était nettement plus élevée en 2012 (38 %) qu’en 1991 (29 %). Le pourcentage de non-fumeurs a augmenté progressivement et de façon significative au cours de ces deux décennies.
Prévalence plus élevée dans l’Inuit Nunangat
Durant la période à l’étude, l’usage quotidien du tabac était constamment et significativement plus répandu chez les Inuits vivant dans l’Inuit Nunangat que ceux vivant à l’extérieur de celui-ci. Le pourcentage de fumeurs quotidiens a diminué de manière significative dans les deux régions; toutefois, la baisse était plus marquée à l’extérieur de l’Inuit Nunangat (diminution de 20 points de pourcentage par rapport à 5 points de pourcentage). Dans l’Inuit Nunangat et à l’extérieur de celui-ci, le pourcentage de fumeurs quotidiens était relativement stable entre 1991 et 2001, mais il avait diminué de façon significative en 2012.
Usage quotidien du tabac dans les quatre régions inuites
Au cours des deux décennies à l’étude, l’usage quotidien du tabac a diminué de manière significative au Nunavut, dans la région inuvialuite et au Nunatsiavut. Toutefois, de 1991 à 2001, la prévalence de l’usage quotidien du tabac dans ces régions n’a pas changé de façon significative. Au cours de la décennie suivante, une baisse significative a été observée seulement dans la région inuvialuite.
Au cours de ces deux décennies, la prévalence de l’usage quotidien du tabac était beaucoup plus faible au Nunatsiavut que dans les autres régions inuites. En 2012, la prévalence de l’usage quotidien du tabac était significativement plus élevée au Nunavik et au Nunavut que dans les deux autres régions inuites.
Au Nunavik, le pourcentage de fumeurs quotidiens a augmenté de façon significative entre 1991 et 2001. En 2012 toutefois, celui-ci avait diminué, atteignant la même proportion que celle enregistrée en 1991.
Recul dans la plupart des groupes d’âge
Entre 1991 et 2012, l’usage quotidien du tabac a diminué de façon significative chez les Inuits, et ce, dans tous les groupes d’âge, à l’exception de celui des 45 à 54 ans. Les changements entre 1991 et 2001 n’étaient pas statistiquement significatifs pour tous les groupes d’âge; toutefois, entre 2001 et 2012, les baisses étaient significatives chez les 15 à 24 ans, les 35 à 44 ans, et les 65 ans et plus (tableau 2). Entre 1991 et 2012, on observait les baisses les plus importantes dans le groupe d’âge des 55 à 64 ans et celui des 65 ans et plus.
Dans l’ensemble de la population canadienne, la prévalence de l’usage du tabac était la plus faibleNote 15 aux extrémités des groupes d’âge. Chez les Inuits, en 2012, le groupe d’âge des 65 ans et plus était celui dont la prévalence de l’usage quotidien du tabac était la plus faible, suivie par le groupe d’âge des 55 à 64 ans. La prévalence était semblable parmi tous les groupes d’âge (de 15 à 54 ans). Cependant, les 25 à 34 ans étaient beaucoup plus susceptibles que les 15 à 24 ans d’être des fumeurs quotidiens (62 % par rapport à 55 %).
Les hommes et les femmes inuits sont tout aussi susceptibles de déclarer faire un usage quotidien du tabac
La prévalence de l’usage quotidien du tabac était similaire chez les hommes et les femmes inuits au cours des deux décennies à l’étude. Cette situation contraste avec celle de l’ensemble de la population canadienne, alors que les hommes sont plus susceptibles que les femmes de fumer quotidiennement ou occasionnellementNote 15.
Les tendances relatives à l’usage quotidien du tabac chez les hommes et les femmes inuits allaient de pair avec la tendance générale, c’est-à-dire que la prévalence était beaucoup plus faible en 2012 qu’en 1991, une baisse significative s’étant produite uniquement entre 2001 et 2012 (tableau 2).
Cigarettes fumées par jour
On peut classer le tabagisme en trois catégories fondées sur le nombre de cigarettes fumées chaque jour, à savoir une « consommation élevée », une « consommation modérée » et une « faible consommation ». Au cours des deux décennies à l’étude, les fumeurs quotidiens inuits étaient beaucoup plus susceptibles d’avoir une consommation de tabac modérée (de 10 à 24 cigarettes par jour) qu’une consommation élevée (25 et plus) ou faible (de 1 à 9 cigarettes) (figure 1). Parmi ceux-ci, les femmes étaient beaucoup plus susceptibles que les hommes d’avoir une faible consommation de tabac, alors que les hommes étaient beaucoup plus enclins à avoir une consommation élevée de tabac.
Selon les études, le nombre de cigarettes fumées chaque jour est associé négativement à l’abandon du tabac, c’est-à-dire que les fumeurs ayant une consommation élevée de tabac sont moins susceptibles que ceux dont la consommation est faible de cesser de fumerNote 16. Le nombre moyen de cigarettes fumées chaque jour par les fumeurs quotidiens inuits a diminué de façon significative, passant de 14,9 en 1991 à 13,3 en 2001, et à 12,3 en 2012. La baisse était marquée chez les hommes et les femmes vivant dans l’Inuit Nunangat, et ce, dans tous les groupes d’âge (les 15 à 54 ans). Le nombre moyen de cigarettes fumées par jour n’a pas changé de manière significative chez les Inuits vivant à l’extérieur de l’Inuit Nunangat ou ceux vivant au Nunavik, ou chez les Inuits âgés de 55 ans et plus (tableau 3).
Âge auquel les personnes ont commencé à fumer quotidiennement
La plupart des fumeurs commencent à fumer quotidiennement à l’adolescenceNote 17. L’âge moyen auquel les fumeurs quotidiens inuits ont déclaré avoir commencé à fumer chaque jour est demeuré stable, alors que cet âge était de 15,1 ans en 2001 et de 15,2 ans en 2012 (données non disponibles pour 1991). Un changement a été observé au Nunavut, où les fumeurs quotidiens ont déclaré avoir commencé à fumer quotidiennement à un âge nettement plus avancé en 2012 (15,4 ans) qu’en 2001 (14,9 ans). De même, en 2012, les fumeurs quotidiens de 15 à 24 ans ont déclaré avoir commencé à fumer chaque jour à l’âge moyen de 14,2 ans, ce qui est significativement plus avancé par rapport à la moyenne déclarée en 2001, qui était de 13,7 ans (tableau 3).
Conclusion
Selon les données de l’Enquête auprès des peuples autochtones, la prévalence de l’usage quotidien du tabac chez les Inuits a diminué entre 1991 et 2012, bien qu’elle demeure beaucoup plus élevée que celle observée au sein de l’ensemble de la population canadienne. Néanmoins, la prévalence de l’usage quotidien du tabac était particulièrement élevée dans l’Inuit Nunangat. Les hommes et les femmes inuits ont déclaré dans une même proportion qu’ils fumaient quotidiennement. Toutefois, les hommes inuits étaient plus susceptibles d’avoir une consommation élevée de tabac. Les études visant à comprendre les raisons qui motivent le choix de commencer à fumer et le comportement en matière de tabagisme chez les Inuits dans une perspective axée sur les déterminants sociauxNote 3 pourraient aider à créer des programmes de prévention et d’abandon pour ce groupe de population.
Remerciements
La présente étude a été menée pour le compte de la Direction générale de la santé des Premières nations et des Inuits (DGSPNI) de Santé Canada.
Début de l'encadré
Les données
Les données sont tirées de l’Enquête auprès des peuples autochtones (EAPA) de 1991, de 2001 et de 2012. Il s’agit d’une enquête nationale transversale menée par Statistique Canada auprès des Premières Nations, des Métis et des Inuits. Les résidents des établissements institutionnels sont exclus. Les taux de réponse étaient de 79 % en 1991, 84 % en 2001 et 76 % en 2012.
La méthodologie utilisée dans chacune des enquêtes était différente. Les enquêtes de 1991 et de 2001 ont été menées dans des communautés des Premières Nations sélectionnées (réserves), alors que celle de 2012 excluait les personnes vivant dans des réserves et établissements indiens, ainsi que certaines communautés des Premières Nations du Yukon et des Territoires du Nord-Ouest. L’échantillon de 1991 a été tiré de la population du recensement ayant volontairement déclaré avoir des origines autochtones et ayant indiqué également être Autochtone dans le cadre de l’EAPA. Les échantillons de 2001 et de 2012 étaient tirés de la population du recensement (ou de l’Enquête nationale auprès des ménages de 2012) ayant volontairement déclaré avoir une identité ou une ascendance autochtone et qui a aussi indiqué être Autochtone dans le cadre de l’EAPA. On ne sait pas si les différences quant à la méthodologie d’enquête ont eu une incidence sur les tendances des résultats.
L’échantillon de la présente étude est constitué des répondants à l’EAPA ayant volontairement déclaré être Inuits, âgés de 15 ans et plus, et qui ont fourni des données sur l’usage du tabac. Les pourcentages de données manquantes sur le tabagisme étaient d’environ 1 % en 1991, 2 % en 2001 et 7 % en 2012. Pour tenir compte des différences en ce qui a trait à la méthodologie d’enquête, les répondants ayant volontairement déclaré être Inuits, mais qui vivaient dans une réserve en 1991 ou en 2001, ont été exclus de l’analyse. Les Inuits de l’Arctique de l’Ouest sont appelés les « Inuvialuits ». Dans la présente analyse, le terme « Inuits » comprend les Inuvialuits. Les échantillons étaient composés de 6 669 personnes en 1991, de 4 993 personnes en 2001 et de 3 429 personnes en 2012.
La question sur l’usage du tabac a été la même pour toutes les années de l’enquête : « Actuellement, fumez-vous des cigarettes tous les jours, à l’occasion ou jamais? ». La question suivante a été posée aux fumeurs quotidiens : « Actuellement, combien de cigarettes fumez-vous chaque jour? » En 2001 et en 2012, la question suivante a aussi été posée aux fumeurs quotidiens : « À quel âge avez-vous commencé à fumer des cigarettes tous les jours? »
Des poids d’échantillonnage ont été appliqués à toutes les analyses, et la méthode du bootstrap a été utilisée pour calculer les estimations de la variance de l’EAPA de 2001 ainsi que celles de l’enquête de 2012. Aucun poids bootstrap n’a été élaboré pour l’EAPA de 1991; la variance a été calculée au moyen d’un ajustement d’effet de plan de 1,5 pour les InuitsNote 18. Des tests de signification (tests z à p < 0,05) ont été réalisés pour évaluer les changements au fil du temps, en comparant les estimations de 1991 à celles de 2001; celles de 2001 à celles de 2012; et celles de 1991 à celles de 2012. Les estimations comportant des coefficients de variation supérieurs à 16,6 %, mais inférieurs ou égaux à 33,3 %, doivent être interprétées avec prudence. Ces estimations sont désignées par la mention (E) dans les tableaux. Les estimations comportant des coefficients de variation supérieurs à 33,3 % ou de petits nombres (moins de 10) ont été supprimées.
Il est possible de calculer des estimations précises de la prévalence de l’usage du tabac chez l’ensemble des Canadiens à partir des données autodéclaréesNote 19; cependant, la validité de ces données autodéclarées n’a pas été déterminée dans le cas des Inuits. Il est impossible de dire si les tendances quant à l’usage du tabac au fil du temps sont touchées par des biais attribuables à la désirabilité sociale. La déclaration par personne interposée pourrait avoir introduit une autre source de biais en ce qui concerne la situation d’usage du tabac autodéclarée. Finalement, comme les données sont basées sur trois enquêtes transversales distinctes, les différences observées relatives à l’usage du tabac au fil du temps peuvent refléter des différences entre les cohortes.
Fin de l'encadré
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