Validation d'un indice pour estimer la prévalence de la fragilité chez les personnes âgées vivant dans la collectivité

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par Melanie Hoover, Michelle Rotermann, Claudia Sanmartin et Julie Bernier

La fragilité est un état physiologique de vulnérabilité accrue lié à l'âge. Les personnes fragiles sont moins susceptibles que les autres de s'adapter ou de recouvrer un état de santé normal à la suite d'une maladie aiguë ou d'une blessureNote1. La fragilité se manifeste par une accumulation de problèmes de santé, y compris des problèmes de santé chroniques et des incapacités physiquesNote1,2. Quel que soit l'âge, la fragilité s'avère être un prédicteur du décès, de l'hospitalisation, du déménagement en établissement, des chutes et de la détérioration de l'état de santéNote3-5. L'information sur la prévalence de la fragilité chez les personnes âgées vivant dans la collectivité au Canada a de l'importance pour l'élaboration des politiques et la planification des ressources de santé, dont les soins à domicile et les soins en établissementNote3,Note6,7.

Diverses mesures de la fragilité ont été élaborées à l'échelle clinique ainsi que de la population. En milieu clinique, les facteurs qui servent habituellement à évaluer la fragilité sont la perte de poids involontaire, la faiblesse de la force de préhension, le manque d'énergie ou d'endurance, la lenteur de la marche et le faible niveau d'activité physiqueNote8. À l'échelle de  la population, on a appliqué des indices de fragilité (IF) aux données d'enquêtes à grande échelle sur la santé menées au CanadaNote9,10, aux États-UnisNote11,12, en Grande-BretagneNote13 et à Hong KongNote4. Comme leurs pendants cliniques, les indices de fragilité tiennent compte de l'effet cumulé de plusieurs facteurs qui sont les signes d'un déclin physique et cognitifNote5. La méthodologie des indices de fragilité peut être appliquée aux données d'enquêtes sur la santé pour obtenir des évaluations valides de la fragilité au niveau de l'individu ou de la populationNote3,Note14,15. Souvent, on attribue des scores de fragilité variant de 0 à 1 fondés sur le nombre de déficits présents parmi les indicateurs de la santé pris en considération, la fragilité étant d'autant plus grande que la valeur est élevéeNote3. Les déficits liés à la santé comprennent les problèmes de santé chroniques ainsi que les limitations physiques et de l'activité cognitive.

Alors que les scores donnés par les indices de fragilité renseignent sur la fragilité au niveau individuel, des seuils sont nécessaires pour estimer la prévalence de cette dernière à l'échelle de la population. À l'heure actuelle, aucun seuil n'est universellement reconnu; lors d'études antérieures, on a utilisé des seuils de 0,21, 0,25 et 0,35 pour les personnes âgées vivant dans la collectivitéNote9,10,Note16,17. On s'est également servi d'intervalles pour définir des catégories de fragilité (par exemple, légère, modérée, grave)Note9,Note16-18.

Le premier objectif de la présente étude consistait à appliquer un indice de fragilité à un échantillon représentatif de personnes âgées vivant dans la collectivité au Canada en vue de valider un seuil à partir duquel elles peuvent être considérées comme étant fragiles. On a pour cela procédé au couplage prospectif de données combinées provenant des cycles de 2003 (cycle 2.1) et de 2005 (cycle 3.1) de l'Enquête sur la santé dans les collectivités canadiennes (ESCC) à des données hospitalières administratives pour déterminer des intervalles de score de fragilité associés à des risques élevés par opposition à faible d'événements d'hospitalisation.

Le deuxième objectif consistait à appliquer les seuils validés aux données de l'ESCC de 2009-2010 pour estimer la prévalence de la fragilité et présenter un profil des Canadiens âgés vivant dans la collectivité qui sont considérés comme étant fragiles.

Méthodes

Source des données

On s'est servi des données des cycles 2.1 (2003) et 3.1 (2005) de l'Enquête sur la santé dans les collectivités canadiennes (ESCC) couplées à celles de la Base de données sur les congés des patients (BDCP) (2002-2003 à 2007-2008) pour valider les seuils de fragilité. L'ESCC est une enquête transversale qui fournit des renseignements sur la santé, les déterminants de la santé et l'utilisation des soins de santé de la population à domicile de 12 ans et plus des provinces et des territoires. Ne font pas partie du champ d'observation de l'enquête les membres des Forces canadiennes et les habitants des réserves des Premières Nations et de certaines régions éloignées. L'enquête et la méthodologie sont décrites en détail dans d'autres documents19,20. L'ESCC 2.1 s'est déroulée de janvier à décembre 2003, et l'ESCC 3.1, de janvier à décembre 2005. Les taux de réponse globaux étaient de 80,7 % et de 78,9 %, respectivement, pour un échantillon combiné de 268 520 personnesNote19,20.

La BDCP contient des renseignements sur les congés et les décès de personnes hospitalisées pour la plupart des hôpitaux de soins de courte durée et pour certains hôpitaux psychiatriques, hôpitaux de soins prolongés et établissements de réadaptation au CanadaNote21. Chaque enregistrement de la BDCP contient des données démographiques de base (par exemple, code postal, date de naissance), des données administratives non médicales (telles que le numéro de carte-santé anonymisé, les dates d'admission et de congé), et des données cliniques (diagnostics et interventions, par exemple). Seules les hospitalisations dans les établissements de soins de courte durée ont été utilisées pour la présente validation.

Les données de l'ESCC ont été couplées de manière déterministe et probabiliste à celles de la BDCP en se servant du Système généralisé de couplage d'enregistrements (SGCE) et du système G-COUPNote22. Les enregistrements de l'ESCC correspondant à des personnes qui vivaient hors du Québec et qui avaient autorisé le couplage et le partage de l'information les concernant étaient admissibles pour le couplage (2003 n = 90 450; 2005 n = 88 144). (L'information fournie par les données hospitalières figurant dans les enregistrements pour les résidents du Québec ne suffisait pas pour exécuter le couplage.) On a déterminé que la couverture de ce type de couplage des données de l'ESCC aux données hospitalières varie de 76 % à 99 %, selon le groupe d'âgeNote23. Des renseignements détaillés sur le couplage des données peuvent être obtenus sur demandeNote24,25.

L'échantillon de validation comprenait les participants à l'ESCC de 65 ans et plus qui avaient répondu aux questions du Health Utilities Index (HUI), lesquelles font partie intégrante du score de l'indice de fragilité (n = 13 472). Durant les cycles de 2003 et de 2005 de l'ESCC, les questions relatives à l'HUI ont été posées à un sous-échantillon représentatif de participants. Pour chaque cycle, certaines provinces ont toutefois choisi de faire poser les questions à l'échantillon provincial complet, à savoir l'Île-du-Prince-Édouard, la Nouvelle-Écosse, le Nouveau-Brunswick et Terre-Neuve-et-Labrador en  2003, et la Colombie-Britannique en 2005. Il fallait aussi que les questions concernant les variables sur lesquelles était fondée l'évaluation des autres déficits aient été posées aux membres des échantillons de 2003 et de 2005 de l'ESCC (cohorte de validation), ainsi qu'à ceux de l'échantillon de 2009-2010.

On s'est servi des données de l'ESCC de 2009-2010 pour produire des estimations récentes de la prévalence de la fragilité chez les personnes âgées vivant dans la collectivité. Le taux de réponse global était de 71,5 %Note26. Des renseignements détaillés sur le plan de sondage et les techniques d'échantillonnage peuvent être consultés ailleursNote26. L'échantillon utilisé pour la présente analyse comprenait toutes les personnes âgées vivant dans la collectivité pour lesquelles existait un score de fragilité valide (n = 30 289).

Score de fragilité

La présente étude s'appuie sur le cadre de l'indice de fragilité élaboré par Rockwood et MitnitskiNote5,Note10. Leur indice de fragilité, exprimé par un score variant de 0 (niveau le plus faible) à 1 (niveau le plus élevé de fragilité), relie le nombre de déficits présents chez une personne au nombre total de déficits pris en considérationNote3,5. Idéalement, un indice de fragilité devrait contenir au moins 30 déficits et couvrir une gamme d'indicateurs de la santé, dont les problèmes de santé chroniques, les limitations physiques ou de l'activité cognitive et l'état de santé généralNote3. Chaque déficit doit être lié à la santé, augmenter avec l'âge et ne pas atteindre trop tôt la saturation; ainsi, la nécessité de porter des lunettes pour lire n'est pas un déficit à prendre en considération, parce que la plupart des personnes ont besoin de lunettes de lecture autour de la quarantaineNote3. Les déficits sont traités comme étant indépendants, c'est-à-dire que la valeur de l'un n'est pas prise en compte pour déterminer celle d'un autre.

L'indice de fragilité étudié ici contient 30 déficits (tableau textuel 1). De ceux-ci, 18 ont trait à des problèmes de santé chroniques et au besoin d'aide pour vaquer aux activités de la vie quotidienne (AVQ), et ont été dichotomisés (1 = présence du problème ou de l'attribut; 0 = absence du problème ou de l'attribut). Pour déterminer la présence de problèmes de santé chroniques, on a demandé aux participants à l'enquête si un professionnel de la santé avait diagnostiqué chez eux un problème de santé qui avait duré ou qui devait durer six mois ou plus.  Seuls les problèmes de santé  principalement reliés à l'âge, comme l'arthrite et la maladie cardiaque, ont été inclus dans l'indice de fragilité. Les limitations physiques (par exemple, avoir besoin de l'aide d'une autre personne pour les activités de la vie quotidienne, telles que la préparation des repas et les travaux ménagers, à cause d'un problème de santé physique ou mental) ont également été codées comme des variables dichotomiques. Les autres variables dichotomiques étaient les blessures liées aux chutes au cours des 12 derniers mois et le fait de ne pas avoir marché pour faire de l'exercice au cours des 3 derniers mois.

Aux 12 autres déficits, on a attribué de trois à six niveaux afin de refléter les différences de gravité et de s'assurer que leur fréquence augmente avec l'âgeNote3. Des analyses préliminaires ont été effectuées pour chaque déficit afin de déterminer les groupements appropriés de catégories de réponse. Par exemple, on a fondé la participation et la limitation des activités sur la fréquence à laquelle les personnes limitaient leurs activités / leur participation à cause de problèmes de santé et on l'a évaluée en attribuant une cote de 0 pour « jamais », de 0,5 pour « parfois » et de 1,0 pour « souvent ». On s'est également servi de trois niveaux pour attribuer une cote à la santé autoévaluée, aux changements de l'état de santé et à l'indice de masse corporelle autodéclaré, corrigé de l'erreur de déclarationNote27. On a regroupé l'embonpoint et le poids normal auxquels on a attribué une cote de 0, étant donné les preuves qu'un certain excès de poids peut avoir un effet protecteurNote28,29. L'insuffisance pondérale a reçu une cote de 1,0, ce qui concorde avec les valeurs utilisées dans les études d'indices de fragilité antérieuresNote3 et avec le fait que les personnes âgées de faible poids ont tendance à courir un plus grand risque de maladie et de décèsNote28; une cote de 0,5 a été attribuée à l'obésitéNote29.

Les déficits relatifs à la santé fonctionnelle ont été calculés à l'aide du Health Utilities Index Mark III (HUI3)Note30. Le HUI3 mesure huit attributs de la santé fonctionnelle individuelle : la vision, l'ouïe, l'élocution, la mobilité, la dextérité, l'émotion, la cognition et la douleur. Chaque attribut est mesuré sur une échelle à cinq ou six niveaux variant d'une fonction normale à gravement limitée. Pour produire un score de fragilité, les déficits reliés au HUI3 ont été rééchelonnés sur trois (élocution), cinq (santé émotionnelle, douleur et vision) ou six niveaux (ouïe, mobilité, cognition et dextérité). Les catégories de certaines variables pour lesquelles les fréquences étaient faibles ont été regroupées afin de s'assurer que chaque déficit augmente avec l'âgeNote3. Pour la vision, deux catégories de réponse — voir avec et sans lentilles correctrices — ont été combinées. Pour l'élocution, les deux premières catégories (compris(e) par tout le monde et compris(e) seulement par les personnes qui le(la) connaissent bien) ont été combinées, de même que les deux dernières catégories de réponse (n'est compris(e) par personne et est compris(e) partiellement par les personnes qui le(la) connaissent bien).

Lorsque l'information au sujet de déficits manquait, le dénominateur a été corrigé du nombre de déficits manquants, jusqu'à un maximum de cinq par enregistrementNote12. Par exemple, le score de fragilité d'une personne déclarant deux déficits complets et une valeur manquante serait calculé comme étant de 2/29, ce qui donne un score de fragilité de 0,06. Sans valeurs manquantes, le score de fragilité serait calculé en divisant par 30. Une majorité (81 %) des enregistrements de la cohorte de validation contenaient des données complètes pour tous les déficits compris dans l'indice de fragilité; 13 % comportaient une valeur manquante, et les 6 % restants comprenaient de deux à cinq valeurs manquantes.

Événements d'hospitalisation

Afin de valider les valeurs seuils du score de l'indice de fragilité, on a sélectionné un certain nombre d'événements d'hospitalisation qui étaient corrélés à la fragilité et pour lesquels des données étaient disponibles dans la BDCP. Le principal résultat était l'existence d'au moins une hospitalisation au cours de la période de 18 mois après l'entrevue de l'ESCC (n = 2 964). Les résultats secondaires étaient l'hospitalisation plus d'une fois (n = 1 019), l'hospitalisation d'urgence (n = 2 112), le transfert de l'hôpital dans un établissement de soins de longue durée (n = 235) et le décès à l'hôpital (n = 325). On a également créé une variable composite en combinant les personnes qui présentaient au moins l'un des résultats secondaires (n = 2 285).

Techniques d'analyse

On a calculé les rapports de vraisemblance par strate (RVS) en utilisant la cohorte résultant du couplage de l'ESCC 2003/2005–BDCP pour : 1) déterminer le seuil faisant la distinction entre les personnes âgées fragiles et non fragiles; précisément, pour évaluer la validité de l'utilisation de scores supérieurs à 0,21Note16, 0,25Note9,10 ou à 0,35Note17; et 2) déterminer les intervalles « naturels » de fragilité associés aux différences de risque de connaître un événement d'hospitalisation.

Les RVS ont été utilisés antérieurement pour valider les catégories d'autres instrumentsNote14,Note31. Les RVS sont généralisables et indépendants des probabilités réelles dans la population. Ils sont moins sujets à un biais de spectre, parce que l'erreur de classification est réduite au minimum en utilisant de multiples catégories (strates), de sorte que les scores le plus faible et le plus élevé soient attribués correctementNote32.

Les RVS représentaient la probabilité que les personnes appartenant à une catégorie donnée de fragilité (strate) connaissent un événement d'hospitalisation (par exemple, au moins une admission) relativement à la probabilité de ne pas connaître un tel événement, en utilisant la formule suivante :

RVS = (x1g/n1)/(x0g/n0)

où x1g représente le nombre total de personnes connaissant un événement d'hospitalisation (au moins une admission) dans la ge strate, n1 est le nombre total de personnes dans l'échantillon qui ont connu l'événement, x0g  est le nombre total de personnes qui n'ont pas connu l'événement dans la ge strate, et n0 est le nombre total de personnes dans l'échantillon qui n'ont pas été hospitalisées.

Un RVS de 1,0 indique que la probabilité de connaître l'événement est la même que celle de ne pas le connaître. Une valeur supérieure à 1,0 indique une plus grande probabilité de connaître l'événement, tandis qu'une valeur inférieure à 1,0 indique une plus faible probabilité. En principe, la statistique RVS devrait augmenter avec le score de l'indice de fragilité. On s'est servi de tests t (p<0,05) pour déterminer si les strates différaient de manière significative de la strate précédente.

Une analyse du RVS à dix niveaux a été effectuée en se servant de strates définies au moyen des seuils de fragilité suggérés dans des études antérieures (≤0,03, >0,03 à ≤0,10, >0,10 à ≤0,21, >0,21 à <0,45 et 0,45+)16. Les strates comprises entre 0,21 et 0,45 (>0,21 à ≤0,23. . . >0,35 à <0,45) ont été incluses pour évaluer la validité des seuils de 0,25 et de 0,35, et pour déterminer des sous-groupes de fragilité supplémentaires. Pour s'assurer que les fréquences par cellule soient suffisantes, la strate supérieure comprenait tous les scores de fragilité supérieurs à 0,45.

Le but premier était de déterminer des strates qui différaient de manière significative de la strate précédente et dont le RVS était supérieur à 1,0, c'est-à-dire indiquant un risque plus élevé de vivre l'événement d'hospitalisation en question. Les strates qui s'avéraient ne pas différer de manière statistiquement significative de la précédente pouvaient être combinées. On a procédé à des analyses du RVS distinctes pour chaque événement d'hospitalisation. On a également estimé les RVS selon le sexe.

Prévalence de la fragilité

On a calculé les taux de prévalence de la fragilité en appliquant le seuil validé aux données de l'ESCC de 2009-2010. L'âge a été réparti en trois catégories : 65 à 74 ans, 75 à 84 ans, et 85 ans et plus. Les estimations ont été calculées pour chaque province et pour les trois territoires regroupés. On a fait appel à la méthode du bootstrap pour estimer les erreurs-types et les coefficients de variationNote33,Note34. Les résultats pour p<0,05 ont été considérés comme étant statistiquement significatifs. Pour déterminer les différences géographiques, on a comparé chaque province ou territoire au reste du Canada.

Résultats

La cohorte de validation était constituée en majorité (59 %) de femmes. L'âge moyen de la cohorte était de 75 ans. Plus de la moitié (53 %) des membres de la cohorte avaient de 65 à 74 ans, 37 % avaient de 75 à 84 ans, et 10 % avaient 85 ans et plus. Les scores de fragilité moyen et médian de la cohorte de validation étaient de 0,16 et de 0,13, respectivement, les valeurs variant de 0 à 0,70.

Rapports de vraisemblance par strate
Dans les analyses hommes et femmes confondus, le RVS était supérieur à 1,0 pour chaque strate pour laquelle le score de fragilité était supérieur à 0,21 dans le cas de tous les événements d'hospitalisation, sauf le transfert dans un établissement de soins de longue durée (tableau 1). Pour les strates où le score de fragilité était égal ou inférieur à 0,21, le RVS était inférieur à 1,0 pour tous les résultats, sauf le fait d'avoir été hospitalisé. Des différences statistiquement significatives ont été observées entre la strate >0,21 à ≤0,23 et la strate précédente pour tous les événements d'hospitalisation, sauf le transfert en soins de longue durée. Généralement, la strate  >0,23 à ≤0,25 ne différait pas significativement de la strate 0,21 à ≤0,23. La strate >0,25 à <0,27 ne différait pas non plus de manière significative de la strate >0,23 à ≤0,25. Les RVS calculés séparément pour les hommes et pour les femmes présentaient des profils similaires. Ces résultats appuient le choix de  >0,21 comme seuil pour faire la distinction entre les personnes fragiles et non fragiles.

Les résultats des analyses des RVS suggèrent l'utilisation de quatre catégories de fragilité : non fragile (0 à ≤0,10), préfragile (>0,10 à ≤0,21), plus fragile (>0,30 à <0,35) (femmes seulement), et la plus fragile (0,45+). La valeur du RVS s'approchait de 1,0 et était significative pour tous les résultats d'hospitalisation pour la strate >0,1 à ≤0,21, ce qui indique l'existence d'un groupe préfragile. Les strates comprises entre >0,21 et <0,45 ne différaient pas systématiquement de manière significative de la strate précédente pour les hommes et les femmes confondus ni pour les hommes. Des analyses selon le sexe donnent à penser qu'il existe une catégorie « plus fragile » supplémentaire correspondant à la strate >0,30 à ≤0,35 pour les femmes.

Quel que soit le sexe, la strate 0,45+ (« la plus fragile ») obtenait le RVS le plus élevé pour les événements d'hospitalisation sélectionnés, variant de 3,4 à 7,7 pour les hommes et les femmes confondus, et de 3,3 à 8,2 dans les analyses selon le sexe. À deux exceptions près (« transfert dans un établissement de soins de longue durée » pour les hommes et « décès à l'hôpital » pour les femmes), la strate 0,45+ différait significativement de la strate >0,35 à <0,45.

Prévalence de la fragilité
Le seuil « plus grand que 0,21 » a été appliqué aux résultats de l'ESCC de 2009-2010 pour estimer la prévalence de la fragilité. En se basant sur ce seuil, on estime que 24 % (environ 1 million) des personnes âgées vivant dans la collectivité étaient fragiles. De celles-ci, 108 000 (femmes seulement) appartenaient à la catégorie « plus fragile » (données non présentées), et 132 000, à la catégorie « la plus fragile » (figure 1). En outre, 32 % des personnes âgées vivant dans la collectivité (1,4 million) ont été classées dans la catégorie « préfragile ».

Comme prévu, le pourcentage de personnes âgées fragiles augmentait avec l'âge, pour passer de 16 % pour le groupe des 65 à 74 ans à 52 % pour celui des 85 ans et plus (tableau 2). Les hommes étaient moins susceptibles que les femmes d'être fragiles (19 % contre 27 %). Les pourcentages étaient significativement plus élevés en Nouvelle-Écosse, au Nouveau-Brunswick, en Ontario, en Saskatchewan et dans les territoires que dans le reste du Canada. Ils étaient significativement plus faibles en Colombie-Britannique et au Québec.

Discussion

La prévalence de la fragilité chez les personnes âgées vivant dans la collectivité au Canada est une information utile pour la planification des programmes de soins de santé et de services sociaux. La fragilité est associée à un risque plus élevé de résultats indésirables et à un besoin accru de services de soins de santéNote3,Note6,7. Bien qu'on ait appliqué antérieurement des scores d'indice de fragilité à des données d'enquête à grande échelle sur la santé de la population, leur utilité avait quelque peu été limitée par l'absence d'un seuil reconnu pour identifier les personnes fragiles parmi les personnes âgées vivant dans la collectivité. Les seuils et les catégories proposés dans le cadre d'études antérieuresNote9,10,Note16-18,Note35 possédaient une bonne validité nominale et conceptuelle et étaient fortement corrélés à d'autres mesures cliniquesNote18,Note35. Toutefois, ces catégories n'avaient pas été validées par la méthode des RVS sur un échantillon représentatif de la population nationale de Canadiens âgés. Les résultats de la présente étude ont confirmé la validité du seuil « plus grand que 0,21 », qui avait été utilisé dans d'autres étudesNote16.

En outre, les analyses des RVS ont permis de déterminer plusieurs catégories de fragilité, à savoir non fragile, préfragile, plus fragile (femmes seulement) et la plus fragile. Le groupe non fragile, qui comprenait 45 % des personnes âgées vivant dans la collectivité en 2009-2010, présente un faible risque d'hospitalisation. Les personnes préfragiles courent un risque plus élevé que les personnes non fragiles de présenter divers résultats de santé indésirablesNote9,Note16. Comme ce groupe représente environ le tiers des personnes âgées vivant dans la collectivité, il peut avoir de l'importance pour la planification des services de santé. Le groupe le plus fragile (un sous-ensemble du groupe fragile), qui représentait environ 3 % des personnes âgées vivant dans la collectivité, et, chez les femmes, le groupe plus fragile, représentant environ 4 % de celles vivant dans la collectivité, comptaient un plus grand nombre de déficits de santé (10 à 24) et présentaient un risque très élevé d'événements d'hospitalisation. Les membres de ces groupes pourraient présenter un intérêt particulier en raison de leurs besoins potentiellement imminents de soins hospitaliers et de convalescence.

En se basant sur le seuil «  plus grand que 0,21 », la prévalence de la fragilité chez les personnes âgées vivant dans la collectivité était de 24 % en 2009-2010. Ce taux était proche de l'estimation de 22 % calculée pour les provinces seulementNote16.

La fragilité s'avère systématiquement plus fréquente chez les femmes que chez les hommesNote9,Note35,36, et on a montré que sa prévalence augmente avec l'âgeNote9,Note36. Les résultats de la présente étude présentent les mêmes tendances.

On ignore comment expliquer les variations géographiques de la prévalence de la fragilité. Elles pourraient refléter la variation des profils de santé et d'âge des personnes âgées selon la province ou le territoire. Elles pourraient également être attribuables à des différences d'accès à un soutien sous forme de soins à domicile, qui permet aux personnes âgées fragiles de vivre dans leur foyer plus longempsNote37 et à l'accès limité à des soins en établissement, qui pourrait signifier que les personnes âgées continuent de vivre dans la collectivité.

Limites

Les données de l'ESCC ont été recueillies par autodéclaration ou par déclaration par personne interposée et sont sujettes à une erreur de déclaration. On ne disposait d'aucune source clinique indépendante pour vérifier l'exactitude des réponses.

Le fichier de données couplées ESCC-BDCP permet de situer les événements dans le temps; par exemple, les scores de fragilité ont été estimés avant que les personnes soient hospitalisées. Cependant, comme les données de l'ESCC ont été recueillies à un seul point dans le temps, il n'était pas possible de déceler les variations de la fragilité au cours de la période de suiviNote3.

Les enregistrements d'hospitalisation et les enregistrements de l'enquête ont été appariés par couplage probabiliste. Il est possible qu'il existe de faux appariements ou des appariements manquésNote24.

Les résultats utilisés pour la validation ont été tirés uniquement des données sur les hospitalisations. L'information au sujet des décès survenus hors de l'hôpital et le déménagement en établissement directement à partir de la collectivité, qui sont des résultats pertinents pour l'évaluation de la fragilité, n'était pas disponible. L'inclusion des données au sujet de ces résultats aurait peut-être donné des seuils différents. Cependant, les seuils confirmés dans la présente étude concordent avec les résultats d'études tenant compte de la mortalité et du déménagement en établissementNote9,Note16. En outre, la mortalité et le déménagement en établissement sont associés à de plus hauts niveaux de fragilité; donc, il se pourrait que les différences possibles entre les seuils n'aient eu d'incidence que sur la définition des catégories « plus fragile » et « la plus fragile ».

Les RVS sont sensibles à la taille de l'échantillon. On s'est efforcé de construire des strates contenant un nombre suffisant d'enregistrements et d'hospitalisations tout en créant des catégories significatives. Les analyses préliminaires ne portant que sur un cycle de l'ESCC ont produit moins de résultats statistiquement significatifs, ce qui montre qu'il était nécessaire de combiner les données de deux cycles pour s'assurer que les effectifs de cellule soient adéquats. La taille de l'échantillon pourrait avoir exercé une influence pour au moins deux des événements les moins fréquents, à savoir le transfert dans un établissement de soins de longue durée et le décès à l'hôpital, pour lesquels les résultats et les seuils suggérés ne concordaient pas toujours avec ceux pour les autres événements. Cette incohérence apparente est sans doute attribuable en grande partie au petit nombre d'unités dans l'échantillon. En fait, des analyses supplémentaires ont confirmé que si l'on regroupait les strates à faible nombre d'unités, les ratios devenaient statistiquement significatifs (données non présentées). La taille de l'échantillon peut également avoir eu un effet sur l'analyse selon le sexe.

Naturellement, les estimations de la prévalence de la fragilité fondées sur les données pour les personnes âgées vivant dans la collectivité sont plus faibles que celles calculées en englobant les personnes déménagées en établissement.

Bon nombre de variables incluses dans l'indice de fragilité comprenaient plusieurs niveaux et ne possédaient pas de seuils publiés. Des analyses additionnelles ont été effectuées afin de déterminer celles qui étaient le moins arbitraires, y compris le respect du principe voulant que la fréquence de chaque déficit augmente avec l'âge qui sous-tend les indices de fragilité. On a montré que les scores de fragilité sont étonnamment robustes aux différences concernant la méthodologie et les déficits inclus dans l'indice ou exclus de celui-ciNote3.

Mot de la fin

Les résultats de la présente analyse confirment que les personnes âgées vivant dans la collectivité dont le score de fragilité est supérieur à 0,21 présentent une augmentation du risque d'un événement d'hospitalisation. En outre, l'analyse a permis de déterminer des catégories distinctes de fragilité. La compréhension du degré et de la prévalence de la fragilité chez les personnes âgées au Canada est un facteur important en vue de prévoir les besoins futurs d'aide à la vie dans la collectivité, ainsi que d'établissements de soins pour bénéficiaires internes et de lits d'hôpitaux. La recherche doit se poursuivre afin d'élaborer les profils des risques et des facteurs de protection, et d'estimer la prévalence de la fragilité au niveau de la région sociosanitaire. Des mesures répétées de la fragilité au cours du temps pourraient fournir des renseignements sur l'interaction entre la morbidité et l'espérance de vie chez les personnes âgées.

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