2 Cadre théorique

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Les chercheurs qui utilisent le cadre de capital humain affirment que les parents très scolarisés ont les ressources financières et non monétaires nécessaires pour investir dans les aptitudes de leurs enfants très tôt, ce qui les placent inévitablement dans une bonne situation pour réussir à l'école, mais aussi pour poursuivre éventuellement des études universitaires (Corak, 2001). Heckman (2000) souligne la centralité des facteurs familiaux qui s'accumulent sur de nombreuses années, de la petite enfance à la fin de l'adolescence, et qui produisent par conséquent les compétences et les attentes liées à la fréquentation de l'université. Ceux qui réussissent le moins bien à l'école sont généralement ceux dont les parents possèdent des faibles niveaux de scolarité et de compétences au moment de leur migration (Kao et Thompson, 2003). On a remarqué que le statut socio-économique de la famille exerce une influence majeure lorsqu'il s'agit d'expliquer les différences dans les taux d'abandon des études secondaires et la réussite postsecondaire entre les Américains d'origine mexicaine et les Blancs (Warren, 1996), le nombre total d'années d'études chez les Philippins et les Cubains, et le plus faible taux d'inscription à l'université chez les Noirs, les Cambodgiens et les Mexicains (Rumbaut, 2005). Les chercheurs spécialisés en immigration fournissent aussi des preuves que le bilinguisme peut donner aux enfants immigrants les ressources nécessaires pour réussir dans le système d'éducation, étant donné qu'ils ont un meilleur accès aux réseaux communautaires et que cela encourage des communications efficaces avec les parents (Glick et White, 2003; White et Glick, 2000).

Le capital humain des parents, toutefois, n'est peut-être pas suffisant pour expliquer la persistance de certains effets ethniques, et plus particulièrement l'avantage scolaire dont jouissent certains groupes, ce qui laisse supposer que le capital social de la famille et que la collectivité de l'immigrant jouent un rôle important lorsqu'il s'agit d'expliquer ces différences entre les groupes. Coleman (1990) souligne l'importance de la proximité intergénérationnelle dans les collectivités où les liens sont étroits, les parents faisant connaissance avec d'autres parents et enfants qui partagent des valeurs, des obligations et des soutiens sociaux similaires, ce qui facilite la supervision et est à la source d'aspirations pour les jeunes immigrants. Les avantages dont jouissent les Américains d'origine asiatique dans le système d'éducation ont été attribués à une gamme variée de facteurs liés au capital social. Par exemple, les études supplémentaires et la fréquentation d'écoles de langues, particulièrement dans le cas des Chinois et des Coréens, assurent un enrichissement académique, permettent l'enseignement des valeurs familiales et fournissent un endroit où des liens peuvent se reconstituer à l'intérieur des ethnies et où les immigrants de divers niveaux socio-économiques se regroupent (Zhou et Kim, 2006). Les parents vietnamiens qui observent le comportement d'autres enfants dans leur collectivité peuvent efficacement décourager les comportements délinquants chez ces enfants (Zhou et Bankston, 1998). Le caractère intact des familles permet aussi un contrôle plus étroit des activités des enfants, et des liens familiaux forts semblent être liés à la réussite scolaire chez les Hispaniques, même si leurs parents sont défavorisés au niveau du statut socio-économique (Valenzuela et Dornbusch, 1994). Comme l'affirme Zhou (1997), plus grande est la participation communautaire et plus étroits sont les liens dans la collectivité ethnique, plus grande est la conformité aux attentes du groupe, ce qui peut aider les immigrants et leurs enfants à surmonter les désavantages structurels.

Il se peut toutefois que la solidarité ethnique ne soit pas suffisante pour que certains immigrants n'aient pas à lutter. Au-delà des facteurs de capital humain et de capital social, on retrouve différents modes d'intégration aux collectivités immigrantes. Ces différences au niveau de la collectivité ont des effets durables sur l'intégration des enfants des immigrants (Portes et MacLeod, 1999). Le confinement au bas de la strate économique remarqué chez les immigrants mexicains et d'autres nouveaux arrivants moins qualifiés aux États-Unis impose des obstacles à la mobilité socio-économique chez les descendants de ces immigrants (Perlmann et Waldinger, 1997). La discrimination pendant l'enfance crée aussi des difficultés pour la deuxième génération dans son cheminement dans le système d'éducation. Ces expériences collectives favorisent une attitude défaitiste et fournissent une raison de se soustraire aux activités scolaires (Ogbu, 1991). Les expériences des Afro-américains quant aux diverses formes de racisme dans les institutions en général, y compris le système d'éducation et le marché du travail, peuvent constituer un cadre de référence qui fera en sorte que les enfants d'immigrants adopteront un ensemble de comportements d'opposition qui contribueront à leur tour à leur assimilation descendante (Portes et Zhou, 1993).

Par ailleurs, le statut marginal d'une minorité peut faire ressortir les comportements de réussite chez les jeunes (Boyd et Grieco, 1998). Les chercheurs ont lié la situation marginale des Américains d'origine asiatique dans les secteurs autres que l'éducation, comme la politique, les sports et les divertissements, comme des occasions manquées qui leur fournissent une raison de surmonter les désavantages en poursuivant une carrière — par exemple, en sciences et en génie — qui dépend dans une large mesure du niveau de scolarité (Xie et Goyette, 2003; Sue et Okazaki, 1990).

Ces modes d'intégration reflètent en fait les différents contextes d'accueil de la société hôte et, dans le cas des immigrants au Canada, ces différences au niveau des collectivités transcendent les caractéristiques individuelles et familiales (Portes et Rumbaut, 1996). Même si certains modèles peuvent afficher des tendances similaires à celles des États-Unis — par exemple, l'avantage scolaire des groupes asiatiques — deux aspects qui ont des répercussions sur les inégalités ethniques dans les niveaux de scolarité des immigrants canadiens devraient être notés.

Tout d'abord, l'accès aux études postsecondaires est plus équitable au Canada qu'aux États-Unis, les étudiants canadiens du quartile de revenu inférieur et du deuxième quartile de revenu étant également susceptibles de fréquenter l'université (Frenette, 2005). Cet écart est plus prononcé chez les étudiants américains du quartile de revenu inférieur, avec seulement 15 % d'inscriptions à l'université, mais plus de deux fois plus (32 %) dans le deuxième quartile de revenu. Des différences ressortent aussi pour les personnes appartenant au quartile de revenu supérieur, avec 63 % des étudiants américains inscrits à l'université, comparativement à 46 % des étudiants canadiens (Frenette, 2005). Même si les différences observées montrent que l'accès aux études universitaires est plus équitable au Canada, à tout le moins pour ceux qui proviennent de familles modestes et de familles à faible revenu, nous ne pouvons laisser de côté les résultats scolaires différents qui peuvent être observés dans les différentes collectivités d'immigrants.

Les expériences d'établissement uniques des divers groupes d'immigrants donnent aussi un aperçu des résultats divergents au chapitre des études chez les enfants d'immigrants. La première vague d'immigrants d'origine européenne au Canada, qui ont été admis principalement sur la base de leur origine nationale, s'est établie dans une large mesure dans les régions rurales et avait généralement un niveau plus faible de scolarité que les immigrants qui sont arrivés depuis les années 1970 et qui se sont principalement installés dans les centres urbains. Ces premiers groupes affichaient aussi des niveaux plus faibles de scolarité à une époque où de nombreux emplois de cols bleus ne nécessitaient pas d'études postsecondaires (Davies et Guppy, 1998). Ces groupes, qui ont initialement fait face à des désavantages sur le marché du travail en raison de leurs niveaux plus faibles de scolarité, ont amélioré leurs gains et leur situation professionnelle (Hou et Balakrishnan, 1996; Richmond, 1990). En dépit des niveaux de scolarité plus faibles des parents, l'assimilation de ces groupes fournit à la génération suivante une occasion d'avancer.

Les immigrants qui ont dû respecter les critères d'admission fondés sur un système de points font encore face à des obstacles, peu importe leurs niveaux plus élevés de scolarité, des études faisant ressortir un désavantage significatif sur le marché du travail, particulièrement pour les Noirs de sexe masculin nés au pays et à l'étranger (Hum et Simpson, 2000). Par ailleurs, les immigrantes — en provenance notamment des Caraïbes et des Philippines — qui sont arrivées depuis la fin des années 1970 dans le cadre du Programme concernant les employés de maison égrangers, font aussi face à des désavantages au chapitre de la rémunération et à une dévaluation de leurs titres de compétence acquis à l'étranger, ce qui font qu'elles se situent presque au bas de la strate économique au moment de leur arrivée (Kelly, 2006; Simmons, 1998) 1 . Dans le cas des minorités visibles, et plus particulièrement des Noirs, le taux plus faible de rendement de la scolarité peut nuire aux progrès des enfants des immigrants.

Les politiques qui mettent l'accent sur le capital humain des immigrants et qui permettent l'admission d'entrepreneurs, de travailleurs autonomes et d'investisseurs — plus particulière- ment en vertu du Programme d'immigration des gens d'affaires 2 — ont contribué à un afflux important d'immigrants prospères et/ou très scolarités, en provenance particulièrement de Hong Kong, de la Chine et de l'Inde. La croissance des entreprises immigrantes et des entreprises ethniques, non seulement à Toronto et à Vancouver, mais aussi dans les petites régions urbaines, fournit un contexte propice à la constitution du capital social auquel les Asiatiques peuvent avoir recours pour obtenir du soutien et assurer leur mobilité sociale (Li, 2003). Ainsi, les enfants de ces immigrants peuvent profiter de l'importance de ces ressources communautaires et de ces avantages familiaux, ce qui augmente leurs chances de réussite dans le système d'éducation (Portes et MacLeod, 1999). Ces divers modes de réception soulèvent la question suivante : la stratification des niveaux d'études fondés sur la classe et le sexe sera-t-elle de plus en plus exacerbée par les différences dans les origines ethniques?

Nous tentons de déterminer dans quelle mesure le capital humain, mesuré d'après le niveau de scolarité des parents ainsi que le niveau moyen de scolarité et le revenu moyen de la génération du père atténuent les différences entre les groupes dans les niveaux de scolarité universitaire parmi les enfants de parents immigrants. Nous faisons l'hypothèse que les niveaux plus faibles de scolarité de certains groupes sont principalement le fait des niveaux de scolarité des parents. Nos données comprennent suffisamment de mesures pour permettre l'examen complet du rôle joué par le capital social, les ressources communautaires ethniques et d'autres facteurs possiblement importants.

Dans la présente étude, nous traitons le niveau moyen de scolarité et le revenu moyen de la génération du père comme une forme unique de capital humain au niveau du groupe. Le niveau de scolarité des enfants ne dépend pas entièrement du capital humain de leurs parents, mais aussi des compétences moyennes de la génération précédente du groupe ethnique (Borjas, 1995). La principale hypothèse est que le groupe d'immigrants agit comme une externalité dans le processus d'accumulation du capital humain. Le niveau de compétences moyen du groupe d'immigrants de la génération du père joue un rôle essentiel en ce qui a trait à la mobilité intergénérationnelle, et ces différences dans les niveaux de capital humain de groupe peuvent retarder la convergence des compétences moyennes des groupes ethniques des diverses générations (Borjas, 1994; 1992). Notre étude permet d'examiner les répercussions du capital humain au niveau du groupe, mesurées par le pourcentage moyen d'obtention d'un diplôme universitaire et les gains moyens de la génération du père, c'est-à-dire les immigrants de sexe masculin âgés de 35 à 50 ans, selon le pays de naissance, à partir des données du Recensement de 1991.

Nous examinons aussi l'importance du lieu de résidence urbain ou rural de la génération du père. Le fait de résider dans une région rurale ou dans une petite ville est lié à des faibles taux de diplômation universitaire, en raison des difficultés d'accès à l'université (Frenette, 2004) et de la demande plus faible de travailleurs très scolarisés dans les régions rurales (Bollman, 1999). Certains groupes d'origine européenne sont très concentrés dans les régions rurales et les petites villes, et les différences dans les lieux de résidence de la génération des parents peuvent avoir des répercussions sur les différences entre les groupes en ce qui a trait au niveau de scolarité.

 

1 . Le Programme concernant les employés de maison étrangers a été mis en œuvre en 1980 et a été remplacé par le Programme concernant les aides familiaux résidants en 1992. Des visas de travail ont été délivrés à condition que les aides familiaux résident chez leurs employeurs. Le Canada permet aux aides familiaux de demander le statut d'immigrant après deux ans, à condition qu'ils démontrent qu'ils ont acquis des compétences linguistiques et des aptitudes à l'emploi (Simmons, 1998).

2 . Le Programme d'immigration des gens d'affaires a permis l'admission d'entrepreneurs qui doivent établir ou acheter une entreprise au Canada en vue de fournir de l'emploi à des citoyens canadiens ou des résidents permanents. Au milieu des années 1980, l'inclusion de la catégorie des investisseurs nécessitait un avoir net d'au moins 500 000 $ et un investissement dans une entreprise d'au moins 250 000 $ (Li, 2003).