Chapitre 3.6 : Statistiques selon le sexe

Contexte

Alors que l'amélioration et la modernisation de la façon dont les statistiques sont produites contribuent à en accroître l'efficience, la qualité et l'exactitude, la pertinence des organismes statistiques dépend toujours de leur capacité à mesurer adéquatement les phénomènes sociaux et économiques dans le but d'informer les décideurs et le grand public.

Afin d'améliorer la disponibilité des statistiques visant à éclairer l'élaboration de politiques, les organismes statistiques doivent :

  • comprendre les besoins des utilisateurs et les traduire en concepts statistiques mesurables;
  • consulter les fournisseurs de données, les décideurs et les intervenants et travailler de concert avec eux;
  • développer des connaissances spécialisées et une capacité de concevoir des produits statistiques répondants aux besoins des utilisateurs;
  • évaluer l'adéquation des données disponibles pour étudier les phénomènes et relever les lacunes statistiques;
  • établir une méthodologie adéquate en vue de recueillir l'information manquante et mettre en place la structure de gouvernance nécessaire pour en soutenir l'application;
  • permettre aux utilisateurs d'avoir accès aux données produites et aux résultats d'analyse.

Le présent chapitre se fonde sur l'exemple des programmes statistiques selon les sexes pour illustrer comment les instituts nationaux de la statistique (INS) peuvent mobiliser cette approche afin de mieux répondre aux besoins des décideurs.

Stratégies, mécanismes et outils

1. Comprendre les besoins des utilisateurs et les traduire en concepts statistiques mesurables

Une fois établi le besoin de statistiques nouvelles ou améliorées, les organismes statistiques doivent inciter les utilisateurs à définir leurs besoins détaillés en matière de statistiques, à proposer des solutions de haut niveau et à élaborer des analyses de rentabilisation pour répondre à ces besoins. À cette étape, l'organisme :

  • définit la nécessité des statistiques en question;
  • confirme de façon plus détaillée les besoins des intervenants en matière de statistiques;
  • établit des objectifs de haut niveau quant aux résultats statistiques;
  • détermine les concepts et les variables pertinents pour lesquels des données sont nécessaires.

La nécessité de statistiques selon le sexe est motivée par des enjeux très importants sur le plan des politiques. Au Canada, l'égalité entre les sexes est garantie par la Charte canadienne des droits et libertés et la Loi canadienne sur les droits de la personne.Depuis 1995, tous les ministères et organismes fédéraux doivent mettre en œuvre des analyses comparatives entre les sexes (ACS), notamment des méthodes pour ce type d'analyse, et inclure l'ACS dans les présentations au Conseil du trésor et les mémoires au Cabinet. En 2010, le gouvernement fédéral a élaboré le Plan d'action ministériel pour l'analyse comparative entre les sexes, qui offre une structure permettant aux ministères et aux organismes d'encadrer l'ACS et de mettre en œuvre des pratiques fondées sur cette analyse dans la prestation de leurs services.

Les sujets suivants seront abordés afin de mieux comprendre et répondre aux inégalités entre les sexes :

  • la participation au marché du travail, la participation aux processus décisionnels dans les lieux de travail et les occasions d'affaires;
  • les revenus, le travail non rémunéré et la conciliation travail-famille;
  • l'accès aux ressources, à l'éducation et aux services de santé;
  • les attitudes et la violence fondées sur le sexe;
  • l'exclusion sociale et le traitement des minorités.

Une distinction claire doit être faite entre le concept d'égalité entre les sexes et la simple mesure d'un phénomène selon le sexe. Le point de départ d'une telle analyse est l'établissement d'une distinction entre deux termes : le « sexe » et le « genre ». Le « sexe » renvoie aux caractéristiques biologiques et physiologiques relativement fixes qui définissent les femmes et les hommes. Le « genre » renvoie aux rôles, comportements, activités et attributs socialement construits qu'une société donnée considère comme appropriés pour chacun des sexes.

Les données ventilées selon le sexe sont nécessaires pour faire ressortir les différences entre les femmes et les hommes dans une société en particulier. Les données doivent être ventilées selon le sexe afin de pouvoir mener l'ACS. Toutefois, ces seules données ne suffisent pas au moment de réaliser une ACS. En ce sens, les statistiques selon le sexe requièrent bien plus qu'une simple ventilation des données selon le sexe : elles nécessitent aussi des approches orientées sur le développement de politiques, qui contribuent à déterminer quelle information permettra de documenter et de comprendre la problématiqueNote de fin de page 1. Les ACS contribuent à façonner des politiques, des programmes, des initiatives et des services propres aux situations différentes que vivent les femmes et les hommes et à faire avancer l'évaluation des lois et des initiatives en vigueur.

Les statistiques selon le sexe ne constituent pas un domaine exclusif ou isolé. Il est lié à tous les autres domaines de statistique et recoupe les domaines traditionnels de façon à déterminer, produire et diffuser des statistiques qui reflètent les réalités que vivent les femmes et les hommes. Il est indispensable de tenir compte du recoupement du sexe avec d'autres facteurs identitaires comme l'âge, le niveau de scolarité, la langue, la géographie, la culture et le revenu. Pour une différenciation complète selon le sexe, les statistiques doivent tenir compte de la problématique hommes-femmes au pays et traiter de questions, comme la mortalité maternelle ou les troubles de la prostate, qui ne touchent qu'un seul sexe.

2. Consulter les fournisseurs de données, les décideurs et les intervenants et travailler de concert avec eux

La collaboration avec les fournisseurs de données, les décideurs et d'autres intervenants ainsi que les consultations auprès de ceux-ci permettent d'améliorer la disponibilité, la pertinence et la qualité de l'information produite. Par exemple, dans le contexte des statistiques selon le sexe, les producteurs de données doivent entretenir des liens plus étroits avec les fournisseurs de données et les utilisateurs en vue d'apporter une amélioration dans les domaines suivants :

  • l'identification de questions connues et potentielles relativement à l'égalité entre les sexes dans la société et la nécessité qui en découle d'avoir une meilleure connaissance et compréhension de ces questions;
  • la production de statistiques selon le sexe, en insistant sur les déterminants des résultats;
  • les activités de marketing et la diffusion de statistiques selon le sexe;
  • l'ACS et l'analyse des politiques;
  • le recours à l'ACS pour orienter les mesures politiques;
  • la reconnaissance des lacunes en matière de données et d'instruments (concepts, questions, etc.) afin d'y remédier.

La première Enquête sur la violence envers les femmes (EVEF) (voir l'encadré 3.6.1) a permis à l'organisme de constater que les projets menés dans ce domaine nécessitent l'élaboration et l'amélioration de solutions adaptées et novatrices. Elle a aussi révélé l'importance d'obtenir le soutien d'experts pour répondre aux besoins de données nouvelles, ou à ceux qui n'ont  pas été comblés jusqu'ici, afin d'acquérir rapidement des connaissances spécialisées et d'adopter une stratégie adaptée pour répondre aux détracteurs.

3. Développer des connaissances spécialisées et une capacité de concevoir des produits statistiques répondant aux besoins des utilisateurs

Les stratégies pour acquérir et accroître les connaissances spécialisées et les capacités statistiques au sein d'un INS comprennent le recrutement ciblé, la formation formelle et informelle, la revue approfondie de la documentation, la consultation d'experts externes et la participation à des groupes de travail.

Les statistiques selon le sexe étant un thème transversal, on sait d'expérience qu'il est important de se concentrer sur la sensibilisation et la formation. Une formation portant sur l'ACS offerte à l'ensemble des employés de l'organisme peut se révéler plus efficace que l'établissement de points de contrôle bureaucratiques ou de bureaux de vérification.

Les campagnes de sensibilisation doivent insister sur les obligations et les responsabilités des gens et de l'organisme lors de l'analyse de la problématique hommes-femmes. De telles campagnes permettent de mieux comprendre et de soutenir les analyses comparatives entre les sexes, et elles sont de ce fait très utiles.

Les domaines de formation pourraient toucher des fonctions spécifiques (p. ex. l'élaboration de politiques, la recherche, l'évaluation, les communications, les consultations et la prestation de programmes); d'autres formations jugées importantes à l'issue d'une évaluation des besoins pourraient également être offertes. Le réseautage et l'échange de connaissances peuvent également représenter d'importantes occasions de formation informelle. À l'échelle internationale notamment, Statistique Canada participe à des groupes de travail et à des conférences internationales comme le Groupe d'experts interinstitutions sur les statistiques sexospécifiques, pour échanger des renseignements et établir des réseaux.

Au Canada, le gouvernement fédéral a créé un outil d'ACS et de formation en ligne accessible à l'ensemble des fonctionnaires fédéraux, mais aussi à ceux qui sont à l'extérieur de la fonction publiqueNote de fin de page 2. Partie intégrante des outils de formation fournis par le gouvernement, l'ACS plus (ACS+) est un outil d'analyse utilisé par le gouvernement fédéral pour promouvoir l'égalité entre les sexes au pays. Le « plus » du nom vise à souligner que l'ACS va au-delà de la question de l'égalité entre les sexes et tient compte d'un éventail d'autres facteurs identitaires (p. ex. l'âge, le niveau de scolarité, l'identité autochtone, l'appartenance à une minorité visible, la langue, la géographie, la culture et le revenu). L'outil est utilisé pour évaluer les effets potentiels des politiques, des programmes ou des initiatives sur différents groupes de femmes et d'hommes, de filles et de garçons, en tenant compte des rapports entre les hommes et les femmes et d'autres facteurs identitaires. L'ACS+ permet de reconnaître les différentes situations et les besoins de la population canadienne et de mieux y répondre.

4. Évaluer l'adéquation des données disponibles pour étudier les phénomènes et relever les lacunes statistiques

Une fois que les besoins des utilisateurs ont été définis et que les organismes savent ce qui doit être mesuré, la prochaine étape consiste à vérifier dans quelle mesure les sources actuelles de données peuvent répondre à ces besoins et, le cas échéant, de préparer une analyse de rentabilisation (en l'occurrence pour produire les statistiques) aux fins d'approbation. Cela nécessite non seulement le fait d'évaluer les données comprises dans plusieurs sources, mais aussi les conditions dans lesquelles elles ont été produites, de façon à s'assurer qu'elles répondent aux normes minimales de qualité.

Les données appuyant une ACS proviennent de plusieurs sources, y compris, mais sans s'y restreindre, les recensements, les données administratives et les enquêtes. Les différents types de données comportent chacun leurs forces et leurs faiblesses. Le principal défi de l'utilisation de données administratives pour les ACS réside dans la fiabilité des bases de données existantes — les données sont souvent tirées de bases de données administratives déjà existantes qui peuvent ou non avoir enregistré des renseignements ayant trait au sexe. Lorsque cela est le cas, les données  ne sont pas mises en contexte d'une façon qui permette d'analyser les déterminants des résultats en tenant compte des différences entre les sexes. Au Canada par exemple, en ce qui concerne la statistique juridique, l'information sur le sexe du contrevenant est recueillie alors que celle relative à la victime ne l'est pas. Ce manque d'information limite l'analyse comparative entre les sexes sur la victimisation.

En revanche, les recensements ainsi que les données sur la population canadienne excluent souvent certains groupes, notamment en raison :

  • Des barrières linguistiques auxquelles font face les immigrants, particulièrement les nouveaux arrivants, lorsque les enquêtes sont menées en français ou en anglais;
  • de l'exclusion des populations vivant en établissement — les sans-abri, les personnes vivant dans des refuges, les détenus et les personnes résidant dans des établissements de soins de longue durée.

Le fait d'intégrer différentes sources de données par un couplage d'enregistrements peut renforcer l'ACS et combler les lacunes statistiques; toutefois, une telle intégration nécessite des capacités techniques avancées et des variables d'appariement fiables.

Combler les lacunes statistiques par l'introduction d'une nouvelle enquête ou le remaniement d'une enquête déjà existante comporte des coûts. Dans certains cas toutefois, il s'agit de la seule option permettant d'analyser les phénomènes, qui autrement ne seraient pas mesurés, comme il a été démontré lors de la tenue de l'EVEF de Statistique Canada (voir l'encadré 3.1).

5. Établir une méthodologie adéquate en vue de recueillir l'information manquante et mettre en place la structure de gouvernance nécessaire pour en soutenir l'application

Lorsque les INS tentent de mesurer de nouveaux phénomènes sociaux ou économiques, la revue de la documentation portant sur les cadres statistiques disponibles reconnus à l'échelle internationale doit être l'une des premières étapes à considérer afin de déterminer la méthodologie la mieux adaptée pour conceptualiser, colliger et analyser l'information. Non seulement ces cadres fournissent-ils une certaine garantie que nos données seront comparables à l'échelle internationale, mais ils contribuent aussi grandement à améliorer leur qualité (voir le chapitre 1.3 : Utilisation des normes internationales).

Le processus de production de statistiques selon le sexe est similaire à celui d'autres domaines de statistiques. Il suppose généralement un certain nombre d'étapes clés comprises dans le Modèle générique du processus de production statistique, qui intègre un point de vue tenant compte des différences entre les sexesNote de fin de page 3. Les étapes suivantes représentent des activités qui contribuent tout particulièrement à améliorer la disponibilité générale et la qualité des statistiques selon le sexe :

  • la sélection de thèmes nécessitant d'être étudiés et l'identification des données requises pour comprendre les différences entre les sexes, le rôle des femmes et celui des hommes ainsi que leurs contributions dans les différentes sphères de la vie;
  • l'évaluation de concepts existants, de définitions et de méthodes en vue de produire une information non biaisée et pertinente sur la question de l'égalité entre les sexes;
  • la méthodologie et les techniques de production prenant en compte les stéréotypes et les facteurs socioculturels qui pourraient mener à un manque d'impartialité sur la question de l'égalité entre les sexes;
  • le choix d'une unité de dénombrement appropriée pour laquelle il faut recueillir de l'information et la conception d'enquête appropriée, comme la définition du plan d'échantillonnage et la taille de l'échantillon. Le meilleur moyen d'atteindre cet objectif est d'avoir une idée claire des types d'analyses que les données doivent appuyer. En ce sens, il est recommandé d'établir à l'avance un cadre d'analyse général qui combinera la collecte de données ventilées selon le sexe et les questions qualitatives pertinentes en matière d'élaboration de politiques.
  • l'élaboration d'instruments de collecte de données, d'approches et de mécanismes appropriés, considérant la confidentialité de la matière (p. ex. les formations confidentielles et le sexe des intervieweurs), qui pourront aussi garantir une approche normalisée de la collecte de données et éviter des préjugés sexistes;
  • le traitement de données reposant sur des pratiques permettant de produire des résultats fiables;
  • des analyses et des présentations régulières de statistiques ventilées selon le sexe dans des formats simples d'utilisation; la diffusion de statistiques relatives à la problématique hommes-femmes à un grand nombre d'utilisateurs de données, y compris aux responsables des politiques et de la planification; l'élaboration d'analyses et la présentation de données sous forme accessible aux décideurs et au public le plus vaste possible.

La structure de gouvernance encadrant l'élaboration, la production et la diffusion de produits ou de programmes statistiques nouveaux ou améliorés doit aussi mener à un changement favorable. Par exemple, compte tenu de la nature transversale des statistiques selon le sexe, un INS doit prendre en considération plusieurs options au moment d'établir sa structure de gouvernance.

La création de postes de coordonnateurs responsables des questions de l'égalité entre les sexes ou d'un centre d'expertise relative à ces questions au sein d'un organisme constitue un moyen idéal de promouvoir l'intégration de statistiques selon le sexe dans les divisions spécialisées. Le coordonnateur responsable des questions de l'égalité entre les sexes peut travailler dans une unité organisationnelle précise (p. ex. une division) ou relever directement du statisticien en chef. Le positionnement organisationnel au sein de l'INS est cependant moins important que la capacité réelle d'influencer l'organisme dans son ensemble.

Statistique Canada a pour objectif d'intégrer les principes liés aux questions de l'égalité entre les sexes dans les activités des divisions spécialisées en développant la sensibilisation et l'expertise relativement à ces questions. L'organisme ne possède pas d'unité officielle spécialisée dans les statistiques selon le sexe; il y a toutefois un coordonnateur responsable des questions de l'égalité entre les sexes à la Division de la statistique sociale et autochtone. Celui-ci est chargé de produire les rapports d'ACS et de compiler les données de la publication Femmes au Canada, un recueil d'articles d'ACS, qui est publiée tous les cinq ans. Cette publication requiert la contribution spécialisée de l'ensemble de l'organisme afin de souligner les améliorations apportées et les défis en matière d'égalité entre les sexesNote de fin de page 4.

6. Permettre aux utilisateurs d'avoir accès aux données produites et aux résultats d'analyse

Comme il a été mentionné à la section 4 du présent chapitre, il existe plusieurs façons de rendre les produits statistiques accessibles aux utilisateurs (p. ex. la diffusion officielle, l'utilisation de différents moyens de communication ainsi que l'utilisation d'installations permettant d'accéder aux microdonnées). Les INS doivent veiller à ce que les utilisateurs connaissent bien le type d'information qui est à leur disposition et sachent comment y accéder. La participation des INS à divers réseaux, y compris des réseaux d'experts, de chercheurs universitaires et de décideurs, peut contribuer à diffuser l'information disponible et faire en sorte que les INS tirent profit des fonds de données.

Le programme des statistiques selon le sexe de Statistique Canada comprend notamment un large éventail de totalisations ventilées selon le sexe, des rapports périodiques fondés sur le sexe, des documents analytiques ainsi qu'une vaste collection de fichiers de microdonnées accessibles au public. Au fil du temps, l'organisme a participé à divers groupes d'étude et de travail en vue d'échanger des connaissances, des expériences et des renseignements. À l'occasion, les travaux de Statistique Canada avec certains de ces groupes ont été publiés, notamment À la recherche de données sur les femmes : les principales sources à Statistique CanadaNote de fin de page 5. Cette publication, produite par Statistique Canada pour le compte de Condition féminine Canada, offre aux analystes de politiques, aux groupes de femmes, aux organismes, aux chercheurs et aux autres utilisateurs de données, un portrait détaillé de la portée et de la diversité des données disponibles sur les femmes et les hommes du Canada, en plus de présenter des façons d'utiliser ces données. La publication a en outre permis d'accroître l'utilisation des données de Statistique Canada dans la recherche sur les politiques liées à l'égalité des sexes.

Facteurs clés de réussite

Les facteurs clés de réussite en vue d'améliorer les programmes statistiques sont, en général, propres aux différents programmes. Tout d'abord, afin d'apporter une amélioration aux programmes de statistiques selon le sexe, il est important d'utiliser les outils et les mécanismes appropriés tout au long du processus statistique et de prendre en compte la différenciation entre les sexes pour chaque aspect du processus statistique. Ensuite, la mobilisation continue des intervenants et des détracteurs potentiels, tout au long du processus, est importante pour veiller à l'utilité et à la pertinence des données produites ainsi qu'à leur acceptation subséquente. De plus, la sensibilisation et la formation des employés relativement à la problématique hommes-femmes sont essentielles afin d'assurer une mise en œuvre stratégique.

Enfin, à Statistique Canada, la manière la plus efficace de procéder est de traiter les statistiques selon le  sexe de façon systémique et intégrée. Le coordonnateur responsable des questions de l'égalité entre les sexes, peu importe où il se situe dans la structure organisationnelle, s'assure que ces questions sont prises en considération au sein de l'organisme et que les éléments suivants sont abordés :

  • l'acquisition ou le développement d'une expertise axée sur les questions de l'égalité entre les sexes;
  • une formation continue et des voies de communication solides;
  • la collaboration, au sujet de questions précises liées à l'égalité entre les sexes, avec des responsables de politiques, des chercheurs universitaires, des fournisseurs de données et d'autres intervenants.

Défis et perspectives d'avenir

Dans leurs efforts visant à améliorer continuellement leurs programmes statistiques, les INS sont confrontés à de nombreux défis (les ressources et les capacités statistiques limitées, l'acceptation de politiques, les priorités concurrentes, etc.) En ce qui concerne plus précisément les statistiques selon le sexe, il peut être difficile :

  • d'attirer, de conserver et de maintenir une expertise dans le domaine;
  • d'obtenir un financement pour la formation continue sur les statistiques selon le sexe et les programmes qui tiennent compte de la problématique hommes-femmes; une formation doit être envisagée à l'échelle de l'organisme;
    • de concevoir des enquêtes et des programmes qui tiennent compte de l'égalité entre les sexes;
    • de s'engager à promouvoir l'égalité entre les sexes au nom des décideurs;
    • de recevoir l'aide du gouvernement, de la société civile et des donneurs.

Les INS doivent développer des stratégies pour surmonter ces défis. Le meilleur moment de faire la promotion des statistiques selon le sexe est peut-être lors de la publication des nouveaux objectifs de développement durable (ODD), en particulier l'ODD 5, qui est de parvenir à l'égalité entre les sexes et de donner les moyens aux femmes et aux filles de parvenir à l'autonomieNote de fin de page 6.

Encadré 3.6.1 :La première enquête menée sur la violence envers les femmes : l'expérience canadienne, 1993

La violence envers les femmes est un problème persistant au Canada et partout dans le monde. Ce problème touche l'égalité des femmes d'un point de vue social et économique, la santé physique et mentale, le bien-être et la sécurité économique. Malheureusement, même si les actes de violence font l'objet de poursuites judiciaires, ils sont souvent sous-déclarés et, pour cette raison, ne peuvent être adéquatement mesurés et analysés au moyen des dossiers administratifs de la police ou du système judiciaire.

Comme les décideurs ont besoin d'avoir une compréhension claire de la nature et de la gravité des problèmes sociaux pour élaborer des interventions efficaces, Santé Canada a donné à Statistique Canada le mandat de mener la première Enquête sur la violence envers les femmes (EVEF) en 1993.

Défis que comporte la réalisation de la première EVEF et stratégies employées pour les surmonter

La première EVEF a connu son lot de défis lors de sa réalisation. À ce moment, les spécialistes du domaine ne possédaient pas de renseignements exhaustifs sur les types de crimes auxquels les femmes étaient particulièrement vulnérables. Pour recueillir cette information, les spécialistes du domaine devaient choisir parmi plusieurs définitions du concept de violence et établir au préalable un cadre d'analyse qui permettrait de produire des renseignements pertinents en matière de politiques, et pas seulement des chiffres. Pour ce faire, Statistique Canada a établi d'entrée de jeu un processus de consultation transparent auprès des intervenants, des experts du milieu universitaire et des détracteurs potentiels pour veiller à l'utilité et à la pertinence des données. En particulier, ces consultations ont mis en évidence l'importance de recourir à des définitions reconnues, comme celles figurant dans le Code criminel du Canada, pour mesurer le phénomène de violence.

De plus, en raison de la nature de l'enquête, il a fallu tenir compte de considérations particulières : 1) pour gagner la confiance des répondants afin d'éviter des réponses biaisées; 2) pour garantir la sécurité des répondants; 3) pour composer avec les traumatismes émotionnels potentiels des répondantes. En ce sens, Statistique Canada a adopté des méthodes et des mécanismes de collecte de données qui étaient appropriés à la nature délicate du sujet traité. Par exemple, les interviews ont eu lieu au téléphone, et ont été effectuées uniquement par des femmes. Les intervieweuses ont été sensibilisées au fait de comprendre et de reconnaître les signes de détresse émotionnelle ou de risque pour la sécurité des répondantes. En outre, on leur a fourni divers outils permettant d'approfondir les réponses des répondantes au sujet de risques potentiels pour la sécurité liés à l'interview téléphonique (la conversation pouvant être entendue par d'autres) et du besoin de trouver une autre méthode pour recueillir les renseignements personnels. Les intervieweuses ont aussi reçu une liste de refuges et de services pour femmes victimes de violence afin de venir en aide aux répondantes qui le demandaient. En outre, les intervieweuses ont reçu le soutien d'un psychologue lors de la période de collecte de données afin de pouvoir composer avec certaines situations difficiles.


Anticiper les réactions et les critiques à l'égard des résultats de l'enquête est un autre défi à relever lorsque le sujet à traiter est de nature délicate. Afin d'éviter des accusations de sensationnalisme ou d'exagération, la prévalence d'un phénomène doit être soutenue par une stratégie de communication solide. Statistique Canada a appris de cette enquête que la mise sur pied d'un comité directeur au début du processus — pour conseiller l'organisme sur les façons de répondre aux critiques dans des domaines statistiques innovateurs — a été très utile, car la tâche était très lourde à gérer pour les gestionnaires de l'enquête.

Résultats et leçons tirées de l'EVEF

Au total, 12 300 femmes ont été interviewées dans le cadre de l'EVEF. Les résultats de l'enquête ont démontré que :

  • 50 % des femmes canadiennes ont été victimes d'un incident de violence physique ou sexuelle depuis l'âge de 16 ans;
  • 29 % des femmes ont été dans une relation où elles ont subi la violence de leur partenaire intime;
  • 3 % des femmes ont été victimes de violence conjugale chaque année.

Plus important encore, l'un des principaux résultats de l'enquête a révélé que 25 % des répondantes, qui ont déclaré avoir été victimes de violence, ont utilisé cette enquête pour faire un premier signalement; il s'agit d'un résultat qui souligne la prévalence de violence non signalée dans le cadre de l'utilisation unique de dossiers administratifs.

Ces résultats ont accru considérablement la sensibilisation du public à l'égard de ce problème social. Les données détaillées sur la prévalence, la corrélation avec les facteurs de risque, les répercussions, le signalement à la police et l'utilisation des services sociaux ont été produites et transmises  aux praticiens, aux fournisseurs de services, aux chercheurs et aux législateurs.

La réalisation de l'EVEF a toutefois fait ressortir la nécessité :

  • de compter sur une expertise permanente en matière d'égalité entre les sexes et sa promotion au sein de l'INS, à savoir que les INS doivent trouver des moyens d'attirer, d'embaucher et de conserver l'expertise;
  • d'avoir une formation sur les statistiques selon le sexe et la conception de programmes et d'enquêtes intégrant l'ACS;
  • de dresser un portrait plus complet des différences entre la violence vécue par les hommes et les femmes ainsi que par les groupes de sous-populations comme les jeunes, la population autochtone, les membres de minorités visibles et les personnes ayant une incapacité.

Pour régler ce dernier problème, un module sur la victimisation a été ajouté à l'Enquête sociale générale de Statistique Canada, qui a lieu tous les cinq ans et vise les femmes et les hommes âgés de 15 ans et plus. Cette approche plus inclusive permet aux analystes de mieux comprendre la différence entre la nature et l'incidence de la violence vécue par les femmes et les hommes de même que par les sous-groupes de populationsNote de fin de page 7.

Notes de fin de page :

Note de fin de page 1

Commission Économique des Nations Unies pour l'Europe, 2010.

Retour à la référence de la note de fin de page 1

Note de fin de page 2

Pour en savoir plus sur le cadre d'ACS, veuillez consulter le site Web de Condition féminine Canada.

Retour à la référence de la note de fin de page 2

Note de fin de page 3

Commission Économique des Nations Unies pour l'Europe, 2010.

Retour à la référence de la note de fin de page 3

Note de fin de page 4

Statistique Canada, 2012.

Retour à la référence de la note de fin de page 4

Note de fin de page 5

Statistique Canada, 2007.

Retour à la référence de la note de fin de page 5

Note de fin de page 6

Nations Unies, 2015.

Retour à la référence de la note de fin de page 6

Note de fin de page 7

Statistique Canada, 2013.

Retour à la référence de la note de fin de page 7

Bibliographie

Statistique Canada (2007). À la recherche de données sur les femmes : les principales sources à Statistique Canada. Consulté le 11 mars 2016 et récupéré de http://publications.gc.ca/collections/Collection/SW21-22-2007F.pdf.

Statistique Canada (2012). Femmes au Canada : rapport statistique fondé sur le sexe. Consulté le 11 mars 2016 et récupéré de http://www5.statcan.gc.ca/olc-cel/olc.action?ObjId=89-503-X&ObjType=2&lang=fr&limit=0.

Statistique Canada (2013). Juristat — Mesure de la violence faite aux femmes : tendances statistiques. Consulté le 11 mars 2016 et récupéré de http://www5.statcan.gc.ca/olc-cel/olc.action?ObjId=85-002-X201300111766&ObjType=47&lang=fr&limit=0.

Nations Unies (2015). Transforming Our World — The 2030 Agenda for Sustainable Development. Consulté le 11 mars 2016 et récupéré de https://sustainabledevelopment.un.org/?menu=1300.

Commission économique des Nations Unies pour l'Europe (CEE-ONU) (2010). Developing Gender Statistics: A practical tool. Manuel de référence élaboré par le groupe d'étude de la CEE-ONU sur la formation sur les statistiques liées au sexe. Genève. Consulté le 11 mars 2016 et récupéré de http://www.unece.org/fileadmin/DAM/stats/publications/Developing_Gender_Statistics.pdf.

Organisation mondiale de la santé (2015). Gender, equity and human rights. Consulté le 11 mars 2016 et récupéré de http://www.who.int/gender/whatisgender/fr/index.html.

Date de modification :